Le Roman du prince Othon/Post-scriptum bibliographique

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Traduction par Egerton Castle.
Perrin (p. 289-292).


POST-SCRIPTUM BIBLIOGRAPHIQUE POUR COMPLÉTER LE RÉCIT


Le lecteur bien renseigné sur l’histoire moderne n’aura besoin d’aucun détail touchant le sort de la République. Le meilleur exposé s’en trouve dans les Mémoires de M. Greisengesang (7 vol., Leipsig), rédigés par notre connaissance de passage le licencié Rœderer. M. Rœderer, avec trop de licence littéraire, fait faire à son héros puissante figure, le pose en Jupiter Tonnant, le représente comme le pivot de toute l’affaire. Mais, à part ce biais, son livre est complet et bien écrit.

Le lecteur connaît naturellement l’ouvrage de sir John Crabtree (2 vol., Londres : Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown), ces pages si saines, si pleines de vigueur. Sir John, qui dans l’orchestre de ce roman historique, ne joue guère que du mirliton, s’attribue dans son livre le gros basson. Sa personnalité y apparaît peinte à grands traits, et la sympathie de Landor a contresigné l’admiration du public. Il est un point cependant sur lequel une explication semblerait nécessaire : le chapitre traitant de Grunewald fut, on se le rappelle, déchiré dans les jardins du palais, et de la main même de l’auteur. Comment alors se fait-il qu’il soit venu figurer en entier dans mes modestes pages, et comme le lion, pour ainsi dire, de la caravane ? Le fait est que cet éminent littérateur était homme de méthode : Juvénal en partie double, ainsi qu’on l’a irrévérencieusement appelé ; et quand il déchira les cahiers en question, ce fut plutôt, ainsi qu’il l’a expliqué depuis, avec le désir de donner quelque preuve dramatique de sa sincérité, qu’avec l’idée de les détruire absolument. Il possédait en effet à cette époque deux brouillons raturés, ainsi qu’une autre copie au net. Le chapitre fut cependant, comme le sait le lecteur, exclu en toute loyauté de ces fameux Mémoires touchant Diverses Cours de l’Europe. C’est à moi qu’il a appartenu de le donner au public.

La bibliographie nous permet encore d’obtenir quelques renseignements sur quelques-uns de nos personnages. J’ai en ce moment sous les yeux un petit volume (sans lieu ni date, non mis dans le commerce) intitulé : Poésies, par Frédéric et Amélie. Mon exemplaire est un de ceux présentés par l’auteur à divers de ses amis, et fut obtenu pour moi par M. Bain, du Haymarket. Le nom du premier propriétaire y est inscrit de la main même du prince Othon. L’épigraphe modeste : La rime n’est pas riche, peut, avec assez de probabilité, être attribuée au même auteur. Elle possède du reste une singulière justesse, car j’ai trouvé le volume fort ennuyeux. Les morceaux où j’ai cru trouver la main de la princesse sont particulièrement lourds et laborieux. Ce petit livre eut néanmoins un succès suffisant auprès du public auquel il était adressé, et j’ai rencontré certaines indications de l’existence d’un second effort du même genre, maintenant introuvable. Ici, du moins, nous pouvons prendre congé d’Othon et de Séraphine, que dis-je ? de Frédéric et d’Amélie, qui vieillissent tranquillement côte à côte, à la cour du père de la princesse, enfilant des rimes françaises et corrigeant ensemble leurs épreuves. Toujours suivant les catalogues de livres, je remarque que M. Swinburne a dédié une ode vibrante et quelques sonnets pleins d’énergie à la mémoire de Gondremark. Ce nom se rencontre au moins deux fois dans les fanfares au son desquelles Victor Hugo énumère la phalange des grands patriotes. Et dernièrement, comme je supposais déjà ma tâche terminée, je tombai de nouveau sur la piste du politique renversé et de sa comtesse. Ce fut dans le Journal de J. Bogg Cotterill, Esquire (cet ouvrage si intéressant.)

Étant à Naples, M. Cotterill est « présenté (27 mai) à un baron et à une baronne de Gondremark : lui, un homme qui autrefois fit du bruit dans le monde ; elle, encore belle ; tous deux gens d’esprit. Elle me fit compliment sur mon français : jamais elle ne m’aurait pris pour Anglais, avait fort connu mon oncle, sir John, en Allemagne, reconnaissait en moi, comme un trait de famille, quelque chose de son grand air et de sa courtoisie étudiée, et me pria de la venir voir ». Et de nouveau (30 mai) : « Rendu visite à la baronne de Gondremark, — visite fort agréable. — Une femme excessivement intelligente, d’un esprit raffiné ; tout à fait de cette vieille école qui, hélas ! n’existe plus maintenant ; a lu mes Remarques sur la Sicile qui lui rappellent la manière de mon oncle, mais avec plus de grâce. Exprimé ma crainte qu’elle n’y eût rencontré moins de vigueur ; m’a assuré que non : une façon plus avenante de représenter les choses, plus de grâce littéraire, mais bien la même force de conception. Bref, juste ce que m’en disait Buttonhole. Fort encouragé. Je ressens une estime réelle pour cette patricienne. »

Ces rapports, apparemment, durèrent quelque temps, et quand M. Cotterill partit à la suite de Lord Protocol (et à bord du vaisseau de l’amiral Yardarm, ainsi qu’il a soin de nous en faire part) ; une des choses qui lui causèrent le plus de regrets fut de quitter « cette femme si spirituelle et si sympathique, qui me considère déjà comme son frère cadet ».



FIN