Premier Tableau
[modifier]Le Goum
Sérénade
[modifier]Sérénade
SOLO.
Fathma, tout dort ;
Du treillis d’or,
Oh ! penche-toi
Vers moi.
À ton œil noir,
Mon seul miroir,
Je veux me voir !
Mais quel est donc ce bruit,
Bruit d’alarmes ?
Dans l’ombre un éclair luit
Sur des armes.
Ah ! par Allah !
Pour mon cœur ce fracas
A des charmes ;
C’est le chant des soldats
Volant aux combats !
CHŒUR.
Il est temps. C’est la mort,
Nuit d’alarmes ;
Hâte-toi, l’heure finit ;
Prends tes armes.
Ah ! par Allah !
Pour un Cheik les combats
Ont des charmes.
Avec toi les soldats
Bravent le trépas.
SOLO.
Mon cœur charmé,
D’amour pâmé,
Voit dans tes yeux
Les cieux ;
Et les houris
N’ont plus de prix
Quand tu souris !
Mon cheval a dressé
Sa crinière,
Car le vent a froissé
Ma bannière.
Ah ! par Allah !
Mon âme est dans tes bras
Prisonnière ;
Je ne puis sur leurs pas
Voler aux combats.
CHŒUR.
Ton cheval a dressé
Sa crinière,
Car le vent a froissé
Ta bannière :
Ah ! par Allah !
Que ton âme, en ses bras
Prisonnière,
Se réveille au fracas
Du chant des combats.
SOLO.
Nos jours sont finis,
Restons unis
Au bleu séjour
D’amour.
L’éternité
De volupté,
C’est ta beauté,
Fathma !
Deuxième Tableau
[modifier]I. Razzia
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LES GUERRIERS.
À travers l’ombre
Marchons en nombre,
Et surprenons par un détour
Nos ennemis avant le jour.
Ils ont des bœufs, ils ont de l’or ;
Dérobons leur trésor.
LES PASTEURS.
Le vent du soir fait palpiter nos tentes ;
Les yeux fixés aux voûtes scintillantes,
Doucement nous rêvons
En chantant nos chansons.
LES GUERRIERS.
Yataghans,
Burnous, turbans,
Or et bijoux
Seront à nous.
LES PASTEURS.
Dans le désert, oh ! que la vie est belle !
Le ciel nous donne une fête éternelle,
Des moissons, des troupeaux,
Le bonheur, le repos.
LES GUERRIERS.
À mort ! à mort !
Il faut plier devant le fort,
Soumettez-vous à votre sort !
LES PASTEURS.
Pitié pour la femme et l’enfant !
LES GUERRIERS.
Non !
LES PASTEURS.
Le saint Prophète les défend !
LES GUERRIERS.
Non !
LES PASTEURS.
Prenez nos blés et nos troupeaux !
LES GUERRIERS.
Non !
LES PASTEURS.
Le lin filé par nos fuseaux !
LES GUERRIERS.
Non !
LES PASTEURS.
Nos burnous, nos fusils, nos chevaux !
LES GUERRIERS.
Non !
Qu’on se soumette !
LES PASTEURS.
Épargnez-nous !
LES GUERRIERS.
Par le Prophète !
LES PASTEURS.
À vos genoux…
LES GUERRIERS.
Courbez la tête !
LES PASTEURS.
Nous tremblons tous !
LES GUERRIERS.
Ou donnez-nous…
LES PASTEURS.
Que voulez-vous ?
LES GUERRIERS.
Mille boudjoux.
LES PASTEURS.
Mille boudjoux !
LES GUERRIERS.
Mille boudjoux.
LES PASTEURS.
Ils sont à vous !
II. Pastorale
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Ils sont partis !…
Sortez de vos abris,
Chevreaux, moutons, brebis,
Hier cachés ;
Sortez du creux des noirs rochers,
Mon troupeau se rallie au doux son de ma flûte ;
Vers moi vient, en bêlant,
La brebis que suit l’agneau blanc ;
Le bélier a penché son front prêt à la lutte,
Les taureaux aux flancs roux
Se sont mis sur l’herbe à genoux.
Par ce beau soir que vivre est doux !
Ils ont fui ! l’oasis a repris son silence,
Et l’on voit le ramier
Revenir sans peur au palmier,
Dans les fleurs, en riant, la Péri se balance,
Et la vierge à l’œil noir,
Au ruisseau descend pour se voir.
Le jour s’enfuit !…
L’amour descend avec la nuit.
Rentrez dans vos abris,
Chevreaux, moutons, brebis !
Le jour s’enfuit !…
L’amour descend avec la nuit.
Troisième Tableau
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CHŒUR DE SORCIÈRES.
Il est minuit ;
Faisons grand bruit
Avec la danse, avec le chant
Jusques au jour,
Pour effrayer le Djinn méchant.
Chassons dans l’enfer, sa prison,
Le noir esprit de la maison.
UNE SORCIÈRE.
Esprits impurs,
Quittez ces murs
Aux coins obscurs :
Le feu qui luit
Dans votre nuit
Plonge et vous suit.
CHŒUR DE SORCIÈRES.
You, you, you, you2.
UNE SORCIÈRE.
Fuyez d’ici, spectres funèbres,
Goules, afrites, djinns, esprits,
Qui déployez dans les ténèbres
Vos ailes de chauve-souris !
Le tarbouka plus fort bourdonne,
Le feu sacré brille plus clair ;
Disparaissez, je vous l’ordonne,
Fils de la tombe ou de l’Enfer !
CHŒUR DE SORCIÈRES.
Grâce à nos cris,
Démons, esprits,
Prennent la fuite, et l’on entend
Le bruit que font
Sur le plafond
Leurs noirs essaims en se heurtant ;
De son vol lourd fouettant la nuit,
En glapissant leur troupe fuit.
Quatrième Tableau
[modifier]Chant du soir
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Sur les palmiers, les colombes fidèles
Vont se poser et gémir leur chanson ;
Les minarets et leurs blanches tourelles
Chantent là-bas à travers l’horizon.
Et le muezzin, dans le ciel bleu,
Jette son cri : Dieu seul est Dieu !
Par Mahomet ! Dieu seul est Dieu !
LE MUEZZIN.
Salam-aleik, aleikoum el-salam. La Allah il Allah,
ou-Mohamed naçoul Allah.
C’est l’heure solennelle
Du soir,
L’heure où ma belle,
Sans voile, laisse voir
Son grand œil de gazelle
Si noir.
Cest l’heure où chaque soir
Je vais à côté d’elle
M’asseoir.
Les noirs cyprès sur les tombes gémissent,
Et le soleil s’est éteint dans la nuit ;
Dans un baiser que nos âmes s’unissent,
Et profitons de ce jour qui s’enfuit…
Et le muezzin dans le ciel bleu
Jette son cri : Dieu seul est Dieu !
Cinqième Tableau
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LE MUEZZIN.
Ô toi qui fis le ciel et l’onde,
Allah ! sois bon pour le croyant.
Allah ou-Akhbar.
CHŒUR DES PÈLERINS.
Allah ! Allah !
Du saint tombeau, centre du monde,
Partis d’Alep, de Trébizonde,
De Fez, de Smyrne et de Golconde,
Nous revenons toujours priant.
Allah ! Allah !
Nous avons adoré
Le Temple en sa gloire,
Vu la pierre noire
Dans le lieu sacré !
Le cercueil suspendu,
Le puits dont l’eau pure
Rend net de souillure
Quiconque en a bu.
Franchissant l’océan de sable
Sous un ciel dont l’ardeur accable,
Pour laver notre front coupable
Nous avons cheminé longtemps.
Dans la Mecque où dort le Prophète,
Jusqu’au sol inclinant la tête,
Nous avons observé la fête
Qui rend saints les croyants.
Dirigeons-nous.
L’EMIR DES HADJI.
Allez dans l’enceinte,
Sous la coupole sainte
De cent couleurs peinte
Offrir à Dieu sans crainte
Vos cœurs purs de feinte.
CHŒUR DES DERVICHES.
Que la sainte foule,
Dont le flot ondoyant se roule,
En passant nous foule,
Et sur nos corps s’écoule
Ainsi qu’une houle.
CHŒUR DE DERVICHES ET DE PÈLERINS
DANS LA MOSQUÉE.
Ô toi qui fis le ciel et l’onde,
Allah ! sois bon pour le croyant !
Ô toi seul roi du monde,
Allah ! toi seul es grand !
Allah ou-Akhbar !
1. Il règne en Orient une superstition sur les djinns ou mauvais esprits qui hantent certaines maisons, et que l’on chasse au moyen d’exorcismes, de chants et de danses. Un beau tableau de M. Adolphe Leleux, fort remarqué à l’une de nos dernières expositions, reproduit une de ces scènes de conjuration dont nous avons été témoin oculaire et auriculaire à Constantine. De vieilles femmes et de jeunes danseuses sont nécessaires pour opérer le charme ; les premières effrayent les esprits par leur musique, et les secondes par leurs contorsions qui rappellent les convulsionnaires de Saint-Médard.
2. Cri poussé par les sorcières pour effrayer les esprits. Dans les maisons habitées par des Juifs ou par des Arabes à l’occasion d’un enterrement ou d’un mariage, les parents et les amis du défunt ou des nouveaux époux font entendre ce même cri en signe de deuil ou d’allégresse.
3. L’entrée au Caire des Hadji ou pèlerins qui reviennent de la Mecque donne lieu à une des plus belles solennités qui se puissent voir en Egypte. Une foule nombreuse se presse sur les pas des fidèles qui rapportent de leur saint pèlerinage des reliques prises dans le tombeau du Prophète et de l’eau sacrée du puits Zem-zem. Sur le seuil de la mosquée principale où doit s’arrêter la caravane, une grande quantité de derviches se prosternent les bras croisés sur la tête au-devant de l’émir des Hadji, qui fait passer son cheval sur le corps de ces fanatiques croyants. « L’exaltation, dans laquelle ils se mettent développe en eux une force nerveuse qui supprime le sentiment de la douleur et communique aux organes une force de résistance extraordinaire. Cette cérémonie, appelée la Dhossa ou Dhozza, est regardée comme un miracle destiné à convaincre les infidèles ; aussi laisse-t-on volontiers les Francs se mettre aux premières places. »
(Gérard de Nerval. — Scènes de la vie orientale).