Le Salut par les Juifs/Chapitre 13

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Joseph Victorion et Cie (p. 49-52).

XIII


Mais qui donc peut s’intéresser à ces vénérables Images sur lesquelles pourtant le monde a vécu, et qui voudrait s’efforcer de les comprendre ? Un travail tel que celui-ci ne souffre guère qu’on les écarte, et comment échapper à la décourageante certitude qu’on ne sera pas entendu ?

Ils ont l’air parfois si contradictoires, ces vocables, familiers ou rares, dont le sens littéral est si divers et l’acception spirituelle si invariable, qui disent tous à leur manière la Substance infinie et qui ne sont que des voiles d’un tissu changeant au devant du même tabernacle !

On est tenté de les croire incohérents ou capricieux parce qu’ils se précipitent quelquefois les uns sur les autres et qu’ils semblent tour à tour se dévorer ou s’enlacer amoureusement. Quand on les regarde avec fixité, ils se compénètrent soudain et se coalisent en un seul front pour se multiplier derechef aussitôt qu’on s’efforce de les saisir.

Et quand, plein de lassitude, on s’en détourne pour contempler de vaines ombres dans les miroirs énigmatiques de cet univers, ils arrivent insidieusement, comme des obsesseurs très-subtils, et ils environnent l’esprit de leurs tranchées silencieuses…

On a beau savoir qu’ils sont les flots d’un identique Océan et qu’ils ne peuvent rompre les digues de l’Unité absolue, l’ondoyance perpétuelle de leurs aspects et le conflit apparent de leurs couleurs déconcertent infailliblement l’orientation la plus attentive.

Il faut prendre son parti de n’obtenir jamais que d’intermittents éclairs, car Jésus lui-même, venu, disait-il, pour tout « accomplir », ne s’exprima qu’en paraboles et similitudes.

L’interprétation des Textes sacrés fut autrefois considérée comme le plus glorieux effort de l’esprit humain, puisqu’au témoignage de l’infaillible Salomon, la « gloire de Dieu est de cacher sa parole[1] ».

C’était, alors, le temps des maîtres et le règne tranquille des spéculations d’en haut. Maintenant, c’est l’heure des domestiques et la victoire décisive des curiosités d’en bas.

Il est donc au moins superflu d’espérer un peu d’attention et je me garderais soigneusement d’y prétendre, si je ne savais pas qu’on meurt de faim dans les étables du Pasteur et qu’un grand nombre de voix réclament déjà la clef du siècle prochain où les indigents supposent que la Providence a mis en réserve le rassasiement des esprits.

J’ai la douleur de ne pouvoir proposer à mes ambitieux contemporains un révélateur authentique. La conciergerie des Mystères n’est pas mon emploi et je n’ai pas reçu la consignation des Choses futures. Les prophètes actuels sont, d’ailleurs, si complètement dénués de miracles qu’il parait impossible de les discerner.

Mais s’il est vrai qu’on en demande, par une conséquence naturelle de ce point de foi qu’il doit en venir un jour, je voudrais savoir pourquoi on ne les demande jamais à l’unique peuple d’où sont sortis tous les Secrétaires des Commandements de Dieu.


  1. Proverbes, chap. 25, v. 2.