Le Salut par les Juifs/Chapitre 15

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Joseph Victorion et Cie (p. 57-60).

XV


Humble et grand Moyen-Âge, époque la plus chère à tous ceux que les clameurs de la Désobéissance importunent et qui vivent retirés au fond de leurs propres âmes !

Les trois derniers siècles ont beaucoup fait pour le raturer ou le décrier, en altérant par tous les opiums les glorieuses facultés lyriques du vieil Occident. Il existe même un courant nouveau d’historiens critiques et documentaires, de qui cette besogne odieuse est le permanent souci.

Mais je crois bien que les Mille ans de pleurs, de folies sanglantes et d’extases continueront de couler à travers les doigts des pédants, aussi longtemps que le cœur humain n’aura pas cessé d’exister ; et c’est une remarque étrange que les Juifs sont, en somme, les témoins les plus fidèles et les conservateurs les plus authentiques de ce candide Moyen-Âge qui les détestait pour l’amour de Dieu et qui voulut tant de fois les exterminer.

J’évoquais, en commençant, le souvenir de ces malpropres et sublimes individus qu’il me fut donné de contempler à Hambourg, — animaux si bien conservés dans leur purin, si intacts, si prodigieusement immaculés de tout ce qui n’était pas la vermine des ascendants ou des proches, que j’eus l’angoisse de me sentir en présence du même troupeau qui faisait vomir les gens nés sous le règne de Philippe Auguste ou de Frédéric Barberousse et disséminés sous la terre ou dans les sillons des cieux, depuis tant de générations qu’ils sont morts en se souvenant de la mort du Christ.

J’entrevis l’énorme grandeur de ces temps lointains où la militante Église qui avait dompté l’univers et dont les pieds d’Immaculée Conception se posaient sur le cou des rois, broyait pourtant sa puissance contre un peuple de vermisseaux qui lui résistait sans jamais mourir.

On eût pu dire, semble-t-il, que cet obstacle impossible à vaincre l’avertissait, en pleine victoire, de sa condition précaire d’épousée d’un Dieu sanglant à qui tout avait résisté…

Devenue comme la mer, elle dut, en frémissant, prendre pour elle-même la concise prohibition du Seigneur : « Tu viendras jusqu’ici et tu ne passeras pas plus avant, et c’est ici que tu briseras l’enflure de tes ondes[1]. »

Néanmoins, la guerre aux Juifs ne fut jamais, dans l’Église, que l’effort mal dirigé d’un grand zèle charitable et la Papauté les abrita généreusement contre la fureur de tout un monde.


  1. Job, XXXVIII, 11.