Le Salut par les Juifs/Chapitre 27

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Joseph Victorion et Cie (p. 113-118).

XXVII


Oserai-je dire maintenant, fût-ce avec des timidités de colombe ou des prudences de serpent, au risque de passer pour un misérable fomentateur de sophismes hétérodoxes, le conflit adorablement énigmatique de Jésus et de l’Esprit-Saint ?

J’ai parlé de Caïn et d’Abel, de l’Enfant prodigue et de son frère, comme j’aurais parlé du mauvais Larron et du bon Voleur qui les évoquent si étrangement.

J’aurais pu tout aussi bien rappeler l’histoire d’Isaac et d’Ismaël, de Jacob et d’Ésaü, de Moïse et du Pharaon, de Saül et de David et cinquante autres moins populaires, où la Compétition mystique des Aînés et du Puîné, décisivement et sacramentellement promulguée sur le Golgotha, fut notifiée, tout le long des âges, dans le mode prophétique.

Les frères anathèmes ou persécuteurs représentent toujours le Peuple de Dieu contre le Verbe de Dieu. C’est une règle invariable et sans exception que l’Éternité ne changerait pas.

Or, le Peuple de Dieu, c’est le lamentable peuple des Juifs particulièrement dévolus au Souffle du Sabaoth qui les fit tant de fois résonner comme les harpes des bois séculaires.

Israël est donc investi, par privilège, de la représentation et d’on ne sait quelle très-occulte protection de ce Paraclet errant dont il fut l’habitacle et le receleur.

Pour qui n’est pas destitué de la faculté de contemplation, les séparer semble impossible, et plus l’extase est profonde, plus étroitement soudés l’un à l’autre ils apparaissent. Cela finit par ressembler, dans la perspective des gouffres, à une sorte d’identité.

Mais voici quelque chose de singulier. La Croix représente aussi l’Esprit-Saint. Elle est l’Esprit-Saint lui-même !

« Un jour la Terre apprendra, pour en agoniser d’épouvante, que ce Signe était mon Amour, c’est-à-dire l’Esprit-Saint caché sous un travestissement inimaginable[1] !… »

La Croix est un signe essentiellement Septénaire.

En conséquence, les Juifs, si prodigieusement harmoniques à l’Esprit-Saint dont on entend perpétuellement la voix juive dans le contre-bas de nos liturgies, parce que cet Esprit a soufflé sur eux comme l’ouragan, — les Juifs donnent précisément la Croix au Verbe de Dieu pour que l’écrasant Amour soit sur Lui dans sa forme symbolique la plus parfaite et la plus dure.

À cette Croix, dont s’affligent les Sept Jours, ils clouent fortement le même Verbe de Dieu qui est le pauvre Jésus, comme les barbares paysans clouent l’oiseau de la Sagesse à la porte de leur maison.

Ils le clouent de façon puissante pour qu’il ne descende pas sans leur permission.

Sept coups de marteau pour la Main droite, Sept pour la Main gauche et Sept encore pour l’effroyable pointe échardée qui transperce les deux Pieds du Bon Pasteur ; — afin que soit obtenu le nombre significatif de vingt et un qui fut celui des années de ce dérisoire Sédécias, au Nom magnifique[2], lequel « ne rougissait pas devant la face de Jérémie », quand il monta sur le trône souillé de Jérusalem, dont le triste peuple allait être fait captif.

Ce n’est pas tout, la Croix est ignoble et elle fait le Verbe de Dieu ignoble comme elle.

La Croix est folle et le Verbe de Dieu, par la volonté du peuple hostile, devient l’Époux de sa démence.

La Croix est infirme, elle est immobile, capable seulement de torturer, et la toute-puissante Parole incarnée du « Dieu des Dieux », couchée dans ses bras, devient infirme avec elle, incapable de mouvement et bourreau de ses plus chers qui devront être « configurés » à son supplice…

Ah ! s’ils pouvaient être séparés un jour ! Mais les Juifs seuls ont le pouvoir d’abroger la loi de tourments qu’ils édictèrent, sans savoir ce qu’ils faisaient, par une étonnante impulsion d’En Bas.

La gloire de cette Parole qu’ils ont méconnue et l’avènement de l’Amour tant annoncé par leurs prophètes ne peuvent arriver ensemble que le jour où Jésus aura cessé d’être en Croix, et cela dépend exclusivement de la Volonté inconnue qui suscita leur malice.

Mais il était un million de fois nécessaire de les clouer auparavant l’un à l’autre avec cruauté, pour qu’ainsi fussent miraculeusement avérées, dans le futur, les impossibles accordailles des deux Testaments…

Quelques éclairs plus rapides que la lumière, voilà tout ce qu’il est permis d’espérer. La Révélation est un firmament très-pâle offusqué par des montagnes de nues ténébreuses d’où sort quelquefois, pour s’y replonger aussitôt, l’extrémité du bras de la foudre.

Quant au Soleil, il n’a pu se remettre encore de son émotion du Vendredi Saint, et nous savons que les « iotas ou les points » ne pardonnent pas, qu’ils sont aussi implacables et ne se laissent pas mieux pénétrer que les apologues ou les oraisons les plus grandiloques de cette Écriture scellée Trois et Quatre fois, dont tant de chrétiens ont imaginé de si confortables explications.


  1. Le Désespéré, page 367. Édition Soirat.
  2. Sédécias veut dire le Juste du Seigneur.— II Paralipomènes, XXXVI, 11 et 12.