Le Salut par les Juifs/Chapitre 9

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Joseph Victorion et Cie (p. 33-36).

IX


Patience ! Écoutez ceci, vous, les pauvres gens pour qui Jésus a voulu souffrir.

Si quelque fanatique de ma prose pouvait un jour être suscité, le malheureux dénicherait peut-être, avec le secours du ciel, les lignes suivantes, aussi parfaitement ignorées, j’imagine, que la page citée plus haut :

« On a fort écrit sur l’argent. Les politiques, les économistes, les moralistes, les psychologues et les mystagogues s’y sont épuisés. Mais je ne remarque pas qu’aucun d’eux ait jamais exprimé la sensation de mystère que dégage ce mot étonnant.

« L’exégèse biblique a relevé cette particularité notable que, dans les Livres sacrés, le mot Argent est synonyme et figuratif de la vivante Parole de Dieu[1]. D’où découle cette conséquence que les Juifs dépositaires anciens de cette Parole, qu’ils ont fini par crucifier quand elle est devenue la Chair de l’Homme, en ont retenu, postérieurement à leur déchéance, le simulacre, pour accomplir leur destin et ne pas errer sans vocation sur la terre.

« C’est donc en vertu d’un décret divin qu’ils posséderaient, n’importe comment, la plus large part des biens de ce monde. Grande joie pour eux ! mais qu’en font-ils[2] ? »

Ce qu’ils font de l’argent, je vais vous le dire, ils le crucifient.

Je demande pardon pour cette expression assez généralement inusitée, je crois, mais qui n’est pas plus extravagante, si on y regarde bien, que cette autre : « Manger de l’argent », dont la monstruosité réelle, divulguée, ferait expirer d’effroi les innombrables humains qui l’utilisent.

J’ai dit exactement ce que je voulais dire. Ils le crucifient, parce que c’est la manière juive d’exterminer ce qui est divin.

Les symboles et les paraboles du Saint Livre sont pour toujours, l’Église, infaillible, n’ayant pas plus raturé les figures qu’elle n’a congédié les prophéties. C’est l’éternité seulement qui a leur mesure et les Juifs ayant égorgé le Verbe fait chair, après l’avoir très-jalousement gardé, aussi longtemps qu’il n’éclatait pas à leurs yeux charnels, épousèrent à leur insu l’effroyable pénitence d’être fixés à jamais dans leur sacrilège et de continuer avec rage sur l’indestructible Symbole ce qu’ils avaient accompli sur la chair passible du vrai Dieu.

Crucifier l’argent ? Mais quoi ! c’est l’exalter sur la potence ainsi qu’un voleur ; c’est le dresser, le mettre en haut, l’isoler du Pauvre dont il est précisément la substance !…

Le Verbe, la Chair, l’Argent, le Pauvre… Idées analogues, mots consubstantiels qui désignent en commun Notre Seigneur Jésus-Christ dans le langage que l’Esprit-Saint a parlé.

Car, sitôt qu’on touche à l’une ou l’autre de ces effrayantes Images, qui sont si nombreuses, elles accourent toutes à la fois et mugissent de tous les côtés comme des torrents qui se hâteraient en bondissant vers un gouffre unique et central.

C’est moi ! crie chacune d’elles.

— C’est moi, l’Argent, qui suis le Verbe de Dieu, le Sauveur du monde ! C’est moi qui suis la Voie, la Vérité, la Vie, le Père du siècle futur !…

— C’est moi, le Verbe, qui suis l’Argent, la Résurrection, le Dieu fort, le très-bon Vin, le Pain vivant, la Pierre angulaire !…

— C’est moi, la Chair, la chair débile, qui suis pourtant la Joie des Anges, la Pureté des Vierges, l’Agneau des agonisants et le bon Pasteur des morts !…

— Et c’est moi toujours, moi le Pauvre, le Père des pauvres, qui suis le Trésor des fidèles, trésor de vermine et d’abjection, en même temps que le Roi des Patriarches et la Force des Martyrs ! C’est bien moi qui suis l’Esclave, le Conspué, l’Humilié, le Lépreux, le Mendiant horrible dont tous les Prophètes ont parlé… et le Créateur des voies lactées et des nébuleuses, par-dessus le marché !

Mais qui donc pourrait avoir des pensées dignes de tels objets ?


  1. Ps. xi, 7.
  2. Christophe Colomb devant les Taureaux, p. 108.