Le Siècle de Louis XIV/Édition Garnier/Chapitre 07

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Le Siècle de Louis XIV
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 14, Histoire (4) (p. 225-233).
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CHAPITRE VII.

LOUIS XIV GOUVERNE PAR LUI-MÊME. IL FORCE LA BRANCHE D’AUTRICHE ESPAGNOLE À LUI CÉDER PARTOUT LA PRÉSÉANCE, ET LA COUR DE ROME À LUI FAIRE SATISFACTION. IL ACHÈTE DUNKERQUE. IL DONNE DES SECOURS À L’EMPEREUR, AU PORTUGAL, AUX ÉTATS-GÉNÉRAUX, ET REND SON ROYAUME FLORISSANT ET REDOUTABLE.


Jamais il n’y eut dans une cour plus d’intrigues et d’espérances que durant l’agonie du cardinal Mazarin. Les femmes qui prétendaient à la beauté se flattaient de gouverner un prince de vingt-deux ans, que l’amour avait déjà séduit jusqu’à lui faire offrir sa couronne à sa maîtresse. Les jeunes courtisans croyaient renouveler le règne des favoris. Chaque ministre espérait la première place. Aucun d’eux ne pensait qu’un roi élevé dans l’éloignement des affaires osât prendre sur lui le fardeau du gouvernement. Mazarin avait prolongé l’enfance de ce monarque autant qu’il l’avait pu. Il ne l’instruisait que depuis fort peu de temps, et parce que le roi avait voulu être instruit.

On était si loin d’espérer d’être gouverné par son souverain que de tous ceux qui avaient travaillé jusqu’alors avec le premier ministre, il n’y en eut aucun qui demandât au roi quand il voudrait les entendre. Ils lui demandèrent tous : « à qui nous adresserons-nous ? » et Louis XIV leur répondit : À moi. On fut encore plus surpris de le voir persévérer. Il y avait quelque temps qu’il consultait ses forces, et qu’il essayait en secret son génie pour régner. Sa résolution prise une fois, il la maintint jusqu’au dernier moment de sa vie. Il fixa à chacun de ses ministres les bornes de son pouvoir, se faisant rendre compte de tout par eux à des heures réglées, leur donnant la confiance qu’il fallait pour accréditer leur ministère, et veillant sur eux pour les empêcher d’en trop abuser.

Mme de Motteville nous apprend que la réputation de Charles II, roi d’Angleterre, qui passait alors pour gouverner par lui-même, inspira de l’émulation à Louis XIV. Si cela est, il surpassa beaucoup son rival, et il mérita toute sa vie ce qu’on avait dit d’abord de Charles.

Il commença par mettre de l’ordre dans les finances dérangées par un long brigandage. La discipline fut rétablie dans les troupes, comme l’ordre dans les finances. La magnificence et la décence embellirent sa cour. Les plaisirs même eurent de l’éclat et de la grandeur. Tous les arts furent encouragés, et tous employés à la gloire du roi et de la France.

Ce n’est pas ici le lieu de le représenter dans sa vie privée, ni dans l’intérieur de son gouvernement ; c’est ce que nous ferons à part[1]. Il suffit de dire que ses peuples, qui depuis la mort de Henri le Grand n’avaient point vu de véritable roi, et qui détestaient l’empire d’un premier ministre, furent remplis d’admiration et d’espérance quand ils virent Louis XIV faire à vingt-deux ans ce que Henri avait fait à cinquante. Si Henri IV avait eu un premier ministre, il eût été perdu, parce que la haine contre un particulier eût ranimé vingt factions trop puissantes. Si Louis XIII n’en avait pas eu, ce prince, dont un corps faible et malade énervait l’âme, eût succombé sous le poids. Louis XIV pouvait sans péril avoir ou n’avoir pas de premier ministre. Il ne restait pas la moindre trace des anciennes factions ; il n’y avait plus en France qu’un maître et des sujets. Il montra d’abord qu’il ambitionnait toute sorte de gloire, et qu’il voulait être aussi considéré au dehors qu’absolu au dedans.

Les anciens rois de l’Europe prétendent entre eux une entière égalité, ce qui est très-naturel ; mais les rois de France ont toujours réclamé la préséance que mérite l’antiquité de leur race et de leur royaume ; et s’ils ont cédé aux empereurs, c’est parce que les hommes ne sont presque jamais assez hardis pour renverser un long usage. Le chef de la république d’Allemagne, prince électif et peu puissant par lui-même, a le pas, sans contredit, sur tous les souverains, à cause de ce titre de César et d’héritier de Charlemagne. Sa chancellerie allemande ne traitait pas même alors les autres rois de majesté. Les rois de France pouvaient disputer la préséance aux empereurs, puisque la France avait fondé le véritable empire d’Occident, dont le nom seul subsiste en Allemagne. Ils avaient pour eux non-seulement la supériorité d’une couronne héréditaire sur une dignité élective, mais l’avantage d’être issus, par une suite non interrompue, de souverains qui régnaient sur une grande monarchie plusieurs siècles avant que, dans le monde entier, aucune des maisons qui possèdent aujourd’hui des couronnes fût parvenue à quelque élévation. Ils voulaient au moins précéder les autres puissances de l’Europe. On alléguait en leur faveur le nom de très-chrétien. Des rois d’Espagne opposaient le titre de catholique, et depuis que Charles-Quint avait eu un roi de France prisonnier à Madrid, la fierté espagnole était bien loin de céder ce rang. Les Anglais et les Suédois, qui n’allèguent aujourd’hui aucun de ces surnoms, reconnaissent le moins qu’ils peuvent cette supériorité.

C’était à Rome que ces prétentions étaient autrefois débattues. Les papes, qui donnaient les États avec une bulle, se croyaient, à plus forte raison, en droit de décider du rang entre les couronnes. Cette cour, où tout se passe en cérémonies, était le tribunal où se jugeaient ces vanités de la grandeur. La France y avait eu toujours la supériorité quand elle était plus puissante que l’Espagne ; mais depuis le règne de Charles-Quint, l’Espagne n’avait négligé aucune occasion de se donner l’égalité. La dispute restait indécise ; un pas de plus ou de moins dans une procession, un fauteuil placé près d’un autel, ou vis-à-vis la chaire d’un prédicateur, étaient des triomphes, et établissaient des titres pour cette prééminence. La chimère du point d’honneur était extrême alors sur cet article entre les couronnes, comme la fureur des duels entre les particuliers.

(1661) Il arriva qu’à l’entrée d’un ambassadeur de Suède à Londres, le comte d’Estrades, ambassadeur de France, et le baron de Vatteville, ambassadeur d’Espagne, se disputèrent le pas. L’Espagnol, avec plus d’argent et une plus nombreuse suite, avait gagné la populace anglaise : il fait d’abord tuer les chevaux des carrosses français, et bientôt les gens du comte d’Estrades, blessés et dispersés, laissèrent les Espagnols marcher l’épée nue comme en triomphe.

Louis XIV, informé de cette insulte, rappela l’ambassadeur qu’il avait à Madrid, fit sortir de France celui d’Espagne, rompit les conférences qui se tenaient encore en Flandre au sujet des limites, et fit dire au roi Philippe IV, son beau-père, que s’il ne reconnaissait la supériorité de la couronne de France et ne réparait cet affront par une satisfaction solennelle, la guerre allait recommencer. Philippe IV ne voulut pas replonger son royaume dans une guerre nouvelle pour la préséance d’un ambassadeur : il envoya le comte de Fuentes déclarer au roi, à Fontainebleau, en présence de tous les ministres étrangers qui étaient en France (24 mars 1662), que « les ministres espagnols ne concourraient plus dorénavant avec ceux de France ». Ce n’en était pas assez pour reconnaître nettement la prééminence du roi ; mais c’en était assez pour un aveu authentique de la faiblesse espagnole. Cette cour, encore fière, murmura longtemps de son humiliation. Depuis, plusieurs ministres espagnols ont renouvelé leurs anciennes prétentions : ils ont obtenu l’égalité à Nimègue ; mais Louis XIV acquit alors par sa fermeté une supériorité réelle dans l’Europe, en faisant voir combien il était à craindre.

À peine sorti de cette petite affaire avec tant de grandeur, il en marqua encore davantage dans une occasion où sa gloire semblait moins intéressée. Les jeunes Français, dans les guerres faites depuis longtemps en Italie contre l’Espagne, avaient donné aux Italiens, circonspects et jaloux, l’idée d’une nation impétueuse. L’Italie regardait toutes les nations dont elle était inondée comme des barbares, et les Français comme des barbares plus gais que les autres, mais plus dangereux, qui portaient dans toutes les maisons les plaisirs avec le mépris, et la débauche avec l’insulte. Ils étaient craints partout, et surtout à Rome.

Le duc de Créquy, ambassadeur auprès du pape, avait révolté les Romains par sa hauteur : ses domestiques, gens qui poussent toujours à l’extrême les défauts de leur maître, commettaient dans Rome les mêmes désordres que la jeunesse indisciplinable de Paris, qui se faisait alors un honneur d’attaquer toutes les nuits le guet qui veille à la garde de la ville.

Quelques laquais du duc de Créquy s’avisèrent de charger, l’épée à la main, une escouade des Corses (ce sont des gardes du pape qui appuient les exécutions de la justice). Tout le corps des Corses offensé, et secrètement animé par don Mario Chigi, frère du pape Alexandre VII, qui haïssait le duc de Créquy, vint en armes assiéger la maison de l’ambassadeur (20 août 1662). Ils tirèrent sur le carrosse de l’ambassadrice, qui rentrait alors dans son palais ; ils lui tuèrent un page[2] et blessèrent plusieurs domestiques. Le duc de Créquy sortit de Rome, accusant les parents du pape, et le pape lui-même, d’avoir favorisé cet assassinat. Le pape différa tant qu’il put la réparation, persuadé qu’avec les Français il n’y a qu’à temporiser, et que tout s’oublie. Il fit pendre un Corse et un sbire au bout de quatre mois ; et il fit sortir de Rome le gouverneur, soupçonné d’avoir autorisé l’attentat ; mais il fut consterné d’apprendre que le roi menaçait de faire assiéger Rome, qu’il faisait déjà passer des troupes en Italie, et que le maréchal du Plessis-Praslin était nommé pour les commander. L’affaire était devenue une querelle de nation à nation, et le roi voulait faire respecter la sienne. Le pape, avant de faire la satisfaction qu’on demandait, implora la médiation de tous les princes catholiques : il fit ce qu’il put pour les animer contre Louis XIV ; mais les circonstances n’étaient pas favorables au pape. L’empire était attaqué par les Turcs ; l’Espagne était embarrassée dans une guerre peu heureuse contre le Portugal.

La cour romaine ne fit qu’irriter le roi sans pouvoir lui nuire. Le parlement de Provence cita le pape, et fit saisir le comtat d’Avignon. Dans d’autres temps les excommunications de Rome auraient suivi ces outrages ; mais c’étaient des armes usées et devenues ridicules : il fallut que le pape pliât ; il fut forcé d’exiler de Rome son propre frère ; d’envoyer son neveu, le cardinal Chigi, en qualité de légat a latere[3], faire satisfaction au roi ; de casser la garde corse, et d’élever dans Rome une pyramide, avec une inscription qui contenait l’injure et la réparation. Le cardinal Chigi fut le premier légat de la cour romaine qui fut jamais envoyé pour demander pardon. Les légats, auparavant, venaient donner des lois et imposer des décimes. Le roi ne s’en tint pas à faire réparer un outrage par des cérémonies passagères et par des monuments qui le sont aussi (car il permit, quelques années après, la destruction de la pyramide) ; mais il força la cour de Rome à promettre de rendre Castro et Ronciglione au duc de Parme, à dédommager le duc de Modène de ses droits sur Comacchio ; et il tira ainsi d’une insulte l’honneur solide d’être le protecteur des princes d’Italie.

En soutenant sa dignité, il n’oubliait pas d’augmenter son pouvoir. (27 octobre 1662) Ses finances, bien administrées par Colbert, le mirent en état d’acheter Dunkerque et Mardick du roi d’Angleterre, pour cinq millions de livres, à vingt-six livres dix sous le marc. Charles II, prodigue et pauvre, eut la honte de vendre le prix du sang des Anglais. Son chancelier Hyde, accusé d’avoir ou conseillé ou souffert cette faiblesse, fut banni depuis par le parlement d’Angleterre, qui punit souvent les fautes des favoris, et qui quelquefois même juge ses rois.

(1663) Louis fit travailler trente mille hommes à fortifier Dunkerque du côté de la terre et de la mer. On creusa entre la ville et la citadelle un bassin capable de contenir trente vaisseaux de guerre, de sorte qu’à peine les Anglais eurent vendu cette ville qu’elle devint l’objet de leur terreur.

(30 août 1663) Quelque temps après le roi força le duc de Lorraine à lui donner la forte ville de Marsal. Ce malheureux Charles IV, guerrier assez illustre, mais prince faible, inconstant, et imprudent, venait de faire un traité par lequel il donnait la Lorraine à la France après sa mort, à condition que le roi lui permettrait de lever un million sur l’État qu’il abandonnait, et que les princes du sang de Lorraine seraient réputés princes du sang de France. Ce traité, vainement vérifié au parlement de Paris, ne servit qu’à produire de nouvelles inconstances dans le duc de Lorraine ; trop heureux ensuite de donner Marsal, et de se remettre à la clémence du roi.

Louis augmentait ses États même pendant la paix, et se tenait toujours prêt pour la guerre, faisant fortifier ses frontières, tenant ses troupes dans la discipline, augmentant leur nombre, faisant des revues fréquentes.

Les Turcs étaient alors très-redoutables en Europe ; ils attaquaient à la fois l’empereur d’Allemagne et les Vénitiens. La politique des rois de France a toujours été, depuis François Ier, d’être alliés des empereurs turcs ; non-seulement pour les avantages du commerce, mais pour empêcher la maison d’Autriche de trop prévaloir. Cependant un roi chrétien ne pouvait refuser du secours à l’empereur, trop en danger, et l’intérêt de la France était bien que les Turcs inquiétassent la Hongrie, mais non pas qu’ils l’envahissent ; enfin ses traités avec l’empire lui faisaient un devoir de cette démarche honorable. Il envoya donc six mille hommes en Hongrie, sous les ordres du comte de Coligny[4], seul reste de la maison de ce Coligny, autrefois si célèbre dans nos guerres civiles, et qui mérite peut-être une aussi grande renommée que cet amiral, par son courage et par sa vertu. L’amitié l’avait attaché au grand Condé, et toutes les offres du cardinal Mazarin n’avaient jamais pu l’engager à manquer à son ami. Il mena avec lui l’élite de la noblesse de France, et entre autres le jeune La Feuillade, homme entreprenant et avide de gloire et de fortune. (1664) Ces Français allèrent servir en Hongrie sous le général Montecuculli, qui tenait tête alors au grand-vizir Kiuperli ou Kouprogli, et qui depuis, en servant contre la France, balança la réputation de Turenne. Il y eut un grand combat à Saint-Gothard, au bord du Raab, entre les Turcs et l’armée de l’empereur. Les Français y firent des prodiges de valeur ; les Allemands mêmes, qui ne les aimaient point, furent obligés de leur rendre justice ; mais ce n’est pas la rendre aux Allemands, de dire, comme on a fait dans tant de livres, que les Français eurent seuls l’honneur de la victoire.

Le roi, en mettant sa grandeur à secourir ouvertement l’empereur, et à donner de l’éclat aux armes françaises, mettait sa politique à soutenir secrètement le Portugal contre l’Espagne. Le cardinal Mazarin avait abandonné formellement les Portugais, par le traité des Pyrénées ; mais l’Espagnol avait fait plusieurs petites infractions tacites à la paix. Le Français en fit une hardie et décisive : le maréchal de Schomberg, étranger et huguenot, passa en Portugal avec quatre mille soldats français, qu’il payait de l’argent de Louis XIV, et qu’il feignait de soudoyer au nom du roi de Portugal. Ces quatre mille soldats français, joints aux troupes portugaises, remportèrent à Villa-Viciosa (17 juin 1665) une victoire complète, qui affermit le trône dans la maison de Bragance. Ainsi Louis XIV passait déjà pour un prince guerrier et politique, et l’Europe le redoutait même avant qu’il eût encore fait la guerre.

Ce fut par cette politique qu’il évita, malgré ses promesses, de joindre le peu de vaisseaux qu’il avait alors aux flottes hollandaises. Il s’était allié avec la Hollande en 1662. Cette république, environ vers ce temps-là, recommença la guerre contre l’Angleterre, au sujet du vain et bizarre honneur du pavillon, et des intérêts réels de son commerce dans les Indes. Louis voyait avec plaisir ces deux puissances maritimes mettre en mer tous les ans, l’une contre l’autre, des flottes de plus de cent vaisseaux, et se détruire mutuellement par les batailles les plus opiniâtres qui se soient jamais données, dont tout le fruit était l’affaiblissement des deux partis. Il s’en donna une qui dura trois jours entiers (11, 12 et 13 juin 1666). Ce fut dans ces combats que le Hollandais Ruyter acquit la réputation du plus grand homme de mer qu’on eût vu encore. Ce fut lui qui alla brûler les plus beaux vaisseaux d’Angleterre jusque dans ses ports, à quatre lieues de Londres. Il fit triompher la Hollande sur les mers, dont les Anglais avaient toujours eu l’empire, et où Louis XIV n’était rien encore.

La domination de l’Océan était partagée, depuis quelque temps, entre ces deux nations. L’art de construire les vaisseaux, et de s’en servir pour le commerce et pour la guerre, n’était bien connu que d’elles. La France, sous le ministère de Richelieu, se croyait puissante sur mer parce que d’environ soixante vaisseaux ronds que l’on comptait dans ses ports elle pouvait en mettre en mer environ trente, dont un seul portait soixante et dix canons. Sous Mazarin, on acheta des Hollandais le peu de vaisseaux que l’on avait. On manquait de matelots, d’officiers, de manufactures pour la construction et pour l’équipement. Le roi entreprit de réparer les ruines de la marine, et de donner à la France tout ce qui lui manquait, avec une diligence incroyable ; mais, en 1664 et 1665, tandis que les Anglais et les Hollandais couvraient l’Océan de près de trois cents gros vaisseaux de guerre, il n’en avait encore que quinze ou seize du dernier rang, que le duc de Beaufort occupait contre les pirates de Barbarie ; et lorsque les États-Généraux pressèrent Louis XIV de joindre sa flotte à la leur, il ne se trouva dans le port de Brest qu’un seul brûlot, qu’on eut honte de faire partir, et qu’il fallut pourtant leur envoyer sur leurs instances réitérées. Ce fut une honte que Louis XIV s’empressa bien vite d’effacer.

(1665) Il donna aux États un secours de ses forces de terre plus essentiel et plus honorable. Il leur envoya six mille Français pour les défendre contre l’évêque de Munster, Christophe-Bernard Van Galen, prélat guerrier et ennemi implacable, soudoyé par l’Angleterre pour désoler la Hollande ; mais il leur fit payer chèrement ce secours, et les traita comme un homme puissant qui vend sa protection à des marchands opulents. Colbert mit sur leur compte non-seulement la solde de ses troupes, mais jusqu’aux frais d’une ambassade envoyée en Angleterre pour conclure leur paix avec Charles II. Jamais secours ne fut donné de si mauvaise grâce, ni reçu avec moins de reconnaissance.

Le roi ayant ainsi aguerri ses troupes, et formé de nouveaux officiers en Hongrie, en Hollande, en Portugal, respecté et vengé dans Rome, ne voyait pas un seul potentat qu’il dût craindre. L’Angleterre, ravagée par la peste ; Londres, réduite en cendres par un incendie[5] attribué injustement aux catholiques ; la prodigalité et l’indigence continuelle de Charles II, aussi dangereuse pour ses affaires que la contagion et l’incendie, mettaient la France en sûreté du côté des Anglais. L’empereur réparait à peine l’épuisement d’une guerre contre les Turcs. Le roi d’Espagne, Philippe IV, mourant, et sa monarchie aussi faible que lui, laissaient Louis XIV le seul puissant et le seul redoutable. Il était jeune, riche, bien servi, obéi aveuglément, et marquait l’impatience de se signaler, et d’être conquérant.



  1. Chapitres xxv à xxx.
  2. Voltaire reparle de cet événement dans son opuscule intitulé les Droits des hommes.
  3. Voyez l’Essai sur les Mœurs, tome XI, page 362.
  4. Jean de Coligny, né à Saligny, le 17 décembre 1617, mort le 16 avril 1686, laissant un fils, Alexandre-Gaspard, qui mourut en 1694, sans postérité. Jean avait écrit sur les marges d’un missel ses Mémoires ou notes, qui ont été imprimées dans le chapitre viii des Contes historiques, par V. D. Musset-Pathay, Paris, 1826, in-8o. Le prince de Condé, dont il avait été aide de camp, y est bien maltraité. (B.)
  5. En 1666, le 13 septembre. L’incendie dura quatre jours, et consuma treize mille maisons ; Voltaire en a parlé tome XIII, page 86.