Le Solitaire (d'Arlincourt)/10

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LIVRE X.


Quelques rayons précurseurs du jour avaient chassé les ombres de la plaine éthérée. Humides de la rosée du matin, les arbres de la forêt, par les zéphyrs agités, secouaient leurs couronnes rembrunies. Le dernier mois de Cérès avait fui : déjà quelques feuilles desséchées s’échappaient du rameau paternel. Belle comme le rayon doré de l’astre des cieux à son couchant, la nature, de mille couleurs parait les bois et les coteaux. Enchanteur est le retour de la saison des fleurs, mais plus touchant encore est l’adieu des beaux jours.

La vierge d’Underlach va revenir à l’existence. Sa pensée confuse encore n’a pu percer les ombres qui l’enveloppent. Cependant il lui semble que poussée en des tourbillons orageux, elle fend les plaines de l’air avec rapidité. Sa paupière s’entr’ouvre languissamment. Élodie ne distingue aucun objet ; cependant ce n’est point un songe. Comme l’oiseau de la vallée qu’a saisi l’aigle des montagnes, elle se sent enlevée par quelque puissance inconnue, dont le rapide essor n’est arrêté par aucun obstacle. Ainsi la nymphe Orithye, au pouvoir de l’impétueux Borée, traversait le fleuve Illissus emportée par les Ouragans.

Élodie a recouvré la pensée : le souvenir renaît avec la vie. Aux premières clartés du jour, elle jette un regard timide sur l’objet inconnu qui soutient sa tête appesantie. Ô terreur !… recouverte d’un manteau rouge dont les longs plis se drapent autour d’elle, elle est entre les bras du fantôme sanglant.

D’une marche rapide il gravit la montagne ; il s’enfonce au sein des forêts. Effrayant comme un météore destructeur se glissant à travers les ombres, il fuit précipitamment entre les rochers et les précipices. Léger comme un tourbillon fantastique, il semble, en sa course impatiente, n’emporter avec lui qu’une substance vaporeuse. Silencieux comme une apparition funèbre, il ne parait appartenir ni à la vie ni à la mort.

La fille de Saint-Maur pousse un long gémissement, et ses yeux se referment avec horreur. — « Élodie ! Élodie !… » s’est, écriée une voix tendre et suppliante. Oh ! comme cet accent connu a retenti au cœur de l’orpheline ! Les premiers feux du soleil relèvent moins promptement la fleur abattue par une nuit d’orage. Portée aux lèvres brûlantes du voyageur perdu dans les sables du Sahara, l’eau de la fontaine du désert ne rend point aussi rapidement à l’existence. Un accord des hymnes du ciel eût offert moins d’enchantemens. Élodie a rouvert sa paupière au cri de l’amour et de la douleur ; et son regard s’est déjà confondu dans les regards du Solitaire.

Il a ralenti sa marche : il la soutient entre ses bras ; il la serre contre son cœur ; et la vierge d’Underlach, dans une douce ivresse, de nouveau demeure immobile : mais ce n’est plus le calme de l’insensibilité, c’est le repos d’un songe enchanteur : en elle la cessation du mouvement n’est que la crainte d’un réveil.

Le Solitaire est encore revêtu de la robe sanglante du fantôme dont il a emprunté l’apparence. Mais plus d’effroi pour l’orpheline ! Qu’importe un costume d’épouvante, pourvu que sous le vêtement de l’homme terrible batte le cœur du bien-aimé !

Le zéphyr caressant de l’aube se joue entre les blonds cheveux de l’orpheline qui, détachés, tombent épars sur ses épaules ; leurs boucles ondoyantes ont effleuré les lèvres du Solitaire. Un instant il hésite…… il craint de profaner les voiles de l’innocence : doucement il les écarte…… mais le léger souffle du matin les lui repousse. Le Solitaire ne résiste plus à l’ardent désir qu’il combat ; et, sur les anneaux de la longue chevelure d’Élodie, sa bouche ose imprimer le plus tendre baiser.

Douce électricité de l’amour ! comme s’il eût touché ses lèvres, Élodie a ressenti dans tout son être le brûlant baiser qu’a reçu sa chevelure égarée. Plus brillant, plus tendre que jamais, le regard du Solitaire alarme l’orpheline. Sans comprendre le danger elle en pressent l’approche. Entre les bras du beau chasseur de la montagne elle a senti couler dans ses veines une flamme inconnue. Les battemens de son cœur se précipitent ; mais le cœur du bien-aimé bat plus impétueusement encore. Le Solitaire a soudain tressailli ; ses mouvemens, l’instant d’auparavant si calmes et si mesurés, sont devenus brusques et impétueux ; sa voix passionnée murmure des sons inintelligibles ; son front se courbe vers le front d’Élodie ; leurs respirations se confondent, leurs regards se troublent, et le souffle embrasé de l’amour étend sa vapeur magique autour des deux amans seuls au milieu de la forêt.

La fille de Saint-Maur se dégage à l’instant des bras du Solitaire. — « Je puis marcher, dit-elle, je puis vous suivre ; » et de son libérateur elle s’éloigne effrayée. Sans réfléchir où ses pas la dirigent, sans intention comme sans but, elle continue à gravir la montagne ; elle erre au sein de la forêt : rien n’interrompt sa marche, rien ne distrait sa pensée. Ainsi devant le berger d’Admète fuyait la fille du Pénée.

Tout à coup un trophée d’armes s’offre devant elle. Non loin est un ermitage environné d’arbres. Élodie reconnaît le bouclier armorié que le comte Ecbert de Norindaill avait salué la veille. — « Où suis-je ! dit-elle, en se tournant vers le Solitaire : où me conduisez-vous ? » — « C’est moi qui vous suivais, répond tristement le chasseur de la montagne. » — « Quel est ce lieu ? » « Le mont Sauvage. » — « Quelle est cette habitation ? » — « L’ermitage du Solitaire.

» Oui, continue-t-il, voilà la roche de l’exil ; voilà le seul domaine que puisse offrir à sa compagne l’infortuné de l’Helvétie. Seul à ses souvenirs, ici reposant sous l’arbre funèbre, assis sur l’aride bruyère, il vécut de l’eau du torrent, de racines, de fruits sauvages, et de quelques herbes amères.

» Élodie !… est-ce là l’époux que devait choisir l’innocence et la beauté !… Hélas ! il n’a point de patrie, ne porte aucun titre, est aujourd’hui sans nom et n’a pas même un cœur pur à offrir… Douce vierge d’Underlach ! fuyez le toit de l’infortune ! fuyez l’homme du mont Sauvage ! »

— « Ah ! répond l’orpheline attendrie, jamais je n’ai fui les malheureux. »

À ces mots un sourire amer éclaircit à demi le noir sourcil du Solitaire. Il s’approche du trophée d’armes, et montrant le bouclier sur lequel resplendissent de royales armoiries : — « Je n’ai pas toujours été ce que je suis aujourd’hui, reprend-il ; il fut un temps où mon nom, porté par la renommée, retentissait dans l’Europe entière… Hélas ! de mes triomphes passés ce bouclier est tout ce qui me reste. »

Alors, saisissant la main d’Élodie : — « Parle ! ajoute-t-il avec transport : la fortune, la gloire, les grandeurs ont-elles pour toi quelques charmes ?… Je puis encore te les offrir. Je n’ai qu’un mot à dire, et ma destinée redevient plus étonnante que jamais… Ce mot… je ne le prononcerai qu’avec horreur, n’importe !…… dispose de ma vie entière. » — « J’ai toujours rejeté les dignités de la terre, » répond l’orpheline. Puis, après un moment de silence : — « Allons visiter l’ermitage. »

Elle dit, et porte ses pas vers l’agreste demeure. Elle entre sous le toit rustique. — « Asile du Solitaire, te voilà donc purifié ! » s’écrie avec enthousiasme l’heureux chasseur de la montagne ; et tombant aux pieds d’Élodie : — « Achève ! poursuit-il d’une voix passionnée, adopte la cabane de l’amour ! sois l’épouse de l’exilé ! »

— « Eh bien ! dit Élodie, nommez-moi mon époux… » — « Que je le nomme ! interrompt le Solitaire ; et l’effroi s’est peint sur ses traits : Élodie ! si ce nom, comme une révélation funeste, allait me ravir votre cœur !… » — « Ah ! prononcez-le sans crainte ! » a répondu la jeune fille.

S’abandonnant aux fougueux transports de sa reconnaissance : — « Ô ma bien aimée ! s’écrie le Solitaire, tu seras satisfaite. Mon nom, mes erreurs, mes destinées, ma vie, te seront connus demain ; je te découvrirai mon âme tout entière, et j’attendrai ton jugement.

» Mais au nom du Ciel ne quitte point ces rochers, n’abandonne point ma sauvage demeure ! Ecbert blessé a été transporté au monastère où commandent ses farouches soldats. La comtesse Imberg a cessé de vivre ; sa mule, épouvantée par les flammes du pic Terrible, l’a précipitée dans le torrent. Laisse-moi donc sur la terre être aujourd’hui ton seul refuge ! Je jure par le Tout-Puissant de respecter en ces lieux la vierge d’Underlach comme une substance divine interdite à l’humanité, Jusqu’au moment où l’autel aura reçu nos sermens, mon ermitage habité par Élodie sera un sanctuaire que n’osera point souiller ma présence ; et je n’approcherai de toi que comme de cette Arche d’alliance que jamais ne devait toucher une main sacrilége.

» Occupé à tracer l’histoire du proscrit qui demain te révélera son nom, je me tiendrai éloigné, sous les arbres de la forêt ; mais je pourrai du moins entendre ta voix ; et ton souffle, ta vie, quelque chose de toi viendra enchanter encore la solitude où j’écrirai. »

Quel feu brillait en ses regards ! quelle tendresse en ses paroles !… L’œil humide de larmes, la fille de Saint-Maur sourit à ses transports : ainsi d’une nue orageuse s’échappe un rayon des beaux jours. — « Élodie, continue le Solitaire, souvent j’ai pu m’emparer de toi, et toujours je t’ai laissée libre ; je t’ai vue en ma possession, et je t’ai obéi. Lorsque te soutenant dans mes bras je sentais le filtre brûlant de l’amour égarer mes sens et ma raison, un seul de tes accens a triomphé de toutes les puissances de mon être. Pourrais-tu douter de ton magique ascendant sur l’homme du mont Sauvage ! Ah ! près de lui, que n’a-t-il eu toujours la vierge céleste d’Underlach pour le retenir dans les sentiers de la vertu !… Encore quelques heures, et tu m’auras jugé !… Tombé du faite de la puissance, je ne regrette rien du passé que les journées pures de ma jeunesse. Oh ! réponds-moi, fille adorée, restes-tu dans mon ermitage ?… »

Élodie baisse les yeux en soupirant. Vivement émue, accablée de lassitude : — « Je me soutiens à peine, répond-elle, je ne saurais aller plus loin. Et sur un siége de joncs enlacés entourant l’intérieur de la cabane, elle est tombée pâle et tremblante.

— « Tu te confies à moi ! s’écrie le Solitaire, ivre de reconnaissance et de joie. Ô la plus belle création du Ciel ! toi que je dérobe à la terre ! sous la cabane de l’exil, par moi seul admirée, par moi seule adorée, seras-tu satisfaite de ton sort ? mon cœur suffira-t-il à ta vie ?… Que dis-je ! Ah ! déjà n’as-tu pas dédaigné tous les dons de la fortune ! Va, ce que tu perds en richesses, en dignités, en puissance, je saurai te le rendre en amour. »

Il dit : un repas frugal est préparé sous le feuillage : il y conduit sa bien-aimée. La nature semble leur sourire : le ciel, comme un dais radieux, les couvre de ses voiles d’azur : les chantres du bocage célèbrent leurs félicités : l’air, tel qu’une essence divine des fleurs et des fruits de la vallée, exhale autour d’eux des parfums d’amour : le désert est plein d’harmonies ; et l’aurore brillante et pure éclaire ce nouvel Éden.

Cependant avec effort le Solitaire s’est séparé de l’orpheline, et pendant la journée entière il écrit les funestes évènemens de sa vie. Les heures s’écoulent avec rapidité. L’ombre succède à la lumière. Élodie s’est renfermée dans l’enceinte où sa couche modeste est placée. Le beau chasseur de la montagne n’approche point du lieu sacré qu’habite la vierge adorée ; et toute la nuit, appuyé contre la porte de l’ermitage, seul il veille et continue l’ouvrage commencé.

Arrivée au milieu de son cercle, du haut de son trône d’ébène, la déité des ténèbres étend son sceptre de plomb sur la terre assoupie. La vierge d’Underlach est réveillée par un sourd gémissement. Non loin, en dehors de la cabane, comme épouvanté par quelque horrible vision, l’homme du mont Sauvage lui paraît être livré au plus funeste délire. Élodie croit l’entendre se jeter à genoux sur l’aride bruyère ; et par des mots inarticulés, par des plaintes étouffées, il semble répondre à quelque dieu vengeur à ses yeux apparu pour lui prononcer sa dernière sentence ! — « Grâce ! » s’est-il écrié d’une voix déchirante ; et le silence de la mort succède à l’accent du désespoir.

Que la nuit a paru longue à l’orpheline !… Avec l’aurore elle a revu l’homme des mystères. Sombre et silencieux, il paraît attéré par quelque évènement surnaturel. Une affreuse pensée occupe seule son esprit ; et semblable à la victime au supplice condamnée, il marche le front abattu.

S’éloignant de l’ermitage, il a repris ses travaux : Élodie n’a point osé l’interroger. Au coucher du soleil les impénétrables secrets du Solitaire lui seront révélés. Inquiète et séparée de lui, la fille de l’abbaye s’abandonne aux plus sombres pressentimens. Que va-t-elle apprendre !… Quelle sera sa destinée ! Hélas ! combien est terrible l’approche du moment qui doit décider de la vie entière !

Enfin le roi des astres enfoncé sous l’horizon dore de ses feux expirans les rochers de l’Helvétie. — « Sont-ce là pour moi les derniers rayons du bonheur !… dit l’orpheline ; » et son œil cherche le Solitaire.

Il paraît : son visage est pâle et décomposé : son regard est sinistre et sauvage. Un noir manteau l’enveloppe. « Suivez-moi, dit-il d’un ton brusque et farouche : » et rapidement il descend la montagne.

Il est sorti de la forêt ; il a franchi le torrent ; et vers la plaine de Morat il a dirigé son effrayante course, semblable au premier meurtrier, fuyant de la terre d’Abel, par la réprobation poursuivi.

Chassé par l’ombre nocturne, le jour disparait. Un épais brouillard élevé des vallons couvrait les montagnes et voilait la nature. À travers de noires vapeurs la fille du monastère suit son guide silencieux ; elle marche les yeux baissés, et pressent quelque évènement effroyable. Tout à coup non loin du lac Morat le Solitaire s’arrête. Le vent porte à l’oreille de l’orpheline le long mugissement des vagues qui se brisent tristement sur des grèves solitaires.

Elle regarde autour d’elle… Dieu puissant ! en quel lieu se trouve Élodie ?… à l’entrée d’un monument voûté d’ossemens humains ; entre des colonnes formées de squelettes entassés ; sous un arc de triomphe élevé par la vengeance à la férocité[1].

— « Ciel ! où suis-je ? dit la vierge d’Underlach. » — « Sous l’ossuaire de Morat, répond l’homme du mont Sauvage, et je suis Charles-le-Téméraire. ».

Il dit, et jetant son noir manteau, le Solitaire, revêtu de l’armure du conquérant, apparaît au milieu du vaste sépulcre comme sur un trône de cadavres ; et, sous les catacombes du crime, il semble un archange foudroyé, tombé du palais de la gloire au fond de l’antre des tortures.

— « Charles-le-Téméraire ! répète avec un accent déchirant la malheureuse Élodie. Vous ! le sanguinaire duc de Bourgogne ; vous ! l’assassin de mon père. » Et la jeune fille, éperdue, chancelante, s’appuie contre une des colonnes de la mort.

— « Oui, reprend-il avec une sorte de rage, oui, je suis l’implacable Bourguignon, l’homme autrefois le fléau de l’Europe. Le Ciel….. le Ciel lui-même m’a ordonné de ne vous révéler mon nom que sous cette grotte infernale, qu’environné de tous les souvenirs, de toutes les horreurs de ma vie. La nuit dernière, sur ma tête coupable est descendue la nuée de l’Ange des arrêts vengeurs. La voix de l’Éternel s’est fait entendre. Elle a commandé… j’ai dû obéir… me voici. »

De son front livide découle une sueur froide. Sou œil est hagard, sa respiration est interrompue, et sa voix à peine est humaine. — « Parlez ! continue-t-il, maudissez-moi. Le Tout-Puissant le veut sans doute, puisqu’il ordonna cette épouvantable scène, puisqu’il exigea de moi ce sacrifice sans exemple. Mes accusateurs m’environnent… j’entends leurs cris lugubres… Le genre humain me repousse, le Ciel me rejette ; fille de Saint-Maur ! maudissez-moi, j’ai mérité ma destinée. »

Il dit ; presque inanimé, l’infortuné Charles est tombé sous effroyable ossuaire ; et son front demeure imprimé sur la poussière qui vécut, sur la cendre de ses victimes.

— « Charles !… s’écrie Élodie hors d’elle-même, Charles ! relevez-vous. » — « Qui m’appelle ! dit le Solitaire dont le visage peint la démence. Est-ce la voix gémissante de mon peuple égorgé ?… Est-ce l’abîme qui réclame le tyran ?… Est-ce la justice divine prononçant l’arrêt de l’homme sanguinaire ? » — « Non, dit l’orpheline, recouvrant son énergie : le Ciel est apaisé. Sa justice a frappé, sa miséricorde pardonne. »

L’homme du mont Sauvage à ces mots relève sa tête abattue ; il regarde Élodie avec surprise ; sur ses traits est encore l’égarement ; mais son délire s’est calmé ; de ses yeux s’échappe une larme. — « Répète encore, a-t-il dit : Le ciel est apaisé, sa miséricorde pardonne ; n’as-tu point prononcé ces mots ? Ange sauveur ! rayon d’espoir et de salut ! achève ta mission divine, absous au nom de l’éternel ! »

— « À l’ermitage ! » s’écrie Élodie ; et, semblable en sa course agile à ces étoiles inconnues qui glissent sous la voûte nocturne, elle s’élance, fuit vers la forêt, retrouve le sentier du mont Sauvage, et bientôt, parvenue à la demeure du Solitaire, tombe épuisée sous la cabane.

L’orpheline est demeurée quelques instans comme privée de l’usage de ses sens. L’infortuné Charles de Bourgogne reparaît à sa vue : il approche, il lui présente un manuscrit, il lui adresse ces paroles : — « Voilà ma vie entière, voilà le récit de tous mes forfaits. Fille de Saint-Maur ! lisez et jugez. Je ne m’offrirai plus à vos regards, que vous ne me l’ayez ordonné. Si mes crimes vous paraissent expiés, si la pitié parle à votre cœur, si l’innocence pardonne au repentir, adressez-moi quelques mots d’espérance ; et déposez votre écrit dans le creux du vieux saule, au bas du sentier de la montagne. Loin de vous, je vais attendre mon arrêt. »

Il dit : sa voix est morne, et l’abattement du désespoir est empreint sur son visage. Il cherche à cacher ses souffrances ; il détourne les yeux ; il ne veut point attendrir en sa faveur celle qu’il a choisie pour juge… Élodie essaie de lui répondre ; mais les forces lui manquent… et déjà le Solitaire a quitté l’ermitage.

L’orpheline est seule, elle tient dans ses mains le fatal manuscrit ; oh ! combien de fois ses larmes couleront en lisant cet écrit terrible !

  1. Cet ossuaire existait encore presque en entier avant la révolution. Il fut détruit par les Français pendant les guerres de la république. Cependant on en retrouve encore des vestiges.