Le Sphinx des glaces/I/XV

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Hetzel (p. 205-216).

Hunt marchait en tête.

XV

l’îlot bennet.

L’Halbrane, après avoir franchi huit cents milles environ depuis le cercle polaire, manœuvrait donc en vue de l’îlot Bennet ! L’équipage avait grand besoin de repos, car, pendant les dernières heures, il s’était exténué à remorquer la goélette avec les canots sur une mer au calme blanc. Aussi remit-on le débarquement au lendemain, et je regagnai ma cabine.

Cette fois, aucun murmure ne troubla mon sommeil, et, dès cinq heures, je fus un des premiers sur le pont.

Il va sans dire que Jem West avait pris toutes les mesures de précaution qu’exigeait une navigation au milieu de ces parages suspects. La plus sévère surveillance régnait à bord. Les pierriers étaient chargés, les boulets et les gargousses montés, les fusils et les pistolets en état, les filets d’abordage prêts à être hissés. On se souvenait que la Jane avait été attaquée par les insulaires de l’île Tsalal. Notre goélette se trouvait alors à moins de soixante milles du théâtre de cette catastrophe.

La nuit s’était passée sans alerte. Le jour venu, pas une embarcation ne se montrait dans les eaux de l’Halbrane, pas un indigène sur les grèves. L’endroit paraissait désert, et, du reste, le capitaine William Guy n’y avait pas relevé trace d’êtres humains. On ne distinguait ni cases sur le littoral, ni fumée en arrière qui eût indiqué que l’îlot Bennet fût habité.

Ce que je vis de cet îlot, c’était, — ainsi que le marquait Arthur Pym, — une base rocheuse, dont la circonférence mesurait une lieue environ, et d’une aridité telle qu’on n’y apercevait pas le moindre indice de végétation.

Notre goélette était mouillée sur une seule ancre à un mille au nord.

Le capitaine Len Guy me fit observer qu’il n’y avait pas d’erreur possible sur ce gisement.

« Monsieur Jeorling, me dit-il, apercevez-vous ce promontoire en direction du nord-est ?…

— Je l’aperçois, capitaine.

— N’est-il pas formé d’un entassement de roches qui figure des balles de coton roulé ?…

— En effet, et tel que cela est mentionné dans le récit.

— Il ne nous reste donc plus qu’à débarquer sur le promontoire, monsieur Jeorling. Qui sait si nous n’y rencontrerons pas quelque vestige des hommes de la Jane, pour le cas où ils seraient parvenus à s’enfuir de l’île Tsalal ?… »

Un mot seulement sur la disposition d’esprit dans laquelle nous étions tous à bord de l’Halbrane.

À quelques encablures gisait cet îlot sur lequel Arthur Pym et William Guy avaient mis pied onze ans auparavant. Lorsque la Jane l’atteignit, elle était loin de se trouver dans des conditions favorables, puisque le combustible commençait à lui manquer et que des symptômes de scorbut se manifestaient chez son équipage. Au contraire, à bord de notre goélette, la bonne santé des matelots faisait plaisir à voir, et si les recrues récriminaient entre elles, les anciens se montraient remplis de zèle et d’espoir, en pleine satisfaction d’être si près du but.

Quant à ce que devaient être les pensées, les désirs, les impatiences du capitaine Len Guy, on les devine… Il dévorait des yeux l’îlot Bennet.

Mais il y avait un homme dont les regards s’y attachaient avec plus d’obstination encore : c’était Hunt.

Depuis le mouillage, Hunt ne s’était pas couché sur le pont, comme il avait l’habitude de le faire, — pas même pour prendre deux ou trois heures de sommeil. Accoudé sur le bastingage de tribord à l’avant, sa large bouche serrée, son front creusé de mille plis, il n’avait pas quitté cette place, et ses yeux ne s’étaient pas détournés un seul instant du rivage.

Je rappelle, pour mémoire, que le nom de Bennet est celui de l’associé du capitaine de la Jane, et qu’il fut donné en son honneur à la première terre découverte sur cette partie de l’Antarctide.

Avant de quitter l’Halbrane, Len Guy recommanda au lieutenant de ne pas se départir d’une minutieuse surveillance, — recommandation dont Jem West n’avait pas besoin. Notre exploration ne devait exiger au plus qu’une demi-journée. Si le canot n’était pas revenu dans l’après-midi, il y aurait lieu d’envoyer la seconde embarcation à sa recherche.

« Prends garde également à nos recrues, ajouta le capitaine Len Guy.

— Soyez sans inquiétude, capitaine, répondit le lieutenant. Et même, puisqu’il vous faut quatre hommes aux avirons, choisissez-les parmi les nouveaux. Ce sera quatre mauvaises têtes de moins à bord. »

L’avis était sage, car, sous l’influence déplorable de Hearne, le mécontentement de ses compagnons des Falklands montrait une tendance à s’accroître.

L’embarcation parée, quatre des nouveaux y prirent place à l’avant, tandis que Hunt, sur sa demande, se mettait à la barre. Le capitaine Len Guy, le bosseman et moi, nous nous assîmes à l’arrière, tous bien armés, et l’on déborda afin de rallier le nord de l’îlot.

Une demi-heure plus tard, nous avions doublé le promontoire, qui, vu de près, ne présentait plus un entassement de balles roulées. Alors s’ouvrit la petite baie au fond de laquelle avaient accosté les canots de la Jane.

C’est vers cette baie que nous dirigea Hunt. On pouvait d’ailleurs se fier à son instinct. Il manœuvrait avec une remarquable précision entre les pointes rocheuses qui affleuraient çà et là. C’était à croire qu’il connaissait cet atterrage…

L’exploration de l’îlot ne pouvait être de longue durée. Le capitaine William Guy y avait seulement consacré quelques heures, et aucun indice, s’il en existait, n’échapperait sans doute à nos recherches.

Nous débarquâmes, au fond de la baie, sur des pierres tapissées d’un maigre lichen. La marée déhalait déjà, laissant à découvert le fond de sable d’une sorte de grève, semée de blocs noirâtres, semblables à de grosses têtes de clous.

Le capitaine Len Guy me fit remarquer, sur ce tapis sablonneux, quantité de mollusques à structure oblongue, dont la longueur variait de trois à dix-huit pouces, et gros de un à huit. Les uns reposaient sur leur côté aplati ; les autres rampaient pour rechercher le soleil et se nourrir de ces animalcules auxquels est due la production du corail. Et, en effet, à deux ou trois endroits, j’observai plusieurs pointes d’un banc en formation.

« Ce mollusque, me dit le capitaine Len Guy, c’est celui qu’on appelle biche de mer, et qui est très apprécié des Chinois. Si j’attire votre attention là-dessus, monsieur Jeorling, c’est que ce fut dans le but de se procurer cette biche de mer que la Jane visita ces parages. Vous n’avez pas oublié que mon frère avait traité avec Too-Wit, le chef de l’île Tsalal, pour la livraison de quelques centaines de piculs de ces mollusques, que des hangars furent construits près de la côte, que trois hommes y devaient s’occuper de la préparation de ce produit, pendant que la goélette continuerait sa campagne de découverte… Enfin vous vous rappelez dans quelles conditions elle fut attaquée et détruite… »

Oui ! tous ces détails étaient présents à ma mémoire, comme ceux qu’Arthur Pym donne relativement à cette biche de mer, le gasteropeda pulmonifera de Cuvier. Il ressemble à une sorte de ver, de chenille, sans coquille ni pattes, uniquement pourvu d’anneaux élastiques. Lorsqu’on a ramassé ces mollusques sur le sable, on les fend suivant leur longueur, on les débarrasse de leurs entrailles, on les lave, on les fait bouillir, on les enterre pendant quelques heures, on les expose ensuite à la chaleur du soleil ; puis, une fois séchés et encaqués, on les expédie en Chine. Très estimés sur les marchés du Céleste Empire, au même titre que les nids d’hirondelles, considérés comme un fortifiant, ils sont vendus, en première qualité, jusqu’à quatre-vingt-dix dollars le picul — soit cent trente-trois livres et demie, — et non seulement à Canton, mais à Singapour, à Batavia, à Manille.

Dès que nous eûmes atteint les roches, deux hommes furent laissés à la garde du canot. Accompagnés des deux autres, le capitaine Len Guy, le bosseman, Hunt et moi, nous prîmes direction vers le centre de l’îlot Bennet.

Hunt marchait en tête, toujours silencieux, tandis que j’échangeais quelques mots avec le capitaine Len Guy et le bosseman. On eût véritablement dit qu’il nous servait de guide, et je ne pus retenir certaines observations à cet égard.

Peu importait, après tout. L’essentiel, c’était de ne pas rentrer à bord avant que la reconnaissance fût complète.

Le sol que nous foulions était extrêmement aride. Impropre à toute culture, il n’aurait pu fournir aucune ressource — même à des sauvages.

Comment y aurait-on pu vivre, puisqu’il ne produisait d’autre plante qu’une sorte de raquette épineuse, dont les plus rustiques ruminants ne se fussent pas contentés ? Si William Guy et ses compagnons n’avaient eu d’autre refuge que cet îlot, après la catastrophe de la Jane, la faim les aurait depuis longtemps détruits jusqu’au dernier.

Du médiocre monticule qui s’arrondissait au centre de l’îlot Bennet, nos regards purent l’embrasser dans toute son étendue. Rien… rien nulle part… Mais peut-être avait-il conservé çà et là des empreintes de pied humain, des restes de foyer en cendres, des ruines de cases, — enfin des preuves matérielles que quelques hommes de la Jane y étaient venus ?…

Aussi, désireux de le vérifier, résolûmes-nous de suivre le périmètre du littoral depuis le fond de la petite baie où le canot avait accosté…

En descendant du monticule, Hunt reprit les devants, comme s’il eût été convenu qu’il nous conduirait. Nous le suivions donc, tandis qu’il se dirigeait vers l’extrémité méridionale de l’îlot.

Arrivé à la pointe, Hunt promena son regard autour de lui, se baissa, et montra, au milieu de pierres éparses, une pièce de bois, à demi rongée de pourriture.

« Je me souviens !… m’écriai-je. Arthur Pym parle de cette pièce de bois, qui paraissait avoir appartenu à l’étrave d’une embarcation, de traces de sculptures…

— Parmi lesquelles mon frère crut découvrir le dessin d’une tortue… ajouta le capitaine Len Guy.

— En effet, repris-je, mais cette ressemblance fut déclarée douteuse par Arthur Pym. N’importe, puisque cette pièce de bois est encore à l’endroit même indiqué dans le récit, on doit en conclure que, depuis la relâche de la Jane, aucun équipage n’a pris pied sur l’îlot Bennet. J’estime que nous perdrions notre temps à y rechercher des vestiges quelconques. C’est à l’île Tsalal seulement que nous serons fixés…

— Oui… à l’île Tsalal ! » répondit le capitaine Len Guy.

Nous revînmes dans la direction de la baie, en longeant, près du relais de marées, la lisière rocheuse. En divers endroits se dessinaient quelques ébauches de banc de corail. Quant à la biche de mer, elle était en si grande abondance que notre goélette aurait pu en embarquer tout une cargaison.

Hunt, silencieux, ne cessait de marcher les yeux baissés vers le sol.

Quant à nous, lorsque nos regards se portaient au large, ils n’apercevaient que l’immensité déserte. Vers le nord, l’Halbrane montrait sa mâture balancée par un léger roulis. Vers le sud, aucune apparence de terre, et, dans tous les cas, ce n’est pas l’île Tsalal que nous aurions pu relever en cette direction, puisque son gisement la plaçait à trente minutes d’arc dans le sud, soit trente milles marins.

Ce qui resterait à faire, après avoir parcouru le contour de l’îlot, ce serait de revenir à bord et d’appareiller sans retard pour l’île Tsalal.

Nous remontions alors les grèves de l’est, Hunt, en tête, à quelque dizaine de pas, lorsqu’il suspendit brusquement sa marche, et, cette fois, nous appela d’un geste précipité.

En un instant, nous fûmes près de lui.

Si Hunt n’avait témoigné aucune surprise au sujet de la pièce de bois, son attitude changea, lorsqu’il se fut agenouillé devant un morceau de planche vermoulue, abandonnée sur le sable. Il la tâtait de ses énormes mains, la palpait comme pour en sentir les aspérités, cherchant à sa surface quelques rayures qui pouvaient avoir une signification…

Cette planche, longue de cinq à six pieds, large de six pouces, en cœur de chêne, devait avoir appartenu à une embarcation d’assez grande dimension, — peut-être un navire de plusieurs centaines de tonneaux. La peinture noire qui la recouvrait autrefois avait disparu sous l’épaisse crasse déposée par les intempéries climatériques. Plus spécialement, elle semblait provenir du tableau d’arrière d’un bâtiment.

Le bosseman le fit remarquer.

« Oui… oui… répéta le capitaine Len Guy, elle faisait partie d’un tableau d’arrière ! »

Hunt, toujours agenouillé, hochait sa grosse tête en signe d’assentiment.

« Mais, répondis-je, cette planche n’a pu être jetée sur l’îlot Bennet qu’après un naufrage… Il faut que les contre-courants l’aient trouvée en pleine mer, et…

— Si c’était ?… » s’écria le capitaine Len Guy.

La même pensée nous était venue à tous les deux…

Et, quelle fut notre surprise, notre stupéfaction, notre indicible émotion, lorsque Hunt nous montra sept ou huit lettres inscrites sur la planche, — non point peintes, mais en creux et que l’on sentait sous le doigt…

Il n’était que trop aisé de reconnaître les lettres de deux noms, ainsi disposées sur deux lignes :

AN
LI   E   PO   L

La Jane de Liverpool !… La goélette commandée par le capitaine William Guy !… Qu’importait que le temps eût effacé les autres lettres ?… Celles qui restaient ne suffisaient-elles pas à dire le nom du navire et celui de son port d’attache ?… La Jane de Liverpool !…

Le capitaine Len Guy avait pris cette planche entre ses mains…

Le capitaine Len Guy avait pris cette planche entre ses mains, et il y appuya ses lèvres, tandis qu’une grosse larme tombait de ses yeux…

C’était un des débris de la Jane, un de ceux que l’explosion avait dispersés, apporté soit par les contre-courants, soit par un glaçon, jusqu’à cette grève !…

Je laissai, sans prononcer un mot, l’émotion du capitaine Len Guy se calmer.

Quant à Hunt, je n’avais jamais vu un regard si fulgurant s’échapper de ses yeux — ses yeux de faucon étincelants — tandis qu’il observait l’horizon du sud…

Le capitaine Len Guy se releva.

Hunt, toujours muet, plaça la planche sur son épaule, et nous continuâmes notre route…

Lorsque le tour de l’îlot fut achevé, nous fîmes halte à l’endroit où le canot avait été laissé au fond de la baie sous la garde des deux matelots, et, vers deux heures et demie après midi, nous étions rentrés à bord.

Le capitaine Len Guy voulut rester jusqu’au lendemain à ce mouillage, dans l’espérance que les vents du nord ou de l’est viendraient à s’établir. C’était à souhaiter, car pouvait-on songer à faire remorquer l’Halbrane par ses embarcations jusqu’en vue de l’île Tsalal ? Quoique le courant portât de ce côté, surtout pendant le flot, deux jours n’eussent pas suffi à cette traversée d’une trentaine de milles.

L’appareillage fut donc remis au lever du jour. Or, comme une légère brise se déclara vers trois heures après minuit, on put espérer que la goélette atteindrait sans trop de retard le suprême but de son voyage.

Ce fut à six heures et demie du matin, le 23 décembre, que l’Halbrane, tout dessus, cap au sud, quitta le mouillage de l’îlot Bennet. Ce qui n’était pas douteux, c’est que nous avions recueilli un nouveau et affirmatif témoignage de la catastrophe dont l’île Tsalal avait été le théâtre.

Elle était bien faible, la brise qui nous poussait, et trop souvent les voiles dégonflées venaient battre sur les mâts. Par bonne chance, un coup de sonde indiqua que le courant se propageait invariablement vers le sud. Il est vrai, étant donné cette marche assez lente, le capitaine Len Guy ne devait pas relever le gisement de l’île Tsalal avant trente-six heures.

Durant cette journée, j’observai très attentivement les eaux de la mer, qui me parurent d’un bleu moins foncé que ne le dit Arthur Pym. Nous n’avons non plus rencontré aucune de ces touffes d’épines à baies rouges qui furent recueillies à bord de la Jane, ni le pareil de ce monstre de la faune australe, — un animal long de trois pieds, haut de six pouces, aux quatre jambes courtes, aux pieds à longues griffes couleur de corail, au corps soyeux et blanc, la queue d’un rat, la tête d’un chat, les oreilles rabattues d’un chien, les dents rouge vif. D’ailleurs, je considérais toujours nombre de ces détails comme suspects, et uniquement dus à un instinct par trop imaginatif.

Assis à l’arrière, le livre d’Edgar Poe à la main, je lisais, non sans remarquer que Hunt, lorsque son service l’appelait près du rouf, ne cessait de me regarder avec une obstination singulière.

Et, précisément, j’en étais à cette fin du chapitre XVII, où Arthur Pym se reconnaît responsable des « tristes et sanglants événements qui furent le résultat de ses conseils ». Ce fut lui, en effet, qui vainquit les hésitations du capitaine William Guy, qui le poussa « à profiter d’une occasion aussi tentante de résoudre le grand problème relatif à un continent antarctique » ! Et, du reste, tout en acceptant cette responsabilité, ne se félicitait-il pas « d’avoir été l’instrument d’une découverte, et d’avoir servi en quelque façon à ouvrir aux yeux de la science un des plus enthousiasmants secrets qui aient jamais accaparé son attention… » ?

Pendant cette journée, de nombreuses baleines s’ébattirent au large de l’Halbrane. Également passèrent aussi d’innombrables vols d’albatros, toujours dirigés vers le sud. De glaces, pas une seule en vue. Au-dessus des extrêmes limites de l’horizon, on n’apercevait même pas la réverbération du blink des ice-fields.

Le vent ne marquait aucune tendance à fraîchir, et quelques brumes voilaient le soleil.

Il était déjà cinq heures du soir, lorsque les derniers linéaments de l’îlot Bennet s’effacèrent. Quel peu de route nous avions fait depuis le matin !…

La boussole, observée toutes les heures, ne donnait plus qu’une variation insignifiante — ce qui confirmait les dires du récit. Divers sondages ne nous rapportèrent point de fond, bien que le bosseman y employât des lignes de deux cents brasses. Il était heureux que la direction du courant permît à la goélette de gagner peu à peu vers le sud, — une vitesse d’une demi-mille seulement.

Dès six heures, le soleil disparut derrière un opaque rideau de brumes, au-delà duquel il continua de décrire sa longue spirale descendante.

La brise ne se laissait plus sentir, — contrariété que nous ne supportions pas sans une vive impatience. Si ces retards se prolongeaient, si le vent venait à changer, quel parti prendre ? Cette mer ne devait point être à l’abri des tempêtes, et une bourrasque, qui eût rejeté la goélette vers le nord, aurait « fait le jeu » de Hearne et de ses compagnons en justifiant leurs récriminations dans une certaine mesure.

Après minuit, cependant, le vent fraîchit, et l’Halbrane put s’élever d’une douzaine de milles.

Aussi, le lendemain, 24, le point donna-t-il 83° 2′ pour la latitude et 43° 5′ pour la longitude.

L’Halbrane ne se trouvait plus qu’à dix-huit minutes d’arc du gisement de l’île Tsalal, — soit moins d’un tiers de degré, soit moins de vingt milles…

Par malheur, à partir de midi, le vent refusa encore. Toutefois, grâce au courant, l’île Tsalal fut signalée à six heures quarante-cinq du soir.

Dès que l’ancre eut été envoyée par le fond, on veilla avec le plus grand soin, canons chargés, fusils à portée de la main, filets d’abordage en place.

L’Halbrane ne courait pas le risque d’être surprise. Trop d’yeux veillaient à bord, — particulièrement ceux de Hunt, qui ne se détachèrent pas un instant de cet horizon de la zone australe.