Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 33

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Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 42-48).

XXXIII.

Premièrement par le jugement, que l’on faisoit de lui dans le monde. 2o. Par ses propres pensées et discours. 3o. Par ses actions et ses manières d’agir. Quant au jugement que l’on faisoit de lui dans le monde, on voit clairement par les Evangiles mêmes, qu’il ne passoit que pour un homme, tel que je viens de dire. On voit dans l’Évangile St. Luc, que la première fois, qu’il voulut se mêler de prêcher dans sa ville de Nazareth, où il avoit été nourri et élevé[1], les peuples furent tellement indignés, de ce qu’il leur disoit, que, s’étant mis tous en colère contre lui, ils le chassèrent de leur ville et le menèrent sur le haut d’un précipice, pour le jetter en bas. Une autre fois, comme il faisoit plusieurs reproches injurieux aux Scribes et Pharisiens et même aux Docteurs de la loi et qu’il leur donnoit plusieurs maledictions, un d’entre eux fut obligé de lui dire : Maître, ne voyez-vous pas, qu’en parlant de la sorte, vous nous faites injure[2]. Mais lui, continuant ses reproches injurieux et ses outrageantes malédictions, ils furent obligés de le reprendre plus sévèrement et de lui fermer entiérement la bouche, comme il est marqué dans cet Évangile : Coeperunt Pharisoei et legisperiti graviter insistere et os ejus opprimere de multis, Luc. 11 : 53. Une autre fois, comme il parloit aux Juifs, et ces Juifs, voïant qu’il ne leur disoit que des sotises et des impertinences, qui les choquoient, ils lui dirent : N’avons-nous pas bien raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as le Démon dans le corps, et comme il continuoit nonobstant cela de leur dire des sotises, ainsi qu’on le peut voir dans l’Évangile selon St. Jean, ils lui dirent pour une seconde fois, c’est maintenant que nous connoissons que tu es un fol, ou que tu as le démon dans le corps, nous savons qu’Abraham est mort et que tous les prophètes sont morts, et que tu dis, lui dirent-ils[3] : Que si quelqu’un garde ta parole, qu’il ne mourra jamais. Et comme il persistoit encore à leur dire des sotises, ils lui dirent encore : Quoi ! Tu n’a pas encore 50 ans et tu as vu Abraham, qui est mort depuis tant de siècles. Enfin, voïant qu’il leur répondoit et qu’il leur disoit toujours quelques sotises, ils prirent des pières pour le lapider et pour lors il fut contraint de se retirer et de se cacher d’eux.

Un jour, aïant dit aux Juifs qu’il leur donneroit sa chair à manger et son sang à boire, que s’ils ne mangeoient sa chair et ne buvoient son sang, qu’ils n’auroient point la vie en eux[4], ils trouvèrent ce discours si dur et si absurde, qu’ils en furent fort scandalisés, et se dirent les uns aux autres, comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger, et son sang à boire ? Plusieurs de ses Disciples ne pouvant souffrir la dureté et l’absurdité d’un tel discours, se séparèrent de lui et l’abandonnèrent, jugeant bien par ce discours qu’il n’étoit qu’un insensé ! Une autre fois, comme il les entretenoit encore, suivant son ordinaire, de quelques vains discours, ceux qui l’entendoient parler jugèrent diversement de lui[5], les uns disant qu’il étoit bon, les autres disant que non, mais qu’il étoit un séducteur de peuple ; mais la plûpart le regardoient comme un fol et comme un insensé et disoient : il est possédé du Démon et est hors d’esprit, pourquoi l’écoutez-vous[6] : dicebant multi demonium habet et insanit, quid eum auditis ? Ses Frères mêmes ne croïoient pas en lui, ils ne le regardoient que comme un insensé. Nous en voïons un témoignage bien clair dans l’Évangile selon St. Marc,[7] car il y est expressément marqué, qu’étant un jour entré dans une maison, il s’y assembla tant de monde, que l’on n’y[8] pouvoit plus entrer, et que ses Parens, en aïant été avertis, ils vinrent là pour le retirer, disant qu’il étoit hors d’esprit. Exiérunt sui tenere eum dicebant enim quoniam in furorem versus est. Et il y a bien aparence, qu’il parut effectivement tel, lorsqu’il fut mené devant le Roi Herodes, car ce Roi, aïant fort desiré de le voir, il fut d’abord, dit-on, réjoui de voir qu’on le lui menoit, croïant qu’il lui verroit faire quelques merveilles, mais lui aïant fait quelques questions, et voïant qu’il ne lui répondoit rien,[9] il n’en eut que du mépris et le renvoïa, par moquerie, revêtu d’une robe blanche enfin, ce n’étoit que par dérision de sa personne, que les Juifs se moquoient de lui et de sa Roïauté imaginaire, lorsqu’ils lui mirent, par dérision, une couronne d’épines sur sa tête et un roseau à la main, pour lui servir de sceptre et qu’ils fléchissoient le genouil devant lui, en lui disant[10] : nous vous saluons, Roi des Juifs. Sur quoi l’Apôtre S. Paul dit formellement, qu’aucun Prince du monde ne connut sa prétenduë sagesse et que, s’ils l’eussent connue, qu’ils ne l’auroient jamais crucifié. Si enim, dit-il, cognovissent, numquam Dominum gloriae crucifixissent. 1 Cor. 2 : 8. Tous ces témoignages nous font évidemment voir, qu’il n’étoit véritablement regardé dans le monde, que comme un fou, comme un insensé et comme un fanatique.

C’est ce que l’on peut encore évidemment voir par ses propres pensées et par ses propres discours ; car 1o. Joan. 3. 16. 17.</ref> ses pensées et son imagination étoient, qu’il étoit né pour sauver le monde et pour être Roi des Juifs, Ibid. 18, 33</ref> et pour régner éternellement sur eux ;[11] il s’imaginoit, qu’il les délivreroit de la servitude de toutes les nations,[12] et qu’il alloit rétablir leur Roïaume dans un état beaucoup plus florissant, qu’il n’avoit jamais été[13] Il s’imaginoit, qu’on le verroit descendre du ciel avec ses Anges, tout plein de gloire et de puissance, avec une grande Majesté pour juger, c’est-à-dire pour gouverner, tous les vivans et les morts, qu’il croïoit devoir faire ressusciter,[14] et pour gouverner toute la terre dans la justice et dans la vérité[15]. Il s’imaginoit qu’il alloit bientôt créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habiteroit et où il régneroit éternellement avec ses Elus[16]. Il s’imaginoit, qu’il feroit régner ses Apôtres avec lui, et qu’il les feroit asseoir sur 12 Trônes, pour juger,[17] c’est-à-dire pour gouverner, les 12 Tribus d’Israël, qu’il les feroit boire et manger à sa table, lorsqu’il seroit dans son Roïaume[18]. Il s’imaginoit, ou au moins il disoit, que tous ceux,[19] qui auroient, pour l’amour de lui, quitté en ce monde-ci père, mère, frère, soeurs, enfans, maisons, terres ou héritages, qu’il leur en donneroit cent fois davantage, qu’ils n’en auroient quitté pour l’amour de lui[20]. Il s’imaginoit, qu’il alloit bientôt faire entendre sa voix à tous les morts[21], qu’il alloit les ressusciter et faire sortir de leurs tombeaux, par la Toute puissance de sa voix, et qu’il empêcheroit même de mourir, ou garantiroit pour tout jamais de la mort, tous ceux qui observeroient sa parole[22]. Il s’imaginoit qu’il étoit le grand et puissant libérateur, qui avoit été tant de fois promis[23] aux Juifs et à la ville de Jérusalem, dans la loi de Moïse et dans tous les Prophètes. Il croïoit donner le St. Esprit et la puissance de remettre tout péché, par le seul soufle de sa bouche. Insufflavit et dixit eis : accipite spiritum sanctum[24]. Il croïoit être un pain vivant, descendu du ciel pour donner la vie aux hommes, et que ceux qui le mangeroient, vivroient éternellement ; et enfin il s’imaginait, que c’étoit en lui que Dieu alloit accomplir toutes les grandes et magnifiques promesses, qu’il avoit faites à ce peuple, et que tous ses Élus seroient éternellement bénits en son nom etc. et croïoit être le Tout-puissant et le Fils éternel d’un Dieu tout-puissant et éternel[25].

Ne sont-ce pas-là assez évidemment des pensées et des imaginations de fanatique. Jamais Don Quixote, le fameux fanatique et chevalier errant, en eut-il de pareilles ? En eut-il-jamais de semblables ? Non certainement, ses imaginations et ses pensées, toutes déréglées et toutes fausses qu’elles étaient, n’ont jamais été dans un tel excès de déréglement. Il faut être arcbifanatique, comme le Christ des Chrétiens, pour avoir des pensées et des imaginations aussi vaines, aussi ridicules et absurdes et aussi extravagantes, qu’il a eu. Quand il reviendroit maintenant lui-même, ou quelqu’autre semblable personnage, nous dire et nous faire voir, qu’il auroit de telles pensées et de telles imaginations dans l’esprit, nous ne le regarderions certainement encore maintenant, que comme un visionnaire, comme un fou et comme un fanatique, ainsi qu’il a passé pour tel dans son tems.




  1. Luc. 4 : 29
  2. Luc. 11 : 45
  3. Joan. 8 : 48. 52. 59.
  4. Joan. 6 : 53
  5. Idem 7 : 12.
  6. Joan. 10 : 20.
  7. Marc. 3 : 21
  8. C’est l’ordinaire de la menuë populace de s’assembler autour des fous, de courir après eux.
  9. Luc. 23 : 9
  10. Math. 27 : 25.
  11. Luc. 4. 18. 22.
  12. Act. 1. 6.
  13. Matth. 17. 11.
  14. Matth. 24. 30. 31.
  15. Luc. 21. 27. 28.
  16. 2 Petr. 3. 13.
  17. Matth. 19. 28. 29.
  18. Luc. 22. 30.
  19. Matth. 19. 29.
  20. Joan. 5. 25
  21. Joan. 5. 28.
  22. Joan. 8. 51.
  23. Luc. 24. 44. 47.

    De son tems il y eut encore plusieurs autres semblables imposteurs, qui se disoient aussi être le vrai Messie, promis par la Loi, comme étoit aussi entr’autres, un certain Juda Galiléen, un Théodas, un Barcobas et autres, qui, sous ce vain prétexte, abusoient les peuples et tâchoient de les faire soulever, pour les attirer à eux, mais qui sont tous péris. Act. 5. 36.

  24. Joan. 20. 22.
  25. Joan. 3. 16. 17.