Le Tour de la France par deux enfants/050

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L. — Les forges du Creusot. — Les grands marteaux-pilons à vapeur. — Une surprise faite à Julien. Les mines du Creusot ; la ville souterraine.

Quelle sympathie nous devons à tant d’ouvriers courageux qui se livrent aux plus durs et aux plus pénibles travaux !

Quand on eut bien admiré la fonderie, on passa dans les grandes forges.

Là, Julien et André furent de nouveau bien étonnés.

La plupart des ouvriers qui allaient et venaient avaient la figure garnie d’un masque en treillis métallique ; de grandes bottes leur montaient jusqu’au genou ; leur poitrine et leurs bras étaient garnis d’une sorte de cuirasse de tôle ; ils étaient armés comme pour un combat ; et en effet, c’est une véritable lutte que ces robustes et courageux ouvriers ont à soutenir contre le feu qui jaillit de toutes parts, contre les éclaboussures et les étincelles du fer rouge.

LE MARTEAU-PILON A VAPEUR. — On emploie maintenant, pour la construction des ponts en fer ou des grandes machines, des pièces de métal tellement grosses, qu’aucun marteau mû par une main d’homme ne pourrait les façonner. Pour les forger, on a inventé l’énorme marteau-pilon que la vapeur met en mouvement et qui peut frapper depuis deux cents jusqu’à cinq cents coups par minute.


Saisissant de longues tenailles, ils retiraient des fours les masses de fer rouge ; puis, les plaçant dans des chariots qu’ils poussaient devant eux, ils les amenaient en face d’énormes enclumes pour être frappées par le marteau.

Mais ce marteau ne ressemblait en rien aux marteaux ordinaires que manient les serruriers ou les forgerons des villages ; c’était un lourd bloc de fer qui, soulevé par la vapeur entre deux colonnes, montait jusqu’au plafond, puis retombait droit de tout son poids sur l’enclume.

— Regarde bien, Julien, dit M. Gertal : voici une des merveilles de l’industrie. C’est ce qu’on appelle le marteau-pilon à vapeur, qui a été fabriqué et employé pour la première fois dans l’usine du Creusot où nous sommes. Ce marteau pèse de 3.000 à 5.000 kilogrammes : tu te figures la violence des coups qu’il peut donner.

Au même moment, comme poussée par une force invincible, l’énorme masse se souleva ; l’ouvrier venait de placer sur l’enclume son bloc de fer rouge : il fit un signe, et le marteau-pilon, s’abaissant tout à coup, aplatit le fer en en faisant jaillir une nuée d’étincelles si éblouissantes que Julien, tout éloigné qu’il était, fut obligé de fermer les yeux.

— Vous voyez, dit M. Gertal, quelle est la force de ce marteau ; eh bien, ce qu’il y a de plus merveilleux encore, c’est la précision et la délicatesse avec laquelle il peut frapper. Cette même masse que vous venez de voir broyer un bloc de fer, peut donner des coups aussi faibles qu’on le veut : elle peut casser la coque d’une noix sans toucher à la noix même.

— Est-ce possible ? Monsieur Gertal.

— Mais oui, dit un ouvrier qui connaissait M. Gertal et qui regardait avec plaisir la gentille figure de Julien. Tenez, petit, j’ai fini mon travail, et je vais vous faire voir quelque chose de curieux.

L’ouvrier prit dans un coin sa bouteille de vin, plaça dessus le bouchon sans l’enfoncer, mit la bouteille sur l’enclume, et dit deux mots à celui qui faisait manœuvrer le marteau. La lourde masse se dressa, et Julien croyait que la bouteille allait être brisée en mille morceaux ; mais le marteau s’abaissa tout doucement, vint toucher le bouchon, et l’enfonça délicatement au ras du goulot.

Julien battit des mains.

Bien d’autres choses émerveillèrent encore nos jeunes amis. Là, le fer rouge passait entre des rouleaux et sortait aplati en lames semblables à de longues bandes de feu ; ailleurs, des ciseaux d’acier, mis en mouvement par la vapeur, tranchaient des barres de fer comme si c’eût été du carton ; plus loin, des rabots d’acier, mus encore par la vapeur, rabotaient le fer comme du bois et en arrachaient de vrais copeaux.

Julien ne se lassait pas de regarder ces grands travaux accomplis si rapidement par la vapeur, et qui lui faisaient songer aux fées de la mère Gertrude. On parcourut les ateliers de construction où se font chaque année plus de cent locomotives, des quantités considérables de rails, des coques de bateaux à vapeur, des ponts en fer, des engins de toute sorte pour les frégates et les vaisseaux de ligne.


— Voyons maintenant les mines de houille, dit M. Gertal.

— Des mines ? dit Julien. Il y a des mines aussi !

— Oui, mon enfant ; tout le bruit, tout le mouvement que tu vois ici est l’image du bruit et du mouvement qui se font également sous nos pieds dans la vaste mine de houille. Sous la terre où nous marchons, sous cette ville de travail où nous sommes, il y en a une autre non moins active, mais sombre comme la nuit. On y descend par dix puits différents. Viens, nous allons voir l’entrée d’un de ces puits.

Quand André et Julien arrivèrent, c’était le moment où des ouvriers, munis de leurs lampes, allaient descendre dans le souterrain. Julien les vit s’installer dans la cage, au-dessus du grand trou noir, que le jeune garçon regardait avec épouvante. Puis on donna le signal de la descente, une machine à vapeur siffla, et la cage s’enfonça dans le trou avec les mineurs qu’elle portait.

— Est-ce que ce puits est bien profond ? demanda Julien.

— Il a 200 mètres environ, et on le creuse de plus en plus. Tout le long du puits on rencontre des galeries sur lesquelles il donne accès. Cette ville souterraine renferme des rues, des places, des rails où roulent des chariots de charbon que les mineurs ont arraché à coups de pic et de pioche. C’est ce charbon qui alimentera les grands fourneaux que tu as vus, c’est lui qui mettra en mouvement ces machines qui sifflent, tournent et travaillent sans repos. Puis, quand à l’aide de ce charbon on aura fabriqué toutes les choses que tu as vues, on les expédiera par le canal du Centre sur tous les points de la France.

— Oh ! monsieur Gertal, s’écria le petit Julien, je vois que la Bourgogne travaille fameusement, elle aussi ! et je réfléchis en moi-même que, si la France est une grande nation, c’est que dans toutes ses provinces on se donne bien du mal ; c’est à qui fera le plus de besogne.

— Oui, petit Julien, l’honneur de la France, c’est le travail et l’économie. C’est parce que le peuple français est économe et laborieux qu’il résiste aux plus dures épreuves, et, qu’en ce moment même, il répare rapidement ses désastres. Ne l’oublions jamais, mes enfants, et faisons-nous gloire, nous aussi, d’être toujours laborieux et économes.