Le Tour de la France par deux enfants/053
Peu de temps après cette aventure, nos voyageurs quittèrent le Bourbonnais et entrèrent en Auvergne. On se rendait à Clermont-Ferrand. Il faisait une belle journée d’automne, le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Comme la route montait beaucoup, nos amis étaient descendus et ils gravissaient la côte à pied tous les trois, afin de soulager un peu Pierrot. Julien se dégourdissait les jambes en sautant de çà de là, tout joyeux du beau temps qu’il faisait. Bientôt pourtant il se rapprocha de M. Gertal et d’André, et du haut d’une grande côte d’où la vue dominait l’horizon, il leur montra une chaîne de montagnes ensoleillée.
— Qu’est-ce donc, je vous prie, demanda-t-il, que ces monts qui sont là tout entassés les uns auprès des autres ? Voyez ! il y en a qui ressemblent à de grands dômes ; d’autres sont fendus, d’autres s’ouvrent par en haut comme des gueules béantes. Voilà des montagnes qui ne sont point du tout pareilles aux autres que nous avons vues.
— Julien, ce sont les dômes et les puys d’Auvergne. Le plus élevé que tu aperçois là-bas, c’est le puy de Dôme.
— Tiens, s’écria l’enfant, j’ai vu à l’école dans mon livre de lecture une image qui montre les volcans éteints de l’Auvergne ; alors les voilà donc devant nous, monsieur Gertal ?
— Justement, mon enfant, toutes ces montagnes ont été autrefois d’anciens volcans.
— Oh ! monsieur Gertal, cela devait être bien beau, mais aussi bien effrayant à voir, quand toutes ces grandes bouches lançaient du feu et de la fumée. L’Auvergne devait ressembler à un enfer. C’est égal, je préfère que ces volcans-là soient éteints, et qu’il y ait de belle herbe verte au pied.
— Petit Julien, regarde bien à ta gauche, à présent. Vois-tu cette plaine qui s’étend à perte de vue ? C’est la fertile Limagne, la terre la plus féconde de France. Elle est arrosée par de nombreux cours d’eau et produit en abondance le blé, le seigle, l’huile, les fruits.
— Alors, monsieur Gertal, l’Auvergne est donc, comme la Côte-d’Or, bien riche ?
— Petit Julien, la Limagne ne couvre pas tout le territoire de l’Auvergne ; elle n’occupe que vingt-quatre lieues carrées. En revanche la montagne ne produit que des pâturages et des bois ; l’hiver y est bien long et rigoureux.
— Oui, oui, dit l’enfant ; c’est comme dans le Jura et la Savoie. Y a-t-il aussi bien des troupeaux par là ?
— Certainement ; dans le département voisin, le Cantal, il y a même une race de bœufs très renommés, la race de Salers, et l’on fait de bons fromages dans le Cantal.
— Le chef-lieu du Cantal, c’est Aurillac, n’est-ce pas, monsieur Gertal.
— Tout juste, une jolie ville aux rues bien propres, arrosée par des ruisseaux d’eau courante. Le Cantal est un département pauvre ; ses habitants sont souvent obligés d’émigrer, comme on fait en Savoie, pour aller gagner leur vie ailleurs : ils se font portefaix, charbonniers, et souvent chaudronniers. Le métier de chaudronnier est un de ceux que les Auvergnats préfèrent, et Aurillac est un des grands centres de la chaudronnerie. Mais, petit Julien, puisque tu es savant en géographie, sais-tu ce que c’est que le Cantal ?
— Oh ! dame, monsieur Gertal, je ne sais pas tant de choses, moi ; mais je pense que cela doit être une rivière, comme l’Allier que j’ai vu à Moulins.
— Allons donc ! c’est une montagne. Le Plomb du Cantal a près de 1.900 mètres de hauteur, il y a de la neige sur le sommet une bonne partie de l’année. Pour moi, je n’oublierai jamais le Cantal, vois-tu, parce que j’y suis monté.
— Vraiment, monsieur Gertal ? Est-ce que c’est difficile d’aller là comme au mont Blanc ?
— Oh ! non, certes ; seulement l’orage nous prit au haut : il pleuvait à verse, il soufflait un vent effroyable, et il n’y avait qu’un petit bout de rocher abrupt pour tout abri ; l’orage dura quatre heures, et nous avons grelotté tout le temps sur ce sommet, mes amis et moi.
— Oh ! dit Julien, moi, je serais descendu bien vite en courant pour me réchauffer.
— Toi, petit, tu aurais dû faire comme les camarades, attendre. Quand un brouillard ou une pluie couvre les montagnes du Cantal, si l’on est au sommet, il faut bon gré mal gré y rester jusqu’à la fin, ou risquer des chutes dangereuses. On voit au-dessous de ses pieds une mer de nuages noirs sillonnés par la foudre ; ce n’est pas le moment de descendre.
— Certes, dit André, je comprends cela. Et Julien a-t-il donc déjà oublié combien les brouillards sont terribles sur la montagne ?
— Non, mon frère, dit le petit garçon. Je me rappellerai toujours les Vosges, et cette nuit où tu m’as réchauffé dans tes bras et où je me suis endormi en priant Dieu d’avoir pitié des deux orphelins à l’abandon.
— Et Dieu t’a exaucé, enfant, dit le patron, puisque vous voilà à moitié de votre long voyage et en bon chemin.