Le Tour de la France par deux enfants/085

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LXXXV. — André et Julien retrouvent à Bordeaux leur oncle Frantz.

On retrouve une force nouvelle en revoyant les siens.

Le Perpignan, au-dessus de Toulouse, quitta le canal du Midi et entra dans la Garonne, ce beau fleuve qui descend des Pyrénées pour aller se jeter dans l’Océan au delà de Bordeaux. Le courant rapide du fleuve entraînait le bateau, ce qui fit qu’il n’y eut plus besoin de manier la perche à grand effort ou de se faire traîner à l’aide d’un câble par les chevaux, d’écluse en écluse. Les mariniers et André eurent donc plus de loisir pour regarder le riche pays de Guyenne et Gascogne, où ils ne tardèrent pas à entrer.

La jambe de Julien était presque guérie. À mesure qu’elle allait mieux, la gaîté de l’enfant lui revenait, et aussi le besoin de sauter et de courir. À la pensée qu’on arriverait bientôt à Bordeaux, il ne se tenait pas de plaisir. — Pourvu que notre oncle Frantz soit guéri aussi ! pensait-il.

Enfin, au bout de quelques jours, la Garonne alla s’élargissant de plus en plus entre ses coteaux couverts des premiers vignobles du monde. En même temps on apercevait un plus grand nombre de bateaux. Bientôt même, au loin, on vit sur le fleuve toute une forêt de mâts.

GUYENNE, GASCOGNE ET BÉARN. — La Guyenne et Gascogne est la plus grande province de France, et, si on excepte le département des Landes, c’est une des plus riches. Bordeaux, Lesparre, Libourne font un grand commerce de vins ; Mont-de-Marsan est une charmante petite ville au milieu des pins ; Périgueux (32.000 hab.) et Bergerac font le commerce des truffes, des vins et des bestiaux ; Agen (22.500 hab.), ville commerçante, est renommée pour ses pruneaux ; Auch a une belle cathédrale ; à Tarbes (26.000 hab.)se trouve un grand arsenal ; Cahors a des vins estimés ; Montauban (30.500 hab.) tisse la soie ; Rodez, la laine. — Le Béarn possède la belle ville de Pau (34.200 hab.), où les malades viennent passer l’hiver, et le port de Bayonne.


— André, disait Julien en frappant dans ses mains, vois donc ; nous arrivons, quel bonheur !

LE PONT DE BORDEAUX. — Bordeaux est une très belle ville, magnifiquement bâtie, de 275.000 hab. Elle se déploie sur la rive gauche de la Garonne, dans une longueur de plus de quatre kilomètres. À ses pieds le large fleuve forme un port où 1,000 navires d’un fort tonnage peuvent trouver un abri. Parmi les principaux monuments on compte le pont de pierre construit au commencement de ce siècle et long d’un demi-kilomètre.


On apercevait en effet Bordeaux avec ses belles maisons et son magnifique pont de 486 mètres jeté sur le fleuve.

Chacun, sur le Perpignan, était plus attentif que jamais à la manœuvre, afin qu’il n’arrivât pas d’accident. Bientôt le Perpignan acheva son entrée et prit sa place au bord du quai animé, où des marins et des hommes de peine allaient et venaient chargés de marchandises.

Une planche fut jetée pour aller du bateau au quai, et l’on mit pied à terre.

Le patron, qui avait l’œil vif, avait remarqué un homme assis à l’écart sur un tas de planches et qui, pâle et fatigué comme un convalescent, semblait considérer avec attention le mouvement d’arrivée du bateau. Le patron frappa sur l’épaule d’André : — Regarde, dit-il, je parie que voilà ton oncle, auquel tu as écrit l’autre jour.

André regarda et le cœur lui battit d’émotion, car cet inconnu ressemblait tellement à son cher père qu’il n’y avait pas moyen de se tromper. — Julien, dit-il, viens vite.

Et les enfants, se tenant par la main, coururent vers l’étranger.

Julien, de loin, tendait ses petits bras ; frappé, lui aussi, par la ressemblance de son oncle avec son père, il souriait et soupirait tout ensemble, disant : — C’est lui, bien sûr, c’est notre oncle Frantz, le frère de notre père.

En voyant ces deux enfants descendus du Perpignan et qui couraient vers lui, l’oncle Frantz à son tour pensa vite à ses jeunes neveux. Il leur ouvrit les bras : — Mes pauvres enfants, leur dit-il en les embrassant l’un et l’autre, comment m’avez-vous deviné au milieu de cette foule ?

— Oh ! dit Julien avec sa petite voix qui tremblait d’émotion, vous lui ressemblez tant ! J’ai cru que c’était lui !

L’oncle de nouveau embrassa ses neveux, et tout bas : — Je ne lui ressemblerai pas seulement par le visage, dit-il ; enfants, j’aurai son cœur pour vous aimer.

— Mon Dieu, murmurèrent intérieurement les deux orphelins, vous nous avez donc exaucés, vous nous avez rendu une famille !