Le Trésor du « Sancta Sanctorum » au Latran

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Le Trésor du « Sancta Sanctorum » au Latran

LE TRÉSOR DU « SANCTA SANCTORUM »
AU LATRAN



L
e voyageur ou le pèlerin qui visite actuellement Rome ne manque jamais, après avoir parcouru le musée de Latran et traversé l’archi-basilique, cathédrale de Rome, de jeter un coup d’œil rapide sur l’intérieur de cette construction moderne toute voisine, d’aspect modeste et abandonné, qu’on appelle la Scala Santa. Ce nom lui vient d’un escalier de marbre, que la tradition prétend être celui même du palais de Pilate à Jérusalem, et qui s’y trouve conservé à la vénération des fidèles. Cet escalier donnait jadis accès dans l’intérieur de l’ancien palais patriarcal de Latran, résidence des papes du IVe au XIVe siècle, aujourd’hui disparu. Il a été placé par Sixte-Quint là où nous le voyons actuellement, et l’on sait toutes les indulgences qui ont été attachées à ses degrés. Il conduit à une fenêtre grillagée, derrière laquelle le visiteur intrigué aperçoit, dans une demi-bscurité, une fort jolie chapelle carrée, de style gothique italien du XIIIe siècle, ornée dans sa partie haute d’arcatures trilobées à colonnettes torses, et de fresques sur les tympans et la voûte d’arête. Au fond est un autel, entouré d’une forte grille de fer cadenassée, au-dessus duquel, dans un sombre enfoncement, à la lueur des cierges, on entrevoit la fameuse icône achéropite du Christ, mentionnée dès le VIIIe siècle dans le Liber Pontificalis, toute recouverte des ornements dont Innocent III l’a parée.

Cette chapelle est un des sanctuaires les plus vénérés de Rome et du monde entier. On y lit l’inscription : non est in toto sanctior orbe locus. Et en effet, quoique consacrée à saint Laurent, la chapelle porte le nom de Sancta Sanctorum ou « Saint des Saints ». Ce nom, qui est un souvenir de l’Ancien Testament, lui vient du grand nombre de reliques que les papes, et surtout Léon III, y ont placées. Aussi est-il absolument interdit de pénétrer dans l’intérieur, dont l’accès du reste est défendu par une porte de bronze solidement verrouillée. Le pape seul ou un cardinal par lui délégué peut y célébrer l’office. En fait, nul autre que le Passionniste chargé de l’entretenir et d’y allumer les cierges n’y entre jamais.

Cette chapelle est pourtant un véritable joyau archéologique et artistique. C’est, on peut le dire sans exagération, la chapelle Sixtine des papes du moyen âge. Elle occupe l’emplacement des bureaux de la chancellerie pontificale du VIe siècle : les fouilles que j’ai fait exécuter dans ses fondations, il y a six ans, semblent l’établir. Son existence primitive remonte à cette époque lointaine. Depuis lors, elle a subi diverses transformations jusqu’au XIIIe siècle. La principale fut l’œuvre du pape Léon III, le contemporain de Charlemagne, qui, d’après un auteur du XIIe siècle, Jean Diacre, fit placer dans l’autel un coffre ou « arche » de bois de cyprès (arca cypressina) contenant un grand nombre de reliques, sans doute à l’imitation de l’ « Arche d’alliance » du « Saint des Saints » du Temple de Jérusalem. Au XIIIe siècle, le pape Nicolas III fit restaurer complètement la chapelle par les Cosmati, les célèbres marbriers romains, dont le nom est inscrit sur le mur, à gauche de l’entrée : † magister cosmatvs fecit hoc opvs.

Jusqu’à ces derniers temps, on en était réduit, pour la connaissance de ce curieux monument médiéval, seul débris de l’antique palais de Latran, aux descriptions insuffisantes de Marangoni et de Rohault de Fleury. Ces auteurs n’ont vu que très vite et, disons-le, assez superficiellement, dans la pénombre, l’intérieur du sanctuaire[1]. Seul, de Rossi a donné une très bonne reproduction des mosaïques qui ornent la voûte du fond de la chapelle.

Cependant on ignorait totalement ce qu’était devenu le coffre de cyprès de Léon III, avec les reliques qu’il contenait au XIIe siècle. On savait seulement qu’Urbain V y avait retrouvé les têtes des apôtres Pierre et


Fig. 1. — autel du « sancta sanctorum »

Paul, au XIVe siècle. La forte grille, aux solides barreaux de fer forgé, avec ses nombreux cadenas, autour de l’autel de marbre, laissait supposer que les reliques, entrevues encore au début du XVIe siècle par Léon X, qui en fit dresser une liste, se trouvaient toujours en place ; mais nul n’avait osé s’en assurer depuis lors, et les années s’écoulaient, ajoutant toujours plus de mystère à cette énigmatique cachette, si hermétiquement close depuis le XVIe siècle. On commençait à dire qu’il n’y avait plus rien dans l’autel ; on parlait du sac de Rome par les pillards du connétable de Bourbon, en 1527. Toutefois, les cadenas étaient en parfait état de conservation. Depuis 1521 jusqu’en 1903, pendant près de quatre siècles, on évita toujours de vérifier le contenu de l’autel. On raconte même que Pie IX étant venu un jour avec l’intention de le faire ouvrir, s’en retourna sans en avoir rien fait, en s’écriant : « Mai ! mai ! » (Jamais ! jamais !). Il était pourtant
Fig. 2. — Coffret de Cyprès du pape Léon III.
du plus haut intérêt archéologique et historique de savoir si les fameuses croix et les reliquaires mentionnés au XIIe siècle par Jean Diacre étaient encore là. Un hasard amena l’ouverture de la fameuse grille et de l’autel. Le T. R. P. Jubaru ayant eu besoin, pour un livre qu’il écrivait, d’examiner la relique du chef de sainte Agnès, qui s’y trouvait d’après les anciens catalogues de reliques, obtint un rescrit pontifical ordonnant l’ouverture ; et, malgré ce rescrit, il eut la plus grande peine à atteindre son but. La grille dut être forcée, ainsi que la porte de bronze aux inscriptions d’Innocent III et de Nicolas III, et l’on se trouva en présence du coffre de bois de cyprès de Léon III, intact, avec l’inscription en creux du IXe siècle : + leo indignvs | dei famvlvs | tertivs episcopvs | fecit, et celle-ci, peinte sur fond d’or au XIIIe siècle : | , OU Sancta Sanctorum. Le P. Jubaru y retrouva le « chef de sainte Agnès » dans un coffret d’argent très simple, portant sur le couvercle l’inscription du pape Honorius III, qui l’avait fait faire. Là s’arrêtait la permission que lui accordait le rescrit. Il ne fit qu’entrevoir d’autres coffrets, mais il n’obtint pas de les examiner, et il dut tout remettre en état[2].

M’occupant depuis longtemps de préparer une histoire du palais médiéval de Latran, j’appris avec joie l’heureux résultat des démarches


Fig. 3. — Pyrixide d’ivoire antique

du P. Jubaru. Mais je sus aussi que tout allait probablement être refermé pour des années, peut-être des siècles, sans qu’on ait pu avoir une description un peu détaillée des œuvres d’art conservées dans l’ « arche » de Léon III. On m’avait bien dit que le T. R. P. Grisar, plus heureux que le P. Jubaru, avait obtenu d’examiner les objets ; on me laissait entendre néanmoins que sa publication serait très longtemps, peut-être même indéfiniment ajournée. Tout semblait devoir rentrer de nouveau dans l’ombre. Il fallait, dans l’intérêt général, une intervention énergique pour tirer tout le parti désirable du succès du P. Jubaru et faire connaître le plus tôt possible le trésor longtemps caché, surtout les précieuses croix mentionnées au XIIe siècle par Jean Diacre :


Fig. 4. — Croix d’orfèvrerie, dite « de la Circoncision ».

« Dans le palais sacré existe un oratoire Saint-Laurent, dans lequel sont trois autels très saints. D’abord, dans l’arche de cyprès qu’a fait faire Léon III, il y a trois châsses ou coffrets. Dans l’un de ces coffrets est la croix d’or très pur, ornée de perles et de pierres précieuses, c’est à savoir d’hyacinthes et d’émeraudes. Au milieu de la croix est l’ombilic de N.-S. Jésus-Christ, et la surface de cette croix est tout enduite de baume. Chaque année, la même cérémonie de l’onction est renouvelée, le jour de l’Exaltation de la Croix (14 septembre), lorsque le pape se rend processionnellement, avec les cardinaux, de l’oratoire Saint-Laurent à la basilique du Sauveur ou Constantinienne[3]. Et, dans un autre coffret d’argent doré


Fig. 5. — Coffret byzantin d’argent doré et niellé.
Coffret d’argent renfermant la croix « de la Circoncision ».
Boite de cèdre cruciforme à légende grecque.

orné de scènes diverses, il y a une croix d’émail de couleur, et à l’intérieur est la relique de la croix de N.-S. Jésus-Christ. Et dans un troisième coffret d’argent sont les sandales ou chaussures de N.-S. Jésus-Christ. De même un autre coffret doré, où il y a un morceau de la Croix qu’Héraclius, après la défaite de Chosroès, apporta avec lui de Perse, etc. »

Les lettres que l’Académie des inscriptions et belles-lettres et la Société des antiquaires de France voulurent bien m’accorder me fournirent le moyen de vérifier ce texte et de hâter la divulgation du trésor. J’obtins avec la plus grande difficulté, à la suite de longues démarches[4] et de deux voyages successifs à Rome, de voir la fameuse arche de cyprès de Léon III, contemporain de Charlemagne, et son précieux contenu, que S. E. le Cardinal Secrétaire d’État finit par me permettre très libéralement d’examiner et de photographier. Le passage de Jean Diacre était exact de tous points : les croix et coffrets mentionnés par lui étaient encore là après un intervalle de huit siècles, avec quelques autres objets ajoutés depuis le XIIe jusqu’au XIVe siècle. J’ai eu l’honneur de communiquer, le 1er juin dernier, les photographies de tous les reliquaires à la séance publique de l’Académie des inscriptions, qui en a eu ainsi la primeur dans le monde savant. Plusieurs des pièces de ce trésor sont d’une grande richesse, d’une valeur artistique de tout premier ordre et d’une antiquité très reculée. Aucune d’elles n’avait été jusqu’ici ni décrite, ni dessinée par aucun archéologue. Ni Panvinio, ni Marangoni, ni Rasponi, ni Alemanni, ni de Rossi ne les avaient vues. Nous allons mentionner rapidement les plus importantes[5].

L’arche de cyprès de Léon III (fig. 2) mesure 0m92 de hauteur sur 0m70 de largeur et autant de profondeur. Elle est scellée dans l’autel de marbre et ressemble un peu à un bahut à deux étages, avec une porte pleine à deux battants pour chaque étage. Sur la face légèrement brunie se détachent des dessins géométriques formés de lignes brisées parallèles, entourant des panneaux carrés avec cercles concentriques en relief. L’intérieur, à peine dégrossi[6], contenait les objets qui vont suivre :

Un fragment de la paroi d’un coffret d’ivoire cylindrique (fig. 3) du IVe ou Ve siècle, rappelant beaucoup la pyxide d’ivoire du musée de Berlin, publiée récemment, et les boîtes à hosties du musée du Vatican, par exemple. Mais, au lieu d’un sujet chrétien, — résurrection de Lazare ou


CROIX D’ÉMAIL CLOISONNÉ
du Pape Serge Ier ?

guérison de l’aveugle, — c’est une scène bachique que nous y voyons sculptée : trois personnages imberbes, d’aspect jeune et presque enfantin, vêtus

d’une simple tunique, sont, représentés dansant coude à coude, en face d’un personnage vêtu d’une longue robe. L’un des danseurs tient dans la main droite une sorte de couronne. Ce groupe a beaucoup de mouvement. La forme des bras et des jambes est très gracieusement rendue. Les têtes des danseurs, surtout de celui du milieu, ne sont pas dénuées d’art et sont même expressives ; les yeux et les cheveux en désordre, interprétés par des traits creux, ont de la finesse. En revanche, les plis des vêtements ne sont pas étudiés avec grand détail. Derrière ce groupe, deux personnages d’aspect plus âgé, dont l’un, barbu, tient de la main gauche une aiguière au-dessus d’une sorte d’amphore. Cette partie de l’ivoire est très détériorée et toute brunie. Le fond du coffret, comme dans celui de Berlin, était rapporté et fixé à l’aide d’attaches de fer de forme arrondie et plates aux extrémités, qui sont percées de clous. Il subsiste encore divers fragments provenant de cet objet malheureusement endommagé : on y reconnaît la partie antérieure du corps d’un cheval, et des morceaux de diverses figures. On a même un long fragment d’ivoire qui a le diamètre exact de la boîte, dont il formait le fond. Le bord supérieur est orné d’oves. L’arc de cercle de cette section de paroi mesure 0m13. La distance des deux extrémités est de 0m09. L’épaisseur de l’ivoire varie de 0m002 à 0m009.

La croix mentionnée par Jean Diacre (fig. 4), tout en or, aux branches évasées, rappelle beaucoup les travaux d’orfèvrerie du VIIe au IXe siècle, les croix des trésors de Monza, d’Aix-la-Chapelle, de Hildesheim, de Guarrazar et de la Caméra Santa d’Oviédo (croix des Anges et croix de la Victoire). Elle se compose essentiellement d’un cadre en lames d’or, orné de petits émaux cloisonnés et d’une bordure de perles d’or, avec une boîte ovale au centre, qui contient la relique. Au revers, les parties intactes portent des filigranes. Sur cette base, des dents en forme de palmettes soutiennent des plaques ajourées pour recevoir les pierres précieuses : améthystes, émeraudes et perles. Ces pierres sont serties dans des bâtes à bords droits. Plusieurs sont percées par le milieu. Sur la boîte centrale est un couvercle orné d’une améthyste irrégulière, et maintenu à l’aide d’une vis d’or munie d’un anneau. Au-dessous de ce couvercle est un second revêtement d’or. Le baume dont parle Jean Diacre recouvre encore la plus grande partie de la croix : il forme une croûte épaisse, de couleur brune. Lorsqu’on gratte cette croûte, elle exhale une forte odeur de résine et d’encens.

Il existe, relativement à cette croix, dite aussi « de la Circoncision », une tradition d’après laquelle un soldat protestant du connétable de Bourbon l’aurait enlevée et portée à Calcata où, tombé malade, il aurait avoué son larcin. Passée à l’église de la localité et dépouillée de sa relique, la croix aurait été rendue au Latran. Tout cela est très peu vraisemblable, la boîte centrale étant intacte. Si l’un des bras est brisé et que des lames d’or manquent au revers, on peut expliquer ces mutilations de bien des manières. La croix mesure, dans son ensemble, 0m255 sur 0m25. Son épaisseur est de 0m035. La largeur des branches varie de 0m07 à 0m045.

Cette croix se trouvait renfermée dans un coffret d’argent cruciforme


Fig. 6. — Boite en argent contenant la croix d’émail.
Vue de côté.

(fig. 5), sur un coussinet d’ouate recouvert d’une étoffe de soie à ramages. Le couvercle de ce coffret, qui est tout orné de figures en relief repoussées au marteau, gravées et dorées, porte l’inscription : paschalis | episcopus | fieri jussit | plebi dei. Les scènes représentées sont les suivantes : le Christ officiant, les Noces de Cana, l’Ascension, etc. La technique et le costume des personnages incitent à considérer ce travail comme étant du XIe ou du XIIe sièclee. Le pape dont il est ici question serait donc Pascal II (1099-1118), plutôt que Pascal Ier (817-824) auquel on pourrait aussi songer. Deux pièces de monnaie d’argent du XIIe sièclee ont d’ailleurs été trouvées dans cette boîte.

Un coffret à peu près du même genre (fig. 6 et 7), en argent portant traces de dorures, mais rectangulaire et d’apparence plus archaïque, avec un couvercle à glissière, sur lequel est représenté le Christ assis sur un trône, entre les apôtres Pierre et Paul, et, sous ses pieds, les quatre fleuves du Paradis. Le tout est entouré d’une bordure de perles en relief. Cette boîte, qui mesure 0m30 sur 0m107. renferme, sur un coussin d’étoffe de soie a scène de chasse,
Fig. 7. — Couvercle de la boite d’argent contenant la croix d’émail.
d’art sassanide, la superbe croix tout en émail cloisonné(que reproduit notre planche) dont parle aussi Jean Diacre, et qui pourrait bien être celle que, d’après le Liber Pontificalis[7], retrouva et déposa au Latran le pape Serge Ier (687-701).

Cette croix mesure 0m27 sur 0m18. Les scènes représentées sont, en commençant par le haut : l’Annonciation et la Visitation ; au centre, la Nativité ; sur les bras, la Fuite en Égypte et l’Adoration des mages ; sur la tige inférieure, la Présentation au Temple et le Baptême du Christ. L’émail du fond est translucide, avec une teinte tantôt rouge lie de vin et tantôt verdâtre. Plusieurs personnages sont vêtus de costumes blancs ou jaune orange. Les autres teintes employées sont le lilas, le bleu clair, le rouge et le rose. Le Christ porte un nimbe crucifère. L’art de cet émail est d’un archaïsme frappant. Dans le Baptême, le Christ est représenté jeune et complètement nu. Les costumes des mages rappellent les mosaïques de Ravenne. Cette croix ressemble un peu, par la forme évasée de ses branches, aux croix du IXe siècle que nous citions plus haut, et aussi à la croix de Justin, du trésor de Saint-Pierre de Rome. Il existe une croix d’émail qui s’en rapproche, mais elle est bien plus petite et plus grossière ; c’est celle du musée de Kensington, que Kondakow date du IXe ou Xe siècle. La présente croix ne nous paraît pas pouvoir être postérieure au IXe siècle. Le revers est creux et à demi rempli d’une croûte de baume desséché, sous lequel, au centre, un renflement indique peut-être la présence de la relique du bois de la Croix. Ce fait correspondrait très bien avec la découverte du pape Serge Ier (687-701), qui, ayant en effet trouvé une croix dans une boîte d’argent, sous un coussin de soie — absolument comme nous — fit enlever les plaques d’orfèvrerie ornant le dessus de la croix, pour retrouver la relique. L’émail qui nous reste ne serait que le revers de cette croix, que Serge Ier fit apporter au Latran. Il remonterait donc au VIIe siècle. Et si l’on identifiait cette croix de Serge Ier avec celle du pape Symmaque (498-514), ainsi qu’on y est incité par certains rapports entre les deux passages du Liber Pontificalis. il faudrait faire remonter au VIIe siècle l’origine de ce précieux morceau. Sur la tranche de cette croix est tracée une inscription d’émail en capitales, où l’on peut encore lire : [VE]XILLVM CRVCIS — [R]EGINA MVNDI.

Après ces deux croix, qui sont appelées à prendre rang parmi les objets les plus célèbres conservés dans les musées d’Europe, il faut mentionner immédiatement le petit coffret d’argent ovale à couvercle bombé (fig. 8), mesurant 0m193 sur 0m065, portant sur ses parois les images du Christ et des apôtres. Pierre et Paul, et sur le couvercle deux anges vêtus de longues robes, la main symbolique et la colombe. Ce coffret est du même type que la capsella argentea africana d’Henchir-Zirara (Numidie), que le cardinal Lavigerie offrit jadis à Léon XIII et que de Rossi a publiée, en la datant du Ve siècle. Les reliefs y sont cependant un peu moins accusés, ce qui pourrait la faire considérer comme d’une époque légèrement plus récente.

Un autre coffret d’argent (fig. 8), mesurant 0m24 sur 0m19 et haut de 0m15, portant sur les quatre faces des figures de saints au repoussé,


Fig. 8. — Couvercle du reliquaire du chef de sainte Agnès.
Coffret du type de la « capsella argentea africana » de De Rossi.
Coffret d’argent byzantin, avec couvercle orné d’émaux, scellé de l’« anneau du pêcheur » de Nicolas III.

d’un style très voisin de celui d’un triptyque d’ivoire byzantin du XIe siècle du musée du Vatican (saint Jean Chrysostome, saint Nicolas, saint Grégoire de Nazianze et saint Basile), avec une bordure de palmettes et un couvercle orné de plaques d’émaux cloisonnés byzantins du Xe ou XIe siècle,


Fig. 9. — La Guérison de l’aveugle.
Bas-relief en ivoire.
tout à fait analogues à ceux qui ornent l’image du Sauveur Pantocrator ou icône de Khakouli, conservée dans le couvent de Ghélat en Mingrélie (Russie). Ce coffret était scellé du sceau secret (anneau du Pécheur) de Nicolas III, qui est le plus ancien original signalé jusqu’à présent. Il renfermait une tête momifiée (de sainte Praxède ou de sainte Euphémie ?).

On ne peut que mentionner ici rapidement un petit coffret d’argent doré et damasquiné, de la même forme que la capsella dont nous nous occupions un peu plus haut et sur lequel, au milieu des entrelacs de feuillages, sont les médaillons du Christ, de saint Pierre, de saint Jean le Précurseur, de saint Luc, saint Matthieu, saint Marc et saint Jean l’Évangéliste, avec inscriptions grecques.

Un autre coffret d’ivoire rectangulaire, moresque, avec peintures d’or représentant un paon, des vautours et des cours. Les charnières et attaches d’or ont la forme de baguettes rondes, effilées par le bout.

Un flacon de cristal de roche, de 0m09 de hauteur, à corps ovale et bouchon en pyramide, à nombreuses facettes, entouré d’une monture d’or et muni d’une chainette de suspension. C’est un travail oriental comme le flacon du trésor de Quedlinbourg, publié par M. Marquet de Vasselot.

Un coffret en bois doré, de 0m27 de longueur, orné de peintures byzantines (Christ en croix, anges, etc.), avec inscriptions grecques ; ce coffret contient la haste verticale d’une croix patriarcale. Il peut remonter au XIIe siècle.

Un coffret de cuivre, avec médaillons gravés des apôtres, inscriptions grecques et, sur le couvercle, le Christ en croix gravé et émaillé.

Enfin, nous nous bornerons à citer de nombreuses boîtes de cèdre avec couvercles à glissière, dont l’un porte une lance en relief. L’une d’elles (fig. 5) a la forme d’une croix, avec l’inscription combinée : ΦωϹΖωΗ


Fig. 10. — Tissu de soie byzantin (scène de l’Annonciation).

(lumière, vie). Une autre porte au dos du couvercle une peinture byzantine sur fond d’or, très archaïque, où l’on distingue, au centre, le Christ en croix, vêtu d’une longue tunique, entre les deux larrons, sur des croix excessivement grêles. On peut la dater du xe siècle. Une petite boîte cylindrique en ivoire, dont le couvercle est orné de caractères koufiques peints, imités de ceux des monnaies des califes Omeyades de Damas, du début du VIIIe siècle. Des boîtes de cèdre cylindriques, à couvercles coniques.

Il convient de faire une place à part à un petit bas-relief en ivoire, de 0m122 sur 0m06, sur lequel est figurée la guérison de l’aveugle (fig. 9). Le Christ imberbe, les costumes encore antiques, amènent à assigner à ce morceau une date assez reculée ; c’est une scène semblable à celles qui ornent les sarcophages chrétiens des VIe et VIIe siècles.

Je passe sous silence les reliques (saint sang, restes de martyrs, pierres de Terre-Sainte) et leurs authentiques (du VIIe au XIIe siècle), dont plusieurs offrent un réel intérêt historique, pour signaler à l’attention des spécialistes des fragments assez nombreux de tissus, deux tuniques complètes, des morceaux de soie admirablement conservés, dont l’un rappelle, par l’ornementation, le célèbre tissu Ito du temple Horiushi, à Nara (Japon), publié par Strzygowski, et les autres (lions stylisés et affrontés, coqs richement ornés, scènes de l’Annonciation et de la Nativité, chasses au lion avec chiens et palmier au fond, Androclès terrassant un lion, dans des encadrements de cercles de feuillages, de cœurs, de gros pois et de fleurons), ont leurs analogues dans les étoffes des musées de Berlin, de Lyon ou de Bruxelles, publiées par MM. Julius von Lessing et Cox. Les motifs sont tissés, les fonds sont jaunes, rouges ou roussâtres, les dessins en noir violacé, les ornements d’une assez grande richesse de tons. Ces tissus de soie appartiennent, pour la plupart — ceux du moins dont les ornements et scènes sont nettement d’origine orientale — à cette variété que M. Julius von Lessing appelle sassanide ou persane ; ils remontent aux VIIe, VIIIe et IXe siècles. La scène de l’Annonciation elle-même, que nous reproduisons ici (fig. 10), est byzantine. Les inscriptions grecques de plusieurs nous révèlent leur origine, identique à celle des tissus du trésor de la cathédrale de Sens, retrouvés par MM. l’abbé Chartraire et Maurice Prou.

On voit, par ce trop rapide aperçu, que le contenu du coffre de Léon III valait la peine d’être examiné avec soin, et ceux qui ont pu trouver indiscrète l’insistance que nous avons mise pour sa divulgation nous pardonneront peut-être en lisant ces lignes. À défaut des Tables de la Loi que conservait le Saint des Saints de Jérusalem, le Saint des Saints de Rome renferme des objets d’une importance considérable, et même nous y avons trouvé, parmi les reliques, de la « manne » et la « verge d’Aaron », comme dans l’ « Arche d’alliance » du Temple de Salomon.

Ph. LAUER
  1. Je n’en donnerai ici qu’un exemple. Parmi les fresques de la fin du XIIIe siècle qui ornent la partie supérieure, l’une représente le Martyre de sainte Agnès. La sainte est debout devant le préteur romain, et le bourreau lui tranche la tête d’un coup de sabre. Marangoni, suivi par Rohault de Fleury, avait vu là le Christ dans les limbes : singulière méprise !
  2. Sur ces faits, voyez les Études, t. CIV, p. 722-13 (no  du 20 septembre 1905).
  3. Saint-Jean de Latran
  4. C’est un devoir de reconnaissance, autant qu’un plaisir pour moi, d’adresser ici mes plus vifs remerciements à MM. Léopold Delisle, A. de Boilisle, Perrot, Cagnat, Schlumberger, Héron de Villefosse, le baron de Baye, à S. E. le cardinal Vives y Tuto, à M. l’abbé X. Hertzog, à M. l’abbé Thédenat, aux TT. RR. PP. Cormier, Subiger, Pie de Langogne, Lemius, Florian Jubaru et surtout Louis-Antoine de Porrentruy.
  5. Je publierai prochainement une description beaucoup plus détaillée de ce trésor dans la collection des Monuments Piot, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
  6. On peut la rapprocher du coffret nuptial de Terracine (Xe siècle), exposé à Grottaferrata.
  7. Ed. L. Duchesne, t. 1er, p. 374.