Le Trombinoscope/Comte de Paris

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COMTE DE PARIS, louis-philippe-albert d’Orléans, nommé Comte de Paris parce qu’il était appelé à passer une grande partie de son existence autre part ; mais à l’époque où lui fut conféré ce titre, sa famille croyait que ça durerait toujours. — Il est né à Paris, le 24 août 1838, de parents aisés, qui, neuf mois et un jour avant sa naissance, sans consulter sa vocation, le destinèrent à régner sur la France. — Il est aujourd’hui le chef platonique de l’ancienne maison d’Orléans, dans laquelle son grand-père fit une brillante fortune et qu’il se propose de rouvrir incessamment dans l’un des plus grands locaux-actuellement en assez mauvais état — de la rue de Rivoli. — Le 24 février 1848, il y avait à peine six mois qu’il ne déshonorait plus sa paillasse la nuit, la duchesse d’Orléans, sa mère, lui dit en lui mettant ses bas et sa petite culotte fendue par derrière : « Toto… les Parisiens viennent de renvoyer ton grand-père, le moment est venu d’aller nous montrer au peuple !… » et elle emmena le jeune prince à la chambre des députés, envahie par l’insurrection, afin d’essayer sur la vile multitude un effet de veuve pâle et de mère éplorée, sur lequel elle fondait les plus brillantes espérances. Cette mise en scène, qui eût peut-être obtenu un succès fou à l’Ambigu avec Lucie Mabire dans le rôle de la mère, tomba à plat ; et le peuple, si facile à attendrir d’ordinaire, se contenta de répondre : « Nous sortons d’en prendre… le sapin de madame la duchesse et de monsieur son fils les attend en bas. » La duchesse emmena Toto, qui n’y comprenait pas grand’chose, lui acheta un éclair au chocolat chez un pâtissier de la rue Royale en lui disant : « Mon fils… souviens-toi toujours de ce que tu viens de voir !… ces gens mal mis qui nous flanquent à la porte, c’est ton peuple ; si un jour tu remets la main dessus… du reste, je t’expliquerai ça en Angleterre. » L’héritier de la couronne de France répondit : « Oui, m’man, » tout en se barbouillant les lèvres de chocolat jusqu’au coude, et douze heures après, la royauté française, balayée des Tuileries, s’en allait encore une fois monter en graine sur le sol étranger. — À partir de ce moment, et pendant une douzaine d’années, l’existence du comte de Paris n’offrit rien de remarquable. Confié aux soins des professeurs Regnier, de l’Institut, et Baudoin, célèbre mathématicien, il termina ses études littéraires et scientifiques, suivant d’un œil attentif le mouvement politique de la France, toujours prêt à lui offrir ses services et un abri protecteur sous l’illustre parapluie de ses ancêtres. — Il voyagea dans toute l’Europe, apprit plusieurs langues étrangères, et fit avec son frère, le duc de Chartres, la guerre d’Amérique dans les rangs de l’armée fédérale ; cet acte de libéralisme, qui ne lui coûta, du reste, pas la vie, puisqu’il avait eu la présence d’esprit de l’accomplir en qualité de capitaine d’état-major du général Mac Clellan, fut généralement considéré comme un prospectus envoyé indirectement à la nation française et dont la traduction peut se résumer ainsi :

« L’unique représentant de la maison Philippe a l’honneur de rappeler à la France qu’il est toujours là et la prie de remarquer qu’il a adopté pour nouvelle enseigne : Abolition de l’esclavage. Il se fera un plaisir de recevoir les commandes de la nation française, aussitôt qu’elle voudra bien l’honorer de sa confiance. Dans l’attente de ses ordres, il lui présente, etc., etc… »

Plus tard, de 1863 à 1869, le comte de Paris lança plusieurs réclames dans le même genre sous la forme de brochures extraordinairement démocratiques, traitant surtout des misères de la classe ouvrière, avec un attendrissement qui déchirait l’âme. On raconte qu’à la lecture d’un de ces ouvrages avant pour titre : Des Associations ouvrières en Angleterre, un brave marchand de dentelles de la rue Saint-Fiacre fondit en larmes en s’écriant : « Oh ! le bon jeune homme !… Il sera le père du peuple !… » et qu’il fallut pour empêcher qu’il ne se noyât dans ses sanglots, lui crier onze fois dans chaque oreille, que Napoléon III avant la lettre, avait, lui aussi, écrit un livre fortement républicain sur l’Extinction du Paupérisme. — Marié le 30 mai 1864, à la princesse Marie-Isabelle, fille du duc de Montpensier, le comte de Paris a une petite fille de 6 ans, ce qui nous est bien égal, et un petit garçon de 2 ans, ce qui nous le serait également si nous savions nous y prendre. — Quand éclata la Révolution du 4 Septembre, le comte de Paris dressa l’oreille et un plan. Il envoya en éclaireurs deux de ses oncles : de duc d’Aumale et le prince de Joinville, avec mission d’offrir leur épée au pays ; ils furent reconduits par Gambetta avec tous les égards dûs à des gens qui viennent prendre l’empreinte de la serrure d’un coffre-fort. Ils n’en continuèrent pas moins à rôder dans les environs, et l’imbécillité des betteraves aidant, ils furent nommés députés à l’Assemblée nationale en 1871 ; mais la validation de leurs élections fut retardée par le chef du pouvoir exécutif, M. Thiers, le finaud des finauds, qui ne voulait pas brusquer les choses ; et ils attendirent dans l’antichambre, envoyant de temps en temps au comte de Paris les dépêches les plus rassurantes sur l’avenir de sa restauration.

Au physique, le comte de Paris est un bon gros garçon qui ne ferait pas de mal à une mouche, et serait d’ailleurs très-embarrassé de l’attraper. — Il porte, en toutes saisons, sa barbe, des caleçons et un parapluie de coton. — Il se lève de bonne heure, allume un cigare et le fume sur le pas de sa porte, en attendant le passage du facteur de la gare voisine, lui demande invariablement s’il ne lui apporte pas la couronne de France, et sur la réponse négative du facteur, rentre et se met au travail jusqu’au déjeuner. Il écrit à ses amis des lettres commençant par ces mots : Éloigné de mon cher pays, je n’en ressens que plus vivement, etc., etc., et se terminant par ceux-ci : La France en toute occasion peut compter sur moi. Quand il a écrit ces lettres, il les relit, en rit comme un bossu et va faire un tour de promenade. — Le soir, il fait un bézigue à Marie-Isabelle, lui demande si leurs deux enfants ont toujours le corps libre et va se coucher à neuf heures. — L’opinion intime de Marie-Isabelle sur le compte de son mari, est que, s’il revient sur le trône, il ne reprendra probablement pas l’Alsace et la Lorraine ; mais que ses sujets deviendront si gras que l’on sera obligé de ne plus faire que douze places dans les intérieurs d’omnibus. — Le comte de Paris possède une voix de baryton assez agréable et chante avec beaucoup de complaisance, en s’accompagnant sur les baleines du parapluie royal, ce passage de Joconde qu’il affectionne particulièrement :

Quand on attend sa belle,
Que l’attente est cruelle !
Combien il sera doux
L’instant du rendez-vous !

Juillet 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Le comte de Paris, à la faveur d’un formidable gâchis, savamment préparé par M. Thiers, monte sur le trône de France, le.......... 187.. — Abreuve la nation de tant de libertés que celle-ci ne sait plus où les mettre. — Sort dans les rues à pied en fumant des petits bordeaux. — Se fait blaguer de son libéralisme à treize sous par le Tintamarre qui ne croit plus à rien, le.......... 187.. — Rentre chez lui vexé, supprime le Tintamarre. — Le Rappel prenant fait et cause pour le Tintamarre dans un article intitulé : Allons, bon !… v’là les bêtises qui recommencent, le roi furieux supprime le Rappel, le.......... 187.. — La population se soulève le.......... 187.. — Voyant que ça se gâte, le roi veut transiger, il amnistie le Tintamarre le.......... 187.. — Mais le.......... 187., le peuple lui crie le fameux : Trop tard ! le reconduit au chemin de fer et lui rend son parapluie. — 60 ans après, le.......... 19.. il meurt d’un asthme en disant à son petit-fils : Bébé, si jamais tu règnes, souviens-toi de ceci : Un roi qui ne fait pas de concessions est fini, un roi qui en fait est f…ichu, choisis… Quant à moi, si c’était à recommencer, je me ferais layetier-emballeur.