Le Trombinoscope/Duc d’Aumale

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DUC D’AUMALE, (henri-eugène-philippe d’orléans), né à Paris le 16 juillet 1822, est le quatrième fils du roi Louis-Philippe-Parapluie Ier. Comme ses frères, on le fit instruire au collége Henri IV, où il cotoya démocratiquement les fils des notables quincailliers de la capitale. Ce système d’éducation publique fit un excellent effet sur les boutiquiers de la Chaussée-d’Antin, qui se trouvaient honorés que leurs fils jouassent au chat couché avec un prince du sang. Seuls quelques esprits toujours chagrins ne donnaient guère dans ce genre de grimaces libérales, qui sont à la vraie démocratie ce que le sourire d’un candidat qui mouche les marmots de ses électeurs est au véritable amour du peuple. — Vapereau constate, avec un attendrissement qui aura beaucoup de peine à nous envahir, que le duc d’Aumale obtint sur les bancs du collége, des succès universitaires écrasants. C’est possible ; un fils de roi n’est pas tenu d’être plus bête qu’un autre ; il en a le droit, c’est déjà bien gentil ; mais les Adrien Marx, qui émaillent la basse-cour de toutes les monarchies, nous ont tellement limés avec les princes bacheliers ès-lettres de naissance, que nous aimons mieux croire tout simplement à la complaisante rouerie des pions du duc d’Aumale qu’au génie surhumain de leur élève. — Du reste, la précocité du duc d’Aumale ne tarda pas à se faire sentir d’une façon générale ; ainsi, à peine au sortir de l’enfance il devenait, par la mort du dernier des Condé, un millionnaire des plus distingués (17 ans !!) et grâce à ses aptitudes universelles, était nommé dans la même année, officier, capitaine, chef de bataillon et lieutenant-colonel de l’armée française en Afrique (18 ans !!!) ; ce jeune prodige avait, décidément, sinon des connaissances très-étendues, du moins de fort belles connaissances. — Atteint en 1841 par une fièvre, puis par une seconde, il fut rappelé par son père qui lui écrivit, à ce que prétend le Tintamarre : Reviens, il ne faut pas courir deux fièvres à la fois. Il accourut et fit à Paris son entrée triomphale (19 ans !!!!), à la tête du 17e léger. — En 1842, il fut créé maréchal de camp (20 ans !!!!!) et repartit en Afrique où il se signala par de brillants faits d’armes, naturellement !… Il prit Abd-el-Kader. On l’aida bien un peu ; mais s’il fallait que l’histoire entrât dans ces détails insignifiants, il ne lui resterait plus le temps d’admirer les princes que leurs soldats couvrent de gloire. Les troupes du duc d’Aumale ayant fait l’émir prisonnier, il était juste qu’elles en fussent récompensées : Louis-Philippe et son Amélie conférèrent à leur Fritz le grade de lieutenant-général (21 ans !!!!!!). À vingt-deux ans, le duc d’Aumale épousa la princesse Marie-Caroline-Auguste de Bourbon, fille du prince Léopold de Salerne — En 1847, le duc d’Aumale fut nommé gouverneur général (25 ans !!!) de nos possessions d’Afrique. Ce choix fit un peu grogner l’opposition.

Lorsque éclata la révolution de 1848, le duc d’Aumale quitta l’Algérie, alla rejoindre son père à Claremont et se joignit au prince de Joinville pour protester contre le bannissement de sa famille. — Pendant les vingt-cinq années que dura son exil, le duc d’Aumale se livra à des travaux littéraires qui attirèrent l’attention générale de quatre ou cinq douzaines d’imbéciles dont l’attention est toujours attirée par tout ce que font les princes prétendants, fût-ce de la tapisserie pour dessus de fauteuils. — Il écrivit dans la Revue des Deux-Mondes, publia sous le titre : Lettre sur l’Histoire de France une critique amère du gouvernement impérial qui fut poursuivie, et enfin, en 1868, une brochure indignée, intitulée : Qu’a-t-on fait de la France ?… Cet acharnement du représentant d’une dynastie à débiner les produits d’une autre, ne produisit pas sur le public tout l’effet que le duc d’Aumale en attendait.

Beaucoup de gens, qui prennent les choses par le bon bout, se plurent à comparer ces éreintements à ceux d’un pick-poket, s’efforçant de prouver que son confrère ne sait pas travailler et que ce n’est pas de cette façon là qu’on fait proprement un foulard. Le fait est qu’il est difficile d’entendre un d’Orléans reprocher à un Bonaparte d’avoir perdu son pays, sans penser qu’il manque un sous-titre à la brochure, par exemple celui-ci :

QU’AVEZ-VOUS FAIT DE LA FRANCE ?…
ou
NOUS AURIONS BIEN FAIT ÇA NOUS MÊMES !…

Après les désastreux événements de 1870, le duc d’Aumale revint en France et fut, en même temps que le prince de Joinville, nommé député à l’Assemblée nationale. À partir de ce moment, son attitude devint réellement princière et rappela les beaux jours de 1848, où le futur héros de Sedan entrait furtivement à l’Assemblée comme un voleur qui pénètre à la brune dans une maison pour s’y cacher à la cave en attendant minuit. — Afin d’obtenir la validation de son élection, le duc d’Aumale s’engagea a ne pas siéger. M. Thiers qui est l’homme de ces situations franches dans lesquelles personne ne voit clair, prêta la main à cet arrangement dont la stupidité n’échapperait même pas à un abonné du Constitutionnel. Un représentant qui s’engage à ne rien représenter !… on aurait en effet beaucoup de peine à trouver l’équivalent d’une jocrisserie pareille. À peine un auteur dramatique offrant une pièce à un directeur à la condition qu’elle ne sera pas jouée, pourrait-il donner une faible idée de cette combinaison politique d’une finesse si insaisissable que ceux-mêmes qui l’ont conçue se demandent où diable ils veulent en venir. La parole d’honneur (??), donnée par le duc d’Aumale de ne pas prendre part aux travaux de l’Assemblée, ne tarda pas à lui être aussi lourde sur l’estomac qu’un plat de haricots mal cuits, il s’en dégagea d’un cœur léger et vint en décembre 1871 prendre place à son banc. Là, il inaugura une nouvelle façon de remplir le mandat de député : il assista aux séances dont le menu lui plaisait, se promenant dans les couloirs et à la buvette quand les sujets traités ne l’intéressaient pas ou l’intéressaient trop ; toujours absent au moment des votes, il reçut le nom de duc d’Aumale de Nivelle. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il en est à cette phase aigüe de la fausse indifférence qui chez les princes à placer précède ordinairement les crises qui les guérissent et mettent leur pays au lit pendant dix-huit ans. Un point reste obscur dans la conduite du duc d’Aumale : Pour qui tient-il les cartes ? Les uns prétendent qu’il n’est que le simple cantonier de la dynastie des d’Orléans et n’a d’autre souci que de mettre en tas les petits cailloux sur les bords de la route que doit parcourir le comte de Paris. Les autres assurent, au contraire, qu’il prétend beaucoup plus à être le fils de ses œuvres que l’oncle de son neveu. Cette dernière opinion est celle de notre ami Lafosse qui l’a laissée percer en illustrant cette biographie. Nous respectons sa manière de voir conforme d’ailleurs à nos principes immuables qui consistent à mettre sur le dos des princes le plus de canailleries possibles à la fois. — L’Académie française vient d’élire le duc d’Aumale ; le jour où il arrivera au pouvoir, cela lui fera deux moyens de nous assommer.

Au physique, le duc d’Aumale, suivant quelques biographes complaisants, a le type d’un officier français ; mettons : sergent de ville et n’en parlons plus. Il traîne un peu la jambe par suite, dit Ulbach, de rhumatismes attrapés en Afrique ; au tarif, la France lui devrait deux cent cinquante francs de pension. Accordé. — Il fume la pipe, boit au bidon, goûte la cuisine du soldat, — les larmes nous en viennent aux yeux, — et fait enfin tout ce qui concerne son métier… de prétendant.

Janvier 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Le duc d’Aumale à la suite d’un mouvement d’humeur de l’Assemblée potagère de Versailles contre M. Thiers, est nommé président le... 18... — Il se lie à la République par le nœud d’un serment solennel le... 18... mais il a le soin de ne faire qu’une boucle. — Le... 18... il ramène le comte de Paris sur le trône de leurs pères, et continue avec son neveu l’avachissement du pays. — Quelques années après, le petit vélocipède IV qui a eu le temps de grandir à son tour dans l’exil, leur flanque par le nez le... 18... une brochure intitulée : Qu’avez-vous fait de la France ? et ainsi de suite (lire l’avenir dans le passé). Enfin le duc d’Aumale meurt le... 19... en Angleterre laissant un fils qui trois ans plus tard, lance à la tête du nouveau souverain que les betteraves nous ont donné, une brochure intitulée : Qu’avez-vous fait de la France ?… Nos facultés prophétiques ne nous permettent pas de voir plus loin que l’an 2527 ; mais à ce moment-là, ça dure encore et la librairie Internationale en est à la 271e brochure du prétendant portant le titre : Qu’avez-vous fait de la France ?