Le Trombinoscope/Touchatout

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Le Trombinoscope4 (p. 239-241).

TOUCHATOUT, Journaliste français, né à Paris, le… [Note Wikisource : passage à l’écriture manuscrite]

Mais, toute réflexion faite, j’aime mieux mouler cela moi-même de ma plus vilaine bâtarde. — Chers lecteurs !… depuis l’apparition du Trombinoscope, plusieurs d’entre-vous ont bien voulu me prier de m’introduire moi-même dans cette petite galerie, qu’il soit fait selon leur désir. Ainsi bien, ma vie n’a rien d’extraordinaire : — Tour à tour apprenti typographe, géomètre, comptable, et caissier, je suis venu, un beau matin, que je marchais sans regarder devant moi, me heurter le front contre une des colonnes d’un petit journal. Le choc avait été si rude que je restai sur la place. Quand je repris mes sens, j’avais une bosse énorme à la tête, et je n’étais plus bon à rien qu’à écrire des bêtises. J’en pris mon parti, et voilà comment vous avez devant vous un pauvre diable qui, sans cet accident, serait peut-être aujourd’hui un accordeur de pianos très convenable. — Vous n’attendez pas sans doute, chers lecteurs, que je vous dise ici tout le bien que je pense de moi ; pour cela, ma modestie est trop grande et le format du Trombinoscope trop petit. Voici ce qu’en pensent les autres, vous choisirez. — Vapereau me donne 41 ans ; je ne les lui avais pas demandés. Il dit que j’ai collaboré avec quelques succès à beaucoup de journaux satiriques ; le dernier Nain-Jaune (série bonapartiste) a dit que je n’étais qu’un pur imbécile sans aucun tanlent. — Le grand Dictionnaire Larousse accorde à mes quelques bouquins un peu d’esprit ; Paris-Journal assure au contraire que ces livres ne sont que des insanités. — Le Rappel me prête une certaine indépendance de plume ; Le Gaulois affirme que je suis vendu au prince Napoléon. — Le Siècle trouve que mes petites œuvres sont parfois gores[illisible], toujours honnêtes ; Le Pays les traite de «  orduriers » et d’« infamies ». — Pour les républicains, je suis un rieur de bon aloi ; pour les ramasstaballisties, je suis un « drôle », « un pitre » et un « mufle ». — Pour le premier passant venu, je suis un être comme un autre, que l’on peut même laisser entrer dans les omnibus ; pour Villemessant et Alfred d’Aunay je suis un « sinistre voyou ». — Vous voyez, chers lecteurs ; il y a du choix : faites vos petits paquets. — Il ne me reste plus qu’à vous parler de mon caractère, de mes goûts, de mes faiblesses… — Je crois que l’on peut juger un homme du haut en bas en lui demandant une description idéale du ciel dans lequel il espère aller un jour. Voici le paradis que je rève : un climat doux — plutôt un peu chaud. — dans tous les coins, des fontaines Wallace de café noir à la glace et tout sucré. — Une grande cage dans le milieu de l’Eden avec Xavier de Montépin, B. Jouvin et Alphonse Karr dedans ; Rien pour les abriter du soleil ; et moi ± me promenant autour avec grand panorama et cigares extraordinaires. — Sarah Bernhardt nous disant des vers après diner tous les soirs. Petit journal tintamarresque toujours à ma disposition pour y insérer des mots désagréables contre Belval de l’opéra et Saint-Genest. — Billards partout. Belles mères nulle part. Et puis tous les jours après mon café, être parrain d’un nouvel enfant d’Albert Wolff. — Sur ce, chers lecteurs, maintenant que vous connaissez l’homme à fond, tous mes amitiés, et Dieu vous garde du Vaudeville.

10 mai 1876.
(signé) Touchatout.