Le Vampire (Morphy)/71

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J.-M. Coustillier, éditeur (p. 412-415).

CHAPITRE VII

Départ pour Paris.

Caudirol savait maintenant à quoi s’en tenir relativement au trésor enfoui dans les caves du vieux château.

Il l’avait découvert sans difficulté et il pouvait en prendre possession quand il le jugerait à propos.

Après les incidents qui venaient de se passer, le défroqué avait tracé son plan de conduite pour l’avenir.

Nous le verrons à l’œuvre.

Après avoir sacrifié quelques jours à madame Le Mordeley, le faux duc de Lormières annonça son intention de repartir pour Paris.

La veuve fut inquiète.

— Je ne sais si je dois te laisser partir, lui dit-elle. Me reviendras-tu bien vite. Tiens, je suis comme un avare qui a peur de perdre son trésor…

— Et moi de même, fit à son tour Caudirol qui jouait sur les mots. Mon trésor est ici. Je ne le laisserai pas à d’autres.

Et il expliqua à l’héritière qu’il avait besoin d’aller chercher ses papiers afin de faire immédiatement la publication des bans.

— Alors, va, et reviens-moi aussi aimant, cher fiancé.

Caudirol organisa rapidement son départ.

Le soir même il prenait le train pour Paris.

Il avait été avisé du changement de résidence de Sacrais.

Ce fut chez lui qu’il se rendit tout d’abord.

Le faussaire fut tout surpris de voir arriver son chef inopinément.

— Ah ! ma foi, je suis charmé de vous voir, dit-il en l’introduisant. J’espère que vous avez de bonnes nouvelles à nous apporter. Ce ne sera pas dommage, car nos affaires ici sont en mauvaise voie.

— Oui, j’ai appris que vous aviez fait bêtise sur bêtise. Je suppose que l’une d’elles du moins est réparée à l’heure qu’il est.

— Quoi donc ?

— Mais la fuite de la gamine.

— Lydia ?

— Oui.

Sacrais se gratta l’oreille.

— Il n’y a rien de nouveau, fit-il d’un ton piteux.

— Comment ! exclama Caudirol, vous êtes resté tranquillement chez vous sans rien tenter pour la ravoir ?

— Ah ! non, par exemple. Nous avons bricolé toutes sortes de choses, des empoisonnements, des surprises, un tas d’histoires enfin.

— Et rien n’a réussi ?

— Tout a raté comme des pétards mouillés.

— C’est trop fort.

— Je crois que le diable s’en mêle, continua Sacrais. On dirait qu’ils savent à l’avance tout ce que nous projetons. Il est vrai qu’ils ont pour eux ce sacré gamin.

— Qui cela ?

— La Marmite.

— Ah ! il est installé dans cette maison.

— Parfaitement.

Caudirol fut stupéfait.

— Mais quels sont les gens qui habitent cette villa ?

— Un homme, un petit monsieur qui fait la cour à Lydia et une femme.

— Et ils se sont attachés La Marmite ?

— Il ne les quitte pas d’un instant. Je crois qu’il avait un tempérament de concierge. Ça vient de se révéler.

— Pour notre honte, oui !

Et le bandit serrait les poings furieusement.

— Il faut en finir, dit-il avec colère. Ce maudit garçon est plus fin que vous tous. Il évente vos pièges et voit toutes vos ficelles. Je me charge de l’affaire et ça ne traînera pas en longueur.

— Fichtre, pensa Sacrais, je n’en doute pas. Nous allons nous faire démolir les uns après les autres.

Il hasarda timidement :

— Quelle est votre idée ?

— Mon idée ? répéta Caudirol, mais elle est simple. Demain soir nous prendrons d’assaut la baraque.

Sacrais inclina légèrement la tête sans répondre.

— C’est cela même, fit-il à part lui, un joli système pour nous faire brûler la gueule ou coffrer.

Il reprit :

— Maintenant que c’est décidé, si nous parlions un peu de nos petites affaires. Le trésor…

— Je n’ai rien trouvé, déclara effrontément Caudirol. Il faut venir à Nantes et nous chercherons ensemble.

— Moi ?

— Eh ! oui, pourquoi pas.

— Au fait, fît Sacrais à demi-voix ; ça m’irait encore mieux que de prendre la bicoque de Noisy à la baïonnette…

— Plaît-il ?

— Je dis que c’est convenu. Je pars tout de suite si vous voulez.

— Non pas, avec moi, et dans quelques jours seulement.

— Alors vous avez vos entrées au château.

— Dame, j’épouse madame Le Mordeley.

Sacrais eut un haut-le-corps.

— Vous dites ?

— La simple vérité.

— Vous épousez madame Le Mordeley ?

— En personne.

Le faussaire n’en revenait pas.

— Elle est forte, celle-là, fit-il.

Et après un moment de réflexion il répéta :

— Vrai de vrai, vous vous mariez ?

— Mais oui.

— Et sous quel nom ?

— Sous celui du duc de Lormières.

— C’est risqué.

— Pas du tout. J’ai prévu les éventualités.

— Et votre état civil ?

— N’est-il pas en règle ?

— Au fait, c’est vrai, répondit Sacrais, j’ai arrangé toutes les paperasses le plus régulièrement du monde. Il ne vous manquera aucune pièce.

— J’y compte bien.

— Et madame Le Mordeley consent à cette union ?

— Avec enthousiasme ! Du coup je deviens légitime propriétaire du château et des souterrains.

— C’est merveilleux. Mais, au moins, dans cette brillante opération, avez-vous pensé à moi ?

Cette question de Sacrais fit sourire Caudirol.

— J’y ai pensé, fit-il.

— Que me réservez-vous ?

— Quelque chose d’inattendu, sûrement.

— Allons, tant mieux. Vous avez mieux travaillé que nous.

— Ce n’était pas difficile, fit Caudirol.

Ce fut ainsi que se termina cette nouvelle entrevue entre les deux gredins.

— Au revoir, maître, dit Sacrais.

— À demain, et surtout pas un mot de nos affaires à La Sauvage ni aux hommes.

— Compris.

Caudirol reprit le chemin de Paris.