Le Vieillard des tombeaux/2

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Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 26-34).




CHAPITRE II.

le ban.



Qu’au point du jour cent cavaliers attendent mes ordres aux portes du château.
Douglas.


Sous le règne des derniers Stuarts, le gouvernement avait résolu de comprimer par tous les moyens possibles l’esprit opiniâtre du puritanisme, qui avait été le principal caractère du gouvernement républicain. On voulait alors faire renaître ces institutions féodales qui unissaient le vassal au seigneur lige, et qui attachaient l’un et l’autre à la couronne. Des revues et des réunions fréquentes étaient prescrites par l’autorité, tant pour vaquer à des exercices militaires que pour se livrer à des jeux, à des divertissements. Ces mesures étaient impolitiques, pour ne pas dire plus ; car, comme il arrive d’ordinaire en de telles occasions, les consciences qui n’étaient d’abord que scrupuleuses, loin de céder aux menaces de l’autorité, devinrent inébranlables dans leurs principes ; et la jeunesse des deux sexes, pour qui le flageolet et le tambourin en Angleterre, ou la cornemuse en Écosse, auraient eu un attrait irrésistible, était d’autant plus portée à braver les ordres donnés, qu’elle savait qu’en agissant ainsi elle résistait aux ordres du conseil. Recourir à la force pour obliger les hommes à danser et à se réjouir est un moyen qui a rarement réussi, même à bord des négriers[1], où il était quelquefois employé pour engager ces malheureux captifs à agiter leurs membres et à rétablir la circulation pendant le court espace de temps qu’on leur permettait de rester sur le pont pour y respirer l’air à loisir. L’austérité des rigides calvinistes s’accroissait en proportion du désir qu’avait le gouvernement de la comprimer. Ce qui distinguait ceux d’entre eux qui professaient une extrême rigidité, c’était l’observance judaïque du dimanche, condamnation sévère des exercices mâles et des récréations innocentes, aussi bien que de la coutume profane des danses mêlées, c’est-à-dire des hommes et des femmes dansant ensemble dans une même réunion ; car je crois qu’ils considéraient cet exercice comme innocent lorsque les deux sexes s’y livraient séparément. Ils décourageaient, autant qu’il était en leur pouvoir, même les anciennes wappen schaws[2], comme on les appelait, lorsque le ban féodal du comté était convoqué, et que chaque vassal de la couronne était obligé en vertu de son fief, sous peine de très-fortes amendes, de paraître avec un certain nombre d’hommes armés. Les presbytériens voyaient avec peine ces assemblées, parce que les lords lieutenants et les shérifs qui les commandaient avaient reçu ordre du gouvernement de n’épargner aucune peine pour les rendre agréables aux jeunes gens ainsi réunis. On supposait que les exercices militaires du matin, et les jeux qui terminaient ordinairement la soirée, produiraient naturellement sur leur esprit un effet attrayant.

En conséquence les prédicateurs et les prosélytes les plus rigides employaient les remontrances et l’autorité de la parole pour diminuer le nombre de ceux qui assistaient à ces assemblées, persuadés qu’en agissant ainsi ils affaiblissaient non seulement la force apparente, mais encore la force du gouvernement, puisqu’ils empêchaient l’extension de cet esprit de corps qui s’établit si promptement entre jeunes gens habitués à se réunir pour se livrer à des jeux d’adresse ou à des exercices militaires. Ces prédicateurs redoublaient d’instances auprès de ceux qui pouvaient alléguer quelque motif plausible d’absence, afin de les empêcher d’assister à ces rassemblements ; ils étaient sévères, surtout à l’égard de ceux de leurs auditeurs qui ne s’y rendaient que par un pur sentiment de curiosité, ou par le désir de prendre part aux divertissements et aux exercices. Cependant les membres de la noblesse qui partageaient leurs doctrines se trouvaient souvent dans l’impossibilité de s’y conformer. Les termes de la loi étaient impératifs, et le conseil privé, qui avait le pouvoir exécutif en Écosse, appliquait dans toute leur sévérité contre ceux qui ne paraissaient pas à l’époque voulue, les amendes portées par les statuts. Les propriétaires fonciers étaient donc obligés d’envoyer au rendez-vous leurs fils, leurs fermiers, leurs vassaux, d’après le nombre de chevaux, d’hommes et de lances auquel ils avaient été taxés ; et il arrivait souvent que, en dépit de l’ordre exprès qui leur était intimé de revenir immédiatement après la fin de la revue, les jeunes gens en armes ne pouvaient résister au plaisir de prendre part aux jeux qui la suivaient : peut-être était-ce aussi pour se dispenser d’assister aux prières lues dans les églises à cette occasion. Les parents étaient alors plongés dans une affliction profonde ; ils pensaient qu’une telle conduite était en abomination devant Dieu.

Dans la matinée du 5 mai 1679, époque à laquelle commence notre récit, le shériff du comté de Lanark avait convoqué le ban d’un district presque sauvage, connu sous le nom de Upper-Ward Clydesdale[3]. Le rassemblement avait lieu dans une plaine vaste et unie, non loin du bourg royal, dont le nom importe fort peu ici. La revue terminée et dûment constatée, les jeunes gens devaient, selon l’usage, se réunir et se livrer à des divertissements d’espèce différente, dont le principal était connu sous le nom de Popinjay ou Tir du Perroquet, ancien jeu dans lequel on n’employait autrefois que la flèche ; mais à l’époque dont nous parlons on faisait usage des armes à feu[4]. Ce perroquet postiche, revêtu de plumes bariolées, était suspendu à une perche et servait de but aux compétiteurs qui, placés à une distance de soixante ou soixante-dix pas, déchargeaient en le visant leurs fusils et leurs carabines. Celui dont la balle abattait l’oiseau portait, pendant le reste du jour, le titre pompeux de Capitaine du Perroquet. On le conduisait ordinairement en triomphe à l’auberge la plus renommée du voisinage, où la soirée se terminait par un festin dirigé sous ses auspices, et commandé à ses dépens lorsque ses moyens pécuniaires le lui permettaient.

On pense bien que les dames du pays se rendaient avec empressement aux lieux où se donnait ce noble divertissement, excepté toutefois celles qui, observant dans toute leur rigueur les dogmes sévères du puritanisme, se seraient fait un crime d’encourager par leur présence les jeux profanes de ces pervers. Dans ces jours d’ignorance et de simplicité on ne connaissait ni landaus, ni barouches, ni tilburys. Le lord-lieutenant du comté, duc par son rang, osait seul prétendre à la magnificence d’une voiture à quatre roues, couverte d’une sculpture d’or un peu terne, ayant à peu près la forme de ces peintures vulgaires représentant l’arche de Noé, tirée par huit chevaux flamands à longs crins, et contenant huit personnes dans l’intérieur et six en dehors ou sur l’impériale. Dans l’intérieur étaient Leurs Seigneuries en personne, deux dames d’honneur, deux enfants ; un chapelain, logé dans une sorte d’enfoncement latéral placé en saillie près de la portière, et appelé à cause de cela botte ; et du côté opposé à cette partie de l’intérieur, était blotti l’écuyer de sa Grâce. L’équipage était conduit par un cocher et trois postillons portant de courtes épées et des perruques à trois queues. Des espingoles pendaient à leurs épaules, et des pistolets à leurs selles. Sur le marchepied, derrière ce manoir ambulant, se tenaient ou plutôt étaient suspendus en triple file six laquais à riches livrées et armés jusqu’aux dents. Les autres membres de la noblesse, hommes et femmes, vieillards et jeunes gens, étaient à cheval, suivis de leurs valets ; mais la compagnie, pour des raisons déjà connues, était plutôt choisie que nombreuse.

Après cette masse roulante que nous avons essayé de décrire, venait le modeste palefroi de lady Marguerite de Bellenden, portant la personne droite, empesée et ajustée à l’antique, de cette dame qui réclamait ses droits de préséance sur les nobles du pays, dont les titres ne pouvaient balancer les siens. Elle était vêtue de ses habits de deuil, qu’elle n’avait jamais cessé de porter depuis le jour où son époux avait été exécuté comme partisan de Montrose.

Sa petite-fille, l’objet de tous ses soins, et de toute sa sollicitude sur la terre, la belle Édith aux cheveux blonds, était généralement regardée comme la plus jolie personne d’Upper Ward : placée près de son aïeule, on eût dit le printemps à côté de l’hiver. Son cheval andalou, qu’elle gouvernait avec une grâce infinie, son amazone élégante, la riche selle qui la portait, tout avait été disposé pour faire ressortir avec avantage les dons qu’elle avait reçus de la nature. Ses beaux cheveux s’échappaient en anneaux du simple ruban vert qui les retenait. L’ensemble de ses traits doux et féminins n’était pas dépourvu d’une certaine expression de vivacité enjouée, et leur douceur était exempte de cette fadeur que l’on reproche quelquefois aux blondes et aux yeux bleus. Son extrême jeunesse, ses charmes naissants, fixaient plus encore l’admiration que l’éclat de son équipage et la beauté de son palefroi.

La suite de ces illustres dames ne répondait que faiblement à leur naissance et aux modes alors adoptées, puisqu’elle n’était composée que de deux serviteurs à cheval. Nous devons dire que, pour compléter la quotité d’hommes armés que sa baronnie devait envoyer à la revue, la bonne vieille dame avait été obligée de faire de ses domestiques autant de soldats, car elle n’eût pas voulu pour tout au monde se trouver en reste sous ce rapport. Son vieil intendant, la tête couverte d’un casque d’acier et portant de grosses bottes fort lourdes, conduisait sa petite troupe ; il disait avoir sué sang et eau pour vaincre les scrupules de certains vassaux et les subterfuges de quelques fermiers qui devaient fournir hommes, chevaux et harnais pour la revue. Enfin la querelle fut sur le point de dégénérer en hostilité ouverte, l’épiscopal irrité faisant aux récalcitrants les plus terribles menaces, et ceux-ci lui lançant en retour les foudres de l’excommunication calviniste. Que faire ? Il eût été facile de punir les réfractaires. Le conseil privé les aurait condamnés immédiatement à des amendes qu’une troupe de cavalerie se serait chargée de recueillir ; mais agir ainsi, c’eût été appeler le chasseur et les chiens dans le jardin pour y tuer le lièvre.

« Car, dit Harrison en lui même, les pauvres diables ont de bien faibles ressources, et si j’appelle les habits rouges[5], et que ceux-ci leur prennent le peu qu’ils possèdent, comment pourront-ils à la Chandeleur payer leurs rentes à ma vénérable maîtresse ? il est déjà fort difficile de les obtenir d’eux, même en des temps moins malheureux que ceux-ci. »

Ainsi déterminé, Harrison arma le fauconnier, l’oiseleur, le valet de pied, le garçon de ferme, et un vieux ivrogne de sommelier qui avait naguère servi avec le dernier comte Richard, sous les ordres de Montrose, et qui chaque soir étourdissait la famille des exploits qu’il disait avoir accomplis à Kilsythe et à Tippermoor : notre sommelier était à peu près le seul homme de la troupe qui témoignât quelque zèle dans la circonstance.

De cette manière et en recrutant un ou deux braconniers libres et autant de pêcheurs, Harrison compléta le contingent d’hommes armés que devait fournir lady Marguerite Bellenden comme propriétaire de la baronnie de Tillietudlem et autres domaines. Le jour même de la revue, Harrison rassemblait sa troupe dorée devant la porte de fer de la tour, lorsque la mère de Cuddie Headdrig, garçon de ferme, arriva chargée de bottes énormes, d’un justaucorps de buffle et d’autres accoutrements donnés à son fils pour le service du jour, et les plaçant devant l’intendant, l’assura d’un air grave que, soit que ce fût une colique, soit que ce fût un scrupule de conscience, ce qu’elle ne pouvait prendre sur elle de décider, Cuddie avait éprouvé la nuit dernière une indisposition subite et continue, et qu’il ne se trouvait pas mieux en ce moment : le doigt de Dieu était là, disait-elle, et son fils ne devait point se mêler à de pareilles corvées. On lui parla vainement de châtiments et d’amendes, vainement on la menaça, la bonne mère était obstinée, et Cuddie, chez lequel on fit une visite domiciliaire pour vérifier la nature de sa maladie, ne répondit que par de sourds gémissements. Mause, qui était une ancienne domestique de la famille, jouissait de quelque faveur auprès de lady Marguerite ; cette circonstance la rassurait, car lady Marguerite interviendrait, et son autorité ne pourrait être méconnue. Au milieu de ce contre-temps fâcheux, le génie inventif du sommelier lui suggéra un expédient.

« Il avait vu combattre sous Montrose des gens fort au-dessous de Guse[6] Gibbie ; pourquoi alors ne prendrait-il pas Guse Gibbie ? »

C’était un garçon de peu d’esprit, de très-petite stature, qui exerçait par héritage un emploi subalterne dans la basse-cour, sous les ordres d’une vieille ménagère ; car, à cette époque, dans une famille écossaise il y avait une subrogation de travaux vraiment étonnante. Cet enfant était aux champs. On l’envoya chercher sans plus tarder, on se hâta de l’affubler d’une cotte de mailles ; une énorme épée fut attachée à sa ceinture, ou, pour mieux dire, on attacha Gibbie à une énorme épée, on enfonça ses petites jambes dans de larges grosses bottes, on lui posa sur la tête un casque d’acier d’une telle ampleur qu’il semblait avoir été fait pour l’écraser. Ainsi accoutré, on le percha, d’après sa prière, sur le cheval le plus tranquille de la troupe ; et aidé et soutenu par le vieux Gudyill le sommelier, il passa la revue sans encombre, le shériff n’examinant pas de trop près les hommes d’armes d’une personne si bien pensante que lady Marguerite Bellenden.

Si donc la suite personnelle de cette dame s’élevait à deux laquais seulement, il faut attribuer cette circonstance aux motifs que nous venons de développer. Dans toute autre occasion lady Marguerite eût rougi de paraître ainsi en public ; mais pour la cause de la royauté, elle était prête en tout temps à faire des sacrifices sans bornes. Elle avait, au milieu des guerres civiles de cette malheureuse époque, perdu son époux et deux fils de la plus belle espérance ; mais elle avait reçu le prix de ses sacrifices ; car Charles II, en traversant l’ouest de l’Écosse pour marcher à la rencontre de Cromwell, aux champs infortunés de Worcester, s’était arrêté à la tour de Tillietudlem et y avait déjeuné. Cet incident formait une époque remarquable dans la vie de lady Marguerite, et elle laissait rarement échapper l’occasion de parler de ce repas et de détailler toutes les circonstances de la royale visite, n’oubliant pas de dire que Sa Majesté avait daigné l’embrasser sur les deux joues, quoiqu’elle omît cependant d’ajouter que le roi avait accordé la même faveur à deux fraîches servantes qui marchaient à la suite de milady, et que, pour ce jour-là seulement, elle avait élevées à la dignité de dames d’honneur.

Ces marques de la faveur royale avaient été décisives ; et certes la visite du roi au château, la faveur qu’il y avait accordée à lady Marguerite, auraient suffi pour enchaîner exclusivement cette dame à la fortune des Stuarts, si elle ne leur eût déjà été attachée par sa naissance, par son éducation et par la haine qu’elle portait au parti opposé qui avait causé tous ses malheurs domestiques. Les Stuarts semblaient triomphants alors ; mais lady Marguerite leur avait été dévouée dans les temps de désastres, et elle était prête encore à défendre la même cause, si la fortune venait à abandonner de nouveau cette famille, l’objet de son culte. Elle éprouvait alors les plus douces jouissances en voyant se déployer des forces imposantes prêtes à soutenir les droits de la couronne, et cherchait à dissimuler, autant qu’il lui était possible, la mortification que lui faisait éprouver l’indigne désertion de ses propres vassaux.

À la revue il y eut échange de civilités entre elle et les chefs des diverses familles honorables du comté qui y assistaient, et qui avaient toujours eu pour lady Marguerite la plus profonde vénération. Ce jour-là pas un jeune homme de famille ne passait près d’elle et de sa petite-fille sans se tenir ferme sur la selle, et sans faire caracoler son cheval pour faire briller aux yeux de miss Édith ses talents en équitation et la légèreté de son coursier. Mais les jeunes cavaliers distingués par leur haute naissance et leur loyauté éprouvée attiraient l’attention d’Édith, autant seulement que l’exigeaient les lois de la courtoisie ; elle recevait avec un certain air d’indifférence les compliments qui lui étaient adressés, et dont plusieurs étaient quelque peu usés, quoique empruntés aux longs et insipides romans de La Calprenède et de Scudéry, dans lesquels les jeunes gens d’alors cherchaient des modèles de galanterie, qui furent ensuite rejetés, quand la folie, jetant son lest, eut remplacé ces lourds vaisseaux, tels que les romans de Cyrus, Cléopâtre et d’autres, par de légères barques tirant aussi peu d’eau, ou pour parler plus clairement, consumant aussi peu de temps que la petite chaloupe sur laquelle l’indulgent lecteur a daigné s’embarquer. Mais il était écrit cependant que le jour ne s’écoulerait pas sans que le calme de miss Bellenden fût troublé.





  1. Navires qui font la traite des nègres. a. m.
  2. Mot écossais désignant une revue de troupes. a. m.
  3. Upper ward, partie supérieure, et Chydesdale, le vallon de la Clyde. a. m.
  4. La fête du Popinjay ou du Perroquet est encore, je crois, célébrée à Maybole, dans le comté d’Ayr. Le passage suivant, extrait de l’Histoire de la famille de Somerville, a donné l’idée de la scène qu’on lit dans le texte. L’auteur de ce curieux manuscrit célèbre ainsi la conduite de son père au milieu de l’assemblée qui assistait à cette fête.
    « Ayant passé les années de l’enfance (il en avait dix alors), son grand-père le mit à l’école pour étudier la grammaire. Il y avait dans le village de Delserf un maître fort habile qui l’enseignait, et qui préparait les jeunes garçons se destinant à entrer au collège. Pendant le temps que dura son éducation dans cet endroit, on avait l’habitude de célébrer, chaque année, le premier lundi de mai, par des danses autour d’un mai, par le tir de boîtes d’artifices, et divers autres amusements alors en usage. Comme à cette époque il n’y avait pas dans ce lieu de marchands qui pussent fournir aux élèves ce dont ils avaient besoin pour leurs jeux, notre jeune homme résolut de s’en procurer lui-même autre part, afin de pouvoir figurer au milieu des plus braves de ses condisciples. En conséquence, il se lève à la pointe du jour, et se rend à Hamilton ; là, avec l’argent qu’il avait emprunté à ses amis ou qu’il s’était procuré d’une autre manière, il fait emplette de rubans de diverses couleurs, d’un chapeau neuf et de gants. Mais ce fut surtout pour la poudre à canon qu’il dépensa le plus d’argent ; il en acheta une grande quantité, tant pour son propre usage que pour suppléer aux besoins de ses camarades. Ainsi chargé de provisions, mais la bourse vide, il revint à Delserf vers sept heures, ayant marché ce dimanche matin-là l’espace de huit milles ; il met ses habits et son chapeau neuf, qu’il garnit de rubans de toutes couleurs, et dans cet équipage, son petit fusil sur l’épaule, il marche vers le cimetière, où le mai avait été planté, et où la solennité du jour devait être célébrée. Dans le premier jeu, celui du ballon, il égala tous ses rivaux ; et lorsqu’il s’agit de tirer au blanc, il montra tant d’adresse en maniant son fusil, eu le chargeant, en le déchargeant, et il frappa tellement près du but, qu’il surpassa de beaucoup tous ses condisciples. Aussi, avant d’avoir atteint sa treizième année, le chargea-t-on de leur enseigner l’art dans lequel il s’était montré si expert. Et, en effet, j’ai souvent admiré sa dextérité, tant au milieu des récréations que lorsqu’il exerçait ses soldats. Je l’ai moi-même accompagné au tir lorsque j’étais encore jeune homme ; et quoique ce passe-temps fût mon exercice favori, cependant il m’était toujours impossible d’arriver à sa perfection. Le jour de la fête terminé, il recueillait les applaudissements de tous les spectateurs, la bienveillance de ses condisciples et l’amitié de tous les habitants de ce petit village. » a. m.
  5. Cavaliers anglais. a. m.
  6. Guse, mot écossais qui veut dire oie, et gibbie, imbécile. a. m.