Le Voyage artistique à Bayreuth / V- Analyse musicale – (7/14) Les Ensembles

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Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. 283-285).


Les ensembles sont rares, sauf dans Tannhauser et Lohengrin, qui participent encore, en cela notamment, de la coupe de l’opéra.

À partir de Tristan, abstraction faite des Maîtres Chanteurs, où ils jouent un rôle considérable, on peut les compter :

Dans le Duo qui termine le 1er  acte de Tristan il y a un ensemble de 42 mesures ; le grand Duo du 2e acte, scène II, donne lieu à quatre ensembles tous admirables, le premier commençant par un dialogue de plus en plus serré, le dernier contenant des dissonances fort curieuses, car elles sont aussi douces à entendre que cruelles à la lecture.

Dans l’Or du Rhin, les cris de joie des nymphes et l’Adoration de l’Or ; à la scène III, Wotan et Loge disent quelques mots ensemble ; dans la Walkyrie, l’Octuor vocal de la Chevauchée, dont parfois les huit parties sont indépendantes ; dans Siegfried on ne peut pas considérer ainsi les quelques notes simultanées de Mime et de Siegfried à la fin du 1er  acte ; mais au 3e, au moment du réveil de Brünnhilde, il y a un véritable ensemble d’une douzaine de mesures, puis un autre, plus développé, qui termine la pièce ; dans le Crépuscule des dieux, les Nornes chantent bien un instant à la fois, mais à l’unisson ; ensuite Siegfried et Brünnhilde terminent leur Duo par quelques exclamations en 3ces ou 6tes ; autre ensemble de quelques mesures lorsque Siegfried et Gunther signent leur pacte le verre en main ; à la fin du 2e acte, un véritable Trio entre Brünnhilde, Gunther et Hagen ; au 3e acte, le séduisant Trio des Filles du Rhin, très développé, qui devient même Quatuor par l’arrivée de Siegfried.

Dans Parsifal on n’en trouve pas un seul.

On remarquera, dans cette énumération, que les ensembles n’ont jamais lieu qu’entre personnages ayant à exprimer des sentiments analogues. Partout ailleurs chacun parle à son tour, comme dans la tragédie classique, ce qui est beaucoup plus intelligible, et sans répéter les vers, ce qui est bien plus vivant.

Peu de choses sont connues sur la manière de composer de Wagner. Ce qui est certain, c’est qu’il écrivait d’abord son poème, et n’entreprenait de le mettre en musique que lorsqu’il était complètement achevé, parfois même après l’avoir laissé reposer plusieurs années : le poème de Tannhauser fut terminé en 1843, et la musique en 1845 ; le poème de l’Or du Rhin fut terminé en 1852, et la musique en 1854.

En ce qui concerne la musique, il la concevait comme Beethoven, en marchant, en allant, venant et gesticulant ; quand elle commençait à prendre corps, il se la jouait à lui-même au piano, assez gauchement, dit-on, pour bien en arrêter les contours, puis seulement alors il entreprenait d’écrire. Il écrivait sur deux ou trois portées comme pour le piano ou pour l’orgue, peut-être aussi parfois sur un plus grand nombre, et il ne passait au travail d’orchestration qu’après avoir parachevé la composition : le Crépuscule des dieux fut terminé en 1872, son orchestration en 1874 ; Parsifal fut terminé en 1879, son orchestration en 1882.

De plus, il menait toujours plusieurs œuvres de front, généralement deux, travaillant simultanément à la musique de l’une, au scénario de l’autre.

Tout cela est fort déroutant ; car lorsqu’on examine de près son œuvre, tout, poème, déclamation lyrique, contexture mélodique et harmonique, orchestration, ne forme plus qu’un seul bloc, et il semble, tellement est parfaite la cohésion de toutes ces parties, que l’ensemble a dû être lui-même coulé d’un jet, la musique venant s’adjoindre d’elle-même à la parole, et entraînant nécessairement à sa suite des combinaisons instrumentales qui ne sauraient être autres que ce qu’elles sont, tellement elles réalisent l’idéal de la perfection. C’est là une illusion ; le labeur était beaucoup plus complexe, et plus longue la gestation : la première ébauche des Maîtres Chanteurs, terminés en 1867, remonte à 1845 (22 ans d’écart) ; la première ébauche de Parsifal, terminé en 1882, date de 1857 (ici 25 ans) : c’était Le Charme du Vendredi saint.