Le Vrai Livre des femmes/05

La bibliothèque libre.
E. Dentu (p. 47-54).


CHAPITRE V.

LA FEMME MARIÉE.


Le mariage, ce sacrement devant l’Église, que la loi française rend indissoluble, est-il considéré comme un acte de haute moralité et les contractants se pénètrent-ils suffisamment de l’importance des devoirs que leur nouvelle condition leur impose ? Il y a certainement de saintes unions, de bons mariages, où les époux sont liés par le cœur et s’entre-aident pour l’éducation de leurs enfants. C’est à l’accord de ces couples que l’on doit la transmission du bien dans l’humanité, comme c’est à la désharmonie des autres que l’on doit la propagation du mal.

L’individualisme, en face de la Société, a pris des proportions gigantesques, l’amour de soi a supprimé l’amour de tous et c’est de cet égoïsme absolu que notre siècle a tiré sa façon d’être. On ne se marie pas pour remplir le vide de son cœur, pour se donner une compagne avec qui accomplir le but de la vie.

La nature provoque la jeunesse à s’unir. L’imagination appelle l’amour ; le plaisir lui répond… Plus tard, c’est la débauche qui parle…

Les jeunes gens pauvres prennent une femme parce qu’ils ne peuvent pas se payer une maîtresse ; les jeunes gens riches prennent une maîtresse parce qu’ils ne sont pas pressés de se donner une femme. L’ouvrier qui se marie pense à l’ordre que sa ménagère mettra au logis. L’oisif qui se marie, pense à la dot qu’il palpera. L’un se voit un aide ; l’autre se voit de meilleures rentes. La femme de celui-ci aura toute la charge des enfants ; la femme de celui-là apportera de quoi les faire élever. L’ouvrier, garçon, se marie pour avoir un intérieur. L’oisif, garçon, se marie quand il a ruiné sa bourse et sa santé. Celui-là ne recherche pas le mérite ; il demande à combien s’élève la dot.

De son côté, souvent la jeune fille riche s’est habituée à considérer le mariage comme un marché où chacun cherche à tromper l’autre. Elle n’attend de son fiancé ni tendresse ni dévouement. Ils se conviennent au point de vue de l’intérêt, rien de plus.

Le mariage contracté, chacun reprend ses habitudes et rentre dans l’indépendance d’action qui bientôt éloigne les époux l’un de l’autre.

La femme, par la coquetterie, se discrédite en croyant se venger ; le mari trouve le dégoût où il comptait sur le plaisir ; tous deux cherchent à s’étourdir. Bientôt l’indifférence les conduit au mépris, le mépris à la haine et la haine au désordre qui rend tout possible !

Selon nous, pour transfigurer le mariage, il faudrait transformer l’enfance et reprendre la vie à sa base. Depuis des siècles et des siècles, la science fait des pédants, l’humanité tâtonne ; l’omnipotence de l’homme est absolue, et le progrès, loin d’améliorer la société, ne fait que la pousser à sa perte. N’y a-t-il pas là le principe d’un mal dont il faut attribuer la cause à l’éducation faussée des sexes qui se trahissent où ils devraient se prêter appui ?

L’existence individuelle se complique de mille difficultés que l’existence collective évite. Le chacun pour soi, le chacun chez soi, multiplie les besoins et restreint les ressources.

Nous n’avons pas à établir ici des calculs de chiffres, les statisticiens savent qu’à isoler les hommes, on accroît leur budget, et qu’on le simplifie en les associant.

C’est sur la question d’intérêt que se règlent presque tous les mariages. La dure loi de la nécessité fausse les rapports sociaux. On se lie, on ne s’unit pas. L’amour, attraction naturelle à la jeunesse, n’existe plus. On sacrifie le sentiment au devoir, le devoir au calcul, et le sacrement du mariage devient une affaire.

Comment nos graves moralistes, nos grands penseurs, ne sont-ils pas frappés du désordre qui déborde à tous les degrés de l’échelle sociale ? Et s’ils le voient, comment n’y cherchent-ils pas un remède ? Les légistes ont mis dans les lois toute la rigueur qui les rend fortes. Ont-ils empêché le mal ?

Les prêtres ont érigé en tribunal l’autel de la pénitence, ont-ils tué le vice et prévenu le crime ? Dans les lycées, les professeurs ont largement répandu la lumière. Le gouvernement n’a rien épargné pour le maintien de l’ordre ; d’où vient que la ruse et l’audace vont le front haut, que l’intrigue marche à visage découvert, que l’ambition conduit à la faveur, le désintéressement à la misère, la probité à l’hôpital ?

Les hommes ont crié néant aux femmes… Enfants, ils en ont fait des jouets ; jeunes filles, des poupées parlantes ; jeunes femmes, des esclaves ; et la récolte est selon la semence. Tant que la femme ne sera pas en possession d’elle-même, tant qu’elle n’aura pas son libre arbitre, on la trouvera au-dessous de la mission que Dieu lui a assignée dans la famille. Il ne s’agit point d’intervertir les sexes et de donner à l’un les attributions de l’autre. La maternité sera éternellement la sublime part de la femme. Elle transmet et conserve de génération en génération le type humain, pourquoi donc n’est-elle pas élevée en moralité intelligente ? La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure : employons la logique et faisons taire le préjugé.

La femme, dès sa première jeunesse, n’épargne rien pour plaire à l’homme ; si sa grâce naturelle ne suffit pas, la ruse, arme du faible, lui vient en aide. Belle, les hommages l’enivrent ! Bonne, on lui permet d’aspirer à plaire, et si on l’épouse, c’est que sa dot a du poids.

Quant à l’éducation générale des femmes, elle est jetée pour toutes dans le même moule. La fille du peuple apprend à lire passablement, à écrire un peu, à calculer tant bien que mal et à faire œuvre de ses doigts. Pour les autres classes, en France, on gradue l’enseignement non selon le rang, mais selon la fortune. N’est pas instruit qui veut, est instruit qui paie. Et qu’apprend-on aux jeunes filles destinées à devenir mères ? ce qui doit les faire briller dans un salon, non ce qui ferait fructifier en leur cœur la semence du bien. On développe en elles l’émulation en leur donnant l’amour-propre pour levier. De là les rivalités, les haines et tout le cortége menteur que la coquetterie met au service de la ruse. Pour triompher d’un cœur qu’elle a convoité, la jeune fille emploie les séductions de la grâce, l’artillerie du regard, l’éloquence du sourire ! Cousue aux jupons de sa mère, il lui semble que, du jour où elle aura le bras d’un époux pour son bras, elle volera de ses propres ailes. Erreur ! le préjugé, cette sottise des siècles, met une barrière à la liberté de l’épouse ; elle prétend être l’égale ? lui, veut être le maître absolu. La dispute naît de la discussion, et quand, par diplomatie, la femme ne se résigne pas à ruser comme une esclave, elle se révolte, outragée dans sa liberté, méconnue dans sa dignité.

Est-il besoin de violence pour éviter l’un ou l’autre de ces deux dangers ? non, où préside la justice, s’annule le droit : où est l’égalité, l’autorité n’existe plus et le mariage est saint entre deux êtres égaux !

Jeunes hommes qui livrez à la débauche les plus belles années de votre vie, n’apportant à vos femmes qu’un cœur flétri, qu’une imagination décolorée, ne vous en prenez qu’à vous de l’entraînement que le monde leur inspire ; vous aviez compté sur une garde-malade ? c’est une enfant, avide de plaisirs, qui vous a été donnée. Ne la laissez pas aller au hasard, dirigez-la, ramenez-la. Si, à défaut d’amour, vous méritez son estime, un jour la maternité fera, pour elle, plus que vous-même.

Les hommes ne doivent point imputer aux femmes les travers qu’elles caressent. Eux seuls sont les maîtres, eux seuls font les lois, eux seuls dirigent le monde. Et, dans un siècle où l’argent tient lieu de tout, la femme de mérite sans dot ne trouve qu’exceptionnellement un mari. La généralité des filles pauvres coiffent sainte Catherine.

De cette exclusion, justifiée par les difficultés réelles de la vie, résultent les mauvais mariages. On se recherche sans se connaître et l’on se met au cou une chaîne.

Régler son budget, en discuter les charges, là est la communauté. Mais le mariage garanti sur espèces, est-il cet acte sacré qui confond deux destinées et que la mort seule peut rompre ! En vérité, les unions devant l’intérêt sont les antipodes du mariage devant la conscience ; et si la société manque de lien, c’est que tous ne concourent pas, dans la mesure de leurs forces, à garantir à chacun son pain quotidien, sa place au soleil. Dans cette œuvre commune, les femmes auraient leur part, sans empiéter sur des attributions qui ne sont ni dans leurs goûts ni dans leurs moyens. Que la balance du droit soit tenue juste, que l’homme regarde avec équité sa compagne et, successivement, toutes les plaies dont souffre l’humanité disparaîtront : la femme, être passif, deviendra active. Il nous reste à prouver, par des exemples, ce que peut une mère sur son entourage.