Le Yo-San-Fi-Rok

La bibliothèque libre.
G. Charpentier (p. 287-291).


Les Japonais, sont passés maîtres dans l’art d’élever les vers à soie et de conserver la graine de façon à ce que la race ne perde rien de sa vigueur et de ses qualités ; c’est auprès d’eux que l’on pourrait faire des études fructueuses, et si leurs nombreux traités de sériciculture nous étaient connus, il n’est pas douteux qu’ils nous fourniraient de très-intéressantes instructions ; un seul de ces livres est parvenu jusqu’à nous, c’est celui qui a pour titre : Yo-san-Fi-Rok, Histoire secrète de l'éducation des vers à soie. Cet ouvrage, que toute magnanerie devrait posséder, commence par un résumé des traditions séricicoles des Chinois. (L’art d’élever les vers à soie est venu au Japon de la Chine et de la péninsule Coréenne, les Japonais ne l’oublient pas.) Voici ce résumé auquel nous conserverons l’originalité de son style exotique :

Lorsque le troisième mois est arrivé, on fait sécher la graine, puis à l’heure de midi on la trempe dans l’eau fraîche. On a soin ensuite de la garantir de toute poussière.

On fait sécher et l’on chauffe le local destiné aux vers, et on se tient prêt à les recevoir après l’éclosion.

Cette époque est-elle arrivée, on va cueillir du côté du soleil levant des feuilles fraîches et tendres qu’on distribue avec beaucoup de soin.

Avant le repos des vers, la distribution doit se faire avec tranquillité, sans bruit.

Après leur réveil, on les nourrit légèrement.

Arrive enfin l’époque du filage : les vers commencent alors à se dresser, ils portent leurs regards vers les sources nuageuses du Dragon (la constellation du Lion).

Ils se couchent tous simultanément, se courbent comme des tigres accroupis et, après une nuit tranquille, aussitôt que les premiers rayons du soleil les éclairent, leur instinct les porte tout à coup à vouloir se dresser vers le ciel.

Enfin, lorsqu’ils sont prêts à s’entourer de leur réseau, on leur prépare des broussailles, des ramilles, et on les transporte dans un local chauffé dont on a soin d’écarter les ardeurs du soleil de l’après-midi.

C’est seulement lorsque les cocons sont entièrement terminés que se fait la libation aux génies titulaires des vers à soie ; dès lors on est partout en fête, les voisins se rendent visite et les vieilles gens font des cadeaux aux enfants, tandis que les « mères des vers à soie » recommencent à songer à leur toilette et à leur coiffure.

Ce document, empreint d’une si grande simplicité, est fort antique ; la sériciculture existait en Chine dès l’an 2602 avant notre ère ; ce n’est que dans la seconde moitié du sixième siècle que la culture de la soie devint une branche importante de l’industrie japonaise.

Le Yo-san-Fi-Rok entre ensuite dans les plus minutieux détails des meilleurs moyens de faire venir à bien les chers nourrissons. Comme les antiques Chinois, ils recommandent aux femmes qui se chargent de l’élevage des vers, de ne plus songer à leur toilette ni à leur coiffure jusqu’au jour où les cocons seront terminés. Ils leur recommandent aussi une parfaite égalité d’humeur : « Il est reconnu, disent-ils, que les vers soignés par des personnes ayant un mauvais caractère réussissent mal. »

Mais voici des renseignements plus sérieux :

Pendant le repos du faucon (c’est le deuxième sommeil des vers), évitez les vents froids et l’humidité, donnez beaucoup d’espace à la couvée, et n’amoncelez pas la nourriture.

Pendant le repos de la cour (le quatrième sommeil), craignez la pluie et l’humidité, donnez beaucoup d’espace à la couvée et autant de nourriture qu’elle voudra. Gardez-vous d’une chaleur excessive. Et ceci qui nous semble surtout digne d’attention : Lorsque les papillons sont sortis des cocons, séparez les mâles d’avec les femelles (les mâles voltigent, les femelles se tiennent tranquilles). Puis réunissez-les depuis cinq heures du matin jusqu’à une heure de l’après-midi, ensuite jetez les mâles.

Par ce procédé, paraît-il, on obtint une plus grande égalité dans l’éclosion et plus de vigueur chez les élèves.

Les Japonais possèdent plusieurs espèces de vers à soie et les nomment : l’enfant de l’été, l’enfant cendré, le vieil enfant de l’automne, l’enfant au drap d’or, mais ils cultivent presque exclusivement les vers qui donnent des cocons blancs. Il paraît que cette espèce s’acclimate plus difficilement chez nous car nous en élevons peu.

Le ver de la neige, que l’on trouve sur certaines montagnes de la Chine, dans les neiges éternelles, forme un cocon de la grosseur d’un concombre ; le cocon du ver à soie d’eau, qui se tient aussi sous la neige ou sous la gelée blanche, atteint la longueur d’un pied ; les tissus que l’on fabrique avec ses fils diversement colorés sont imperméables ou incombustibles ; ces étoffes sont, en outre, légères, chaudes et douces.