Le chemin de fer du lac Saint-Jean/VIII.

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Léger Brousseau, imprimeur-éditeur (p. 31-33).


VIII


Il y a neuf ans exactement, alors que les travaux de construction avaient à peine atteint la rivière Batiscan, à 85 milles de Québec, alors que personne, à part quelques rares initiés, ne voulait encore rendre justice à la Compagnie ni croire à la sincérité de ses motifs, je fis, dans une grande salle publique de la ville, à quelques mois d’intervalle, deux conférences, la première pour détruire les préjugés existants et montrer au public que la ligne se poursuivait toujours, encore bien plus rapidement qu’on ne l’eût pensé ; la seconde, lorsque la ligne, après une nouvelle saison d’ouvrage seulement, avait déjà franchi tout l’espace compris entre la Batiscan et le lac Édouard, et donnait désormais des preuves non équivoques de ce qui allait suivre, d’autant plus que les travaux se poursuivaient avec une ardeur ininterrompue.

Ce fut comme une révélation. Dès lors les langues commencèrent enfin à rentrer et les yeux à s’ouvrir. On se demanda si, réellement, la Compagnie était sérieuse et il y en eut qui lui en voulurent d’être sérieuse, parce que cela démolissait leurs prédications et leur donnait un démenti cruel.

Mais, désormais, le champ était ouvert largement devant soi et tous les yeux se tournèrent de ce côté. Des clubs de chasse et de pêche se formèrent aussitôt à l’envi les uns des autres, des terres se défrichèrent, des exploitations nouvelles s’établirent, des endroits absolument inconnus devinrent familiers à tous les esprits, en même temps que s’y groupaient des centres naissants, enfin tout un monde allait surgir du sein de ce vaste espace désert qui allait enfin, d’inhabitable qu’il était encore quelques mois auparavant, devenir habité et fréquenté par un flot toujours grossissant de population et de voyageurs.

Sans doute, et nous sommes loin de vouloir contester ce fait, l’étendue de pays qui se déploie entre les Laurentides et le bassin du lac Saint-Jean n’est, au point de vue agricole, qu’une assez maigre et peu séduisante conquête. Mais quelle admirable région forestière et lacustre ! Quelles richesses industrielles sont encore enfouies dans ce sol que lacère en vain le soc de la charrue ! On a estimé qu’il y avait là, encore debout, pour cinquante millions de dollars de bois de toutes les espèces indigènes ; et quant aux lacs, lorsqu’un jour ils seront convenablement exploités, nos gouvernements, qui ont commencé seulement d’hier à en tirer un modeste prix de location, y trouveront des revenus suffisants pour faire face à bien des petits déficits habilement dissimulés et à de nombreuses nécessités de patronage.