Le concile de Paris de mai 1310

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Revue des questions historiquesannée 60, série 3, tome 19 (p. 358-361).


Le concile de Paris de mai 1310


Tous les hommes, même les plus éminents, sont susceptibles de se tromper : Errare humanum est. Aussi, quand, dans une de ces œuvres admirables que nous ont laissées les érudits des siècles précédents, comme l’Art de vérifier les dates, il nous arrive de trouver une erreur, nous estimons que c’est un devoir de la signaler, car un ouvrage de ce genre, constamment consulté, peut servir de base à bien des travaux.

Dans l’édition in-folio de l’Art de vérifier les dates, t. I, p. 205, nous lisons à l’année 1310 de la Chronologie historique des Conciles : « Parisiense XXXVIII, par Philippe de Marigni, archevêque de Sens, depuis le 11 jusqu’au 26 octobre. On y examina la cause des Templiers, dont les uns furent renvoyés absous, les autres relâchés avec une pénitence qu’on leur imposa, et cinquante-neuf condamnés, comme relaps dans l’hérésie, à la peine du feu ; ce qui fut exécuté dans un champ près de l’abbaye de S. Antoine, malgré les protestations que les accusés firent de leur innocence. » Dans l’édition in-8o, deuxième partie, tome III, p. 204, la même mention est reproduite et nous la trouvons répétée dans le Trésor de Chronologie, col. 1309[1]. Enfin, l’édition de la Chronique latine de Guillaume de Nangis publiée par Hercule Géraud pour la Société de l’histoire de France, t. I, p. 377, à l’année 1310, donne cette version : « Concilium Senonensis provinciæ propter factum Templariorum ab undecima die ad vigesimam sextam diem octobris, Philippo tunc archiepiscopo præsidente, Parisius celebratur, » corrigeant le texte imprimé par d’Achery dans son Spicilège[2], et remplaçant par « octobris » le mot « secundo » qui était une faute.

En face de cette date du 11 au 26 octobre 1310 donnée par l’Art de vérifier les dates, le Trésor de Chronologie et la version adoptée par H. Géraud dans son édition de la Chronique latine de Guillaume de Nangis, une autre date se trouve dans d’autres ouvrages également estimables. La Gallia Christiana[3], dit que ce concile fut ouvert « V idus maii », soit le 11 mai, et que les Templiers furent brûlés le lendemain « IV idus maii » en la fête des saints Nérée et Achillée, soit le 12 mai. Raynouard, dans ses Monumens historiques relatifs à la condamnation des chevaliers du Temple[4], donne aussi les mêmes dates des 11 et 12 mai. Héfelé, dans son Histoire des Conciles[5], sans indiquer le jour, dit que ce concile se tint au mois de mai 1310. Georges Lizerand, dans Clément V et Philippe le Bel[6] donne le 11 mai comme date d’ouverture[7].

Pour arriver à déterminer exactement quelle est celle de ces deux dates, mai ou octobre 1310, qui doit être la bonne, il faut se reporter aux documents contemporains dans lesquels les mêmes événements sont rapportés[8].

Les Grandes Chroniques[9] donnent sur eux des indications très précises : « En l’an de Nostre Seigneur mil trois cent et dix, pluseurs Templiers à Paris[10], vers le moulin Saint-Antoine comme à Senlis, après les conciles provinciaux sur ces choses ilec célébrées et faites furent ars, et les chars et les os en poudre ramenés : desquiels Templiers dessus dis cinquante-quatre, le mardi après la feste de la saint Nicolas en may[11], vers ledit moulin à vent, si comme il est dessus dit, furent ars… Et pour voir après ce ensuivant, la veille de l’Ascension Nostre Seigneur Jhésucrist[12], les autres Templiers en ce lieu meisme furent ars. » En plus du témoignage des Grandes Chroniques, nous pouvons encore invoquer ceux de la Continuation de la chronique de Gérard de Frachet, de Bernard Gui et de Jean de Saint-Victor.

La Continuation de la chronique de Gérard de Frachet est très précise : « Concilium provinciæ Senonensis, propter factum Templariorum, undecima die maii, prima vice, itemque XXVI die mensis ejusdem Parisius celebratur, Philippo tunc archiepiscopo præsidente »,[13] et elle ajoute quelques lignes plus loin[14] à propos du concile de Senlis : « Circa idem tempus, apud Silvanectum, provinciæ Remensis concilium convocatur, eodemque modo quo et Parisius concilio super jus celebrato, IX Templarii comburuntur ». Dans ses Flores chronicorum, Bernard Gui, d’accord avec les Grandes Chroniques et avec le continuateur de Gérard de Frachet, dit[15] : « Anno Domini MCCCX, Vidus maii[16], Parisius, in concilio provinciali coadunato per archiepiscopum Senonensem cum suffraganeis suis, fuerunt sententiati et judicati ex confessionibus propriis LIIII Templarii… Et sequenti die Martis, scilicet IIII idus maii[17] fuerunt per ministros curiæ sæcularis regis Philippi igni traditi et combusti ; et post paucos dies fuerunt ibidem quatuor alii consimiliter expediti. Item, paulo post, infra mensem, in alio concilio provinciali apud Silvanectum, per archiepiscopum Remensem cum suffraganeis suis, fuerunt IX alii Templarii eadem causa et modo consimili sententiati. » Enfin Jean de Saint-Victor, dans son Memoriale historiarum[18], quoique moins précis, apporte néanmoins un témoignage qui concorde avec les précédents en disant que l’exécution des Templiers eut lieu : « inter Pascha et Pentecostem[19] ».

Nous pensons qu’en face de ces assertions il ne saurait plus subsister aucun doute et que le concile de Paris eut lieu du 11 au 26 mai 1310 et non du 11 au 26 octobre.

Mais comment les auteurs de l’Art de vérifier les dates furent-ils amenés à commettre cette erreur ? Nous croyons que le simple examen de la Chronique latine de Guillaume de Nangis publiée par d’Achery[20], le fera comprendre facilement. « Clemens papa generale concilium, quod ad instantes kal. octobris indixerat, ad kal. mensis ejusdem anno revoluto subsecuturas prorogare decrevit. Concilium Senonensis provinciæ propter factum Templariorum ab XIa die ad XXVI diem, secundo Philippo tunc archiepiscopo præsidente Parisius celebratur. » L’indication du mois d’octobre pour le concile général dut leur faire penser que « ab XI die ad XXVI diem » devait se rapporter au même mois. Comme ils ne prirent pas la précaution de recourir à d’autres textes pour vérifier leur assertion, ils donnèrent dans leur ouvrage une date erronée qui plus tard induisit en erreur Hercule Géraud et de Mas-Latrie. Ce fait montre avec quelle prudence on doit utiliser les textes et qu’il faut toujours, autant qu’on le peut, contrôler les assertions d’un chroniqueurs à l’aide de témoignages fournis par d’autres documents contemporains.


Jules Viard.

  1. Dans le Trésor de Chronologie, on classe ce concile comme le trente-neuvième de Paris, tandis que l’Art de vérifier les dates le classe comme le trente-huitième. Cela provient d’une erreur du Trésor de Chronologie commise à partir du onzième concile, auquel il donne le numéro douze.
  2. Édition in-4o, t. XI, p. 635 et édition in-fol., t. III, p. 62-63.
  3. T. VII, col. 124.
  4. P. 93 à 98.
  5. T. IX, p. 391.
  6. P. 156.
  7. D. Félibien, dans son Histoire de Paris, t. I, p. 516-517, ne donne pas de date, et Sauval : Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, t. II, p. 486, dit par erreur que ce synode eut lieu en 1309.
  8. Une note du Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXI, p. 33, note 17, avait déjà cherché à rectifier la date donnée par l’Art de vérifier les dates et par Hercule Géraud. Cette note a échappé à de Mas-Latrie, l’auteur du Trésor de chronologie.
  9. Éd. P. Paris, t. V, p. 187 et Rec. des hist. des Gaules et de la France, t. XX, p. 685.
  10. Dans le Rec. des hist., on a « LIX Templiers et pluseurs tant à Paris » etc.
  11. La fête de saint Nicolas en mai est la fête de la translation de ses reliques à Bari, le 9 mai, et en 1310, le mardi après, est le 12 mai, fête des saints Nérée et Achillée.
  12. 27 mai.
  13. Rec. des hist., t. XXI, p. 33.
  14. Ibid., p. 34.
  15. Rec. des hist., t. XXI, p. 719.
  16. Le 11 mai.
  17. Le 12 mai.
  18. Rec. des hist., t. XXI, p. 654.
  19. Dans le Procès des Templiers publié par Michelet, on pourra encore relever de nombreuses mentions relatives à ce concile de Paris, t. I ; au 10 mai, p. 260 et 263 ; au 12 mai, p. 274-275 ; au 18 mai, p. 277 à 281.
  20. Spicilège (éd. in-4o), t. X, p. 635 (éd. in-fol.), t. III, p. 62-63.