Le jardin de l’instituteur/04

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Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 668-674).

IV.
LES GRAINES POTAGÈRES ET LES GRAINES DE FLEURS.

L’instituteur qui a la terre et l’engrais, n’a plus à se procurer que les graines de légumes, les graines de fleurs et quelques outils de jardinage. Parlons d’abord des graines ; l’outillage fera l’objet du chapitre suivant.

La graine est pour ainsi dire l’œuf de la plante. Or, de même que vous ne verrez pas un poussin sortir d’un œuf trop vieux pondu ou gâté, vous ne verrez pas non plus sortir une bonne plante d’une graine trop vieille ou de mauvaise qualité.

Donc, il convient de bien choisir les semences si l’on veut en obtenir d’excellents produits. On ne peut guère répondre de la qualité des semences que si on les a faites avec tous les soins désirables ; mais avant d’arriver à les faire on est forcé nécessairement d’en acheter.

L’instituteur s’adressera à cet effet à des grainiers recommandables par leur honorabilité. Il ne se fiera point aux colporteurs qui parcourent nos villages vers la fin de l’hiver : car ceux-ci ne font qu’écouler les graines suspectes qu’on leur livre à bas prix dans les villes et auxquelles ils mêlent d’autres graines souvent de sortes ; différentes, qu’ils achètent chez les paysans.

Les instituteurs abandonnés à eux-mêmes pourraient, À nous en convenons, se trouver embarrassés. Le mieux serait donc de faire pour eux ce qui a été fait deux ou trois années de suite dans le département de la Côte-d’Or par les soins du Conseil général. Chaque année, dans sa principale session, le Conseil votait une somme de deux mille francs et dressait une liste de graines à répartir entre les instituteurs des trente-six cantons. Cette liste était adressée et recommandée à la maison Vilmorin-Andrieux, qui avait l’obligeance de mettre les graines en petits paquets. Autant d’instituteurs, autant de paquets de chaque légume. La répartition des paquets, confiée aux inspecteurs des écoles primaires, avait lieu au canton, et en même temps que l’on donnait les graines aux instituteurs, on distribuait à chacun une instruction imprimée qui indiquait l’époque des semis, les soins de culture pour chaque plante et la manière de faire les graines.

Les conseillers généraux des divers cantons s’imposaient le devoir de visiter les jardins des instituteurs, avec leur agrément bien entendu, attendu que la culture des légumes n’était pas obligatoire. On avait même autorisé les instituteurs qui n’avaient pas de jardin, à disposer de leurs graines en faveur de cultivateurs de leur commune. Le but du Conseil général était la propagation des bonnes variétés, et quand on ne pouvait pas l’attendre par le travail direct de l’instituteur, on se trouvait satisfait de l’atteindre autrement.

C’est ainsi que des variétés tout à fait inconnues ou peu connues dans le département, y ont été vulgarisées très-vite et s’y sont maintenues.

La plupart des inspecteurs primaires encouragèrent de leur mieux l’entreprise, et il fut convenu que tous les ans il y aurait, à l’école du canton ou dans une des salles de la maison commune, une exposition des produits obtenus par les instituteurs, Les conseillers généraux faisaient les frais des récompenses qui consistaient en graines, en outils de jardinage et surtout en livres spéciaux.

Ces expositions, faites par les instituteurs, furent souvent remarquables et remarquées. Il s’y trouvait de très-beaux spécimens de légumes et de fruits de table, Des conférences sur divers points eurent fieu à cette occasion et furent écoutées avec un vif intérêt. Les conférenciers montraient les caractères auxquels on reconnaît les plantes bien cultivées et d’une belle venue ; puis, ils s’emparaient des plantes mal réussies, en montraient les défauts, afin qu’à l’avenir ils ne se présentassent plus.

L’exemple donné par le département de la Côte-d’Or mériterait d’être suivi par tous les autres et encouragé par l’administration de l’agriculture et de l’instruction publique. Les frais qu’entraîne l’achat des semences et des objets à offrir aux instituteurs, à titre de récompenses à la suite des expositions, ne sont pas ruineux et ne sont que momentanés. Deux ou trois distributions de graines suffisent. Les instituteurs intelligents et de bonne volonté peuvent après cela fabriquer les semences qui leur sont nécessaires. Il n’y a réellement que les incapables ou les paresseux qui soient chaque année dans la nécessité d’acheter leurs graines.

Le cultivateur qui les a faites par les moyens que nous indiquerons en temps et lieu, est autorisé à répondre de leurs qualités ; celui qui les a achetées ne peut répondre de rien. Sont-elles pures ? il ne le sait. Sont-elles jeunes ou vieilles ? il ne le sait pas davantage. Il conviendrait cependant qu’il le sût, et voici pourquoi : il y a des graines dont la faculté germinative est de courte durée ; il y en à, au contraire, qui se maintiennent longtemps en bon état. Les jeunes graines sont celles qui donnent le plus de feuilles et les plus belles racines ; il y en a d’autres qui gagnent à vieillir plus ou moins ; ce sont celles des légumes qu’on cultive pour leurs fleurs, comme les choux-fleurs ou brocolis, ou pour leurs fruits comme les courges, les pâtissons et les concombres.

Vous voyez par là qu’il est essentiel de bien connaître et la provenance des graines et leur âge. Sans cette connaissance, on s’exposerait fréquemment à de fausses manœuvres.

Avec l’arroche-belle-dame, l’asperge, la betterave, la carotte, le céleri, le cerfeuil, la chicorée, le chou non pommé, le crambé, le cresson alénois, l’épinard, le fenouil doux, la laitue, la mâche, le navet, l’oignon, l’oseille, le panais, le persil, le poireau, la bette à cardes, la pomme de terre, le pourpier, le radis, la raiponce, la rhubarbe, le salsifis, la sarriette, le scolyme d’Espagne, la Scorsonère, la tétragone et la valériane d’Alger, il importe donc de ne semer que des graines jeunes.

Avec l’artichaut, le cardon, le chou-fleur ou le brocolis, les choux pommés, les courges, concombres, pâtissons, melons, fèves de marais, haricots, pois et tomates, les graines de deux ans sont préférables à celles de l’année. Mais il faut avoir soin de conserver en gousses celles des fèves, des pois et des haricots. Quand on veut semer des fèves, des pois et des haricots de la récolte précédente, on doit les écosser pour les affaiblir ; si on ne les écossait pas, ces légumineuses s’emporteraient en feuilles et donneraient une médiocre récolte en gousses. Donc, de deux choses l’une : ou écossez de suite, au moment de la maturité, les légumineuses que vous vous proposez de semer au printemps suivant, ou bien, si vous les gardez en gousses, ne les semez que la seconde année.

L’instituteur saura que toute graine doit être récoltée parfaitement mûre et conservée en lieu sec et frais dans des sacs de toile ou de papier troué à coups d’épingle. L’air est nécessaire à la bonne conservation des graines. On a donc tort de les mettre sous clef dans les armoires et les tiroirs.

L’instituteur saura également qu’il n’est pas prudent d’élever trop près les uns des autres des porte-graines de variétés d’une même espèce, parce que ces variétés, fleurissant en même temps, peuvent se croiser et ne pas donner ce qu’on en attend. Ainsi pas de porte-graines de courge à côté d’une courge différente ou d’un pâtisson ou d’un concombre ; pas de porte-graines d’une variété de chou dans le voisinage d’une autre variété, d’une variété de navet dans le voisinage d’une autre variété. C’est pour cela qu’un jardinier entendu ne fait jamais à la fois la graine de deux sortes de choux ou de deux sortes de navets ; il n’en fait que d’une sorte chaque année. En traitant de la culture des porte-graines des divers légumes et des fleurs de jardin, nous montrerons que sur le même pied les graines ne se valent pas toujours et qu’il y a des distinctions à établir. Nous allons vous en donner quelques exemples :

« L’expérience a appris aux gens d’Aubervilliers, dit de Combes, que le même pied de chou donnait trois sortes de graines plus hâtives de quinze jours l’une que l’autre ; la tige du milieu, qui mûrit la première, et que l’on ramasse d’abord, donne la plus hâtive et la meilleure en même temps, et c’est celle qu’ils conservent pour eux ; les sommités des tiges collatérales qu’ils recueillent après forment la seconde espèce, et le surplus forme la troisième ; cela est utile à savoir et à propager. »

Sur un même rameau de porte-graines de betteraves, la meilleure semence est celle du milieu du rameau ; la moins bonne est celle des deux extrémités.

Sur une tige de pois, de fève ou de haricot, la graine des gousses courtes, qui est cependant la plus belle, ne vous donnera pas autant de produits que la graine des gousses longues ; et permettez-nous d’ajouter que les graines prises vers le milieu de ces gousses longues sont préférables à celles des deux bouts de ces mêmes gousses.

Il y a aussi une distinction importante à établir entre les graines de fleurs. La graine jeune vous donnera le plus ordinairement une plante vigoureuse et des fleurs simples, tandis que la graine vieille vous donnera beaucoup de fleurs doubles et une plante moins vigoureuse, C’est le cas des balsamines, de l’œillet des fleuristes, des reines-marguerites, des zinnias, etc.

Autre distinction peut-être encore plus curieuse que la précédente et qui concerne les giroflées. Les graines d’une même silique ne font pas les mêmes produits. Celles du quart supérieur de la silique en question vous donneront des variétés, tandis que les graines de la partie inférieure vous donneront beaucoup de doubles.

Les instituteurs ne perdront pas de vue qu’en cherchant à faire de beaux légumes nous avons besoin, à de rares exceptions, d’une grande vigueur et par conséquent de graines jeunes et saines. Et quand, au contraire, nous cherchons à faire des plantes très-florifères et très-fructifères, nous devons éviter la grande vigueur et prendre par conséquent des graines affaiblies.

La feuillaison abondante est un signe de force et de santé. La floraison abondante est un signe de faiblesse et de malaise. Les fleuristes qui mettent leurs plantes dans des petits pots, savent bien qu’elles y fleuriront plus tôt et mieux que dans de grands pots ou en pleine terre.

Les jardiniers qui n’aiment point à mettre leurs pois en terre riche, savent bien qu’en les faisant jeûner ils auront plus de fleurs, plus de gousses et moins de tiges que s’ils avaient leurs aises. Les mêmes jardiniers qui ramènent des haricots deux fois de suite à la même place, savent également que la plante souffrira, et que la seconde récolte sera plus productive en fleurs et en gousses que la première.