Le jardin de l’instituteur/06

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Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 677-680).

VI.
LA PRÉPARATION DU TERRAIN.

Il s’agit à présent de bien préparer le terrain pour l’ensemencer. On l’y prépare en le labourant et en y mêlant l’engrais. Les gens qui ne raisonnent pas, parce qu’on ne leur a rien appris, ne se figurent point l’importance des labourages, et c’est à cause de cela que nous sollicitons tout particulièrement là-dessus l’attention des instituteurs. Ils savent parfaitement, sans doute, que si les labourages ne servaient à rien on se garderait de les exécuter, mais ils ne savent pas toujours en quoi consiste leur utilité et c’est le moment de leur en fournir l’explication.

Une terre neuve ou sauvage qui n’a point reçu les influences de l’air et du soleil est tout à fait stérile ; mais dès que l’air et le soleil ont eu prise sur elle et l’ont suffisamment travaillée, elle devient fertile. Donc ces agents ont une importance capitale et nous avons toujours quelque chose à gagner à bien mettre la terre en communication avec eux. Or, c’est en la labourant que nous établissons cette communication. Une terre qu’on ne labourerait pas du tout, ne recevrait les influences atmosphériques qu’à sa surface et ne s’améliorerait pas en dessous ; une motte qu’on laisserait intacte serait dans le même cas et ne s’améliorerait pas à l’intérieur. Mais du moment que nous remuons la terre avec une charrue, une bêche ou une houe et que nous mettons la motte en miettes par un moyen quelconque, l’air et la chaleur du soleil ont leur libre entrée et fonctionnent à leur aise. Ils pénètrent partout, ils agissent partout et fertilisent toutes les particules du sol. Les praticiens qui ne se rendent pas compte de la chose théoriquement ont pour eux les résultats et, s’ils labourent, c’est avec l’assurance qu’ils y ont leur intérêt. Ils ne se trompent point.

Voilà pourquoi nous disons aux instituteurs : Vous bêcherez les carrés de votre jardin avant l’hiver ou dans le courant de l’hiver. Après cela, par un temps de gelée, vous couvrirez ces carrés d’engrais et vous les bêcherez de nouveau dès la sortie de la mauvaise saison. Puis au moment de semer ou de planter, vous diviserez chaque carré en planches de 1m,15 ou 1m,30 de largeur, séparées : les unes des autres par des sentiers de 25 centimètres environ.

Les instructions que nous pourrions donner sur la manière de bêcher un jardin et de partager les carrés en planches, ne seraient d’aucune utilité aux personnes absolument étrangères aux travaux de la terre, et ne serviraient de rien à celles qui ont vécu dans le monde des cultivateurs. Ce dernier cas est celui de la plupart des instituteurs, qui sont fils de paysans et savent comment il faut s’y prendre pour partager en planches égales un carré de jardin. Ceux en petit nombre qui ne le savent point en apprendront plus à voir travailler leurs voisins qu’à lire nos instructions. Il n’y a pas d’écrivain au monde qui réussisse à se faire aussi bien comprendre avec la plume qu’un praticien avec son outil.

De ce côté donc, nous n’avons aucune inquiétude. Mais si nous sommes rassuré sur la division des carrés, nous le sommes moins sur la qualité du labourage. Quantité de journaliers n’ont d’autre préoccupation que de remuer de grandes surfaces en un court délai, et certains jardiniers se croient d’habiles gens lorsqu’ils ont caché de grosses mottes sous un travers de doigt de fine terre. Planches charmantes en-dessus et repoussantes en-dessous. Nous invitons les instituteurs à ne pas les imiter.

Quand ils bêcheront leurs carrés avant l’hiver, ils pourront se dispenser de rompre la terre avec le taillant de l’outil. La gelée se chargera de cette besogne. Dans une motte, il y a de l’eau qui gèle aisément, et comme la glace prend plus de place que l’eau, il faut bien que la motte éclate et s’en aille en morceaux. Mais avec le bêchage de la sortie de l’hiver, c’est une autre affaire.

Il ne faut lever avec la bêche que de petites tranches, les bien retourner sens dessus dessous et les diviser le mieux qu’on peut avec l’outil. Cela prend du temps, nous en convenons, mais c’est du temps heureusement employé. Et lorsqu’on a fait avec la bêche tout ce qu’on pouvait faire, on prend le râteau afin de rendre la division de la terre plus parfaite. C’est après cela qu’on forme les planches.

Si habitué que l’on soit aux travaux du jardinage, il convient toujours d’avoir recours au cordeau. L’œil trompe, le cordeau ne trompe pas. Des planches de jardin formées à l’aventure sont rarement égales et les sentiers rarement droits. Si vous voulez que l’œil soit satisfait, et vous devez le vouloir, prenez rigoureusement vos mesures. Vous serez content de votre travail, vous y prendrez goût, vous vous passionnerez pour votre jardin et vous aurez des imitateurs. Si, au contraire, vos planches étaient irrégulières, vos sentiers tortueux, vous n’y prendriez plus l’intérêt que vous devez y prendre. La toilette du jardin est séduisante, et comme vous avez intérêt à être séduit, ne négligez rien de ce qui peut le rendre attrayant.

Dès que les planches seront établies et prêtes à recevoir la semence, vous les numéroterez comme vous l’entendrez et reporterez les numéros sur un calepin. Au fur et à mesure des semis, vous indiquerez en regard de chaque numéro la graine semée. Il vaut mieux se fier au papier qu’à sa mémoire. Un oubli pourrait avoir l’inconvénient de vous laisser semer l’année suivante ou deux ans après la même plante à la même place, tandis qu’il est de toute rigueur, pour la plupart des légumes, d’éloigner ce retour le plus qu’on peut. Ils n’aiment point à revenir trop vite à la même auberge, parce que la première fois ils y ont trouvé des vivres à leur convenance et que la seconde fois ils auraient chance d’y pâtir.