Le livre des petits enfants/12

La bibliothèque libre.
Anonyme
Le livre des petits enfantsJohn Wiley (p. 42-54).


LA VIEILLE MADELEINE.

Extrait du Journal le Conseiller des Femmes.

C’était pendant une nuit d’hiver ; la neige couvrait la terre, et il faisait un vent froid qui soufflait bien fort. On apercevait au milieu d’un champ une chaumière, et, à travers une fenêtre étroite, on voyait une petite lumière. Deux paysannes, qui avaient ramassé des fagots dans la forêt, passaient le matin devant la chaumière.

Elles entendirent de grands cris, et l’une d’elles, appelée Marie, en ouvrant la porte, heurta du pied un enfant de trois ans, étendu par terre. Cet enfant s’appelait Louis. Il pleurait et priait, car sa Mère venait de mourir ; il serait mort sans doute lui-même, si Dieu, qui veille toujours sur lui, n’eût envoyé Marie à son secours.

Il était gelé, et il avait faim. Elle fit brûler un des fagots qu’elle avait ramassés ; puis elle envoya sa compagne chercher du pain et du bouillon dans le voisinage, et donna à manger au petit Louis.

Une grosse femme qui était là, dit qu’il fallait avertir monsieur le Maire et mettre cet enfant à la Charité. — Non, dit l’enfant en pleurant plus fort : ma Mère m’a dit qu’elle ne me mettrait jamais à la Charité —

Marie, qui était bonne, emmena Louis chez elle. Malheureusement elle avait un mari bien dur et bien méchant. Il lui défendit de garder le petit garçon auprès d’elle, et voulut qu’il fût mis à la Charité. Louis en fut bien affligé. Le jour où l’on devait l’emmener, Marie lui donna son déjeuner, et pleura en l’embrassant, puis elle alla à la fontaine ; mais quand elle revint, elle ne trouva plus l’enfant à la maison, et personne ne put lui en donner des nouvelles.

Il y avait deux jours que Louis avait disparu ; une bonne vieille, nommée Madeleine, femme pauvre, mais pieuse, sortait de chez elle pour aller acheter des légumes chez des paysans, et pour les revendre au marché : c’était ainsi qu’elle gagnait sa vie.

Madeleine n’avait pas toujours été pauvre : elle avait été autrefois Bonne d’enfant chez un riche Monsieur appelé Dorval, où elle était bien nourrie et bien habillée ; elle avait gagné quelque argent, et avec cet argent elle avait acheté la maison qu’elle habitait. Maintenant elle était bien courbée et bien ridée ; mais elle était bonne, et tout le monde l’aimait.

Elle marchait un bâton à la main, et elle avait une hotte sur le dos. Elle arriva à la porte d’une ferme où personne n’était levé. Elle fut étonnée de ne pas entendre aboyer le gros chien noir Loulou. Tout d’un coup elle aperçut dans sa niche un petit enfant de cinq à six ans.

C’était le petit Louis, tremblant de froid entre les pattes de l’animal, et mangeant les morceaux de pain noir qu’on avait donnés au chien. Loulou lui léchait le front, et la petite tête blonde de l’enfant était appuyée contre le chien noir. Bientôt tout le monde entoura la niche du chien, et quand on sut que le petit garçon n’avait ni père ni mère, on dit encore qu’il fallait le mettre à la Charité. — Non, dit Louis, en joignant ses petites mains, — et il se rapprocha du chien, qui avait l’air de le défendre contre ceux qui voulaient le prendre.

— Viens, mon cher petit, dit la bonne Madeleine, quoique je sois vieille et pauvre, je veux te servir de mère, et je partagerai mon pain avec toi. — L’enfant courut dans les bras de cette brave femme, et appelait Loulou ; mais le chien, qui ne pouvait le suivre, le vit partir avec tristesse et se renfonça dans sa cabane.

Il y eut des gens qui dirent à la vieille Madeleine qu’elle n’aurait pas dû se charger de Louis, puisqu’elle avait à peine de quoi se nourrir elle-même ; mais elle espérait que Dieu l’aiderait, car il bénit ceux qui secourent l’affligé, et qui donnent à manger à celui qui a faim, et à boire à celui qui a soif, puisque, comme le Seigneur nous l’a dit, c’est faire ces choses-là à lui-même que de les faire à l’un de ses frères.

Après avoir été au marché, Madeleine filait, afin de pouvoir donner du pain au petit Louis ; et le soir, quand elle était bien fatiguée, l’enfant grimpait sur ses genoux, l’embrassait et lui apportait son écuelle de lait et sa galette. La vieille femme était consolée de ses peines par l’amitié que lui témoignait cet aimable enfant.

Louis commençait à grandir et se rendait utile à Madeleine. Les jours de marché, il lui aidait à porter de petits fardeaux. Le soir, auprès de la cheminée, il dévidait le fil que Madeleine avait filé, et la bonne vieille lui racontait de touchantes histoires qu’elle avait tirées de la Bible, et qu’il écoutait avec un grand plaisir. Elle lui parlait aussi des voyages qu’elle avait faits avec son ancien maître ; car elle avait été sur mer et elle avait vu des pays bien éloignés. — Quand je serai grand, disait l’enfant, je voyagerai aussi ; je t’emmènerai avec moi, je gagnerai de l’argent, et tu te reposeras. —

Un jour, c’était en novembre, il pleuvait à verse, le ciel était noir partout, et Madeleine voyait bien qu’elle ne pourrait pas aller au marché. Cependant le petit Louis mangeait le seul morceau de pain qui restât encore ; il n’y en avait plus pour le lendemain. Madeleine ne pensait pas à elle ; mais elle pensait à son cher enfant, qui allait souffrir de la faim. Elle pleura, et pria Dieu de les secourir.

Au même instant on frappa à la porte.

Une voisine entra, et remit une lettre à Madeleine, qui fut bien surprise et bien émue ; elle mit ses lunettes après en avoir frotté les verres, et lut avec peine ces mots :

« Ma chère Madeleine,

« Je suis revenu de mes longs voyages ; je veux que vous veniez demeurer avec moi, et je vous envoie de l’argent pour payer votre route. »

Cette lettre était écrite par son ancien maître, monsieur Dorval. — Dieu soit béni ! dit Madeleine : je pourrai donner du pain à mon cher Louis ! — Mais elle était décidée à ne pas le quitter. Elle alla à la poste chercher l’argent, et fut bien joyeuse de la grosse somme qu’on lui remit. Elle en donna la moitié pour payer l’apprentissage de Louis chez un charpentier.

Au bout de quelque temps il gagna sa nourriture, et ne coûta plus rien à Madeleine ; ce qui était bien heureux, car cette pauvre femme était devenue si vieille et si infirme, qu’elle ne pouvait plus travailler. Elle filait seulement encore un peu, ce qui lui aidait à se nourrir. Elle était très faible, et elle sentait bien qu’elle ne vivrait pas long-temps.

Elle écrivit donc à son ancien maître qu’elle ne pourrait aller le trouver ; mais elle lui recommanda son cher Louis.

Monsieur Dorval lui répondit bien vite, et lui annonça qu’il avait trouvé une place pour lui. Alors la bonne vieille se jeta à genoux, et remercia le Seigneur.

Le lendemain elle tomba malade et se mit au lit ; et comme Louis se désolait à côté d’elle, elle le consola et le bénit, en le recommandant à Dieu. Deux jours après, elle mourut ; et Louis suivit son enterrement en pleurant.

On plaça une pierre sur la tombe de Madeleine, et l’on y mit son nom ; et ceux qui allaient visiter le cimetière s’arrêtaient devant cette pierre, en disant : « Elle a aimé son Sauveur, car elle a recueilli l’orphelin, et secouru l’un de ces petits qu’il aimait ; et celui qui donne au pauvre prête à l’Éternel, qui l’en récompensera. »

Avant de partir, Louis entra encore une fois dans la chaumière de sa vieille Mère, et fut bien affligé de ne plus l’y trouver. Il prit le paquet qu’elle lui avait préparé avant de mourir, sans oublier son bâton, qu’il voulait toujours garder, et il partit pour se rendre auprès de monsieur Dorval, qui prit soin de lui, et lui donna les moyens de gagner sa vie.

Mes chers petits amis, Dieu vous a dit dans la Bible :


Quand votre Mère vous aurait abandonnés, l’Éternel vous recueillera.[1]


Vous voyez par l’histoire de Louis que c’est la vérité.

  1. Ps. XXVII., 10.