Le manoir mystérieux/Au Château Saint-Louis

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Imprimerie Bilodeau Montréal (p. 109-113).

CHAPITRE XVI

AU CHÂTEAU SAINT-LOUIS


DuPlessis n’était pas fâché de trouver cette occasion d’aller voir le marquis de Beauharnais, à qui il avait à parler de l’affaire de M. Pezard de la Touche. Il accepta donc la proposition avec empressement. Il dut consentir à se faire accompagner par Taillefer, qui semblait tenir beaucoup à faire ce second voyage avec lui. Quelque chose disait au dernier que sa présence ne serait pas inutile à Québec en ce moment. Sur l’assurance qu’il donna que M. Bégon était sauvé, DuPlessis partit le jour suivant de grand matin, accompagné de lui et de Godfroy de Tonnancourt. À une heure un peu avancée du soir, ils descendaient tous les trois à l’« Auberge-du-Castor ».

Vers onze heures le lendemain, DuPlessis et de Tonnancourt étaient admis en présence du gouverneur général au château Saint-Louis. Le marquis de Beauharnais était un homme de moyenne stature, bien proportionné, à l’air courtois, sérieux et imposant tout à la fois.

— J’ai l’honneur de présenter à Votre Excellence, dit DuPlessis, les respects de M. le commandant des Trois-Rivières, de la remercier bien sincèrement de la marque si bienveillante d’intérêt qu’Elle a daigné donner à mon aimable maître en dépêchant M. le docteur Painchaud auprès de son lit de douleur, et…

— Est-ce par signe de reconnaissance, interrompit assez vivement le marquis, qu’on n’a pas laissé pénétrer M. Painchaud plus loin que le seuil de la porte ?

— J’allais ajouter, reprit DuPlessis un peu intimidé, que j’étais particulièrement chargé d’expliquer à Votre Excellence comment cela est arrivé sans la connaissance de M. le commandant, qui à ce moment était plongé dans une espèce de sommeil léthargique.

— Il est donc mieux à présent ? demanda le marquis sur un ton adouci et bienveillant qui remit DuPlessis plus à l’aise.

— Oui, Excellence, nous l’avons laissé hier matin bien mieux. Il est considéré hors de danger maintenant.

— Je suis content d’apprendre cette nouvelle, dit M. de Beauharnais. Quant à l’aventure qui est arrivée à M. Painchaud, expliquez-moi donc cela, ajouta-t-il en indiquant de la main des sièges aux deux visiteurs.

— Le coupable est devant Votre Excellence, répondit de Tonnancourt, qui jusque-là n’avait encore rien dit. C’est moi qui suis allé ouvrir à M. le docteur Painchaud et qui lui ai dit qu’il était impossible pour le moment de voir le malade.

— Saviez-vous dans le temps que c’était le docteur Painchaud qui vous parlait ? demanda M. de Beauharnais.

— Oui, Excellence, il venait de me décliner ses nom et qualité et de m’informer du but de son voyage.

— Vous avez donc l’habitude, chez vous, de laisser entrer le médecin seulement quand les gens sont en bonne santé ? observa le marquis en souriant ironiquement ; c’est peut-être une sage précaution, qui, cependant, n’a pas fait honneur à mon médecin, et ne l’a guère flatté, non plus, je vous l’avoue.

— J’en suis bien peiné, continua de Tonnancourt ; mais M. le commandant était soumis au traitement d’un médecin qui avait déclaré que sa vie serait en danger si l’on interrompait son sommeil.

M. Bégon se fait donc soigner par un empirique ?

— Je l’ignore, Excellence ; tout ce que je connais, c’est que ce médecin l’a pris dans un état presque désespéré, et qu’il l’a rendu à la santé.

— Quel que soit le mérite de ce médecin et de ses prescriptions, mon jeune monsieur, je reconnais, après avoir entendu ces explications, que votre motif était louable. Si M. Bégon est rétabli, c’est le principal de l’affaire. Néanmoins, vous feriez peut-être bien, avant de quitter Québec, d’aller répéter ces explications à M. Painchaud ; c’est un digne homme, et il vous saura gré de cette marque de déférence, qui lui est due, d’ailleurs.

De Tonnancourt répondit qu’il était chargé par M. Bégon lui-même d’aller saluer M. Painchaud de sa part et de lui expliquer comment il se faisait qu’on ne l’eût pas invité à entrer lorsqu’il était venu deux jours auparavant.

Le marquis se levait pour prendre congé d’eux lorsque DuPlessis, d’une main tremblante et d’une voix émue, le pria de daigner recevoir et lire l’humble requête qu’il avait l’honneur de lui présenter au nom d’un père infortuné, M. Pezard de la Touche, seigneur de Champlain.

— Votre Excellence me pardonnera, j’espère, ajouta-t-il, la liberté que je prends de lui présenter moi-même cette requête, au lieu de la faire passer par les mains de personnes plus élevées en dignité. C’est son indulgence et sa bienveillance reconnues qui me serviront d’excuse pour ma hardiesse auprès de Votre Excellence.

— C’est bien, répondit amicalement le gouverneur général, nous y donnerons notre attention, par considération pour le respectable M. de la Touche, et pour vous aussi, mon brave capitaine.

DuPlessis et son compagnon saluèrent en s’inclinant respectueusement et sortirent. Avant de regagner l’auberge, ils arrêtèrent chez le docteur Painchaud, qui les reçut d’abord froidement, mais il fut ensuite assez satisfait des explications que lui donna de Tonnancourt ; Quand on lui dit qu’un médecin inconnu appelé Refelliat, — c’était le nom que Taillefer se donnait maintenant en écrivant et prononçant son nom véritable en sens inverse, — avait procuré tout à coup un grand soulagement à M. Bégon, il se mit à sourire d’un air d’incrédulité, en répondant qu’il s’était bien douté que la maladie de ce dernier tenait plus ou moins de l’imaginaire.

En arrivant à l’auberge, DuPlessis trouva Taillefer assis dans un coin de la salle, l’air pensif.

— Y a-t-il du nouveau en quelque chose ? lui demanda-t-il.

— Oh ! monsieur, ne m’en parlez pas : j’ai fait la plus mauvaise rencontre…

— Quelle rencontre ? Expliquez-vous. Ce n’est toujours pas le diable, je suppose ?

— Pas lui tout à fait, mais guère ne s’en faut ; c’est au moins son agent, bien sûr.

— Mais encore, qui est-ce donc ?

— Degarde ! le docteur Degarde, en chair et en os ! Pendant que vous étiez au château Saint-Louis, je sortis pour visiter un peu la ville, et je m’aventurai vers la résidence de M. l’intendant Hocquart. Tout à coup je l’aperçus dans une fenêtre de l’entresol, du côté nord.

— Bah ! vous vous serez trompé. Vous aurez probablement pris quelque cuisinier pour lui.

— Oh ! non, monsieur, quand une fois on a examiné cette figure sinistre de près, on peut la reconnaître partout, sans crainte de se tromper. Aussitôt qu’il s’aperçut que quelqu’un le regardait du dehors, il s’est empressé de se retirer vif comme l’éclair. Heureusement qu’il n’a pas dû me reconnaître sous tous mes déguisements. Tout de même, je ne voudrais pas coucher à Québec ce soir pour tout l’or du Mexique et du Pérou.

— Alors vous ne seriez pas fâché d’avoir à faire un voyage qui vous éloignerait de Québec ?

— C’est ce que je souhaite le plus ardemment.

— Dans ce cas, vous serez satisfait, car j’ai besoin de vos services à la Rivière-du-Loup.

— C’est bien près de la Pointe-du-Lac où il me faudra, en outre, passer, monsieur.

— Vous passerez là le soir ; d’ailleurs, vous n’êtes plus reconnaissable.

— C’est bien, j’irai. Et que faudra-t-il faire ?

DuPlessis le mit au courant de l’affaire de M. de la Touche, dont Taillefer connaissait déjà une partie. Il lui dit qu’il aurait à se rendre chez Léandre Gravel, qui le renseignerait, selon qu’il était convenu, sur ce qui se passait au « manoir mystérieux », et lui donna la bague qui devait l’accréditer auprès de l’aubergiste, et de l’argent pour les frais de son voyage. Puis il lui donna toutes les instructions nécessaires pour qu’il pût s’introduire près de Joséphine et l’engager à retourner chez son père. Taillefer, après avoir acheté différentes choses dans les magasins de Québec, partit le même jour pour la Rivière-du-Loup, et le troisième soir suivant il descendait au « Canard-Blanc ».