Le mystère des Mille-Îles/Partie II, Chapitre 13

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Éditions Édouard Garand (p. 30-31).

— XIII —


Cette conversation qu’il avait surprise replongea Hughes dans la plus grande perplexité.

Après la première surprise causée par le vide du château et l’apparition de Renée, il en était venu à se dire que toutes ces étrangetés s’expliquaient naturellement.

Ne pouvait-on supposer que la légende de John et Renée Kearns était fausse ? Était-il impossible, par ailleurs, de croire que Renée vivait seule, dans une aile du château ?

Il avait accepté ces explications. Mais les paroles des deux étranges personnages, — qui étaient sans doute les domestiques de la jeune femme, — imposaient de nouveau la conviction d’un mystère troublant.

C’est avec une hâte fiévreuse qu’il attendit l’heure du repas auquel l’avait convié sa belle hôtesse.

Enfin, cette heure vint. Comme elle le lui avait promis Renée vint chercher le jeune homme sur sa terrasse favorite.

En la revoyant, blonde et resplendissante, Hughes oublia de nouveau ses soucis pour ne songer qu’à l’aimer éperdûment.

— Chaque fois que vous apparaissez, lui dit-il avec ferveur, c’est comme une révélation nouvelle de beauté et de grâce. Vos charmes sont si profonds et si divers qu’on en découvre de nouveaux à chaque rencontre ; de sorte que, chaque fois, c’est la même femme, et aussi une autre, qu’on trouve, je ne sais comment vous dire cela.

— Vous êtes trop flatteur !

— Non ! ne plaisantez pas ! Je vous aime avec tant de force ! Ne me comprenez-vous pas ?

Renée devint très grave.

— Oui, dit-elle. Je vous comprends, car moi aussi je vous aime.

— Vous m’aimez ? Vous…

— Si je ne vous avais pas aimé, aurais-je recherché votre compagnie ? Car, toutes nos rencontres, c’est moi qui les ai provoquées.

— Ah ! Renée ! Renée ! s’écria le jeune homme.

Puis, avec fougue, il se précipita vers elle et, avant qu’elle ait pu l’en empêcher, il lui écrasait les lèvres sous les siennes, en la serrant dans ses bras.

La jeune femme avait fermé les yeux et s’abandonnait, heureuse. Tous deux goûtaient intensément la saveur de l’instant divin…

Renée se dégagea bientôt et dit, ayant repris contenance :

— Je n’aurais pas dû vous le dire, c’est mal ! Mais, je n’ai pas su résister à la tentation de ce moment d’ivresse.

— Ne le regrettez pas, mon adorée. Laissez-vous conduire par le dieu charmant.

— Et, maintenant, allons dîner ! Je ne veux plus d’épanchement pour l’heure, car il me faudra toute ma force pour vous dire ce que j’ai résolu de vous raconter à la fin du repas.

Ce que fut ce dîner, on l’imagine sans peine. Le bruit des couteaux et des fourchettes était accompagné de mots tendres et plus d’un baiser, malgré la décision de Renée, assaisonna les plats.

La femme au corps de géant servait. Sa présence rappelait au jeune homme la conversation du matin, si bien qu’il ne put se tenir d’en parler à sa compagne.

— Je pressens un mystère, ajouta-t-il. Je m’en voudrais de vous poser des questions indiscrètes. Mais je me mets à votre service, Renée chérie, pour déjouer les sombres calculs qu’on a faits sur vous ; j’ai même résolu, du droit que me donne mon amour, de vous délivrer de vos ennemis. Quels sont-ils ? Dites-moi tout ?

— Comme je vous l’ai dit avant le repas, répondit René, j’avais décidé de vous raconter mon histoire. Votre amour souffrira-t-il de mes révélations ? Je le crains. Mais, qu’importe ! il le faut.

— Que voulez-vous dire, chérie ? Vous faites sans doute allusion à votre mariage avec John Kearns ? Je le connais.

— Comment ?

— Votre histoire a fait quelque bruit et j’en ai entendu parler. Il s’est même formé une légende autour de votre nom, qui explique la stupeur où j’ai été plongé quand je vous ai aperçue pour la première fois sur la terrasse.

Le jeune homme raconta ensuite le roman que nous a fait connaître M. Legault, cet après-midi.

Et ici, — dit le narrateur, car c’est toujours lui qui parle, — vous voyez pourquoi j’ai ajouté mon récit aux deux autres : le sujet des trois est le même.

Quand Hughes eut fini de parler, sa compagne lui dit :

— Il y a du vrai dans tout cela ; mais combien de faussetés ! Et, d’abord, vous voyez que je suis bien en vie !… Notre repas est fini. Sortons, je vous raconterai l’histoire véridique de Renée Vivian… Après, si vous n’aimez plus la tragique blonde, vous vous éloignerez à jamais…

Il connut alors les premières joies d’un amour délicieusement partagé.