Le mystérieux Monsieur de l’Aigle/02/01

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Éditions Édouard Garand (p. 20-21).

I

HORREURS

Nous avons laissé Magdalena, au moment où elle venait de s’évanouir, après avoir constaté qu’elle était couchée dans un cercueil !

Son évanouissement ne fut pas de longue durée. Bientôt, elle ouvrit les yeux, et aussitôt, lui revint la connaissance de ce qui l’entourait… Allait-elle s’évanouir de nouveau ? Elle se sentait faible, faible comme un enfant ; incapable, conséquemment, de réagir contre l’excessive frayeur qui l’envahissait… Elle savait si bien ce que rencontreraient ses yeux, lorsqu’elle les ouvrirait : ces décors funèbres, le cercueil, le crucifix, entre deux cierges allumés… Non, elle ne pourrait pas supporter cela !…

Pourtant, elle n’allait pas risquer de se rendormir… Elle venait de se réveiller d’un sommeil léthargique, qui avait trompé les plus connaissants… Ne devait-elle pas une grande reconnaissance envers Dieu ?… Encore quelques heures probablement de ce sommeil qui ressemblait tant à la mort, et on l’eut enterrée vivante !…

Une sueur d’angoisse mouilla ses tempes à cette pensée… Elle sentit qu’elle allait s’évanouir de nouveau, si elle n’essayait pas de réagir contre l’horreur qu’elle ressentait… et si elle s’évanouissait, en reviendrait-elle encore cette fois ?

Allons ! Du courage ! Enfin de compte, il ne s’agissait que de se raisonner un peu ! Elle était vivante, vivante ! Par un simple effort de sa volonté, elle pouvait, si elle le désirait, quitter immédiatement sa couche funèbre ; devait-elle hésiter, même un instant ?…

Magdalena ouvrit grands les yeux et elle essaya de s’habituer à son entourage… Ce fut affreux, et le cœur lui manqua plus d’une fois. Mais enfin, elle se leva debout dans son cercueil, puis, en un élan, elle sauta par terre… Ses jambes pourraient-elles la supporter ?… Elle avait été si malade, et elle venait de passer par de si épouvantables trances !

Oui, ses jambes la supportaient… Elle essaya quelques pas et fut toute étonnée de constater que sa démarche était assurée.

Tout de même, ce fut d’un pas quelque peu hésitant qu’elle se dirigea vers la table sur laquelle était le crucifix, et les cierges allumés.

S’étant agenouillée, elle fit un acte sincère de remerciment ; n’avait-elle pas été sauvée de la plus horrible des morts ?… Si elle se fut éveillée quelques heures plus tard, alors qu’elle eut été enterrée !… Six pieds de terre sur son cercueil !… L’épouvantable désespoir qu’elle aurait éprouvé !… Puis, la mort par la suffocation !…

— Ô mon Dieu, combien je vous remercie ! s’écria-t-elle, en éclatant en sanglots.

S’étant relevée, elle se trouva en face d’un petit miroir, dont le « père Zenon » se servait lorsqu’il se faisait la barbe. Un cri s’échappa de sa poitrine, puis elle se retourna, croyant qu’il y avait une autre personne qu’elle dans la salle… Car… non !… Ça ne pouvait être Magdalena Carlin, cette jeune fille dont le visage se reflétait dans la glace !… Ces joues creusées et blanches comme… comme la mort, ces lèvres, blanches aussi ; ces yeux cernés de bistre, ces grands yeux bruns, qui lui mangeaient littéralement la figure !…

De nouveau, Magdalena se retourna et regarda derrière elle… Elle était seule, bien seule dans la pièce… Ce visage si effrayant à voir, c’était le sien !… N’était-ce pas épouvantable, et redeviendrait-elle jamais comme elle l’était auparavant ?…

Il y avait quelque chose de fort étrange aussi dans son apparence, hors ce qu’elle venait de constater… Qu’était-ce donc ?… Ah !…

Elle passa ses deux mains en arrière de sa tête et aussitôt, elle eut une exclamation douloureuse : sa chevelure avait été coupée !…

Elle avait été fière, à bon droit, de ses cheveux ; longs, abondants, fins comme de la soie en écheveaux, noirs comme l’aile du corbeau et ondulant légèrement… Des larmes perlèrent à ses longs cils, puis, des frissons la secouèrent ; elle venait de comprendre ! Le « père Zenon » avait dû lui-même couper les cheveux de sa fille adoptive, au moment où on allait la déposer dans son cercueil ; ces cheveux il avait voulu les garder en souvenir d’elle…

Magdalena se détourna ; elle ne voulait plus regarder dans le miroir puisque cela lui causait de si pénibles impressions. Mais, tout à coup, ses yeux tombèrent sur la robe dont elle était habillée. C’était une de ces robes en grosse mousseline blanche, aux garnitures découpées au fer… Un suaire ! Ô ciel !

Fébrilement, elle se dévêtit, déchirant, plus d’une fois, la robe, dans sa hâte de s’en débarasser, après quoi elle courut à une grande garde-robe qu’il y avait à l’une des extrémités de la salle près de la porte d’entrée, et saisissant un long manteau bleu marin qui y était accroché, elle s’en recouvrit.

Retournant se placer devant le miroir, elle eut la satisfaction de voir qu’un changement s’était opéré dans son apparence. Sans doute, ses joues étaient encore creuses et pâles ; ses yeux étaient encore ridiculement grands, et cernés de bistre ; mais un peu de rose lui était venu aux lèvres, et son regard était moins terne.

Quel bonheur que celui de vivre ; de sentir ses forces lui revenir et de savoir que son sang coulait, plus chaud, dans ses veines !

Soudain, Magdalena sourit. Quelle sensation dans le village, lorsqu’on apprendrait la… résurrection de Magdalena Carlin ! Elle deviendrait un objet de curiosité… Chacun voudrait connaître les impressions qu’elle avait ressenties, lorsqu’elle s’était vue couchée dans un cercueil… Et le « père Zenon » ? il serait fou de joie de retrouver vivante, sa fille adoptive. Et elle, Magdalena…

Mais, à quoi songeait-elle ? Allait-elle reprendre la routine ordinaire ? Redevenir la « fille du pendu », avec qui nul n’osait s’associer ?… Ce serait folie, quand elle pouvait si facilement disparaître… Magdalena Carlin serait morte pour tous… Dans quelques heures, si elle réussissait dans le projet qui venait de germer dans son esprit, on enterrerait un cercueil… vide, et celle qu’il était supposé contenir serait loin, tandis qu’on chanterait son libera

Se dirigeant vers une chambre à coucher voisine de la salle, et essayant de ne pas voir le cercueil, en passant, Magdalena alla directement vers le lit et en enleva le traversin.

Retournant dans la salle ensuite, elle s’approcha, en tremblant, du cercueil, dans lequel elle plaça le traversin, qu’elle recouvrit du linceul dont on l’avait enveloppée, puis, malgré qu’elle frissonnât d’horreur, elle souleva un bout du cercueil afin d’en constater le poids… Mais, non ; ça ne ferait pas… il ne pesait pas assez.

Deux morceaux de bois, enveloppés dans le traversin, donnèrent plus de pesanteur au cercueil… Oui, c’était à peu près le poids que pesait Magdalena ; c’était très bien ainsi !

Bientôt, le couvercle du cercueil avait été vissé en place. Il ne restait plus à Magdalena qu’à partir. Personne ne songerait à dévisser le couvercle, car, qui, à part du « père Zenon » tiendrait à la revoir ? Elle ne courait donc pas grand risque.

Mais, le « père Zenon » où était-il ?… N’était-ce pas étrange qu’il fut absent ?… Il reviendrait sous peu, sans doute, car ça ne pouvait être que lui qui avait allumé les cierges qui achevaient de se consumer, de chaque côté du crucifix. Il serait inquiet, à cause de ces cierges et il reviendrait bientôt… Et, quand il reviendrait, essayerait-il de dévisser le couvercle du cercueil, pour revoir, une dernière fois, sa fille adoptive qu’il avait tant aimée ?

Comme pour répondre aux questions qu’elle venait de se poser, des pas retentirent au dehors… Ces pas s’approchaient de la maison… Une clef fut insérée dans la porte, et Magdalena n’eut que juste le temps de courir se cacher dans la garde-robe, quand le « père Zenon » pénétra dans la salle.