Le sorcier de l’île d’Anticosti/Le bonheur

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LE BONHEUR


Au renouvellement de l’année, chacun s’empresse de dire « que le bonheur soit avec vous », en vous « souhaitant une heureuse année ». Il convient alors de ne pas s’en tenir à un simple vœu et de s’occuper de tout ce qui peut faire notre bonheur.

Quoique M. Lavedan dise qu’ « on est heureux quand on ne cherche pas à l’être », nous croyons que c’est plutôt là une exception et qu’il vaut mieux, pour la plupart, s’en occuper, y mettre de la volonté, afin de prendre les moyens de le réaliser.

Il est imprécis et fugitif. Le bonheur, n’est-ce point l’oiseau bleu qu’on voudrait toujours tenir au creux de ses mains et qui s’envole dès qu’on le saisit ? N’est-ce point la féconde et charmante illusion…, l’indestructible et miraculeux espoir, et, en somme, notre meilleure raison de nous passionner sur cette terre et de trouver du goût à la vie ?

Soyez heureux, cela veut dire : suivez la vraie vocation de tout être humain qui, à peine né, aspire ardemment au bonheur, et faites en sorte d’approcher de ce spectre sublime, de le frôler avec des doigts purs, de l’emprisonner dévotement pour qu’il ne vous échappe plus…

Aimez le bonheur pour qu’il vous aime…

Donnez aux autres à foison la divine chimère ; répandez-la avec ferveur, comme une manne céleste ; ne croyez pas au pouvoir des méchants, qui est toujours éphémère, et vivez dans cet état d’attente heureuse, qui est le bonheur des sages…, ou, plutôt, vivez dans cette philosophie sereine qui sait limiter ses ambitions et se contente d’un sort acceptable.

Répétez constamment avec Soulary :

Tout bonheur que la main n’atteint pas n’est qu’un rêve.

Vous vous souvenez du mot de cette grande dame du dix-huitième siècle, qui, apercevant ses premières rides dans la glace, disait, non sans mélancolie :

— Quand on songe que, dans dix ans, je regretterai ce visage-là !…

Le bonheur est comme cette figure mûrissante : il faut l’accepter avec ses rides, ses défectuosités, et se hâter pendant qu’il en est temps encore.

Je crois que, pour connaître et garder le bonheur, il est nécessaire qu’une certaine simplicité de cœur, beaucoup de bonté, un grand oubli de soi, guident mystérieusement vos pensées, vos actes, vos paroles, et surtout que vos élans, votre foi incorrigible, et tout ce qu’il y a de spontané, de généreux en vous, ne vienne pas se glacer au contact de ces deux mortels ennemis du bonheur : l’Ironie et le Pessimisme.

J’ai lu l’album des « Confidences » des Annales et les malices que nombre d’auteurs célèbres y ont glissées. Ils se sont divertis à noter les travers de notre époque et à les donner comme formules de bonheur. C’est une critique spirituelle de nos mœurs.

Vous vous rappelez la question :

« Quelle est la qualité qui, en notre siècle, assure le bonheur ? »

Écoutez le joli chapelet de réponses :

La Bassesse, dit Georges de Porto-Riche ;

L’Effronterie, assure Gyp ;

Le Mépris, avance Henry Bordeaux ;

Le Snobisme, remarque J.-H. Rosny, aîné ;

La Sottise béate, affirme Georges Cain ;

La Muflerie, déclare de Féraudy ;

L’Intrigue arrogante, constate Paul Adam ;

Le Toupet, décrète André Lichtenberger ;

La Misanthropie, glisse discrètement André Beaunier ;

L’Égoïsme inconscient, conclut le Bonhomme Chrysale.

Jamais, bien entendu, aucune de ces « qualités » n’a permis de rencontrer ne fût-ce que l’ombre du bonheur. Mais ce sont les moyens par quoi quelques arrivistes d’aujourd’hui essaient d’y atteindre.

La violence de leurs appétits ; la férocité avec laquelle ils montent à l’assaut ; l’âpreté qu’ils mettent à disputer une miette de gloire, un bout de faveur et quoi que ce soit appartenant au voisin, les jettent dans cette erreur extravagante de croire qu’au bout de la conquête, même déloyale, surgit le bonheur : cela, c’est à faire pitié…

Le bonheur, vrai, tendre, intime, repose sur l’estime de soi, sur la confiance dans ses amis, sur une sorte de discipline morale très forte, et sur l’amour instinctif des autres. Il est quelque chose comme une santé de l’âme…, et je ne l’imagine point sans courage, sans une sérénité bienveillante, sans cette activité toujours en éveil qui va joyeusement plus haut, plus avant, si rude que soit la montée.

Ce n’est pas en obéissant à son égoïsme, à son amour-propre, qu’on grimpe aux sommets charmants du Bonheur. Le grand but, c’est la joie qu’on donne, et, par un juste retour, il vous revient la meilleure part des biens jetés si largement…

Comme l’écrivait Gustave Le Bon, les sentiments sont la base de l’existence. Le jour où le dévouement, la pitié, l’amour et les illusions qui nous mènent seraient remplacés par la froide raison, tous les ressorts de l’activité se trouveraient brisés. Il n’y aurait plus de bonheur.

Et c’est parce que le bonheur est surtout une espérance, — une espérance réalisable, mais non réalisée encore, — qu’il faut l’ardeur de la foi pour l’animer…

L’Ironie détruit l’espérance, le Pessimisme la renie…

Du bel oiseau bleu, du rêve charmant du bonheur, ces deux mégères ne laissent rien subsister, qu’un fantôme sans prestige, sans durée, sans force…leur action est néfaste…

La vie, justement, est toute chaleur, tout mouvement, toute passion. On ne l’imagine point sans soleil, sans orages, sans printemps et sans automne. Or, le bonheur est comme la vie, ou plutôt, c’est la vie même, et quand je vous dis : que le bonheur soit en vous…, j’entends, par là, que vous trouviez dans votre cœur assez de courage, de bonté, de gaieté, d’enthousiasme, d’énergie, de résignation, de simplicité, d’optimisme, pour « être heureux », selon le mot délicieux d’Henry Roujon.

Le bonheur, c’est le génie des gens qui savent aimer ; ils font jaillir du bonheur de partout, de leur cervelle, du fond de leur âme tendre, de leur esprit en mouvement. Ils en créent, ils en dispensent d’un geste royal ; ils sont heureux parce qu’ils cherchent à répandre du bonheur autour d’eux. Que le bonheur soit avec vous !