Le spectre menaçant/02/22

La bibliothèque libre.
Maison Aubanel père, éditeur (p. 131-133).

XXII

Assis à son pupitre, André attendait anxieusement le résultat de l’entrevue de l’ingénieur avec son patron. Il ne fut pas longtemps dans l’attente, car à peine Monsieur Jennings avait-il franchi le seuil de la porte, que Monsieur Drassel pressa le bouton de la sonnette pour l’appeler.

— Monsieur Selcault, dit-il, en donnant la main à André, l’entrevue que je viens d’avoir avec Monsieur Jennings, à votre sujet, me satisfait. Vous entrez à mon service en qualité de comptable en chef à cinq mille dollars par année… si le salaire vous va ?

— J’accepte avec reconnaissance, Monsieur Drassel.

— Je n’ai pas besoin de vous dire ce que j’attends d’un homme à qui je paie cinq mille dollars par année, reprit Monsieur Drassel, d’un ton sévère.

— J’espère répondre à votre attente, répondit André, d’un ton rassuré.

— Le passé est effacé, Selcault, continua le patron plus doux : ici c’est l’avenir qui compte. Je désire prendre un congé dans un mois. Vous aurez probablement à me remplacer, de sorte qu’il vous faudra vous initier rapidement à la besogne tout en surveillant la comptabilité.

— À propos, dit André, j’ai remarqué ce matin en venant au bureau que la chaîne sans fin qui charroie les billes au moulin en échappait plusieurs. Ceci peut être la cause de l’insuffisance de l’alimentation des broyeurs dont vous me parliez hier ?

— Que me dites-vous ! Cette chaîne n’est pas encore réparée ? Faites venir le contremaître. Je veux savoir si c’est ainsi qu’on exécute mes ordres. J’ai constaté moi-même ce que vous me rapportez il y a déjà un mois et rien n’a encore été fait apparemment. Je vous remercie de me l’avoir rappelé. Continuez d’avoir l’œil ouvert.

Heureux d’avoir pu se signaler si tôt à son patron, André retourna à son pupitre et se mit résolument à l’audition des livres. Il mit à jour les erreurs qui avaient été commises par son prédécesseur, renvoyé pour incompétence.