Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/11

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VIII

TADOUSSAC




La bourgade d’autrefois et le vieux bourg d’aujourd’hui — L’Hôtel Tadoussac — La petite chapelle des sauvages.





PARLER de Tadoussac, c’est remonter au berceau de l’histoire canadienne : car, un poste de commerce en plein sur le fleuve Saint-Laurent fréquenté par une foule d’Européens et dont le port sert à ancrer des navires de toutes les nationalités, au commencement du XVIe siècle, c’est assurément un sujet d’intérêt non seulement pour les gens du pays, mais pour tous les habitants du continent découvert par Christophe Colomb.

Le 1er septembre 1535, Jacques Cartier débarquait à Tadoussac.

En 1628, une flotte anglaise, sous le commandement de l’amiral Guillaume Kirtk, s’emparait de Tadoussac.

Quelques années plus tard, en 1632, le frère de l’amiral Guillaume Kirtk, Jacques-Michel, y expirait et, après sa mort, les aborigènes déterraient son cadavre et le livraient en pâture à leurs chiens.

Et que d’autres faits des premières heures de l’histoire canadienne se sont passés au pays de Tadoussac. Longtemps avant Cartier, Tadoussac était l’endroit où les sauvages se réunissaient pendant l’été pour faire l’échange de leurs chasses et de leurs pêches. Ils troquaient des peaux de castors et de loutres pour des flèches, de la farine, du maïs et du tabac.

M. de Chauvin y trouva un poste tout établi lorsque, en 1599, il fit construire à cet endroit une maison en planches pour seize hommes qu’il fit hiverner là. Onze de ces malheureux périrent de froid et de privation.

La réputation de Tadoussac était établie. Les géographes de Londres et de Paris en faisaient même une ville assez considérable, siège de la juridiction au Canada. Il est vrai que dans l’unique maison de cette ville se plaidait, en 1608, le premier procès criminel en la Nouvelle-France, celui de quatre conspirateurs qui avaient voulu assassiner Champlain, et, à la porte de cette maison, avait lieu la première exécution capitale, celle de l’un des conspirateurs, un serrurier normand du nom de Jacques Duval.

Du temps des Français, jamais un vaisseau ne montait ou ne descendait le fleuve sans faire escale à Tadoussac.

En 1615, le Père Jean Dolbeau, récollet, vint y établir le centre de ses missions dans le nord. Les enfants de Saint-François cèdent leur poste à ceux de Saint-Ignace, en 1641.

Les terribles Iroquois envahirent Tadoussac en 1661 et réduisirent tout en cendres, excepté la chapelle en pierre des Jésuites.

Depuis ces événements remarquables de l’histoire des premières années du Canada, il ne s’est passé rien de bien important à Tadoussac. Hochelaga et Stadacona devenaient les grandes villes de Montréal et de Québec : Tadoussac restait l’humble petit bourg qu’il est encore, rendez-vous des touristes qui, au bord de ses eaux rafraîchissantes, viennent se reposer des fatigues de la ville, grâce à la Canada Steamship Co., ancienne compagnie Richelieu et Ontario, qui a pris soin de préparer un somptueux abri sous lequel, chaque été, viennent jouir de tout le confort possible des touristes américains et des familles canadiennes. En même temps que l’on jouit du confort moderne qu’offre l’hôtel Tadoussac, on se livre à tous les exercices du camping le plus délicieux : excursions à la voile et à la rame, pêche à l’eau salée et à l’eau douce ; voyage dans les Bois et sur les grèves ; alpinisme au sommet des hauteurs qui entourent le village. Et l’on respire à la fois l’air salin et âcre de la mer et celui d’une pureté sans égale qui vient du Saguenay.

En 1865, plusieurs Québécois et Montréalais les mieux posés dans le monde commercial : l’hon. D.-E. Price. MM. J.-B. Forsyth, E. Rhodes, John Gilmour, Willis Russell, de Québec, le Dr George-W. Campbell, Chs-J. Bridger. Alex, Urquhart, de Montréal, Jos. Radford, de Tadoussac, se formèrent en compagnie, avec un capital de $40,000 dans le but d’exploiter les bains de mer en construisant un grand hôtel sous le nom de Tadousac Hotel and Sea Bathing| Company. L’emplacement de cet hôtel, celui qui existe aujourd’hui, est incomparable. Il est le rendez-vous des touristes de toutes les parties de l’Amérique.

Autour de cet hôtel, se sont construites plusieurs villas appartenant à des Montréalais, des Québécois et à des Américains les plus haut cotés dans le monde de la finance.

Depuis 1873, il existe à Tadoussac un établissement ichthyogénique pour la reproduction du saumon. C’est une institution des plus intéressantes à visiter. Il en sort, chaque été, plus d’un million de petits saumons qui sont distribués dans les rivières tributaires du Saguenay.

Ajoutons, enfin, que Tadoussac, dans la langue montagnaise, signifie mamelons. D’après Mgr Laflèche, le mot cri est Tatonskak, pluriel de Tatonsk, qui veut dire mamelle. Cet endroit était aussi appelé par les sauvages Satilège.

Quoiqu’il en soit, les Anglais écrivent Tadousac, et les Canadiens français Tadoussac. Les anciennes relations des missionnaires et presque tous les manuscrits de la période française ont adopté cette dernière orthographe. D’après les règles de l’euphonie française, on a raison d’écrire ce nom avec deux s.

Enfin, terminons par une description que donne de Tadoussac un missionnaire jésuite dans les Relations de 1676.

« C’est un lieu plein de rochers et si haut qu’on dirait que les géants qui voulurent autrefois combattre les cieux auraient jeté à cet endroit les fondements de leur escalade. Le grand fleuve Saint-Laurent fait quasi dans ces rochers une baie ou une anse qui sert de port et d’assurance aux navires qui voguent en ces contrées : nous appelons cette baie Tadoussac. La nature l’a rendue fort commode pour l’ancrage des vaisseaux ; elle l’a bâtie en rond et mise à l’abri de tous vents. »

L’une des premières choses que s’empresse de visiter le touriste en débarquant à Tadoussac, c’est la vieille petite chapelle des sauvages, comme on appelle le petit temple, qui est situé près de l’Hôtel Tadoussac sur une élévation qui domine la mer.

En 1661, les Iroquois, que l’on retrouve partout dans l’histoire des premières années du Canada, envahirent Tadoussac et réduisirent tout en cendres, excepté la chapelle en pierre des Jésuites. Cette chapelle datait des missions du Père Jean Dolbeau. Elle fut cependant détruite par un incendie, quatre ans plus tard, lorsque déjà, depuis deux ans, les Pères Jésuites avaient réussi à attirer, de nouveau, autour du petit temple, les sauvages dispersés par la peur.

Lorsque Mgr de Laval vint faire sa visite pastorale à Tadoussac, en 1668, l’église n’avait pas encore été reconstruite et les bons sauvages durent recevoir le chef de la prière dans une très modeste cabane d’écorce.

Enfin, en 1747, le Père Coquart, jésuite, missionnaire de Tadoussac, entreprit de construire une nouvelle chapelle.

C’est celle que nous voyons aujourd’hui perchée sur le plateau qui domine la grève de la baie de Tadoussac.

L’intendant Hocquart, qui, à son arrivée au Canada, faillit périr dans le naufrage de l’Éléphant, au Cap Brûlé, près de Saint-Joachim, le 1er septembre 1729, contribua généreusement en fournissant tous les bardeaux, planches et clous nécessaires à la construction.

Toutefois, cette chapelle ne fut terminée que le 27 juin 1750, lorsque l’intendant Bigot donna 200 livres pour finir la couverture. Avant son départ, Hocquart avait assuré une rente annuelle de 200 livres pour l’entretien de la chapelle.

Les habitants de Tadoussac, qui n’eurent pas d’autre église, jusqu’en 1885, ajoutèrent le jubé intérieur et la disgracieuse sacristie qui gâtent la symétrie de la petite et humble chapelle.

En 1870, cette chapelle était en piteux état. Elle menaçait ruines de tout côté et il fallait absolument la restaurer. Thomas-D. King, de Montréal, poussé par le démon du musée, fit un chaleureux appel à ses compatriotes d’origine anglaise et recueillit une somme suffisante pour remettre en ordre la vieille petite chapelle et nettoyer le cimetière où, le 7 août 1880, on planta une croix de dix-huit pieds de hauteur. Les clôtures qui entourent la chapelle et le cimetière sont dus à la générosité des messieurs Price.

La cloche de la chapelle est celle dont le son réjouissait tant les pauvres sauvages de 1647. À l’intérieur, on voit beaucoup d’objets qui rappellent des souvenirs très anciens, entre autres un enfant Jésus en bois, vêtu d’une robe de soie brodée par la reine Anne d’Autriche.

Chaque année, le 26 juillet, jour de la fête de Sainte-Anne, on dit la messe dans la petite chapelle aux intentions du Père Coquart.

En 1919, les membres de la Société Royale du Canada apprirent que l’on allait démolir la petite chapelle. Nos antiquaires s’émurent avec raison. Mais, heureusement, il ne s’agissait que d’un vulgaire canard, auquel S. G. Mgr Labrecque, évêque de Chicoutimi, et l’abbé Geo. Tremblay, curé de Tadoussac, ne tardèrent pas à couper les ailes.



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Marine, près de Québec, sur le fleuve St-Laurent.
Tableau de M. Yvan Neilson.