Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/22

La bibliothèque libre.


V

LES TREMBLEMENTS DE TERRE




Un témoin oculaire, messire J.-B. Plamondon, décrit comme suit, dans le Journal de Québec du 22 octobre 1870, la catastrophe du 20 octobre 1870.


Baie Saint-Paul, 20 oct. 1870.

« M. le rédacteur,

« Un mot à la hâte pour vous faire connaître les désastres causés, tout à coup, ici et dans les environs, par le tremblement de terre le plus étrange qui soit arrivé de mémoire d’hommes. Environ une demi-heure avant midi, un coup de foudre (c’est la seule dénomination que je puisse lui donner), une énorme détonation a jeté tout le monde dans la stupeur et la terre s’est mise, non à trembler, mais à bouillonner de manière à donner le vertige, non seulement à ceux qui étaient dans les maisons, mais encore à ceux qui étaient en plein air. Toutes les habitations semblaient être sur un volcan et la terre, se fendillant en cinq ou six endroits, lançait des colonnes d’eau à six, huit et peut-être quinze pieds en l’air, entraînant après elle une quantité de sable qui s’est étendue sur le sol. Presque toutes les cheminées se sont écroulées, de sorte que je ne pense pas qu’il en soit resté six debout, dans tout le village. Des pans de maisons se sont abattus, et ici et là les poêles, meubles et autres objets ont été renversés, emportant avec eux les ustensiles, la vaisselle, etc., etc.

« Notre couvent, qui était sous la direction des bonnes sœurs de la Congrégation, est inhabitable pour le moment, trois cheminées et le plafond des mansardes étant démolis en partie. Trois élèves et une servante de cet établissement ont été blessées par des pierres provenant de l’éboulement des cheminées ; cependant, aucune d’elles n’est atteinte gravement.

« L’église a beaucoup souffert : une partie de son portail s’est écroulée, emportant un morceau de la voûte et le reste des murs est tellement lézardé qu’il est douteux qu’on puisse les réparer.

« La stupeur a été telle que pendant les trois ou quatre minutes qu’a duré la secousse, tout le monde pensait que c’en était fini, et que nous allions tous périr. Nous sommes encore sur le qui-vive, car de temps en temps de légères secousses se font encore sentir. Chacun redoute la nuit prochaine et se demande où il sera demain matin. Il est certain que si cette catastrophe fût arrivée pendant la nuit nous aurions à déplorer la perte d’un grand nombre de vies.

« Il nous est venu des gens de diverses concessions, de sorte que nous avons des nouvelles d’un circuit d’environ quatre lieues, et nulle part il n’est resté une habitation intacte ; partout la secousse a été violente. À l’heure où j’écris ces lignes, la terre tremble encore, et qui sait si je pourrai terminer. Aussi veuillez excuser le décousu de ces quelques détails que je vous donne à la hâte, ainsi que les fautes qui peuvent s’y être glissées. »

Un mois plus tard, les secousses continuent : on écrivait au Journal de Québec, de la Baie Saint-Paul :

« En nulle partie du pays la population n’a été aussi alarmée que dans cette partie du comté de Charlevoix. Les vents tempétueux, les noirceurs prolongées, les secousses ou tremblements de terre réitérées, ont répandu la peur, l’effroi et la stupeur dans les familles. Le 22 du courant, beau temps, beau soleil dans la matinée ; mais vers midi, vent violent et temps couvert avec tous les autres présages d’une tempête. À quatre heures de l’après-midi, nous avons éprouvé un tremblement de terre assez fort pour faire résonner les vitres. Tout aussitôt, les pauvres habitants déjà tenus en alarme, depuis un mois et plus qu’ils éprouvent de ces fléaux, se sont précipités hors des maisons, se lamentant et se croyant menacés de chocs encore plus violents. À quatre heures vingt minutes, grande obscurité, le vent tourna au sud, du nord qu’il était, et souffla avec moins de violence… Depuis lors, tout le monde est aux aguets, tout le monde observe, et le plus léger bruit, ou une lueur inaccoutumée effraie et répand l’alarme. Durant le jour, chacun est sur ses gardes : on va, on vient ; les occupations font taire les inquiétudes : mais la nuit, les aurores boréales, les nuages noirs et sombres qui les remplacent, tiennent les esprits dans la crainte et dans des agitations indicibles, fatigantes et prolongées… »