Le véritable conducteur aux Cimetières/Plan

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Plan et division du Cimetière.


M. Brongniard avait décidé que toute portion de terre, entourée d’allées ou de chemins sinueux, formerait une division ayant son numéro d’ordre. Pour encadrer ces divisions, il traça deux allées droites traversant le cimetière du Nord au Sud, une allée suivant le contour des murs et une infinité de petites allées sinueuses parcourant les vallons, les collines et le plateau ; de cette manière jaillirent sous son crayon 57 divisions, non compris le cimetière des Juifs, qui fut élevé sur un terrain à part adossé au mur du Père Lachaise, dans lequel on pratiqua un mur d’entrée.

Ces dispositions rendues faciles à explorer à l’aide d’un plan du cimetière, ont été violées maintes et maintes fois : d’abord des allées ont été supprimées et remplacées par des tombeaux qui ont de cette manière joint une division à une autre. Les numéros d’ordre, qui eussent dû se trouver sur les bords du chemin, ont été le plus souvent posés au sein de la division qu’ils annonçaient de manière à être pour ainsi dire inapercevables.

Ensuite les registres de l’administration qui nous ont été communiqués ne suivent pas cet ordre ; les différentes portions des terrains sont désignées par des noms bizarres, enfans du hazard ou du caprice, et sans avoir égard à l’étendue ou à la circonscription du tertre qu’ils désignent ; ainsi 60 pieds carrés de terrain renfermeront parfois sept à huit sections, et plus loin, 60 pieds carrés seront désignés comme formant un tout compact, quoique coupé par des allées et des avenues qui en détruisent l’ensemble.

Une classification aussi erronée, aussi défectueuse, ne pouvait être le plan qui devait nous guider dans nos investigations, et nous avons encore préféré adopter les divisions créées par M. Brongniard, en attendant que l’autorité ait procédé à un plan de classification dudit cimetière. Cette opération nous parait d’une nécessité indispensable, vu l’immense dimension du terrain, et nous nous trouverons heureux d’avoir des premiers accéléré une mesure aussi utile.

Nous suivrons donc pas à pas les 57 divisions de M. Brongniard, tout en convenant qu’il eût été possible de tracer dans cette vaste enceinte une marche plus favorable à la fois à la promenade et à l’observation ; mais puisque le terrain n’a pas été convenablement disposé pour cela, nous sommes bien forcés d’en admettre les inégalites.

Nous avons pensé d’ailleurs que la visite d’un cimetière, tel que celui du Père Lachaise, n’étant pas l’ouvrage d’un jour ; suivre pas à pas chaque division, était ce qu’il y avait de mieux à faire, attendu que l’on serait toujours à même, à la promenade suivante, de repartir du numéro où l’on en serait resté à la fois précédente, et que ce moyen était tout à fait le seul que l’on put mettre en usage pour ne rien oublier de remarquable dans le cours de ses excursions funèbres.


Entrées du Cimetière.


La langue latine est fort belle, nous en convenons ; mais il est absurde d’en fourrer partout, et elle nous parait surtout fort déplacée sur les murs d’un cimetière. Cette enceinte funèbre appartient à la ville ; chacun a fouillé à sa poche pour contribuer à son acquisition, et les administrateurs de nos fonds rendent leurs comptes en latin à des administrés qui, pour la plupart, ne le comprennent pas. C’est une mauvaise plaisanterie, et qui dure depuis trop long-temps : espérons qu’incessamment on voudra bien la terminer. En attendant, traduisons au peuple ce que veulent dire ces légendes latines qu’il regarde tout ébahi, et se demandant pourquoi on les a placés là tout exprès pour qu’il n’y comprenne rien.

Sur le pilastre droit, on lit cette sentence : Spes illorum immortalitate plena est (sap. iii.v). Leur espérance est pleine d’immortalité. Livre de la sagesse, 5e verset. Sur le pilastre gauche cette maxime de l’Evangile. Qui credit in me, etiamsi mortuus, vivet (Joann XI). Qui croit en moi, quand même il serait mort vivra. (Jean XI.)

Une autre mauvaise plaisanterie, faite sans réflexion, c’est d’avoir placé sur les ventaux de la porte, ces immortelles paroles du pauvre Job Scio quòd redemptor meus vivit et in novissimo die de terrâ surrecturus sum. (Job XIV). Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’au dernier jour je ressusciterai de la terre où je serai enseveli. Cette inscription ne peut se lire que quand le cimetière est fermé, époque à laquelle on n’a pas l’habitude d’y venir. Quand il est ouvert, cela ne forme plus qu’une charade indéchiffrable dont la première moitié est aussi peu compréhensible que la seconde. Le mauvais goût qui a présidé à l’emplacement de cette citation, est peu en harmonie avec la finesse, l’élégance et la délicatesse qui caractérisent si bien le 19e siècle. Du reste, le coup d’œil agréable que présente le cimetière, dès la porte d’entrée, rachète un peu ce défaut de goût. Le terrain s’est si habilement disposé sous le crayon de M. Brongniart, que rien de lugubre et de sinistre ne vient attrister les yeux qui se plongent curieusement à droite et à gauche ; on n’entrevoit que de riches coteaux surchargés de rians bosquets ; une verdure éblouissante, et partout des fleurs ; un vent vif et pur fait parvenir jusqu’à votre odorat, les parfums si doux de l’oranger, du lilas et de la rose : ce n’est pas là l’odeur céphalalgique du cimetière de Vaugirard, la teinte caverneuse de Montmartre, la surface pleine et un peu aride du Mont-Parnase ; c’est la nature entière en miniature, depuis le parterre soumis aux investigations de l’art, jusqu’aux divagations romantiques du jardin anglais. Rien de repoussant ne vous cloue sur le seuil de la porte, tout attire ; et le respect religieux que l’on observe là pour la cendre des morts, fait disparaître l’amertume des pensées que la mort entraîne avec elles.

Au contraire, bientôt on s’étonne de la bizarre et plate uniformité de toutes ces épitaphes complimenteuses, qui décorent la pierre de tant d’excellens époux, d’excellentes femmes, d’excellens pères, d’excellentes mères, d’excellens fils, d’excellentes filles, d’excellens amis, d’excellens parens, etc… On n’est plus surpris si l’on rencontre tant de vices dans la Capitale, puisque toutes les vertus se sont donné rendez-vous dans le cimetière, et on s’écrie en souriant, et en s’enfonçant de plus en plus dans cet empire de la mort :

Plus d’alarmes,
Séchons nos larmes,
Et répétons à l’impromptu,
Dieu ! que les morts ont de vertu !

P. S. Le plan du cimetière du père Lachaise étant d’une exactitude parfaite, nous nous contenterons d’énoncer chaque division par son numéro, sans entrer dans aucun détail topographique : ce qui du reste, eut été veritablement impraticable pour un grand nombre de divisions.


Ire DIVISION.
(Voir le numéro correspondant sur le plan.)


Cette ire division, composée de deux tertres à droite en entrant, ne renferme guère que quelques noms un peu connus.

Le premier, c’est l’abbé Grozier, ancien élève de la vieille école de Ste.-Barbe, bibliothécaire de la belle collection de livres déposée à l’Arsenal, homme instruit, de mœurs douces et faciles, contemporain de Fréron ; il en fut le collaborateur, et ce n’est que depuis le 8 septembre 1823 que la France le compte de moins parmi l’élite de ses savans les plus distingués.

Dieulafoy, pauvre auteur de pauvres flonflons ; les quelque vingt vaudevilles qu’il fit de moitié avec son ami Gersin, l’ont dès long-temps précédé dans la tombe ; il a tout emporté, excepté une comédie en trois actes qui n’est pas sans mérite, le Portrait de Michel Cervantes.

Swebach, qui se trouve entre le jésuite et le chansonnier, fut un peintre distingué, dont la bataille de Rivoli est considérée comme le plus bel ouvrage. Il repose là depuis le 10 décembre 1823 ; il était âgé de 55 ans.

Nous n’avons pas lu sans émotion sur la tombe d’un enfant de 14 mois, Henri-Justin-Cecilia Philibert, décédé le 3 décembre 1823, le quatrain suivant, empreint d’une douce mélancolie.

Du paisible sommeil de la douce innocence,
Dans ce triste berceau tu dors, ô mon enfant !
Écoute, c’est ta mère ! ô ma seule espérance !
Réveille-toi ; jamais tu ne dors si long-temps.

Sur une pyramide surmontée d’une urne, élevée à la mémoire de M. Vère, décédé le 3 mars 1824, à l’âge de 28 ans, on lit également avec émotion le distique suivant :

Ton amour, mon cher fils, faisait tout mon bonheur !
La mort, en t’enlevant, me livre à la douleur.

Plus loin, la tombe de M. Saunier, naturaliste, attire nos regards par son portrait sculpté en marbre, et orné de fleurs naturelles.

A droite en entrant, on apercoit le tombeau d’Albert-Marie Royer de Villers, né le 7 septembre 1807, mort le 3 mars 1823. Son épitaphe est un modèle de regrets et de sentiment :

De mes parens accablés de douleurs
J’espérais essuyer les pleurs,
Par mes succès par ma tendresse
J’espérais de leur vieillesse
Alléger le fardeau ;
Mon espérance en un triste tombeau
Est pour jamais ensevelie ;
Je n’ai fait qu’effleurer la coupe de la vie.

Plus loin repose Catherine-Marie-Antoinette Joliot, née le 1er décembre 1797, morte le 2 mars 1824.

O toi qui de nos jours charmais chaque moment,
Tendre mère, épouse chérie,
Bonne sœur, excellente amie,
Puisse-tu, dans les cieux, recevoir maintenant
Le prix d’une vie exemplaire,
Et posséder un bonheur aussi grand
Que tu laissas de regrets sur la terre !

Et derrière :

Au mérite rendez hommage ;
L’exemple des mères n’est plus,
Dans les souffrances son courage
Fut le terme de ses vertus.
Sa tendre mère, hélas ! doit la pleurer sans cesse ;
Elle perd sans retour un trésor précieux :
Sa fille l’imitait, et c’est à sa tendresse
Qu’elle doit le bonheur de résider aux cieux.

Non loin de la repose Jacques Delavigne, doyen des avocats de Paris, mort le 1er janvier 1824, âgé de 80 ans. Point description : son souvenir durera plus long-temps qu’elle.

Plus loin un monument fort simple s’offre a notre vue : ces mots et Inscription qui suit y sont graves, pour toute indication :

24 octobrc 1823. A ma Mère.
J’ai perdu pour toujours une mère adorable,
Rare modèle des vertus ;

A mon amour la mort inexorable
Laisse des pleurs et rien de plus.

Croissez, riantes fleurs,
Jadis vous formiez sa parure ;
Croissez, … arrosées de mes pleurs,
Ornez encor sa sépulture.

Écoutons la douleur d’un père au tombeau d’Edmond-Pierre-Eloy Sassé, le dernier de ses fils, mort le 16 novembre 1825, à l’âge de 21 ans.

J’avais deux fils, hélas ! de mon triste veuvage ;
Tous deux ils consolaient les récentes douleurs ;
L’ainé me fut ravi, je m’armai de courage,
Espérant que du moins l’autre essuirait mes pleurs.
Vain espoir, sous ses pas s’est ouvert un abime :
Je le vois, c’est le même où son frère a péri ;
Il attendait, grand Dieu ! la seconde victime :
L’abîme est refermé, rien n’aura donc servi,
Mes veilles ni mes soins, mes pleurs ni ma prière.
Ah ! du moins, dors en paix à côté de ton frère ;
Comme lui, tu fus bon, sensible généreux ;
Comme lui, tu dois être au rang des bienheureux.
Chers fils, vous eussiez fait l’orgueil de mon vieil âge,
L’un et l’autre à l’envi vous l’auriez su charmer ;
Vos talens, vos vertus en étaient un sûr gage ;
Vos talens, vos vertus n’ont donc pu vous sauver.
Un seul espoir me reste et soutient mon courage :
Quand Dieu m’appellera j’irai vous retrouver.

Allons à quelques pas de là pleurer, avec M. Lelandais, Louise-Thérèse, son épouse, décédée le 15 octobre 1823, à l’âge de 28 ans.

Telle on voit dans les champs la fleur encor nouvelle
Dont l’aspect, la beauté, l’éclatante fraicheur
Dérobent à nos sens une cause mortelle
Qui va l’anéantir au jour de sa primeur :
Telle, avant son trépas, cette épouse adorée,
Modeste autant que belle, offrait à tous les cœurs
L’image des vertus, source pure et sacrée
D’où découle l’oubli des plus vives douleurs ;

La bonté, la candeur embellissaient sa vie ;
La bienfaisance en fut le plus bel ornement ;
Tendre, fidèle épouse et généreuse amie,
Elle attirait les cœurs par un charme entrainant.
Mortel infortuné, mes regrets et ma flamme
D’un destin trop cruel aggravent le fardeau,
Au printemps de ses jours elle exhale son âme ;
Je vis pour la pleurer et la joindre au tombeau.

Voila une douleur bien marquée ; et, cependant, qui croirait qu’il n’en est plus rien depuis longtemps ? car la pierre qui recouvre cette épouse, que l’on devait pleurer toute la vie, est jonchée d’ordures, et la couronne de fleurs d’orange, qui surmonte l’urne, est pourrie, sans laisser penser qu’elle ait jamais été renouvelée.

Nous regrettons de n’avoir pu copier la touchante élégie que Mlle Rose Rouillière a composée et écrite sur la tombe de son père ; cette tombe se compose d’une simple croix de bois, à laquelle est suspendue un cadre, sous le verre duquel est la dite élégie écrite à la main. Le commencement annonçait quelque chose de bien ; le voici :

C’est ta fête aujourd’hui, mon père ;
Je viens t’apporter mon bouquet.
Pour bouquet, à l’ordinaire,
A ta boutonnière il brillait,
Et maintenant il languit sur ta pierre.
A l’ordinaire aussi, je caressais mon père,
J’égayais ses regards de mes folâtres jeux ;
Et maintenant je viens baiser sa pierre....

L’humidité a gâté cet hommage de la piété filiale, et il nous a été impossible d’en lire davantage.

Nous avons été plus heureux pour les vers gravés sur la tombe de Mme Dupont, décédée à l’âge de 23 ans, le 17 décembre 1823. Ces vers sont empreints d’une douce mélancolie.

Tes beaux jours ont passé comme la fleur des champs,
Qu’on voit naitre et mourir dans un même printemps
Toi que j’idolâtrais, ô ma fidelle amie,
Toi, dont les tendres soins embellissaient ma vie.
C’en est fait ! tu n’es plus ! hélas ! mon triste cœur,
En perdant sa Julie, a perdu le bonheur.

A’peu de distance, sur une pierre tumulaire, ombragée de quelques simples arbustes, nous avons lu le quatrain suivant, en l’honneur de M. Verbooy, décédé le 20 mars 1827. Ce quatrain est le fidèle portrait d’un homme de bien, et nous souhaitons qu’il ait été ressemblant.

L’homme de bien, qui repose en ces lieux,
Sut faire un noble emploi des instans de, sa vie,
La passa librement sans haine et sans envie,
Et marqua chaque jour par un trait généreux.

Ces vers sont masqués, il nous a fallu écarter les deux sapinettes qui le couvraient pour parvenir à les lire.

A quelques pas de là, nous avons retrouvé avec plaisir le touchant quatrain de Malherbe : Elle était de ce monde, etc., sur une pierre tumulaire carrée, qui recouvre la cendre de Julie Chevey, jeune rose de 17 ans, tombée sous le tranchant de la mort le 15 octobre 1823.

Dans le second carré qui fait également partie de la première division, nous avons salué le monument consacré, à la mémoire de Cosset. Ce fut un peintre dont les productions n’eussent pas été sans mérite, s’il n’eut pas négligé le beau, le naturel, pour rechercher ce qu’il appelait le joli, et qui n’était que le maniéré, l’afféterie.


IIe DIVISION.


Ce ne sont pas toujours les plus beaux monumens qui recouvrent les hommes les plus estimables ; nous cherchions la tombe de J.-B. Desplas, ancien professeur à l’école véterinaire d’Alfort… Sa cendre méritait les plus grands honneurs, et pourtant une simple croix la recouvre. Que de traits d’humanité courageuse, que de bienfaits, que d’actions nobles et désintéressées sont englouties là ! mais le souvenir n’en est pas encore entièrement éteint, et la Biographie les recueillera dans le plus petit détail : cette pensée nous a un peu consolés de la mesquinerie de sa demeure dernière.

La tombe du statuaire Milhomme est digne de se trouver non loin de celle que nous venons de citer ; ce fut un homme de talent, et la statue de Colbert qui décore le pont Louis XVI, en est la preuve.

Dans la même division, nous rencontrons le monument funèbre qui recouvre les restes inanimés de Mlle Mezerai, actrice du Théâtre Français ; le public l’a regrettée, sa famille l’a pleurée. Quel plus bel éloge en peut-on faire ?

Sur un cénotaphe surmonté également d’une urne funéraire, et érigé à la mémoire d’Auguste Everat, décédé le 6 avril 1823, nous avons lu les deux vers suivans, non sans quelque émotion :

Il mourut regretté de sa famille entière,
C’est ici qu’il repose en attendant son père.

Non loin de là, en longeant la seconde avenue tracée en ligne droite, est la dépouille mortelle de l’infortuné Boursier ; ce malheureux, après de longues années d’une vie probe et laborieuse, allait se retirer du commerce et jouir paisiblement de la petite fortune qu’il avait amassée dans l’épicerie, quand soudain un poison dévorant circule dans ses veines ; un feu brûlant dévore ses entrailles, il meurt.. La nature du poison fut bientôt connue ; mais quelle fut la main coupable qui le mêla à ses alimens ? c’est ce que la justice humaine n’a pu découvrir ; mais le remords, ce messager des vengeances célestes, a peut-être déjà depuis long-temps rongé le cœur de l’homicide.

Détournons les regards de cette tombe qui fait naître des pensées trop amères, et portons-les plus loin sur celle du plus âpre chicanneur que la France ait jamais produit. La comtesse de Pimbeche eût été près de lui un ange de conciliation. C’est assez nommer M. Selves, ex-député, jurisconsulte éclairé, auteur d’un ouvrage estimable, ayant pour titre : Tableau des désordres dans l'administration de la justice, et qui immédiatement après avoir clairement prouvé que les frais de procédure étaient entièrement ruineux, se jeta à corps perdu dans la chicane, entassa procès sur procès à son fermier, à ses avoués, à ses huissiers, à ses avocats, ses notaires, et même à ses juges ; sa famille voulut le faire interdire, il en fut enchanté ; c’était encore un procès, de plus. Il se défendit lui-même, et ce fut, nous croyons, le seul procès qu’il ait jamais gagné. Son caractère le suivit jusqu’au tombeau ; car, peu de jours avant le 16 juillet 1823, époque de sa mort, il rendit encore une plainte contre son secrétaire, et c’est de lui qu’on eut pu dire avec raison :

Entêté jusqu’à l’agonie,
Il disputait contre la mort,
Qui soudain lui trancha la vie
Pour lui prouver qu’il avait tort.

Non loin de ce chicaneur repose un paisible ami des sciences, qui les cultiva avec distinction jusqu’au 8 août 1823, époque de sa mort. L’abbé Pouillard offre en outre l’exemple d’un homme de bien, qui, devant tout au cardinal Fesch, ne l’abandonna pas comme tant d’autres, mais au contraire redoubla de zèle et de soins, quand l’orage vint fondre sur son bienfaiteur.

A peu de distance est la tombe de M. Delalande, nouvel exemple de bizarreries de la destinée ; il fait un voyage de plusieurs milliers de lieues, affronte dans les déserts de l’Afrique mille dangers de toute espèce, arrive à Paris, tombe malade et meurt dans son lit, âgé seulement de 36 ans, le 27 juillet 1827.

Nous avons lu avec un vif attendrissement, les quatre vers suivans, gravés sur la tombe d’une jeune fille décédée à l’âge de trois ans et huit mois.

Adelaïde Gabrielle d’Arnault.
Notre soin était chaque jour,
De t’aimer, de charmer ta vie :

Tu meurs, mais tu restes chérie.
La mort ne peut rien sur l’amour.


CIMETIÈRE DES JUIFS.


Avant d’arriver à la troisième division, en pénétrant dans l’ancienne cour d’entrée dont la porte donnait autrefois rue St.-André (hors Paris), on remarque une petite porte à droite ; c’est celle par laquelle on pénètre dans le cimetière particulier, réservé à la sépulture des enfans d’Israël ; il est excessivement difficile de pénétrer dans cette enceinte hermétiquement fermée en tout temps, même pendant les inhumations, dès que les assistans ont franchi le seuil de la porte.

Cependant quand cette porte s’ouvre, on aperçoit trois à quatre tombeaux d’une élégance qui frappe les yeux les moins attentifs ; nous avons consulté, à ce sujet, le gardien qui nous servait de Cicerone, et voici ce qu’il nous apprit :

Le monument que vous voyez là-bas, dans le fond, à gauche, recouvre la cendre de Joseph, changeur de monnaie, au Palais-Boyal, volé et assassiné par deux ouvriers étrangers, Rata et Malaguti ; il eut bien de la peine à guérir des coups terribles qu’il avait reçus ; enfin il y parvint. Ses assassins furent arrêtés plusieurs mois après, et le jour de la justice arriva ; mais le matin même de leur exécution, la criée de leur condamnation dans le Palais-Royal fit éprouver à leur victime une si terrible révolution, qu’il mourut le jour même, eu pardonnant à ses assassins.

Non loin de lui repose le Juif Calmer, qui, pétri d’une vanité ridicule, se fit monseigneuriser à prix d’argent, et, ce qui est plus baroque encore pour un juif, c’est qu’il prit à Amiens le titre de Vidame, dont l’emploi était de défendre, unguibus et rostris, vel gladio, les terres de l’archevêque, voire même de se battre pour lui, si l’occasion se présentait……

Près de ce personnage d’une vanité si ridicule et si mal placée, dort du sommeil des âmes justes et bienfaisantes, madame Fould, qui étendit sa main généreuse et bienfaitrice sur tous les infortunés, quels que furent leur culte et leur manière d’implorer l’être suprême.

Deux magnifiques tombeaux, élevés un peu plus, loin, sont jusqu’alors les seules choses qui sauvent d’un éternel oubli la mémoire de madame Lopez, et de M. Diaz Carvalho.

Le reste des tombes qui décorent cette modeste enceinte, sont des pierres tumulaires, dépourvues d’élégance, qui contrastent surtout avec les deux tombes magnifiques que nous venons de citer.

Presque toutes ces tombes sont ornées d’une double inscription : inscription hébraïque, inscription française et vice versa.

Nous regrettons que la difficulté de pénétrer, et surtout de stationner dans ce cimetière, nous ait mis jusqu’ici dans l’impossibilité de fournir de plus amples renseignemens à nos lecteurs.


IIIe DIVISION.


Ce qui frappe le plus naturellement les yeux de celui qui entre dans cette 3e division, c’est le tombeau d’Héloïse et d’Abeilard, placé à droite de l’allée de peupliers qui fait le tour du cimetière ; ce monument, de forme gothique, provient des débris du couvent du Paraclet : M. Alexandre Lenoir, directeur du Musée des monumens français, le fit construire en 1800, et l’exposa à l’admiration des étrangers et des curieux, dans son musée, où il resta jusqu’en 1815. À cette époque, il fut transféré dans le cimetière, à la place qu’il occupe maintenant. Ce n’est point une de ces belles cages vides qui ne servent qu’à immortaliser un nom ; les restes mortels d’Abeilard et d’Héloïse sont véritablement renfermés dans cette enceinte gothique, et ces amans du 12e siècle reposent tranquillement au milieu d’une foule de personnages fameux, qui ont illustré la France plus de sept cents ans après.

De l’autre côté du chemin qui conduit à cette tombe extraordinaire, repose un général anglais, le lord Murray, qui après avoir-triomphé longtemps dans les Indes, vint, en 1809, se faire mettre en déroute en espagne, par le duc d’Albuféra… Après s’être long-temps battus dans une contrée étrangère, ils reposent tranquillement ensemble dans la même enceinte funèbre… Sic voluêre fata.

Le Comte Colbert, officier dans la marine royale, ancien émigré, qui apprit, pendant 25 ans sur terre, à devenir contre-amiral en 1814, repose sous un monument un peu au-dessus du tombeau gothique, en longeant le mur de clôture. On a gravé sur sa tombe ces singuliers mots :

Honnêtes gens, priez pour lui.

Nous espérons que M le comte Colbert ne regardait pas comme les seuls honnêtes gens de son siècle, ou seulement les riches, ou ceux qui avaient fait pendant 25 ans une absence volontaire de leur patrie.

Près de là, repose Georges-Etienne Leroux, né le 4 décembre 1755, mort le 1er avril 1815.

Vertueux, bienfaisant, tendre époux et bon père, il fit, de ses amis, autant d’admirateurs.

La mort l’enferme en vain sous cette froide pierre : Son souvenir vivra constamment dans nos cœurs.

Près de là, deux tombes parallèles de marbre blanc renferment les restes de Laurent-Edme Bataille, architecte, mort le 22 janvier 1819, et ceux de Michel Marquois, sculpteur, décédé le 15 décembre 1820. Nous ne savons si c’est un sentiment d’amitié qui a pu donner lieu à ce rapprochement.

Plus loin, dorment sous le même tertre le frère et la sœur : Ernest-Théophile Bourdon, né le 8 mars 1796, mort le 1er janvier 1819 ; et Lise Bourdon, née le 14 juin 1804, morte le 31 octobre 1834.

O mort ! tu l’as frappé ce cher fils, ce bon frère,
Qui devait être un jour notre appui tutélaire.

Ernest, tu n’es donc plus ! ah ! ta mère, tes sœurs
Sur ta tombe viendront long-temps verser des pleurs.
Lise a passé comme la fleur
Qui brille un jour dans la bruyère,
Lise a rejoint son frère
Dans ce champ de malheur.
Ah ! sur celle qui leur fut chère,
Laissez pleurer sa mère,
Laissez pleurer sa sœur.
Lise, Ernest, ô douleur !
Tous deux, gisant sous cette pierre,
Ne vivent plus que dans leur cœur.

A peu de distance, repose du sommeil des justes madame Papillon, décédée le 25 janvier 1816. On a gravé sur sa tombe les vers suivans qui font son éloge :

Bonne, obligeante, douce, austère,
Elle aima la vertu, chérit les malheureux ;
Fut bonne épouse, tendre mère :
Sous terre gît son corps, mais son âme est aux cieux.

Sous une pierre tumulaire modeste, surmontée d’une urne que l’on voit à peu de distance, dort la dépouille mortelle d’une jeune fille, mademoiselle Dibling, que la mort arracha aux embrassemens de sa famille, le 26 avril 1820. Le quatrain, gravé sur cette pierre, respire la plus douce poésie et la plus touchante mélancolie :

Hélas ! à peine éclose,
Comme une faible rose,
Le jour qui la vit naître aux rayons du matin,
La vit évanouir le soir à son déclin.

Derrière cette tombe, et adossées contre le mur, sont six pierres tumulaires fort élégantes et de forme pareille. Elles sont sur une petite esplanade exhaussée de deux marches et fermée par une grille ; ces tombes, de construction tout-à-fait récente, sont élevées avec le plus grand soin ; on a pratiqué jusqu’à des tuyaux pour l’évacuation des eaux pluviales. Une seule de ces tombes est jusqu’alors occupée ; elle renferme l’épouse en secondes noces de M. Monthaud, notaire, à la famille duquel cette sépulture parait consacrée.

A quelques pas de cette élégante sépulture de famille, s’élève un marbre tumulaire, consacré à la mémoire de Mlle Vassin. La faulx cruelle de la mort l’a moissonnée comme une rose, le 20 mars 1818, à son 15e printemps, et l’on a gravé sur sa tombe ces quatre vers pleins d’une expression aussi douce que consolatrice :

Au digne objet d’un regret éternel,
On a consacré cette pierre.
C’était un ange envoyé sur la terre,
Il est retourné dans le ciel.

A partir de la sépulture du comte Colbert, on suit l’allée de peupliers jusqu’à l’endroit où s’arrêtent les voitures funèbres ; et là s’élève à l’extrémité de la 12e division, et faisant cependant partie de la troisième, un temple soutenu par six colonnes ; un vase cinéraire repose sous cet abri protecteur. Ce monument fut élevé par son père à Mademoiselle Butller, jeune rose de l’Amérique, que les vents un peu froids de la Capitale ont flétri dès son aurore.

Près d’elle, sous un arbre tumulaire, dort du repos des savans et des sages, un ex-ministre des cultes, Bigot de Préameneu, qui passa pur de reproches au milieu des orages de la révolution : ce qui n’est pas un mince éloge.

A ses côtés, se repose enfin de longues et ennuyeuses tourmentes le maréchal-de-camp Dammartin, qui n’a rencontré le repos que dans la tombe. Requiescat in pace !

Près de cette dernière tombe, sous une colonne en pierre, surmontée d’une urne cinéraire, qui borde le chemin rond qui environne le tertre de gazon où s’arrêtent les voitures funèbres, reposent les restes mortels de Mme Gandelet, décédée le 13 novembre 1824, à l’âge de 60 ans. Le quatrain suivant rend d’une manière expressive la douleur de ceux qui l’ont perdue :

Ici repose une mère chérie,
Sa bonté, ses vertus la firent admirer.
A nous aimer elle a passé sa vie,
Passons la nôtre à la pleurer.

A trois ou quatre pas, et toujours sur le chemin rond qui enclôt le tertre ; une pierre tumulaire recouvre la froide dépouille d’une jeune fille de six ans, Pauline Bertereau, que la main de fer du destin arracha des bras de sa famille, le 15 mai 1824. Les six vers suivans, que l’on a gravés sur la pierre, sont riches de poésie et d’énergie.

Ange chéri, dont la vie éphémère
A passé comme un vent léger,
Prends pitié des pleurs de ta mère ;
Et si Dieu voulut l’affliger,
Demande-lui de protéger
Ceux que tu laisses sur la terre.

Un peu après, est une pierre tumulaire fort simple, consacrée à la mémoire d’un homme connu par ses talens cuisiniares, Laurent Henneveu, restaurateur, boulevard du temple, à l’enseigne du Cadran Bleu, décédé à 39 ans, le 6 décembre 1819. On a gravé sur sa tombe ces mots expressifs :

Vous qui l’avez connu, pleurez… !

Sur un tableau placé au-dessus de cette tombe, on lit le quatrain suivant, adressé à la mémoire du défunt, par les employés de sa maison, le 9 août 1820.

Il est perdu pour nous ce maître respectable,
Dont le cœur vertueux faisait notre bonheur.
Il ne vit plus : la parque inexorable
L’enlève à notre amour et nous condamne aux pleurs !

D’où nous avons conclu que la douleur des employés était bien plus éloquente lorsqu’elle s’exprimait en prose.

IVe DIVISION.


La première tombe qui s’offre à nos regards nous frappe par un nom célèbre : c’est celui de Cuvier. Là repose sa fille, que la mort a frappée lorsque l’hymen allait la dépouiller de sa couronne virginale, le 28 septembre 1827.

Plus loin, depuis le 25 novembre 1822, âgée seulement de 30 ans, dort du sommeil éternel la comtesse Walther, épouse du général Watther, qui tomba, comme Montebello, sous le canon de Wagram ; il obtint les honneurs du Panthéon, mais son cœur fut conservé par sa femme, et il repose avec elle aujourd’hui dans la tombe que nous avons sous les yeux. Saluons ; honneur au dernier asyle du brave.

Deux noms illustres, placés sur la tête de Mademoiselle d’Ormesson, comtesse de Montansier, reposent là sous une froide pierre.

Plus loin, dorment encore la noblesse et la beauté : la comtesse Louise de Girardin est là…, son portrait nous a rappelé ce couplet si expressif d’une chanson moderne :

A dix-huit ans elle perdit la vie,
Sur son tombeau, les villageois en pleurs
Répétaient tous, en la couvrant de fleurs :
Doit-on mourir quand on est si jolie ?…

Sa cendre repose sous cette pierre depuis le 7 juin 1818.

L’empire de la mort est plein de ces déceptions cruelles ; après vingt ans de travaux et de probité, M. Pepin de Bellisle touchait au moment de recueillir de l’estime publique le fruit de ses fatigues et de ses veilles ; l’éclair brille, la foudre gronde et il meurt… Insensés mortels…, comme vos projets sont écrits sur le sable !

Six tombes jumelles, toutes les six occupées, nous frappent par leur élégance ; quatre sont renfermées sous la même grille, les deux autres sont devant, dans une autre enceinte un peu plus étroite. Ces tombes sont en marbre blanc, sculpté avec un goût exquis ; et toutes portent le nom de quelqu’un de la famille Desmousseaux.

A quelques distance, de là, on remarque la tombe où repose Antoine. Beauvais ; il mourut le 17 juillet 1825. Voici son épitaphe :

A peine vingt printemps ont passé sur sa tête,
Et déja la lumière est ravie à ses yeux ;
Elle a porté ses coups, la mort, que rien n’arrête
Malgré nos prières, nos vœux.
Bon fils et bon ami, tendre et généreux père,
Chacun de nous eut voulu partager
Les maux que l’amitié n’a pu que soulager.
O restes précieux que renferme la terre,
Ton souvenir est gravé dans nos cœurs,
Et l’amitié l’arrose de ses pleurs !

L’épitaphe que l’on va lire marque la place où dort pour toujours Antoine-Marie Pierre, fort à la halle, mort le 26 décembre 1827, à l’âge de 34 ans.

Par ses rares vertus il embellit sa vie ;
Il recueillit le fruit d’une honnête industrie.
Bon père, bon époux, il chérit ses enfans
Et mit à leur bonheur ses soins les plus constans :
Ici de leur douleur ils consacrent le gage,
Son exemple est pour eux le plus bel héritage.

On conviendra que ce n’est pas encore trop mal raisonner pour des esprits qui ne doivent pas être forts sur le chapitre de la versification.

Plus haut nous rencontrons la pierre sous laquelle est renfermé Augustin Despréaux, mort à l’âge de 67 ans, le 19 juin 1824. On y voit ce joli quatrain :

Repose en paix, dans ta sombre demeure,.
Ton cœur jamais ne se reprocha rien ;
Repose en paix : sur toi l’amitié pleure ;
Repose en paix : tu n’as fait que le bien.

A côte de lui est son fils, François Isidore Despréaux, mort le 19 septembre 1826, dans sa 19e année.

Cruelle mort, de ta faulx meurtrière
Son âge, ses vertus n’ont donc pu le sauver ;
Les larmes, les regrets de sa famille entière
De tes fatales mains n’ont donc pu l’arracher.
Descendu avant nous à l’éternel séjour,
Il repose en paix ; mais qui peut l’oublier ;
Qui le vit un instant ne pourrait que l’aimer,
Et qui le connut bien doit le pleurer toujours.

Voilà ce qui s’appelle faire des vers comme Cicéron faisait des perruques.

Sous un tombeau en pierre, assez bien exécuté et surmonté d’une petite urne ornée d’immortelles, repose une jeune fille de 17 ans, Geneviève-Euphrasie-Brigitte Vesquer. Sur sa tombe ou lit les deux quatrains suivans :

Repose en paix, fille chérie ;
L’inexorable mort, qui termina ta vie,
De tes vertus a vu finir le cours ;
Mais dans nos cœurs, ah ! tu vivras toujours.

Quand un connut son âme et si belle et si tendre,
On ne put s’empêcher de répandre des pleurs :
Martel, qui que tu sois, foulant ici sa cendre,
Révère son asile, il est cher aux bons cœurs.

Sous un cénotaphe carré, en pierre, surmonté d’une urne, doit en paix la dépouille mortelle de Mme Villemsens, enlevée, en 1822, à l’âge de 38 ans, aux baisers de son époux et de ses enfans ; ils ont, sur sa tombe, exprimé leur vif regret par le quatrain suivant :

A la meilleure épouse, à la plus tendre mère,
Dont l’esprit fut aimable et le cœur excellent ;
Elle fit le bonheur de sa famille entière ;
Mais ce bonheur, hélas ! n’a duré qu’un instant.

Ces vers ne sont pas mal ; mais qu’ils sont loin d’avoir l’énergie et l’expression mélancolique de ceux que nous lisons à quelques pas de là sur l’obélisque en marbre surmonté d’une urne, tombe modeste dans laquelle Mme Bourgain est descendue, le 12 octobre 1827, à peine âgée de 34 ans.

Sur terre elle était exilée,
Dieu l’appela ;
Son âme au ciel s’est envolée,
Son corps est là.

A la bonne heure, voilà de ces vers qui parlent à l’âme. Quel dommage que l’on n’en rencontre pas plus souvent.


Ve DIVISION.


Dans cette division se trouve comprise la marbrerie de M. Schwinds, ce qui nous paraît, soit dit en passant, ouvertement contraire à l’article 8 du réglement affiché dans tous les cimetières ; règlement que ceux qui l’ont fait devraient au moins faire exécuter. Le reste du terrain n’offre qu’un grand emplacement nu, dans lequel trois tombes seulement attirent les regards.

1°. Celle de M. et Mme Réveillon. Leur manufacture de papiers peints, située dans le faub. St-Antoine, jouissait d’une réputation immense et bien méritée quand, en 1789, elle fut la première victime des fureurs révolutionnaires. Ces deux époux oublient aujourd’hui, dans un doux sommeil les mugissemens de l’anarchie dont leurs oreilles furent si souvent frappées ; et le sifflement du vent, qui se glisse entre les feuilles du marronier qui les ombragent, est aujourd’hui le seul bruit qu’ils entendent.

Sur le côté gauche d’un chemin qui monte en ligne droite sur la colline, un monument aussi simple que de bon goût recouvre la cendre d’un professeur de l’ancienne école de médecine, M. Royer-Collard, frère du député de ce nom. M. Royer-Collard a laissé quelques écrits estimés sur l’aliénation mentale ou folie, genre de maladie dont sa place de médecin de Charenton lui avait donné occasion de connaître si bien les symptômes et les moyens de traitemens.

Non loin de là, sous une pierre tumulaire modeste, dort une jeune fille de 5 ans, Victoire Lecreux, ravie à sa famille éplorée le 12 novembre 1813. La douleur de ses parens s’exhale ainsi sur la pierre funèbre :

Repose en paix, aimable et douce fille,
Et l’amour et l’espoir de sa triste famille :
A peine tu vécus, hélas ! quelques printemps,
Dans nos cœurs désolés tu vivras plus long-temps.

Ces vers sont un peu faibles de poésie ; mais ils ne le sont pas d’expression : et l’un rachète l’autre.

En face de l’ancienne entrée, un tombeau d’une forme g1gantesque renferme le marquis de Camayel Jean-François Fontaissis, décédé le 18 avril 1826.


VIe DIVISION.


Cette 6e division est une de celles qui, ainsi que nous l’avons annoncé, a cessé d’être bien distincte, attendu la suppression des chemins qui la découpaient, chemins sur lesquels s’élèvent aujourd’hui des tombeaux.

Là, comme partout ailleurs, on rencontre les contrastes les plus plaisans. Près de M. Malus, ingénieur militaire qui fit partie de l’expédition d’Egypte, et qui dort là depuis le 14 février 1812, fut élevé le tombeau futur de M. Schachères, cordonnier, bréveté de S. A. R. Mlle d’Orléans ; il a eu le front de faire graver en ces termes son épitaphe, qui à cette époque était future.

Bon époux, excellent père, fils respectueux et soumis, sincère et constant ami, il consacra ses jours pour le bonheur de sa famille, dont il fut sincèrement regretté ; il sut par ses talens et ses vertus sociales mériter l’estime et la confiance des personnages de la plus haute distinction : tous ses jours furent marqués par un bienfait ; il fit élever ce modeste tombeau en mémoire de sa digne et respectable épouse, dans l'intention d'y être réunis pour l'éternité.

Il est permis d’avoir de l’amour-propre ; mais à ce point là c’est un peu trop fort. M. Schachères dort sous ce modeste monument depuis le 18 février 1820.

Non loin de là reposent des noms faisant partie de l’élite de la bonne société de la capitale : le comte de Mun, décédé à soixante ans passés, le 16 mars 1816 ; la duchesse de Fleury ; la noble et spirituelle famille de Coigny ; le comte et la Comtesse de Tessé, qui, appauvris par la révolution, trouvaient encore le moyen de faire du bien à plus pauvres qu’eux.

L’Académie est venu là en corps, le 16 janvier 1816, placer la froide dépouille d’un de ses fils, Tenon, à qui l’Hôtel-Dieu doit tant ; près de lui l’École Polytechnique va quelquefois verser une larme sur la tombe de son professeur Petit, décédé le 21 juin 1820, et près du modeste chirurgien Deschamps, dont les malades de l’Hôtel-Dieu ont tant de fois béni le talent et la bonté, un perruquier-coiffeur a eu le toupet de laisser sans mot dire (après sa mort) inscrire sur sa pierre les quatre vers suivans, qui ne dépareraient pas la tombe d’un Raphael, d’un Rubens, d’un Canova, etc.

Actif, intelligent, plein de goût et d’adresse,
Il sut aimer les arts, le premier dans le sien :
Sensible et généreux, son cœur goûta l’ivresse
Du bonheur, du génie et de l’homme de bien.

Nous convenons que le coiffeur fut M. Michalson, coiffeur du Roi, mort à 49 ans, le 29 janvier 1819 ; mais nous pensons que l’on eût bien fait de se borner aux deux vers suivans, gravés au-dessous de son nom.

L’hymen en pleurs, l’estime et l’amitié fidèle,
A son ombre ont voué ce tribut de leur zèle.

Cela suffisait bien, nous le pensons, à celui dont le talent transcendant ne dépassa jamais…l’art de faire des perruques,

A quelques pas de là, 6 pieds de terre couverte de ronces et d’épines, forment tout ce qui reste de territoire au célèbre Prince de Monaco, qui s’est noyé volontairement le 16 février 1819, à l’âge de 61 ans.

A peu de distance s’élève une modeste pierre qui recouvre, depuis le 12 juillet 1819, la comtesse Tarteron Desmoutiers, âgée de 65 ans ; mais si la tombe est modeste, on est loin d’en pouvoir dire autant de son épitaphe que voici :

La vertu lui parut si belle ;
Elle eut tant de charme à ses yeux,
Qu’elle en fut le plus parfait modèle :

Ses restes sont ici, son âme est dans les cieux ;

A quelques pas s’élève un tombeau dont l’épitaphe fut cause d’un procès.

Euphémie Beaudy, femme de M. Piquenot, meurt âgée de 19 ans, le 27 mars 1819. A l’instant son père, chez qui elle était morte, la fait inhumer, achète un terrain, forme un jardin, lui érige une pierre tumulaire, et y fait graver l’inscription suivante :

A la mémoire d’Agathe-Euphémie Beaudy, fille chère, objet de la tendresse des auteurs de ses jours, ravie à ses parens et à ses amis le 27 mars 1819, âgée de 19 ans, victime d’un hymen malheureux.

M. Piquenot se fâche du dernier paragraphe et intente un procès a son beau-père, comme l’accusant sans preuve d’avoir rendu sa femme malheureuse, et demanda que, nonobstant la suppression de ce paragraphe, on gravât sur la tombe le nom de femme d’Aug. Piquenot, afin que son fils pût au moins savoir ou était la tombe de sa mère. L’affaire n’ayant pu être arrangée, fut portée devant les tribunaux, et, conformément aux conclusions du mari, l’épitaphe fut ainsi reformée :

A la mémoire d’Agathe-Euphémie Beaudy, femme d’Auguste Piquenot, objet de la Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/88 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/89 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/90 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/91 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/92 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/93 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/94 Page:Richard - Le véritable conducteur aux Cimetières du Père La Chaise, Montmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard.djvu/95 Page:Richard - 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Près de cette pierre, un tombeau, décoré d’une couronne civique, renferme encore la dépouille mortelle d’un courageux défenseur de nos libertés, de Stanislas Girardin, dont la reconnaissance publique se fait journellement un devoir d’environner la tombe.

Sur le marbre funèbre, on aperçoit, à quelques pas, l’image d’un des plus grands peintres de notre siècle, de Giraudet, enlevé trop tôt aux arts dont il était un des plus fermes soutiens.

Près d’un homme de cette réputation, la tombe du neveu du savant auteur du jeune Anacharsis, de M. Barthelemy, parait un peu pâle ; mais en se rappelant les vertus et la bonté de son cœur, on ne peut se dispenser de lui donner un soupir de regrets.

Les amateurs des arts donnent en passant un coup d’œil d’admiration et un mot d’éloge à l’élégante couronne sculptée sur le monument de bon goût, élevé à la mémoire de M. Gossuin, ancien membre, presqu’inaperçu et inapercevable de l’assemblée constituante.


XXXVIe DIVISION.


Que de noms immortels se pressent encore dans cette enceinte !

Les yeux sont d’abord frappés de l’aspect d’un vaste monument où l’architecture et la sculpture ont développé tous les trésors de leur art. C’est lui qui renferme les restes mortels d’un homme dont la France s’honore. M. le duc Decrès, ancien ministre de la marine ; sa vie n’est qu’une suite d’actions brillantes ou utiles. Les bas-reliefs de son tombeau représentent les deux faits d’armes où son intrépidité brilla de l’éclat le plus vif. En 1782, on le voit alors simple garde du pavillon, affronter les feux du canon ennemi pour porter un cable destiné à remorquer le Glorieux, désavitaillé dans le combat livré aux Anglais, le 13 avril, sous les ordres de M. de Grasse ; on lui dût la conservation de ce vaisseau ; l’autre représente un trait de courage encore plus rare. Bloqué au sortir de Malte, par une escadre anglaise, le 30 mars 1800, le vaisseau le Guillaume Tel qu’il montait, est démâté, désagréé, criblé, rasé ; le feu prend à la Ste. Barbe, il saute ; Decrès saute avec lui et est fait prisonnier. Une suite d’actions du même genre lui mérita bientôt le poste honorable où il fut appelé ; nul mieux que lui n’eut pu le remplir. Ce ministre-là avait vu la mer, ce qui n’est pas très-commun de nos jours chez un ministre de la marine ; hélas ! que lui servit d’avoir échappé à tant de dangers ! Un scélérat à son service, pour cacher les vols qu’il lui avait faits, plaça dans son lit plusieurs livres de poudre auxquelles il mit le feu à l’aide d’une traînée ; et celui qui avait survécu à l’embrasement de son vaisseau, périt le 8 décembre 1821, dans son palais, dans sa chambre, au milieu de la nuit, victime d’un complot obscur… Ah ! ce n’était pas là la mort que le ciel devait à un tel homme ; donnons une larme à sa mémoire… !

A quelques pas de distance, en remontant, nous rencontrons la tombe de la maréchale et du maréchal Serrurier, doyen des maréchaux, homme d’une bravoure et d’une probité éprouvées : on n’eut jamais cru, à ses mœurs simples et douces, que la nature l’eût doué d’un courage aussi ardent.. La mort le surprit à son poste de gouverneur des Invalides, et les regrets de tous les vétérans le suivirent dans la tombe. Né à Laon, le 8 décembre 1742, il est mort à Paris, le 21 décembre 1819.

Les restes mortels de l’héritière d’un grand nom, la duchesse de Mazarin, reposent sans orgueil près de la tombe d’une roturière et le sarcophage élevé par le général Thiébault, à la mémoire de son épouse.

Le comte de la Martillière, homme sans doute d’une caractère guerrier, puisque son sarcophage est entouré de petits canons, dort paisiblement depuis le 27 mars 1732, et en vrai bonhomme, à côté des sépultures d’honnêtes et dignes bourgeois, les familles Hibon et Debruge.

Près de la sépulture Boode, repose Pierre-Julien-Nicolas, né le 9 novembre 1760, mort le 8 mars 1827. Le naturel de ces deux vers, nous a paru au-dessus de tous les éloges possibles.

De l’homme n’a-t-il pas bien fourni la carrière ?
Il fut bon époux, bon fils et bon père.

Plus loin, à dix pas de la sépulture de Cambacérès, au bord du chemin, repose André de Briandos, comte de Castéja, mort le 11 mars 1828, à l’âge de 48 ans. Une multitude de titres forment l’avant-propos de l’épitre que l’on va lire.

A son Roi comme à Dieu, dans tous les temps fidèle,
Il n’usa du pouvoir que pour se faire aimer ;
Dans les cœurs les plus froids, le sien sut ranimer
Les publiques vertus dont il fut le modèle.
Sa voix calmait la crainte et chassait les douleurs.
Les partis étonnés s’embrassaient à sa vue ;
Et sa vie a laissé pour ceux qui l’ont connue,
Un souvenir sans fin, son exemple et des pleurs.

Là se trouve, environné de ses vieux compagnons de gloire, le brave général Frère, beau-père du célèbre Vigier. On aime à lire le nom de ce bon soldat et bon citoyen.

Deux chapelles funéraires s’offrent ensuite à nos regards ; ce sont les sépultures réservées d’abord à la famille de M. Ridot, jeune, et ensuite à celle de M. Jacques Lefèvre, un de nos honorables banquiers, que la Capitale a dernièrement honoré de sa députation.

La Reveillère Lepeaux, homme qui joua un si grand rôle dans les annales de la révolution, repose là sous une tombe obscure, après avoir eu entre les mains les richesses de la France et le pouvoir suprême ; mais il emporte dans la tombe une renommée que les ministres du 19e siècle sont rarement pressés d’obtenir. Il put dire à ses administrés, en quittant son poste : maintenant retournons nos poches et comptons. Il repose sur le bord du bosquet qui s’élève en cet endroit sur le plateau.

A deux pas de là, madame la comtesse de Bourcke, épouse de cet ambassadeur de Danemarck à Paris, pleure sur la tombe de bon époux : c’est du moins ce que fait présumer une veuve désolée devant le buste de son défunt mari, jolie sculpture en relief, qui se trouve sur la façade d’une tombe élégante.

On ne lit pas sans émotion sur une simple borne de marbre blanc, cette modeste inscription : A François Hue. « Honoré des derniers soupirs de Louis XVI, sa veuve et son fils ont élevé ce faible témoignage de leur douleur. Décédé le 19, enterré le 21, jour expiatoire de janvier 1819. » Honneur à la fidélité, au malheur, d’autant plus que nous pensons que M. Hue fut plus utile à Louis XVI en restant près de lui, qu’en allant se promener de l’autre côté du Rhin.

Quel est ce monument en marbre noir, au haut duquel sont sculptées cinq mains en différentes positions… Elles représentent aux yeux des sourds muets le nom vénéré de l’Abbé Sicard, digne successeur de l’Abbé de l’Épée ; saluons cette tombe immortelle, comme on doit saluer un de ces hommes de bien, qui ont rendu de si grands services à l’humanité. On lit sur la pierre tumulaire ces deux phrases tracées par la reconnaissance de deux de ses élèves.

« Il fut donné par la Providence, pour être le créateur des infortunés sourds-muets.
Massieu. »
« Grâce à la divine bonté et au génie de cet excellent père, nous sommes devenus des hommes.
Clerc. »

Une tombe bien plus imposante, formant une espèce de chapelle, s’offre à nos regards ; elle renferme un homme qui fut appelé par la destinée à, jouer un rôle bien imposant sur la scène du monde. C’est Cambacérès. La France, quels que soient les torts qu’un ait véritablement à lui reprocher, et caricatures que l’on ait faites contre lui, n’oubliera jamais qu’elle lui dut son Code civil, qu’il s’opposa à la mort du duc d’Enghien, à la campagne de Russie, etc. Il y avait quelque chose à extraire de bon dans cet homme-là ; mais une faiblesse, une pusillanimité insurmontables l’empêchèrent toujours d’opposer une résistance vigoureuse à quelques-uns des plans aveugles de Napoléon. Cependant, il lui garda une fidélité inviolable, ce qui est à citer, attendu que cela n’est pas commun ; il trembla quand les alliés eurent passé le Rhin ; il trembla quand revinrent les Bourbons ; il trembla dans les cent jours où il joua un rôle presqu’inaperçu, si ce n’est dans la farce ridicule du Champ de mai, dont l’idée première était si belle ; il trembla en Belgique où il fut exilé à la seconde restauration ; enfin, la religion qu’il embrassa avec ferveur comme l’arche de réconciliation, lui donna la force de trembler un peu moins, il descendit dans la tombe, laissant aux pauvres des aumônes abondantes, et à ses neveux, une fortune de quelques millions, hypothéquée sur des dotations et des revenus acquis dans presque toutes les cours de l’Europe, dont, de son vivant, il portait presque tous les cordons.

Un peu plus loin, la modestie de quelques tombes rapprochées les unes des autres, étonne moins quand on s’aperçoit qu’elles renferment les dépouilles mortelles de protestans. Là, reposent Rabaut-Pommier, ministre du culte, qui s’endormit en balbutiant. Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur ; le ministre Mestrezat, décédé le 8 mai 1807. Mis William, M. Stone, et au milieu d’eux, l’infortunée et célèbre madame Cottin, morte le 25 août 1815, d’une maladie douloureuse suivie d’une opération plus douloureuse encore (l’extirpation d’un cancer au sein). Les amis des lettres qui n’ont point oublié sa touchante Malvina, ni sa courageuse Elisabeth, viennent de temps en temps semer des fleurs sur sa tombe.

Sur un piédestal de marbre noir, on a gravé le nom du maréchal de Beurnonville, soldat, officier, destitué, mécontent, donc partisan de la révolution, aide-de-camp, général, ministre de la guerre, prisonnier des Autrichiens, puis encore général, de la république, puis ambassadeur, puis sénateur, puis flatteur outré de Napoléon : voila son histoire en quatre mots, et nous voudrions la terminer là ; mais pourquoi s’est-il acharné contre son bienfaiteur ? Taisons-nous, nous n’aimons pas les ingrats ; il repose là depuis le 25 avril 1821. Que la terre lui soit légère !

M. le comte Germain, pair de France, a fait élever un peu plus loin la chapelle funéraire où il repose maintenant ; ce n’est pas le comte Germain, dont on a dit :

Et claq’, claq’, claq’mon p’tit Germain,
Et claq’toujours, tu f’ras ton ch’min.

Le comte Germain, dont les amis d’une sage liberté déplorent ici la perte, fut un homme probe, instruit, modéré, et dévoué partisan des idées constitutionnelles ; respect à sa cendre !

Les artistes remarquent avec plaisir, le talent que l’on a développé dans la construction de la chapelle mortuaire de la famille Ferick ; ils s’arrêtent également devant le tombeau de M. de Walstertoff, qui fut ambassadeur de Dannemarck en France, où il vint mêler ses cendres à celles des plébéiens. L’homme propose et Dieu dispose : ce tombeau est digne, par ses formes élégantes et la beauté de son bas-relief, de l’habile diplomate qu’il renferme, depuis le 13 octobre 1820. M. le comte était âgé de 65 ans.

Plus loin, sous un immense monument funèbre, sur lequel domine une pomme de pin, dort la cendre des enfans de M. Boode.

Les habitués des voyages saluent avec reconnaissance la tombe de M. Irison ; il nous amena de la Grande-Bretagne le secret de rendre nos voitures publiques, jusqu’alors si pesantes et si incommodes, douces, faciles et légères.

Sur un petit piédestal, on lit un nom qui jadis brilla d’un bien vif éclat. Là repose la marquise de Beauharnais, belle-sœur de Joséphine, et mère de l’héroïque madame de Lavalette.

Sur la crête du coteau, nos yeux sont frappés de l’aspect d’une tombe remarquable ; on a sculpté sur ses bas-reliefs, un alambic, du maïs, des pommes de terre, une charrue, et le portrait en bronze du célèbre Parmentier, à qui les pharmaciens de la Capitale ont fait élever ce tombeau fort élégant, supporté par quatre colonnes, en commémoration des bienfaits immenses qu’il rendit à l’humanité. Ce savant, probe et modeste, rendit son âme à Dieu, en 1813, âgé de 76 ans.

Le même genre de travaux recommande aux gens de bien la tombe de M. Cadet de Cassicourt.

Dans une chapelle funèbre, qui s’élève à quelque distance, repose le cœur d’un de ces vieux soldats qui

Pleurèrent en quittant des armes
Que l’étranger craignait encor.

Là se repose de ses fatigues militaires, le général Vignoles.

Là, était cette pierre immortelle du général Foy, toujours écrasée sous le poids des nombreuses couronnes que l’on y jetait de toutes parts. Nous avons dit, dans notre Introduction, comment les restes sacrés de ce soldat-citoyen arrivèrent dans cette funèbre enceinte ; maintenant nous saluons la modeste enceinte où fut sa cendre chérie ; là on était sûr de rencontrer un cortège beaucoup plus nombreux qu’à toute autre tombe, telle brillante quelle fût ; et cependant ce n’était qu’une pierre, qu’une simple pierre placée entre deux lauriers, en attendant son monument funèbre.

On lisait cette inscription entre deux branches de laurier qui s’entrelaçaient :

« Honneur au général Foy. »

Au-dessous ces mots :

« Il se repose de ses travaux et ses œuvres le suivent. »

Et enfin cette stance poétique et touchante de Mlle Delphine Gay, qui a retenti dans le cœur de tous les Français :

Hier, quand de ses jours la source fut tarie,
La France, en le voyant sur sa couche étendu,
Implorait un accent de cette voix chérie ;
Hélas ! au cri plaintif jeté par la patrie,
C’est la première fois qu’il n’a pas répondu.

Aux angles de la barrière entourant sa tombe, on avait tracé sur des écussons quelques-uns de ses faits d’armes, tels que : Jemmapes, 1792 ; Zurich, 1799 ; Passage du Rhin, 1796 ; Waterloo, 1815. Ce fut jusqu’aujourd’hui la tombe dont le cimetière eut le plus à s’enorgueillir ; car, jamais à aucune époque, des hommages plus profonds, plus vivement sentis, n’ont éclaté sur la tombe d’un mortel.

Cette pierre tumulaire n’était que la tombe provisoire au général Foy, et nous avons décrit, dans la 35me Division, le monument que la France lui a fait élever.

Le sarcophage qui s’élève à peu de distance, renferme encore la tombe de l’un des zélés défenseurs de nos libertés publiques. Camille Jordan préféra à l’appât des richesses et des grandeurs la reconnaissance de sa patrie, et l’approbation de ceux qui l’avaient envoyé à la chambre élective ; pour remplir son devoir de député, il sacrifia tout : repos, fortune, avenir, et même son existence, que minèrent bientôt les travaux sans nombre dont l’accablait la défense de nos intérêts les plus chers ; mais ses collègues ont fait élever sa tombe ; la France y a versé des larmes. Quelle plus belle récompense pour une âme telle que la sienne !

C’est non loin de la qu’une colonne de marbre s’élève sur la tombe de M. le comte Garnier, pair de France, décédé le 4 octobre 1821, à l’âge de 67 ans ; ce fut un défenseur modéré de nos libertés publiques : saluons sa cendre.

Sous un marbre tumulaire, que nous rencontrons à peu de distance, repose du sommeil des justes M. Nys, descendu dans la tombe le 29 décembre 1822. Son nom nous est parfaitement inconnu ; mais nous aimons à penser qu’il fut digne du quatrain suivant qui lui sert d’épitaphe, épitaphe qui nous semble caractériser un parfait homme de bien :

Repose en paix jusqu’à la dernière heure !
Ton cœur jamais ne se reprocha rien ;
Repose en paix ! sur toi l’amitié pleure !
Repose en paix ! tu n’as fait que du bien.

Un sourire involontaire nous est échappé en lisant sur le pierre tumulaire de M. Cullerier, docteur en médecine, cette inscription ; « Son nom rappelle ses vertus. » Nous pensons que son nom rappellera bien plutôt encore le genre de talent de M. Cullerier, surtout dans une ville où tant de gens ont été forcés de recourir à ses lumières. Il était âgé de 69 ans, quand, le 3 janvier 1817, la mort l’a ravi aux sciences médicales.

Près du docte antagoniste des maladies de Vénus, repose, sous un obélisque en pierre surmonté d’une urne, madame Moquet, jeune femme à qui la faulx de la mort empêcha, le 27 mars 1825, de compléter son cinquième lustre ; son époux a fait graver sur sa tombe le quatrain suivant, qui n’est ni bien ni mal, et que nous citons ici simplement pour faire nombre :

Et de fille et d’amie, et d’épouse et de mère,
Adèle, tu montras le modèle à nos yeux ;
Tes vertus t’ont gagné tous les cœurs sur la terre,
Et mérité ta place dans les cieux.

Ceux gravés un peu plus loin sur la pierre tumulaire de M. Véron, décédé le 15 novembre 1819, à l’âge de 35 ans, ne seraient pas mal, si l’auteur ne s’était pas avisé d’en détruire l’harmonie, en y fourrant des noms si peu poétiques par leur réunion, qu’ils effacent toute illusion et amènent un sourire sur les lèvres ; les voici :

Cher père, cher ami, tu n’es plus avec nous ;
Au séjour éternel, tendrement accueillie,

Ton âme a retrouvé notre mère chérie,
Et près d’elle jouit du repos le plus doux.
Heureux David-Louis, bienheureuse Amélie,
Puissions-nous vous revoir en quittant cette vie,
Et pour l’éternité revivre auprès de vous !

Sur la tombe de Jean-François Lesparat, né en 1730, et mort le 19 novembre 1816, on lit cette philosophique épitaphe :

Approche-t-il du but ? quitte-t-il ce séjour ?
Rien ne trouble sa fin, c’est le soir d’un beau jour.


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Taisons-nous ; n’essayons pas d’exprimer l’émotion mélancolique que l’on ressent après avoir lu ces vers sur la pierre funèbre ; il est des sentimens que l’on éprouve avec force, et que l’on ne rend jamais que faiblement ; répétons pour toute réflexion :

Adieu ! comme la fleur qui se dessèche et tombe,
Le soir d’un jour brulant a vu finir mon sort ;
Et notre bon pasteur écrivait sur ma tombe :
Olivier ! ne plains pas la douleur qui s’endort.


XLIXe DIVISION


Nous remarquons dans cette division, la tombe consacrée à M. Sabatier de Cabre. Cet abbé, qui fut le premier à demander en 1789, la convocation des états généraux, ne s’attendait guère aux terribles résultats que cette mesure, qui paraissait si simple devait avoir par la suite ; mais s’il a vu le mal, il a vu le bien aussi ; car décédé depuis 1814, il a vu tous les Français unis et confondus sous le même bouclier.

Plus loin, en descendant le long du mur, nous rencontrons la tombe de madame de Montmenard, sur laquelle nous ne lisons pas sans émotion le distique suivant :

Dors en paix dans le ciel, objet de notre amour,
Attends-nous aujourd’hui, demain ce n’est qu’un jour.


Le DIVISION


Saluons d’abord la tombe de M. Clavier. Un de ces vils mortels que flétrira l’histoire, le pressait un jour de voter la mort dans le procès de Moreau, afin de fournir au premier consul l’occasion de faire grâce ; et qui nous fera grâce à nous-mêmes, respond le courageux magistrat. Cet acte de fermeté lui couta sa place ; mais il s’en consola dans la retraite, entre les lettres et quelques amis.

Plus loin, madame de Montic a fait graver sur la tombe de son enfant, bégayant à peine, les vers suivans, empreints de la plus douce mélancolie :

Attends.
Te penchant vers ta mère, avec un doux sourire,
Tu répétais ce mot qui charmait son amour :
C’était le seul, hélas ! que tu pusses lui dire ;
Ta mère te Sourit et redit à son tour :
Attends.

Là, repose M. Boulard, Me tapissier du Roi, qui fit lui-même le voyage de Carrare, afin d’y choisir du marbre pour son tombeau… Chacun haussait les épaules de cette ostentation inaccoutumée ; mais lorsqu’en mourant, on vit qu’il avait légué un million pour fonder un hospice de vieillards, on changea d’avis sur son compte, excepté toutefois ses héritiers. Le monument n’a pas été exécuté.


LIe DIVISION.


À quelques pas de là, des émotions plus douces nous sont inspirés par les deux tombes des époux Fiévelle, encore humides de larmes qu’y ont versées leurs enfans orphelins.

Non loin de ces époux repose enfin tranquillement le célèbre auteur de la Dunciade, Palissot. Sa causticité incorrigible lui fit des ennemis irréconciliables. Voltaire, dont il avait relevé quelques erreurs, ne le lui pardonna jamais ; il usa de tout son esprit épigrammatique pour le tourner en ridicule, et n’y réussit malheureusement que trop ; le pauvre Palissot devint la bête noire de son siècle : on lui refusa la plus légère parcelle de bon sens. Mais la postérité, plus juste que ses contemporains, n’a pas confirmé cet arrêt dicté par un esprit de vengeance ; et elle s’est empressée de reconnaitre que Palissot fut un auteur qui écrivit, en vers comme en prose, avec autant de pureté que d’élégance.

Là repose un Russe venu des bords de la Néva jusqu’aux rives de la Seine ; il poursuivait la gloire, que trouva-t-il ?… La mort ; Krudener repose la

A quelques pas est la tombe d’un célèbre chanteur, M. Naldi, qui fut, par sa propre imprudence, frappé de la faulx de la mort, à l’instant où l’on allait se mettre à table.

Non loin du chanteur repose un homme qui tint quelques temps entre ses mains les hautes destinées de la France ; une pierre tumulaire fort modeste révèle à peine sa demeure dernière ; là repose Tallien.

Ce Tallien est un exemple remarquable des bizarreries de la fortune ; après avoir tenu dans ses mains les destinées de la France, il est mort dans la misère, et sans laisser de quoi se faire enterrer, ce qu’un grand personnage que nous ne nommerons pas, fit pour lui, sans remarquer seulement qu’il eut beaucoup mieux valu l’empêcher de mourir de faim. Au fond, Tallien ne fut pas un méchant homme ; son caractère même était plus enclin à l’indulgence qu’à la sévérité ; mais il voulait parvenir, et chacun sait qu’à cette époque, on n’y allait pas de main morte. Envoyé à Bordeaux, il y sème la terreur, au sein des prisons, une femme l’enchaîne à son char. Des-lors il n’y a pas assez de fêtes pour l’objet des attentions du farouche proconsul. Coiffée d’un bonnet rouge, elle parcourt les rues de Bordeaux dans un char, tenant une pique d’une main, et ayant l’autre posée sur le cœur de son amant ; subjugué par son ascendant, Tallien renversa Robespierre, et elle l’épousa par reconnaissance du service qu’il venait de rendre à la patrie. Tout lui souriait à cette époque.

Mais les destins et les flots sont changeans. Son crédit baisse… Sa femme divorce d’avec lui et épouse le comte de Caraman, tandis que lui pauvre, abandonné, chagrin et plongé dans l’obscurité, humilié du présent en le comparant au passé, trop faible pour supporter ses revers, il meurt sur un grabat, aux portes de cent riches du jour dont il avait commencé la fortune. O fortune ! fortune, que tu es bizarre et légère ! combien est fou le mortel qui ose compter sur la constance de tes faveurs… On est au faite des honneurs, au pinacle de la fortune ; on regarde avec un superbe dédain les mirmidons qui se heurtent contre la base du trône où l’on est assis : tout à coup le pied glisse, l’équilibre manque, et l’on roule dans l’abîme ; et les mirmidons qui, la veille se prosternaient devant vous, loin de vous tendre la main pour vous empêcher d’y tomber, vous y poussent de toutes leurs forces… Tels sont les hommes ! valent-ils la peine que l’on s’occupe d’eux ? Nous ne le croyons pas : et vous, chers lecteurs, qu’en dites-vous ?


LIIe DIVISION.


Une simple croix de bois fort petite est destinée à marquer dans ce vaste cimetière la place exiguë qu’y occupe Louis-Antoine Royer, décédé le 10 mai 1823 à l’âge de 49 ans. À cette croix est suspendu un petit tableau qui renferme une pièce d’écriture dans le genre de celle que nous avons signalée, première division (Mlle Rose Roullier) ; cette pièce de vers nous a paru digne de prendre place ici parmi les plus spirituelles que nous ayons déjà citées. Elle est empreinte d’un cachet de vieux style qui nous fait penser qu’elle n’a point été faite pour M. Royer, et qu’on a voulu seulement lui en faire l’application. Quoiqu’il en soit de la réalité ou de la fausseté de nos conjectures, voici la pièce de vers, dont il est question :

Le temps de mes instans a demandé le compte,
Et moi j’ai répondu, le compte veut du temps ;
Car, qui sans rendre compte a perdu tant de temps,
Comment peut-il, sans temps, rendre un aussi, grand compte ?
Le temps a demandé de différer le compte,
En disant que mon compte a refusé le temps ;
Et que n’ayant pas fait le compte dans le temps,
Je veux en vain du temps pour rendre un si grand compte.
Ah ! Dieu ! quel compte peut nombrer un si grand temps ?
Et quel temps peut suffire à faire un si grand compte ?
Vivant sans rendre compte, ai négligé le temps.

Hélas, pressé du temps et oppressé du compte,
Je meurs et ne saurai rendre compte du temps,
Puisque le temps perdu ne peut entrer en compte.

A peu de distance, et aux trois quarts cachée par des cyprès et autres arbustes, est une pierre tumulaire, consacrée à la mémoire de M. Ouvrier, décédé le 29 décembre 1819, à l’âge de 63 ans. Sur cette pierre, on a gravé les vers suivans :

O le plus digne père,
Adieu ! ton corps appartient à la terre.
Du céleste séjour si tu vois nos regrets,
Veille sur nous ; tes enfans et leur mère
Viendront en tous les temps honorer ta poussière ;
Car tes vertus ne s’oubliront jamais.
Chère ombre, unique objet d’un amour aussi tendre,
Reçois ce dernier vœu qui s’adresse à ta cendre.

Toujours dans la même division, mais presque sur le bord du chemin qui la sépare de la 53e, repose madame Cosson, ravie à ses enfans, le 26 avril 1820, âgée de 58 ans. On a consacré à sa mémoire les vers que voici, dont le sentiment forme le principal mérite :

Mère sensible, épouse vertueuse,
Tu méritais un autre sort :
Après le long tourment d’une vie orageuse,
Tu n’as donc de repos que celui de la mort.
Mais si de tes enfans les sanglots confondus,
Si les pleurs d’un époux peuvent se faire entendre,
Dans ce froid monument ou repose ta cendre
Tu recevras encor le prix de tes vertus.

Enfin nous ne quitterons pas cette Division, sans, citer une colonne ou pierre, surmontée d’une croix, et sur laquelle on a gravé cette date, 1er juin 1820, sans aucune indication de personnage. On y a joint cette phrase assez expressive :

Depuis je n’ai connu le bonheur.

Une simple pierre, déjà noircie par le temps et couverte d’une herbe épaisse et de ronces, cache aux regards la tombe de Baculard d’Arnaud, né le 15 septembre 1718, mort le 9 novembre 1804. On a grave sur sa pierre cette phrase de J.-J. Rousseau.

« La plupart des gens de lettres écrivent avec leur tête et leurs mains ; mais M. d’Arnaud écrit avec son cœur. »


LIIIe DIVISION.


Pres du mur de l’est est un tombeau en pierre dont la façade est en marbre noir ; une inscription en lettres d’or nous apprend que la repose la veuve de M. Michel, docteur en médecine, décédée à 66 ans, le 29 avril 1749. Le quatrain suivant décore sa tombe :

Ci git la plus tendre des mères,
Celle qui m’adopta dans les nuits de malheur,
Je dus à ses vertus mes jours les plus prospères ;
Je lui dois, à sa mort, ce tribut de douleur.

Une belle pyramide vient frapper nos yeux ; nous nous approchons ; elle renferme la dépouille mortelle et sacrée de ce courageux De Sèze, qui entreprit, devant la Convention elle-même la défense du Roi-Martyr. Ce n’est que depuis peu d’années qu’il est venu lui-même habiter près de son épouse, la sépulture qu’il s’était fait préparer long-temps d’avance.

À peu de distance est un des monumens funèbres les plus remarquables du Père Lachaise : ce n’est qu’une simple borne antique ; mais un chef-d’œuvre, objet de l’admiration des artistes, le décore…et pourtant ce n’est qu’un simple bas-relief, consacré à la mémoire de Mme Heim, fille de sculpteur et épouse du peintre, le relief est inimitable : jamais la douleur ne fut mieux rendue, le regret mieux exprimé, en un mot, jamais le talent n’a brillé d’un plus vif éclat.

Plus loin nous saluons avec respect le portrait en bronze du chef de l’Ecole de peinture franchise, de l’immortel David. Son cœur seul repose là près du corps de son épouse : sa dépouille mortelle dort sur une terre étrangère. Quand la faulx de la Mort eut frappé ce grand homme, les ministres d’alors refusèrent à sa cendre l’entrée de sa patrie, ce qui fit dire à Béranger :

Quoi ! l’on repousse son cercueil,
Et l’on hérite de sa gloire.

Ses restes sacrés sont à Bruxelles ; mais son souvenir, son talent, ses œuvres n’ont pas quitté la France, et les mirmidons ministériels qui lui en ont fermé la porte seront ensevelis et oubliés depuis long-temps dans la poussière des tombeaux, quand le nom de David resplendira d’une gloire toujours plus belle encore.


LIVe DIVISION.


Nous cherchons vainement à découvrir dans ces rangées de tombes modestes, auxquelles on n’a consacré que des regrets temporaires, quelques noms un peu connus, ou quelque épitaphe un peu remarquable dont nous puissions enrichir notre ouvrage ; vain espoir, rien, absolument rien…

Mais, que disons-nous ? rien… Et n’est-ce donc rien que l’épitaphe singulière suivante ?

« Ici repose l’âme de Claude L. Il fut bon père, bon époux, regretté de ses enfans ; vous qui l’avez connu, donnez une larme à sa mémoire. »

Le brave bourgeois, qui a rédigé cette inscription, aura probablement oublié qu’au Père Lachaise, comme à peu près dans tous les cimetières, on n’enterrait pas les âmes, mais seulement les corps. Il faut deux mètres pour un corps : nous pensons qu’une âme ne tiendrait pas autant de place.

Non loin de là dort, depuis le 11 mai 1819, le vertueux Jean-Joseph Melan. Comme c’est un nom qui n’a probablement jamais frappé les yeux ni les oreilles de nos lecteurs, nous l’aurions passé sous silence ; mais une particularité remarquable le sauve de l’oubli ; son épitaphe en vers forme le seul acrostiche que nous ayons rencontré dans ces funèbres asiles ; il est plus orgueilleux que poétique.

Marseille a répété les larmes de la Seine ;
Elle perd et regrette un digne citoyen ;
La France, un défenseur ; et la veuve, un soutien.
Ah ! la mort, de ses jours en détruisant la chaîne,
N’a pu de l’amitié détruire le lien.

Un peu plus loin repose Pierre-Victor Munier, directeur-général de la compagnie d’assurance mutuelle contre l’incendie à Paris ; il a rendu des services à sa patrie : saluons sa cendre.


LVe DIVISION.


Nous voici arrivés près de la sépulture du pauvre ; c’est là que sont les fosses communes, dernière demeure des mortels à qui la fortune a refusé ses faveurs ; et cependant ce ne sont pas les tombes sur lesquelles coulent le moins de larmes ; et ici, du moins, elles sont presque toujours sincères, car l’héritage du pauvre est rarement assez considérable pour amortir la douleur de sa perte.

Sur cette terre funéraire ne s’élèvent pas le marbre, le bronze, l’or ; mais des simples croix de bois y attestent que la religion ne fut jamais plus universellement répandue qu’à l’époque où nous vivons. Des fleurs bien entretenues, des couronnes d’immortelles, des inscriptions au pinceau, quelquefois même à la plume, y attestent le respect religieux que l’indigent lui-même professe pour les êtres chéris qu’il a perdus : et combien de fois avons-nous trouve sur ces grossières preuves d’un sentiment délicat, des pensées plus profondes, mieux senties, et souvent même plus poétiques que sur les pierres fastueuses qui annoncent avec emphase les dignités et l’opulence passées du brin de poussière qu’ils recouvrent.

Et que l’on ne pense point ici que ce que nous avançons nous soit inspiré par un esprit de rancune contre le ciel, qui nous a privés nous-mêmes de richesses et de titres ; ce n’est pas dans l’empire de la mort, et au pied de la tombe des personnages les plus puissans et les plus influens du 19e siècle, que l’on est tenté de porter envie à des biens aussi périssables, et qui tant de fois, au lieu de préserver leurs possesseurs, ont été le levier puissant qui les a précipités dans l’abîme, et les a fait succomber sous la faux d’une mort cruelle et inattendue.

Ainsi, par exemple, nous n’avons pas trouvé dans tous les cimetières une marquise, une baronne, une comtesse, voire même une duchesse, qui eut en trois mots une épitaphe aussi expressive que celle d’une simple bourgeoise, Mme Claude Viriot. On lit sur la modeste croix de bois qui indique l’endroit où elle a été ensevelie : Elle vécut bien ; elle aima bien ; elle mourut bien.

Peu d’épitaphes d’enfans de haute et puissante lignée sont aussi touchantes et aussi poétiques que celle que nous apercevons un peu plus loin ; que notre lecteur en juge. Sur une simple croix de bois qui s’éleve au-dessus de la fosse commune, est l’épitaphe suivante, faite pour une enfant de trois mois.

A peine elle a reçu de sa mère chérie
La première caresse, elle git en ce lieu :
Avant de la connaitre, elle a dit a la vie
Un éternel adieu.
Ainsi l’on voit souvent d’une faux meurtrière
Sur la chétive fleur passer le fer tranchant,
Et disparaitre aux yeux une feuille légère
Qu’entraîne le torrent.

C’est, dit-on, a la jeune muse de M. Ambs que l’on doit ces jolis vers qui expriment si bien la douleur d’une semblable perte.

A peu de distance repose là, depuis le 15 novembre 1815, Stéphanie Willaert, jeune fille à son aurore, qui, ainsi que nous l’apprend son épitaphe, est morte dans cette enceinte même, sa main dans celle de sa malheureuse mère.

A peu de distance, dans un terrain cédé à perpétuité, dort la cendre d’une autre vierge de 16 ans et demi, enlevée à sa famille infortunée le 10 novembre 1812, le jour fixé pour son mariage… C’est Joséphine-Marie-Catherine Ferino… O destin ! que tes arrêts sont quelquefois cruels ! Au moment de lier sa destinée à un être chéri ; au moment où sa famille se felicitait de la voir entrer dans le port du bonheur, la mort se lève, tout disparait, et l’autel nuptial est remplacé par une tombe. Pauvres mortels ! et nous formons des projets ; nous affichons des volontés : et qu’en résulte-t-il ? Toujours des palais bâtis sur le sable, et qu’un souffle du zéphyr suffit pour faire écrouler.

Nous ne tardons pas à apercevoir la tombe de ce piquant abbé Geoffroy, dont les feuilletons firent si long-temps la réputation du Journal de l’Empire ; ce fut un homme d’esprit et d’érudition, qui eût été juge excellent des choses dramatiques, s’il eût été un peu moins sensible à la saveur du moka, au gout exquis d’un poulet à la Marengo, au parfum embaumé d’une dinde aux truffes ; sa plume subit trop de fois l’influence toute puissante de son estomac ; on alla même jusqu’à dire que parfois un rouleau de napoléons fit pencher la balance de la justice. Plus d’un talent fut rabaissé par lui pour rehausser une médiocrité dramatique ; et les Parisiens le virent presque sans regret descendre dans la tombe ; tant sa méchanceté, que l’on supposait vénale, faisait de tort au piquant de son esprit.

O fragilité des grandeurs humaines ! un simple marbre brisé offre à peine aujourd’hui le nom de l’amiral Bruix, et pourtant qui mieux que lui méritait un de ces monumens fastueux, partage de l’opulence, et si souvent peu mérités ? N’avait-il pas consacré sa vie entière au service de sa patrie ? ne l’avait-il pas illustrée par ses exploits maritimes ? Quelques instans encore, et sa sépulture, qui n’est que temporaire, aura disparu tout-à-fait. O ma patrie ! que tu es quelquefois ingrate !

On nous avait dit que Valmont de Bomare reposait dans cette enceinte ; nous l’avons cherché vainement ; ses ouvrages subsistent encore, et sa cendre a déjà disparu. Pauvres mortels, comptez donc sur les regrets que vous laisserez après la mort ; espérez donc que des mains amies viendront jeter des fleurs sur votre tombe…


LVIe DIVISION.


Plus on pénètre dans les divisions finales, et plus les noms célèbres deviennent rares ; nous en apercevons cependant ici un qui, sous l’empire, a jeté quelque éclat, et qui est aujourd’hui replongé dans une profonde obscurité. Une pierre tumulaire, debout et ceintrée par le haut, est le modeste monument qui recouvre la dépouille mortelle de M. Duplantier, qui fut membre de la légion-d’honneur, maître des requêtes, baron, préfet, et qui n’est plus rien de tout cela depuis le 6 février 1814. Du reste, en qualité de préfet, il rendit de grands services aux départemens qu’il administra ; et la reconnaissance des habitans du département du Nord doit le suivre dans la tombe.

À peu de distance, repose une jeune fille âgée de cinq ans, dont la perte dut être bien amère, bien cruelle pour sa malheureuse famille ; car il est bien rare de rencontrer, dans un âge aussi tendre, des enfans comme Rose Lagroux, moissonnée le 12 avril 1819. Sur sa tombe, surmontée d’une petite pyramide terminée par une croix, on a attaché une plaque de cuivre, sur laquelle jamais, nous en sommes bien sûrs, personne n’aura pu lire, sans une vive émotion, les vers suivans.

O vous qui visitez ces tristes monumens,
Si jamais vous voyez, dans ses derniers momens
Quelque sage essuyer les larmes de sa mère,
Consoler sa famille, et tranquille et sincère,
Dire un adieu fatal ! apprenez aux passans
Qu’il n’en a pas plus fait qu’un enfant de cinq ans.

Nous rencontrons aussi, à peu de distance, la tombe de Mme Contal, décédée le 30 aout 1819, à 39 ans. Au-dessus de la tombe sont placés, sous un verre, quelques oiseaux empaillés et des fleurs ; les vers

suivans expliquent pourquoi ces objets sont là.

A des soins innocens consacrant ses loisirs,
Les fleurs et les oiseaux faisaient tous ses plaisirs,
L’orphelin dont ses soins calmèrent la misère,
Ici pleure avec nous et demande sa mère.

Une élégie tout entière, et une élégie digne d’un bon poète, se lit sur la pierre tumulaire couchée qui recouvre la cendre de Mme veuve Hérault, qui dort sous cette pierre depuis 1813.

O ma mère ! une mort soudaine,
Dans mes bras a fermé tes yeux :
Tu n’es plus ! et ta fille à peine
A pu recevoir tes adieux.
Ma félicité m’est ravie ;
Avec les restes de ta vie,
Elle s’exhala vers les cieux.
Hélas ! sur cette terre à présent si déserte,
Rien ne m’annonçait mon malheur ;
Avec toi, le matin, je parlais de bonheur,
Et le soir j’ai pleuré ta perte.
C’en est fait, le cercueil sur toi s’est refermé,
Couvert des feuilles de l’automne.
Dieu permet-il qu’on abandonne
L’enfant dont on est tant aimé ?
Pourquoi t’en aller la première ?
Des jours de ma famille entière
J’ai vu s’éteindre le flambeau.
En tous lieux maintenant je me trouve étrangère,
Excepté près de ce tombeau ;
En proie à ma douleur amère,
Sur ce tombeau je pleurerai
Jusqu’au jour où j’y descendrai,
Pour aller rejoindre ma mère.

Hélas ! encore quelques années et la mousse aura caché cette touchante épitaphe, dont les caractères sont déjà difficiles à déchiffrer.

En descendant de la chapelle, on remarque un des plus beaux monumens du cimetière ; c’est un tombeau construit en marbre gris-blanc, et élevé sur une magnifique base de la même matière. Ce monument est élevé à la mémoire de M. Lenoir-Dufresne décédé le 22 avril 1806, âgé de 38 ans. Nous n’avons pu lire sans la plus vive émotion, sur la façade du nord, cette inscription qui vaut mieux que la plus sublime épitaphe.

« Plus de cinq mille ouvriers, qu’alimenta son génie, qu’encouragea son exemple, sont venus pleurer sur cette tombe un père, un ami. »

Honneur et respect à la dépouille d’un homme de bien.

Ce monument est décoré de bas-reliefs gravés en creux ; nous profiterons de cette circonstance pour recommander, en fait de monumens, le creux de préférence au relief ; il a moins de grâce, peut-être, mais il gagne doublement en durée ce qu’il perd sous le rapport de la grâce.

Saluons en passant le tombeau de Mme du Fougeret, fondatrice de la société de charité maternelle : donnons un soupir de regret à cet aimable Laujon, qui repose là, sous un piédestal de marbre noir, depuis le 14 juillet 1811 ; ce respectable vieillard, doyen des chansonniers de la France, était le fondateur du Caveau, et ses joyeux refrains égayaient nos pères depuis 60 ans, quand la mort est venu flétrir sa couronne de lierre.

Sur la droite de l’allée de tilleuls, toujours en descendant, est un tombeau dont l’aspect doit être cher à tous les amateurs de la musique italienne : Cette tombe de marbre blanc porte sur le devant une lyre gravée en or ; là repose, depuis le 25 octobre 1813, et âgée seulement de 33 ans, la célèbre Mme Barilli, qui sut, chose assez rare de notre siècle, unir la sagesse et la vertu au talent dramatique le plus transcendant. On a gravé également sur sa tombe ces paroles de Pétrarque, texte italien et traduction.

« O mort ! tu as imposé silence aux plus doux accens qu’on entendit jamais. » Pétrarque

Plus bas encore est un tombeau de pierre de la forme la plus simple. Sa partie supérieure est surmontée d’un chapiteau convexe. Là dort, depuis le 14 septembre 1813, M. Champagne, ancien proviseur du Lycée ci-devant impérial, homme de mœurs douces et simples dont nous avons salué la tombe avec un respect religieux, attendu que nous avons fait partie des nombreux élèves qui honorent aujourd’hui sa mémoire.

Plus bas encore, au milieu de ronces, d’épines et de lierre est une pierre couchée, presque entièrement cachée par la mousse, qui recouvre la dépouille mortelle de M. Sonnini, homme savant, spirituel, qui fut toujours aux prises avec la fortune, fit de lointains voyages, des ouvrages importans pour les sciences naturelles, et revint mourir dans sa patrie le 9 mai 1812, âgé de 63 ans.

Entre plusieurs tombes vulgaires, nous en avons remarqué une, simplement à cause de son épitaphe qui n’est pas mal ; sur la pierre tumulaire qui recouvre la dépouille mortelle de Mme Saucé, décédée le 4 juillet 1815, on lit les vers suivans :

Tes vertus, ton esprit, ta bonté, ta jeunesse,
Et mes soins empresses, et ma vive tendresse
N’ont pas du sort cruel adouci la rigueur.
Hélas ! je ne puis plus espérer le bonheur.

A côté de cette dernière, sur un marbre debout au milieu d’un petit jardin planté de rosiers, est écrite en lettres d’or l’épitaphe suivante, à la mémoire de Mme Boituzot :

Aux portes du trépas, une mère en alarmes
Voulut voir ses enfans pour essuyer leurs larmes ;
Elle aperçoit sa fille, embrasse ses enfans,
Et fut encore heureuse à ses derniers momens.
Sa belle âme, en quittant sa dépouille mortelle,
A laissé dans nos cœurs une peine éternelle.

Un peu plus loin et sur le bord même du grand chemin, est un petit jardin ; là est un simulacre de tombe en planches peintes en noir, sur lesquelles on lit en blanc une inscription qui nous apprend que là repose Françoise Bellay, décédée le 13 mai 1814 ; à l’âge de 23 ans, et sous l’inscription le huitain suivant :

Objet de mes regrets, chaste sœur, tendre amie,
Ton âme en paix au ciel va jouir du bonheur ;
Je finirai sans toi le trajet de la vie ;
Mais nous nous reverrons dans un monde meilleur.
Du séjour des heureux, que ton ombre chérie
Veille sur mes destins, qu’elle éclaire mes pas :
T’égaler en vertus, voilà ma seule envie ;
Plains ton malheureux frère, il pleure ton trépas.