Les Évolutions d’escadre et la tactique des flottes modernes

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Les Évolutions d’escadre et la tactique des flottes modernes
Revue des Deux Mondes5e période, tome 16 (p. 790-821).
LES ÉVOLUTIONS D’ESCADRE
ET LA
TACTIQUE DES FLOTTES MODERNES

Il y a quelques mois, au cours d’une sortie de l’escadre de la Méditerranée, les deux cuirassés Gaulois et Bouvet se sont frôlés dans une évolution qui avait pour but de passer d’une formation à rangs serrés à une formation normale. De ce frôlement sont résultées des avaries assez importantes, mais qui, en tout cas, n’ont pas empêché les deux bâtimens de continuer leur service actif. Les conclusions de l’enquête prescrite pour « déterminer les responsabilités » n’ont pas été connues du public. Toutefois les deux commandans ont été relevés de leurs fonctions.

Nous n’avons pas à commenter la décision du ministre. La question des évolutions des escadres modernes et de la tactique qui s’impose à ces réunions de grandes unités vaut d’être traitée d’une façon tout à fait générale, sans aucune préoccupation des polémiques où l’esprit de parti obscurcit toujours le jugement.


I

Depuis qu’il y a des escadres, il y a des évolutions, c’est-à-dire des mouvemens d’ensemble exécutés d’après des règles fixes et qui ont pour but de donner à la force navale mise en jeu, avec le maximum de promptitude et le minimum de risques d’abordage, la formation que le commandant en chef juge la plus convenable aux circonstances de la marche ou du combat.

Du temps des escadres à voiles, les évolutions étaient compliquées par la nécessité de composer avec les caprices du vent, énergie motrice extérieure au corps qu’elle animait. L’utilisation de forces asservies à nos volontés et la création d’un moteur intérieur devaient naturellement rendre les évolutions plus simples et plus sûres. Malheureusement, pour satisfaire à des considérations de l’ordre militaire qui paraissaient justes à cette époque et qui n’ont pas perdu toute leur valeur, on augmenta bientôt les dimensions et le déplacement des navires de combat, en même temps qu’on leur demandait une plus grande vitesse, pour la marche comme pour les mouvemens tactiques.

Alors que le plus lourd « trois-ponts » ne dépassait guère 5 000 tonnes, les premiers cuirassés en pesaient déjà 6 000, et leurs successeurs, qui montaient en trente années de 6 000 à 12 000 tonnes, s’élèvent aujourd’hui, d’un bond énorme et inquiétant, à 15 000, 16 000 et 18 000 tonneaux, nous affirme-t-on.

Progrès correspondans dans les dimensions : le Valmy de la guerre de Grimée (plus tard le Borda) mesurait une soixantaine de mètres. Le cuirassé Océan, quinze ans après, en avait déjà 90. La longueur du Gaulois et du Bouvet est de 120 mètres environ. Les unités de combat qu’on nous promet pour 1907 atteindront 130 mètres ; elles sont d’ailleurs distancées par les nouveaux croiseurs cuirassés qui vont jusqu’à 150 mètres.

Quant aux vitesses, la progression, pour être un peu moins rapide, n’en est pas moins fort sensible. Les vaisseaux à voiles, dans les circonstances les plus favorables, filaient une dizaine de milles à l’heure ; les vaisseaux en bois à vapeur, le Napoléon notamment, allaient à 12 milles, les frégates cuirassées du type Gloire à près de 14, les cuirassés d’il y a dix ans à 15 ou 16, tandis que ceux d’aujourd’hui donnent entre 18 et 19.

Et nous savons bien que ce ne sont pas là les vitesses d’évolutions ; qu’au demeurant, le commandant en chef reste maître de déterminer l’allure à laquelle il désire que soient exécutés les mouvemens tactiques (il y a cependant un minimum de vitesse qui résulte du plus petit nombre de tours d’hélice que peuvent donner les bâtimens) ; mais il n’est pas douteux non plus qu’il existe une liaison forcée entre les vitesses maxima de marche et les vitesses normales d’évolutions, et qu’à toute augmentation de celles-là correspond inévitablement une augmentation de la moyenne de celles-ci.

Dès lors, augmentation du déplacement, de la longueur, de la vitesse, tout concourait à rendre les évolutions sinon plus difficiles, du moins plus délicates et plus dangereuses par leurs conséquences, en cas de collision. Mais il y avait plus encore : l’accroissement de la liberté de mouvemens, des facultés giratoires, que procurait l’emploi d’un moteur indépendant des circonstances extérieures, ayant fait naître l’idée d’utiliser le navire comme bélier, le cuirassé avait été pourvu soit d’une étrave tranchante, constituée par les plaques de blindage taillées en biseau, soit d’un éperon en acier massif, saillant de plusieurs mètres. De là, tandis qu’autrefois un abordage de vaisseaux en bois n’entraînait généralement pas de graves conséquences, ne mettant en contact que des surfaces pleines, arrondies et des matériaux doués d’une grande élasticité, une collision de cuirassés devenait mortelle à l’un d’eux, celui dont la coque métallique rigide était rompue par l’avant en fer ou trouée par l’éperon. Après la perte du Re d’Italia, à Lissa, on enregistrait les catastrophes du Grosser Kurfürst dans la Manche, de la Thétis aux îles d’Hyères, de la Victoria, près de Tripoli de Syrie.

On aurait pu croire que la crainte d’accidens aussi terribles inclinerait les chefs d’escadre à une grande prudence et ferait naître une tactique appropriée, où toutes précautions eussent été prises pour que, dans les déplacemens relatifs d’unités de combat exigés par l’exécution d’une manœuvre, les intervalles et les distances[1] restassent toujours largement suffisans. Il n’en fut rien. Au contraire, on vit des amiraux user du droit qui leur était concédé par la « tactique » officielle de réduire les distances normales et de faire évoluer leur escadre à rangs serrés. On passait ainsi assez souvent de 400 mètres à 200 mètres et quelquefois à 100 mètres[2].

Il y avait naturellement des raisons pour cela, et même de bonnes raisons, à la vérité fort complexes.

Et d’abord, puisque le navire devenait une arme et le choc un moyen d’action réglé, un mode de combat, il importait d’habituer le personnel à l’impression fort vive que donne le rapprochement, accidentel ou voulu, de ces masses imposantes que sont les cuirassés d’escadre ; il fallait former le coup d’œil des capitaines et « tremper leurs nerfs, » ainsi que ceux de tous leurs auxiliaires immédiats. D’ailleurs, le corps-à-corps étant prévu, en raison même de l’emploi du choc, comme la phase décisive du combat d’escadre, il y avait avantage à ce que la force navale restât jusqu’au dernier moment bien manœuvrante, « bien en mains, » groupée aussi étroitement que possible autour de son chef. On se rappelait le coin de Lissa et la parfaite cohésion, — cohésion morale autant que matérielle, du reste, — qu’avait conservée l’escadre autrichienne en face de la longue ligne molle, sans consistance, sans appui, des Cuirassés italiens.

Et encore, comme on ne se défait pas aisément, en tactique, de l’influence des « principes » auxquels le temps confère son autorité, les changemens dans les circonstances, les modifications dans l’armement justifiassent-ils d’ailleurs toutes les révolutions, on redoutait de laisser entre ses unités de combat des intervalles où celles de l’adversaire pussent se glisser, comme l’avaient fait les vaisseaux de Rodney à la Dominique, ceux de Jervis à Saint-Vincent et de Nelson à Trafalgar, ceux même de Tegetthoff à Lissa[3].

Enfin, il y avait dans cette recherche persévérante du plus petit espace couvert, avec la crainte que les unités n’échappassent à la direction immédiate du commandant en chef (entre autres motifs, à cause de la difficulté d’interpréter de loin des signaux noyés dans la fumée) et que la coordination des efforts n’en fût par conséquent altérée, il y avait l’influence obscure d’une assimilation instinctive de l’escadre à vapeur avec la phalange ou la légion, l’admiration atavique des formations compactes, la vieille conception du bloc solide, « inentamable. »

L’allongement des unités, avec son corollaire, l’augmentation du rayon de giration, l’entrée en jeu d’une arme nouvelle, la torpille automobile, et surtout les progrès de l’artillerie à tir rapide, ébranlaient cependant, il y a douze ou quinze ans, l’opinion que les officiers réfléchis se faisaient de la physionomie du combat d’escadre et de l’intérêt des formations serrées.

En ce qui touche la torpille, on remarquait qu’elle donnait à chaque bâtiment une zone de protection morale contre les tentatives d’attaque par le choc, car, si cette tentative échouait, — et cela devenait de plus en plus probable, en raison même de l’augmentation des rayons de giration, — une riposte terrible, grâce à la torpille automobile, restait à la disposition du navire attaqué contre un adversaire qui lui passait forcément à très courte distance. Et, en même temps, pour le même motif, notons-le bien, le danger s’éloignait pour l’escadre, prise dans son ensemble, de voir la force navale ennemie essayer de rompre sa ligne.

En ce qui concerne l’artillerie à tir rapide, on commençait à sentir confusément que, d’une part, la puissance de ses feux, mise en valeur par la protection donnée à chaque canon ou à des groupemens restreints de pièces, de l’autre, une distribution plus égale de cette artillerie dans toutes les directions, pouvaient donner l’idée d’une tactique nouvelle où le tracé des ordres adoptés s’inspirerait de l’avantage de restituer à chaque unité de combat un champ d’action particulier plus étendu, plus libre, que celui qui lui était assigné dans les formations anciennes. Et, dès lors, germait dans les esprits l’opinion que, si les liens qui rattachent, au combat, les diverses unités les unes aux autres pouvaient être relâchés sans inconvénient pour la simultanéité, pour la concordance des efforts et au grand bénéfice de l’efficacité des moyens d’action de chacune d’elles, il ne restait plus pour les évolutions d’exercice à rangs serrés que des risques très supérieurs aux avantages qu’on en attendait.


La bataille du Yalou vint, il y a huit ou neuf ans (17 septembre 1894), jeter quelques clartés sur ces questions encore obscures. On y vit l’un des partis combattre suivant les formules traditionnelles, et ce fut le vaincu, les Chinois. On y vit l’autre combattre suivant les idées nouvelles, et ce fut le vainqueur, les Japonais. Et ceci ne veut pas dire que l’application de principes nouveaux dût nécessairement donner le succès aux uns, tandis qu’aux autres le respect des vieilles méthodes devait valoir un grave échec. Victoire, défaite ont des facteurs plus complexes. Il y a même ceci d’assez curieux dans la bataille du Yalou, que les Japonais, finalement, y cédèrent « le terrain » aux Célestes. Mais ceux-ci avaient perdu six unités sur dix qu’ils avaient engagées. Les quatre restantes étaient dans un état lamentable et, en tout cas, la force morale des survivans était brisée. Lentement, ruines fumantes et brûlant encore dans les hauts, les deux grands cuirassés chinois, Ting-Yuen et Chen-Yuen, s’acheminaient vers Port-Arthur, qu’ils ne devaient plus quitter que pour aller s’ensevelir à Weï-haï-Weï. Quant aux Japonais, leur retraite momentanée n’avait d’autre motif que l’épuisement des munitions des canons à tir rapide (c’est là le revers d’une belle médaille… la nécessité d’approvisionnemens considérables) et, le lendemain du combat, leur escadre, consciente de sa victoire, revenait à l’embouchure du Yalou et y détruisait deux croiseurs chinois échoués dans la vase.

Quelle avait donc été l’idée directrice de la méthode de combat de l’amiral Ito ? — C’est d’obtenir, grâce à la supériorité de vitesse et en vue de l’utilisation de la supériorité d’artillerie, l’enveloppement tactique, à la distance moyenne de 3 000 mètres.

Le commandant en chef japonais, tout en ayant exécuté sa marche d’approche en ligne de file régulière, ne s’était nullement astreint à conserver au cours du combat un ordre rigide et serré, ni des distances invariables. Il avait, au contraire, laissé s’agrandir les intervalles qui séparaient ses bâtimens, de manière à donner des effets de convergence aux feux rapides dont il accablait ses adversaires et à tirer par-là le maximum d’effet utile de ses mouvemens enveloppans[4].

Et l’amiral Ting s’était bénévolement prêté aux desseins de son antagoniste en adoptant un ordre compact, la ligne de front à faibles intervalles, bientôt rompue, à la vérité, par les incidens de la lutte, mais sans qu’à aucun moment les Chinois aient paru comprendre que c’était par leurs groupemens serrés, quelles qu’en fussent les formes géométriques, qu’ils favorisaient le jeu des Japonais.

En somme, s’il serait excessif de prétendre qu’au Yalou, l’ordre dispersé fut vainqueur de l’ordre compact, du moins peut-on dire qu’à l’inverse de ce qui s’était passé à Lissa, une ligne mince, étendue, à chaînons espacés, s’était montrée parfaitement adaptée aux facultés caractéristiques des armes nouvelles et avait largement contribué à leur assurer le succès.

Mais ce résultat ne pouvait être acquis et la supériorité d’artillerie moyenne à tir rapide ne devait être complètement utilisée qu’à deux conditions : supériorité de vitesse, supériorité de force morale.

Supériorité de vitesse, et très sensible, d’une part, parce qu’il fallait prendre successivement une série de positions enveloppantes ; par conséquent, faire, dans le même temps, beaucoup plus de chemin que l’adversaire ; de l’autre, parce qu’il était intéressant de maintenir la distance favorable à la mise en jeu des pièces de 120 millimètres à tir rapide. De fait, mieux entretenus, mieux desservis, les appareils moteurs des Japonais donnaient, en moyenne, trois nœuds de plus que ceux des Chinois…

Supériorité de force morale, parce qu’une telle méthode, justement en ce qu’elle dissocie dans une certaine mesure les élémens constitutifs de l’escadre et la décompose en autant d’unités tactiques qu’elle a d’unités de combat, exige que chacune de celles-ci acquière une initiative plus étendue, un jeu plus indépendant de celui du bâtiment du commandant en chef, et par conséquent une conscience plus haute de sa valeur individuelle en même temps que de sa responsabilité militaire.

Et l’on sent bien que l’entraînement intellectuel et moral qui permettra d’obtenir des commandans d’unités, — ainsi que de tout le personnel, d’ailleurs, — cet état d’esprit, nous allions dire (et pourquoi pas ? ) cet état d’âme, est fort différent de la gymnastique spéciale au moyen de laquelle on obtient les évolutions de la tactique officielle, si séduisantes pour l’œil du commandant en chef[5], si flatteuses pour son amour-propre, lorsque sur un simple signe et, pour ainsi dire, à la pression d’un bouton électrique, tous ses cuirassés rompent leur ordre de marche primitif et, décrivant sur la glace bleue de la mer de savantes figures géométriques, se rangent automatiquement à un ordre nouveau.

Qu’on ne craigne point que la discipline de notre force navale, que sa cohésion morale puisse être diminuée par cette autonomie bien relative que nous réclamons pour chacune des unités de combat. Elle en sera augmentée, au contraire, dans ce qu’elle a de meilleur, la communion des intelligences ; et, si l’on voulait prôner l’avantage d’assujettir étroitement les volontés des lieutenans du commandant en chef, nous déclarerions mettre bien au-dessus les bénéfices de la subordination réfléchie de leurs conceptions à celles du général, qui doit être avant tout un inspirateur, comme le furent Moltke et Nelson, et dont l’esprit doit avoir pénétré, bien avant le combat, ceux qui sont chargés d’exécuter ses plans.

Résumons-nous :

Le concept de nos tacticiens d’escadre avait jusqu’ici pour bases les idées de masse, de choc, de mêlée, à peu près justifiées par l’insuffisance balistique de l’artillerie et par la répartition défectueuse des bouches à feu. Avec ces idées s’accordait parfaitement, d’ailleurs, la doctrine de la passivité des instrumens d’exécution. La tactique officielle conduisant dès lors à la recherche des formations compactes et à la pratique des évolutions à rangs serrés, il était naturel que l’on préparât, en temps de paix, les capitaines par des exercices appropriés, si périlleux qu’ils fussent, aux manœuvres délicates que l’on prévoyait pour le moment du combat.

Les constatations que nous avons faites déjà, celles que nous allons faire encore sur les transformations actuelles ou prochaines de l’unité de combat nous amèneront sans doute à conclure à l’intérêt, à la nécessité même d’une tactique qui s’inspirera, matériellement, de la puissance et surtout de la concentration des feux, moralement de la doctrine de l’initiative des lieutenans du commandant en chef. Cette tactique nouvelle ne comportant plus de mouvemens de masses, les évolutions dangereuses deviendront inutiles et devront disparaître.


II

Quelle est donc l’unité de combat de demain ?… De quels bâtimens sera composée l’escadre avec laquelle un commandant en chef avisé pourra réaliser pleinement la méthode de combat idéale indiquée par l’amiral Ito au Yalou, l’enveloppement et la convergence des feux ?

Le type des cuirassés de 14 870 tonnes que nous mettons aujourd’hui en chantiers, après de retentissans débats, satisfait-il aux conditions essentielles de cette méthode, celles que nous posions tout à l’heure, supériorité d’artillerie sur ses rivaux et supériorité de vitesse ? Malheureusement non.

Ce n’est pas qu’on n’ait entrevu l’intérêt de ces conditions et qu’on n’ait fait un effort, inconscient en quelque sorte, pour y satisfaire ; mais, outre que la conception première du type est déjà assez ancienne, on a été paralysé par l’importance exagérée que la tactique traditionnelle, la tactique du combat rapproché, flancs contre flancs, donnait à l’armement lourd par excellence, la cuirasse.

L’étude du « pourcentage » attribué aux divers élémens constitutifs de ces unités montre que la protection de la coque et celle de l’artillerie absorbent plus de 37 pour 100 du déplacement total. C’est excessif ; et il n’y a plus lieu de s’étonner, dès lors, que la part des appareils moteurs, réduite à un peu plus de 10 pour 100, ne permette pas d’attendre de la République, de la Démocratie, de la Justice, une vitesse supérieure à 18 nœuds, vitesse à peine égale à celle des cuirassés étrangers d’aujourd’hui et inférieure à celle des cuirassés étrangers de demain.

Quant à l’artillerie, si les 11 pour 100 du déplacement qui lui reviennent paraissent suffisans, il faut bien reconnaître que l’utilisation proposée de ces 1600 tonnes ne témoignait pas chez les auteurs des plans[6] d’une rare prévoyance, ou, tout au moins, d’une grande confiance dans les progrès de l’artillerie. En définitive, pour ces grands cuirassés, destinés à représenter en 1906-1907, le maximum de puissance offensive individuelle de l’unité de combat française, on en restait aux 305 millimètres, à tir relativement lent et aux 164mm, 7, à tir rapide, il est vrai, mais à la puissance balistique insuffisante[7], alors qu’en Italie déjà et, peu après, chez beaucoup d’autres nations maritimes, on substituait aux canons moyens à tir rapide des bouches à feu rentrant dans la catégorie des gros calibres (203-210 millimètres), que l’on dotait d’ingénieux systèmes de chargement rapide[8].

Une décision récente du ministre de la Marine, décision à laquelle il faudrait applaudir sans réserve s’il n’y avait de graves inconvéniens à remanier sans cesse des plans arrêtés depuis longtemps, modifie heureusement la composition de l’artillerie secondaire de quatre sur six des bâtimens en question, en remplaçant les 18 canons de 164,7 par 10 canons de 194 et 8 canons de 100. Peut-être aurait-il mieux valu, du reste, 12 ou 14 canons de 194, sauf à faire monter d’un échelon le calibre de l’artillerie légère et à passer du 47 millimètres, notoirement insuffisant, au 57 millimètres qu’emploient toutes les marines étrangères, ou même à notre 65 millimètres, convenablement allégé.

Quoi qu’il en soit, et en reconnaissant le bénéfice de la mesure qui vient d’être prise en faveur d’une partie de notre future escadre de première ligne, il faut bien confesser que celle-ci n’aura point, il s’en faut, de supériorité sur ses rivales, du moins au point de vue de l’artillerie et de la vitesse. Avant 1906, l’Angleterre mettra en ligne 5 cuirassés dont l’armement (pour ne parler que des canons de gros et moyen calibre) comprendra quatre canons de 305 millimètres, quatre de 203, seize de 152, toutes ces unités filant d’ailleurs 19 nœuds francs. A la même époque, les Etats-Unis présenteront trois cuirassés de 14 650 tonnes qui, filant aussi 19 nœuds, auront la formidable artillerie que voici : quatre canons de 305 millimètres, huit de 203, douze de 152, douze de 76 ; et à cette superbe division viendront à bref délai s’ajouter 2 navires plus puissans encore, déplaçant à la vérité 17 600 tonnes, donnant 18 nœuds et armant leurs flancs de quatre canons de 305 millimètres, huit de 203, douze de 178, vingt de 76 et douze de 47.

Entre temps, l’Italie, dont le génie inventif en construction navale a souvent ouvert des voies nouvelles et fécondes, aura terminé ses deux cuirassés de 13 450 tonnes, Benedetto Brin et Regina Margherita, caractérisés par une prédominance marquée des facultés offensives sur les facultés défensives (20 nœuds ; quatre canons de 305, quatre de 203, douze de 152, seize de 76 ; mais seulement 150 millimètres d’acier à la flottaison et aux tourelles, tandis que nous y mettons respectivement 300 et 400 millimètres) ; elle aura aussi, en achèvement à flot, vers 1906-1907, 3 autres cuirassés, Roma, Vittorio-Emanuele, Regina Elena, où la vitesse doit encore gagner un nœud et qui, ne présentant plus aux deux extrémités que deux de 305 au lieu de 4, composent leur armement principal de douze canons de 203, flanqués de douze de 76 millimètres : le tout avec un tonnage de 12 300 seulement. Bien plus, elle promet de nous montrer dans le curieux type Amalfi-Genova[9] le maximum du rendement, au point de vue des facultés offensives, d’un tonnage moyen, puisque, avec 8 000 tonnes seulement, ses ingénieurs comptent obtenir 23 nœuds sur des bâtimens pourvus de 2 000 tonnes de charbon et armés de douze canons de 203, douze de 76 et douze de 47 millimètres !

Laissons de côté, si l’on veut, ce dernier type, un peu spécial ; mais avouons-nous à nous-mêmes que ce n’est pas en présence de ceux dont l’énumération précède que notre escadre de 1907 pourrait user de la tactique du Yalou.


Il n’est cependant pas si difficile de le concevoir, le bâtiment de combat idéal que nous cherchons, puisqu’il se trouve à peu près défini déjà et par les caractéristiques mêmes de ses rivaux et par les genres de supériorité que nous voulons lui donner sur ceux-ci.

Seulement il faut serrer d’un peu plus près la question.

Quelle est d’abord exactement la supériorité de vitesse qui est nécessaire à cette nouvelle unité de combat pour que la force navale dont elle sera la base puisse, toujours maîtresse de ses mouvemens, imposer à l’adversaire la distance qu’elle jugera convenable et le maintenir au centre d’un secteur d’enveloppement ? Évidemment des expériences directes seraient utiles ici, et, ces expériences, il serait aisé de les faire exécuter par nos escadres en différenciant d’une manière progressive les vitesses des divisions mises en jeu. Mais on peut estimer a priori, pensons-nous, qu’il ne faudrait guère moins de 4 ou 5 nœuds ; de sorte que, si l’on prend les cuirassés anglais et américains comme termes de comparaison, notre unité de combat devrait avoir une vitesse maxima comprise entre 23 et 24 nœuds.

Vitesse maxima d’essais, d’ailleurs, vitesse que les bâtimens retrouvent bien rarement quand ils sont sortis des mains du constructeur !… Ce qui vaudrait mieux encore peut-être, ce serait d’assurer à notre cuirassé une grande vitesse pratique, celle que l’on obtient sans fatigue excessive pour le personnel et pour le matériel, la seule, du reste, que l’on puisse soutenir au combat[10], comprise entre 21 et 22 nœuds. Dans les mêmes conditions, on peut bien croire que les unités de combat rivales, en face du nom desquelles les divers aide-mémoire inscrivent le chiffre de 19 nœuds, n’en réaliseraient pas plus de 16.

Nous ne pouvons entrer ici dans la discussion des voies et moyens ; nous ne prendrons surtout pas parti entre chaudières à gros tubes et chaudières à petits tubes, encore qu’il nous paraisse difficile de ne pas accepter les dernières, malgré leurs inconvéniens, pour le cas qui nous occupe. La vitesse que nous demandons coûtera cher, au double point de vue du déplacement et du prix de revient, mais moins cher encore que l’excès du cuirassement où se portent nos unités de combat de 1907. Et enfin c’est à ce seul prix que nous obtiendrons des résultats tactiques[11].

Comment nous procurer, maintenant, la supériorité de l’artillerie ? Nous l’avons fait pressentir déjà : par l’application du chargement rapide à la grosse artillerie. De grands progrès ont été réalisés à cet égard depuis quelques années, et nous sommes loin de l’époque où il fallait sept ou huit minutes, dans les meilleures conditions, pour tirer un coup de 420, de 370 ou même de 340 millimètres. Pourtant il y avait encore beaucoup à faire, et ce « beaucoup » vient d’être fait. Nous avons aujourd’hui la certitude, grâce à des procédés d’une remarquable ingéniosité, d’obtenir quand nous le voudrons une rapidité de chargement marquée par un nombre de secondes inférieur à celui qui représente, en centimètres, le calibre de la bouche à feu. Un canon de 24 centimètres, par exemple, peut être chargé en moins de 20 secondes.

Cet avantage n’est pas le seul qu’il dépende de nous d’assurer à notre bâtiment de combat, et l’on doit recommander encore ceux de l’unité de calibre et de l’unité de projectile, auxquels nous tendons et qui mériteraient bien un effort décisif.

Quel calibre choisirions-nous pour la lutte contre les bâtimens de ligne, réservant contre les torpilleurs et « destroyers » un armement spécial de 57 millimètres ou de 65 millimètres modifié ?

Faut-il s’élever jusqu’au 305 millimètres et n’avoir alors qu’un petit nombre de pièces, 8 au plus, la proportion du poids attribué à l’artillerie ne pouvant guère dépasser 10 ou 11 pour 100 du déplacement total ?… Mais l’adoption de ce calibre marquerait la persistance d’une prétention bien peu justifiée et qui a fâcheusement pesé depuis quarante ans sur notre concept général du combat, aussi bien que sur l’orientation de nos constructions, celle de rompre les cuirasses de flottaison et d’atteindre, derrière beaucoup d’autres obstacles accumulés, les parties vitales de l’adversaire[12].

Faut-il descendre, au contraire, jusqu’au 194 millimètres et acheter les sérieux bénéfices du nombre des bouches à feu (18 ou 20, sans doute) par l’inconvénient grave d’une certaine insuffisance balistique de leurs projectiles contre les revêtemens de flancs, au cas où les projectiles arriveraient obliquement sur les surfaces visées ? — Ce serait imprudent.

Notre choix ne peut donc hésiter qu’entre les deux calibres de 240 et de 274 millimètres ; et, en vérité, cette hésitation n’existerait pas si nous avions un calibre intermédiaire comme le 254 millimètres anglais, ou si notre 240, quitte à voir diminuer un peu sa vitesse initiale de 800 mètres[13], lançait un projectile aussi lourd que celui du nouveau 240 allemand (215 kilos au lieu de 170). Tenons-nous-en toutefois à cette pièce de 240, qui perce à bout portant 720 millimètres de fer forgé et, aux distances de 3 000 et 4 000 mètres, les plaques de flanc de 150 à 200 millimètres d’acier, les seules que nous prétendions viser, ne demandant à notre artillerie que la désorganisation des services militaires et des organes de direction du bâtiment ennemi.

Le poids de la bouche à feu, — 21 tonnes, — est tel qu’en y ajoutant ceux de l’affût ou berceau, du châssis, des engins de chargement, de manœuvre et de pointage, enfin celui des munitions, dont il conviendra de s’approvisionner largement, nous pourrons constituer à notre unité de combat un armement principal de 14 canons, l’armement secondaire et tout à fait accessoire se composant uniquement des pièces, de très faible poids, de 57 ou 65 millimètres, chargées de couler les torpilleurs, mais capables aussi de rendre des services contre les grandes unités dans un engagement rapproché.

Quant à la puissance de feu de cette artillerie, nous la caractériserons en disant que le poids de métal lancé en une minute (chacun des canons de 240 tirant trois coups dans ce laps de temps) atteindra 7 150 kilos[14].

Quels sacrifices, d’autre part, ferons-nous à la protection, au cuirassement ?

Si disposés que nous soyons à les réduire, convaincus que « la meilleure défense, c’est une offensive vigoureuse, » autrement dit, que le navire qui saura prendre dès le début de rengagement la supériorité du feu n’aura rien à craindre des projectiles d’un adversaire désorganisé, nous ne pouvons nous dispenser d’assurer à la tranche compartimentée formant le « flotteur » de notre bâtiment, ainsi qu’à son pont principal, à une partie de ses murailles et à son artillerie, — sans parler des organes de direction, — des garanties suffisantes d’invulnérabilité. Nous ne saurions entrer ici, d’ailleurs, dans le détail du dispositif des revêtemens métalliques que nous adopterions. Donnons-en seulement le poids total, qui ne devra pas dépasser, — non plus que chez la plupart des cuirassés étrangers, — 25 pour 100 du déplacement total, alors que, sur le type Patrie, la protection absorbe jusqu’à 37 pour 100 ! Il est vrai qu’on veut avoir encore 300 millimètres à la flottaison, ce que tous les marins, sauf les nôtres, trouvent exagéré…

Avec la coque, à laquelle on attribue généralement 30 pour 100 du déplacement ; avec la cuirasse, que nous bornerons, avons-nous dit, à 25 pour 100 ; avec l’artillerie, qui prendra 11 pour 100, puisqu’il nous la faut très forte, les gros « pourcentages » reviennent naturellement à l’appareil moteur et à l’approvisionnement de charbon. Pour l’appareil moteur, il faut se montrer généreux, si l’on veut obtenir cette vitesse de 23 à 24 nœuds, intimement liée à nos méthodes de combat. Nous lui donnerons donc 20 pour 100, deux fois plus qu’à la Patrie et un peu plus qu’à l’Ernest-Renan[15], dont la vitesse sera de 23 nœuds juste, tandis que nous attribuerons 9 pour 100 au combustible, ce qui suffit largement, réserve faite de la faculté d’embarquer, en cas de besoin, une plus grande quantité de charbon dans des soutes supplémentaires.

Point de matériel de torpillerie, à bord de notre nouvelle unité de combat, qui doit éviter, non seulement la mêlée, mais même les engagemens rapprochés[16]. Les 5 pour 100 du déplacement total qui nous restent reviendront intégralement à l’équipage, aux vivres, à la mâture, aussi réduite que possible, aux embarcations, dont on peut aisément diminuer le nombre, à condition de les doter de moteurs électriques[17] ; enfin, au « disponible, » réserve qu’un constructeur prudent se ménage toujours pour obvier aux conséquences des erreurs de calcul, de l’augmentation inattendue des poids des matières et engins, aux conséquences, surtout, des « desiderata » émis au dernier moment par les services militaires.

Que si, maintenant, nous partons du poids absolu de notre artillerie (engins, agrès et munitions compris), poids que l’on peut évaluer approximativement à 1 550 tonnes, il nous est facile de dresser le devis sommaire des poids du bâtiment et d’obtenir son déplacement total. C’est ce que montre le tableau ci-contre :


Rapport au déplacement Poids absolus Chiffres arrondis
(p. 100) (tonneaux.)
Coque et accessoires 30 4 230
Cuirassemens 25 3 520
Artillerie 11 1 550
Appareil moteur et auxiliaires 20 2 820
Combustible 9 1 270
Équipage, vivres, mâture, agrès, embarcations 3 430
Disponible 2 280
1 00 14 100

Il s’agit donc d’un navire dont le déplacement est inférieur de 700 tonnes à celui du type Patrie et supérieur de 600 à celui de l’Ernest-Renan. Ce n’est, dira-t-on, qu’un croiseur cuirassé très fortement armé. Justement. Il y a quelques années déjà ; les esprits prévoyans avaient discerné que, le cuirassé d’escadre devenant plus rapide et le croiseur cuirassé plus fort en artillerie, les deux types ne tarderaient pas à se confondre, la transaction s’opérant surtout au détriment du revêtement métallique du premier. Toute la question était de savoir si l’on resterait dans les déplacemens moyens de 12 000 à 13 000 tonnes ; auquel cas, — et c’est celui des nouvelles unités italiennes du type Roma, — on devrait se contenter de 20 à 21 nœuds de vitesse, ou si l’on pousserait plus loin, vers 14 000, peut-être 15 000 tonnes ; auquel cas — et c’est celui de l’unité que nous proposons, — on était en droit d’attendre des vitesses de 23 à 24 nœuds.

Quant au prix de revient de notre bâtiment, on peut l’évaluer d’une manière assez approchée à 34 500 000 francs. Deux des cuirassés du type Patrie, construits par l’Etat, figurent au budget de 1903 pour 35 700 000 francs chacun ; les quatre autres, confiés à l’industrie, coûteront tout près de 40 millions. L’Ernest-Renan reviendra à 33 millions ou un peu plus.


III

Ainsi fixés sur les traits caractéristiques de notre instrument de combat, nous pouvons préciser ceux de la tactique dont nous tracions tout à l’heure les premiers linéamens et montrer que la préparation du temps de paix aux mouvemens de cette tactique ne comportera plus d’évolutions dangereuses.

D’un côté, enveloppement et convergence des feux, de l’autre, initiative et force morale, tels sont les principes qui doivent, avons-nous dit, nous servir de bases. Ces principes, comment les appliquerons-nous, comment en recueillerons-nous les fruits ?

Supposons l’escadre composée de nos nouvelles unités, 9 par exemple, en présence d’une force navale ennemie comptant le même nombre de bâtimens, mais dont la vitesse maxima réelle arrive difficilement à 17 nœuds, tandis que celle des nôtres atteint 21 nœuds et s’y maintient sans effort.

L’adversaire aperçu[18], son ordre de marche et la route qu’il suit reconnus, le commandant en chef déploie l’escadre en la faisant virer de bord, comme s’il voulait prendre chasse devant l’ennemi, et la forme en angle de retraite. De cet angle il occupera le sommet en se tenant au même cap que les bâtimens qui s’approchent et dans le prolongement de leur ligne ou de l’axe principal de leur formation. A la droite et à la gauche du navire amiral, nos huit autres unités prennent leurs postes en relevant le commandant en chef à 60 degrés environ de la route commune et en s’espaçant de 1 000 à 1 200 mètres, de manière à former une tenaille très ouverte du côté de l’adversaire, une sorte d’arc à grand rayon sous-tendu par une corde de 8 000 à 9 000 mètres. L’allure sera réglée de telle sorte que l’escadre ennemie arrive jusqu’à 4 000 mètres des nôtres, distance à laquelle le feu sera ouvert et qui sera maintenue, si on la juge favorable à l’efficacité de notre artillerie, en prenant la même vitesse que l’adversaire. Dans cette position, — il est facile de s’en assurer par un graphique, — la tête de colonne ennemie sera battue par des feux convergeant dans un secteur de 100 degrés environ. Et comme, sur chacun de nos bâtimens, 7 ou 8 canons de 24 centimètres pourront tirer, on voit que les premières unités de l’ennemi seront écrasées par le tir rapide de 65 à 70 pièces, lançant par minute 200 obus de 170 kilos. Notons que c’est là un minimum, car précisément, en raison de leur écartement et aussi de la réserve de vitesse qui leur permet de regagner leur poste après une forte embardée, nos cuirassés peuvent venir alternativement sur un bord ou sur l’autre pour démasquer successivement toutes leurs bouches à feu. Et voilà déjà, pour chaque commandant d’unité, l’utilisation de l’esprit d’initiative.

L’ennemi ne voudra certainement pas rester dans une position aussi désavantageuse ; il cherchera, par exemple, à profiter de notre dispersion en portant son effort sur l’une de ses ailes. Incline-t-il, pour cela, vers sa gauche ?… Notre commandant en chef ordonne aussitôt une abattée tout à la fois dans le même sens et du même nombre de degrés, de sorte que l’aile menacée se dérobe, augmentant sa vitesse, s’il est nécessaire, tandis que l’aile rendue libre se trouve, par le jeu même du mouvement prescrit, prendre une position de flanc par rapport à l’escadre ennemie. La convergence des feux reste donc assurée par ce simple dispositif « en potence. »

Peut-être, au lieu de se masser sur l’une de nos ailes, l’adversaire sentira-t-il l’avantage de se déployer, lui aussi, et d’opposer exactement cuirassé à cuirassé en amenant son arrière-garde sur la ligne de combat. Dans ce cas, et dès que la manœuvre de l’escadre ennemie se sera dessinée, notre division du centre (les trois unités qui occupent le sommet de l’angle) continuera sa route, tandis que les deux divisions d’ailes, accélérant leur allure et s’écartant du centre, choisiront une position telle que la ligne de front de l’ennemi soit prise d’écharpe par leurs feux. Elles peuvent même, changeant de route cap pour cap, défiler à contre-bord des unités placées aux extrémités de cette ligne et les couvrir en peu d’instans d’une pluie de projectiles. Se rejoignant ensuite en arrière de l’ennemi qui poursuit toujours, ou plutôt qui suit notre division du centre, elles mettront alors son gros entre deux feux…

Rien de mathématique, au surplus, dans ces mouvemens où une foule de circonstances imprévues modifieront sans doute tels ou tels détails d’exécution. Prescrites au moment favorable par le commandant en chef ou demandées par les amiraux en sous-ordre, exécutées même spontanément et sous leur expresse responsabilité par ces officiers généraux qui trouveront là peut-être l’occasion de prendre l’initiative hardie que la Fortune couronne si souvent, nos manœuvres devront, en tout cas, répondre à l’idée fondamentale de l’enveloppement tactique, formulée, développée dans les instructions du commandant en chef. On prendra garde seulement que, dans les diverses positions que nos bâtimens seront amenés à occuper par rapport à l’escadre ennemie, la distance favorable à l’efficacité de leur tir soit exactement maintenue et qu’au contraire ils ne présentent aux coups de l’adversaire que des surfaces aussi obliques, des cibles aussi fuyantes que possible.

Tel est à peu près le schéma, — un des schémas plutôt, car nous ne saurions prétendre en limiter le nombre, — du combat d’escadre conduit par une force navale rapide contre une force navale relativement lente. La caractéristique essentielle en est que, à la condition que la différence des vitesses soit très accusée, à la condition, en somme, que les courbes enveloppantes puissent être parcourues plus rapidement que les courbes enveloppées, l’escadre la plus lente sera obligée de subir passivement tous les modes d’attaque que l’escadre la plus rapide jugera bon d’employer contre elle.


Elle doit subir aussi, cette escadre lente, l’ascendant de l’escadre rapide, et, au fond, c’est le but idéal de toute tactique d’imposer l’ascendant d’une force morale supérieure. Mais encore faut-il que cette force morale soit préexistante au conflit armé car ce serait trop donner au hasard, de compter, pour la faire naître, sur l’influence heureuse d’un succès initial. C’est donc dès le temps de paix qu’on doit la cultiver, en lui donnant pour racine la conviction solidement établie à tous les degrés de la hiérarchie de la valeur prépondérante de nos navires, de notre tactique, de nos armes, de notre personnel. Que, plus tard, cette force morale se développe, s’exalte même, à la constatation des résultats des premiers coups frappés dans les conditions favorables que créera une habile utilisation de tous ces élémens de supériorité, cela n’est point douteux, et c’est alors qu’elle s’imposera victorieusement à l’adversaire.

En attendant, comment établir chez nous cette haute confiance dans l’efficacité de nos propres moyens, base de la force morale ?

La supériorité des vaisseaux que nous proposons réside dans leur grande vitesse et dans la puissance de leur armement offensif. Ce sont là qualités bien visibles, facultés appréciables pour tous, et qu’au besoin des instructions appropriées, des tableaux comparatifs bien disposés feraient ressortir aux yeux du dernier marin. De même montrerait-on que les sacrifices consentis sur l’armement défensif, — sacrifices qui ne se présentent point, du reste, d’une manière apparente. — ne mettraient nos unités de combat nouvelles en état d’infériorité que si, méconnaissant le caractère même de leur type, elles acceptaient le combat rapproché.

Mais ceci touche à la tactique. Là, notre supériorité résultera, d’une part, de l’application d’une méthode de combat, l’enveloppement, dont nul ne conteste la valeur plus d’une fois prouvée par l’événement, et, d’autre part, de l’exacte adaptation de nos types de navire à la mise en jeu de cette méthode. C’est une loi souvent oubliée que celle de la spécialisation de l’engin de combat en vue de l’application de la tactique adoptée. En tout cas, des exercices d’ensemble où se trouveront aux prises les anciens et les nouveaux types, les unités lentes et les unités rapides, auront le double avantage de mettre en lumière pour le personnel dirigeant toutes les ressources qu’offre la vitesse, toutes les situations favorables que peut utiliser la grosse artillerie à tir rapide, et de confirmer dans l’esprit des subalternes, par de vraies « leçons de choses, » la haute opinion qu’on aura dû s’appliquer à y faire naître sur la valeur de notre force navale.

Remarquons ici une fois encore, et pour ne pas perdre de vue le sujet primitif de notre étude, qu’il n’y aura plus aucun intérêt à ce que, dans ces exercices, on exige de nos unités nouvelles des mouvemens, — évolutions classiques, — dont la complication et le danger tenaient évidemment à la faible étendue de faire sur laquelle on jugeait utile de garder assemblés et de faire mouvoir les élémens constitutifs d’une force navale. Le peu que nous avons dit tout à l’heure de la physionomie d’un engagement où la méthode de l’enveloppement serait appliquée suffit sans doute à montrer qu’il ne peut plus y être question de manœuvres à rangs serrés et que les distances normales devront être singulièrement élargies. Félicitons-nous-en, s’il est vrai que les bâtimens que nous préconisons ne sauraient guère avoir moins de 160 mètres de longueur ni plus de 22 mètres de largeur, et que leurs facultés évolutives seront probablement restreintes.

La supériorité de nos armes, — disons de notre artillerie, car cette arme seule importe dans le cas qui nous occupe, — est déjà généralement admise, affirmée qu’elle est d’ailleurs par les intéressés toutes les fois qu’il convient. Nous avons fait voir que cette opinion flatteuse ne nous paraîtrait complètement justifiée qu’à certaines conditions. Si ces conditions n’étaient pas remplies, la responsabilité des mécomptes que nous pourrions éprouver passerait, ne nous le dissimulons pas, par-dessus le corps constructeur pour atteindre celui qui, détenant le commandement, — en théorie du moins, — n’aurait pas su imposer ses justes exigences et obtenir, au prix de la réduction de vitesses initiales inutilement excessives, des pièces plus légères, des projectiles plus lourds et d’une capacité plus grande, des affûts plus maniables, des engins de chargement et de pointage à la fois plus pratiques et plus rapides.

Nos canons possèdent, au demeurant, toute la justesse que l’on peut attendre de trajectoires très tendues ; leur solidité inspire au personnel une parfaite confiance. La situation prête donc suffisamment, de ce côté, à l’entretien de la force morale.

En est-il de même du côté de l’instruction technique et de l’éducation militaire du personnel immédiatement appelé à desservir nos engins de combat maritime ?

La question serait grave en tout temps. On conviendra sans doute qu’elle doit l’être plus encore dans la période de crise morale que nous traversons et où nos institutions militaires semblent particulièrement menacées. Regardons-y d’un peu près, par conséquent.


IV

De l’instruction purement technique, peu de chose à dire, en somme. A tous les échelons de la hiérarchie, les progrès y sont continus, comme il est naturel, le niveau intellectuel s’élevant dans tout le pays. Peut-être la formation d’officiers dont le rôle devient de plus en plus scientifique, et, si l’on peut dire, « industriel, » exigerait-elle un assujettissement plus prolongé aux études théoriques et aux applications pratiques du début de la carrière, à l’âge où les facultés d’adaptation n’ont encore subi aucun déchet. De grands embarras, de fâcheux malentendus eussent été évités, si l’on avait senti plus tôt l’intérêt de donner à l’officier de marine toute la compétence nécessaire pour apprécier exactement la portée des accidens qui peuvent se produire dans le fonctionnement de l’appareil moteur de son instrument de combat. Peut-être aussi le mode de distribution de l’instruction technique dans le corps des équipages de la flotte prête-t-il à la critique. Dans la plupart des « spécialités, » nous voulons avoir un trop grand nombre de brevetés ; or, là comme ailleurs, la qualité se concilie mal avec la quantité. Prenons, par exemple, les canonniers et les mécaniciens, chargés de la mise en action des engins qui assureront plus particulièrement le succès de nos nouveaux types. Le vaisseau-école la Couronne, dont la tâche serait assez lourde déjà s’il se bornait à former des pointeurs émérites, des chefs de pièce habiles aux démontages d’organes compliqués, des sous-officiers chefs de section ayant des connaissances, du coup d’œil, de l’autorité, emploie du temps et de l’argent à nous fournir par surcroît des canonniers servans que l’on dresserait fort bien à bord de chaque bâtiment armé, — et qu’il faudra bien y dresser, d’ailleurs, quand le service de deux ans limitera aux seuls engagés à long terme le nombre des marins que l’on pourra faire passer utilement par les écoles de spécialités.

Pour les mécaniciens, il en va un peu de même, et l’on ne voit pas bien pourquoi nous dispersons notre effort en donnant une instruction technique étendue à des sujets qui ne rempliront jamais effectivement que le rôle de graisseurs d’organes de machines. Il est vrai qu’en revanche on pourrait, on devrait relever le niveau d’instruction des chauffeurs, catégorie du personnel chargée des appareils les plus délicats et dont le bon fonctionnement importe le plus à la conservation des facultés essentielles du bâtiment.

Et nous devrions aussi avoir des électriciens, introduisant tous les jours à bord un plus grand nombre de machines, d’appareils, de circuits électriques ; et combien compliqués, délicats, fragiles !… Qu’il n’y ait à bord d’une unité de combat où tourelles, treuils de monte-charges, gouvernail sont mus électriquement, où toutes les communications, tout l’éclairage intérieur et extérieur sont électriques, qu’une seule personne, l’officier breveté torpilleur, sur qui l’on puisse se reposer sûrement, c’est une des choses les plus étonnantes d’une organisation où les choses étonnantes ne sont point rares.

Mais enfin ce sont là des détails qui peuvent, encore que fort intéressans, paraître d’une faible importance dans un ensemble dont nous avons lieu d’être satisfaits. Il y a beaucoup plus d’observations et de plus graves à faire sur l’éducation militaire, facteur aussi capital pour la force morale du personnel que la confiance dans l’armement, la tactique et les navires. Ne parlons d’abord que de l’éducation militaire du personnel subalterne et ne craignons pas d’affirmer qu’elle est en ce moment compromise, autant, du reste, par notre propre insouciance ou plutôt par une sorte de découragement fataliste que par les tendances anarchiques de l’époque et par des complaisances dont ceux qui s’y laissent aller ne mesurent sans doute pas tout le danger. Il est vrai qu’il faudrait aux caractères une trempe bien solide et un tact bien délicat pour lutter avec fermeté, mais avec une fermeté sage et discrète, contre de si puissantes causes de désorganisation !…

Quoi qu’il en soit, c’est un lieu commun aujourd’hui de dire que la discipline est ébranlée. Cela le deviendra demain, si l’on n’y prend garde, de dire qu’elle est ruinée, ruinée comme elle le fut en 1790 et en 1791, par les soupçons que l’on inspirait aux subordonnés contre leurs chefs, par les humiliations qu’on prodiguait à ceux-ci tandis qu’on exaltait l’orgueil de ceux-là, par les espérances extraordinaires qu’on les autorisait à concevoir et dont la réalisation devait entraîner pour le succès de nos forces navales de si tristes conséquences. Mais, du moins, à cette époque dont nul ne conteste la terrible grandeur, si les excitations révolutionnaires poussaient les équipages à l’insubordination, à la défiance des supérieurs, au mépris de l’autorité, elles n’atteignaient point le patriotisme ; et que ce fondement essentiel soit alors resté inébranlable, cela devait suffire un jour à la restauration des vertus militaires. Quand on entend, quand on lit ce qu’entendent, ce que lisent nos hommes, on n’ose vraiment plus se demander s’il en serait encore aujourd’hui comme il y a cent dix ans, dans un nouveau et plus complet naufrage de nos institutions maritimes.


Mais où les préoccupations deviennent les plus vives, c’est quand on considère la crise que traverse en ce moment le corps des officiers de marine. Considéré comme « aristocrate, » malgré la médiocrité d’origine de la plupart de ses membres, et comme « clérical, » en dépit de leur indépendance d’esprit, qui va jusqu’à une certaine exagération d’individualisme, ce corps a, depuis trois années, cessé de plaire. Le souvenir des services rendus aux heures les plus sombres, d’un héroïsme et d’un dévouement jamais démentis, d’ailleurs, ce souvenir dont on est heureux de retrouver si souvent l’expression dans la bouche la plus auto risée, n’a pas suffi plus que la correction parfaite de son attitude dans nos temps troublés à le préserver d’une disgrâce qui semblerait plus juste, atteignant des ennemis du pays ou des adversaires de la République. Déchu déjà de la prééminence que la force des choses et le jeu naturel des responsabilités devaient lui assurer, dans l’intérêt supérieur de la marine, sur les corps qui l’entourent, cet organisme amoindri va voir à bref délai modifier profondément le mode de son recrutement, c’est-à-dire sa physionomie morale et intellectuelle. Que sera le capitaine de vaisseau, le commandant d’unité de combat de 1915 ? Quelle confiance pourra-t-il accorder, dans la suprême épreuve, à ses auxiliaires immédiats, aux officiers supérieurs et subalternes qui l’entoureront ?… Autant de questions qu’on ne peut s’empêcher de se poser avec quelque inquiétude, si dégagé que l’on soit de tous préjugés, si convaincu que l’on veuille être de la souplesse d’adaptation des hommes de notre race. L’histoire, plus impartiale que nous, exactement instruite par des événemens que nous ne pouvons que pressentir, l’histoire seule pourra dire si cette transformation était vraiment justifiée ; si, justifiée, elle était opportune ; et quels en auront été les résultats pour notre établissement naval autant que pour la France elle-même ; — car, plus nous irons, et plus il apparaîtra clairement de quelle conséquence est le sort de la Marine pour la fortune de notre pays.

Heureux s’estimeront pourtant nos officiers, que l’exercice même de leur métier façonne à l’abnégation et au renoncement, si la nation peut trouver, dans le corps nouveau dont les élémens s’élaborent en ce moment, dit-on, dans les rangs inférieurs de la hiérarchie, des serviteurs plus habiles, sinon plus dévoués aux grands intérêts dont la Marine a la charge. Ce que l’on peut dire, avec toute la réserve qu’exigent des appréciations de cet ordre et seulement parce que, là, l’expérience a prononcé une fois déjà, c’est qu’il serait téméraire d’attribuer à l’avance, à des hommes hâtivement tirés d’un milieu où la culture générale est souvent insuffisante, toutes les facultés qui créent l’aptitude au commandement en temps de guerre, et même en temps de paix, dans certaines conjonctures délicates. Du moins éprouva-t-on à cet égard, pendant la Révolution, des mécomptes que confessent franchement (après de retentissans échecs, il est vrai) des conventionnels comme Jean Bon Saint-André, Le Quinio, etc., dont on ne peut soupçonner l’attachement aux « principes, » et qui s’étaient fait le plus d’illusions sur les résultats des diverses réorganisations subies à cette époque par le corps des officiers de vaisseau.

Mais il y a lieu de craindre que tout ce qu’on pourrait dire dans ce sens reste inutile, et il faut donc, sans se décourager, examiner attentivement quel parti l’on pourra tirer, du moins au point de vue qui nous occupe plus particulièrement dans cette étude, du corps des officiers de marine, tel qu’il sera, suivant toute apparence, composé dans quelques années. Car enfin, il serait dangereux de s’entêter à un système général de tactique navale, si l’application en devait être contrariée par les tendances de ceux-là mêmes qui seraient chargés de le mettre en jeu. Et cette nécessité de l’adaptation de la tactique aux facultés spéciales du personnel avait été parfaitement reconnue par les généraux républicains. L’emploi de l’ordre dispersé, des grandes bandes de tirailleurs appuyées sur de souples colonnes de bataillon, n’eut d’autre motif que l’impossibilité d’obtenir des manœuvres bien ordonnées, des lignes correctes, des feux exactement réglés de nos jeunes, soldats réquisitionnés, encore qu’ils fussent encadrés par les vétérans de l’armée royale. Peut-être, en dépit de l’inexpérience de la plupart des officiers de vaisseau de la période révolutionnaire, malgré la timidité manœuvrière dont ils faisaient preuve, consciens de leur insuffisance, l’issue de notre conflit avec la Grande-Bretagne eût-elle été fort différente, s’il s’était trouvé chez nous des chefs capables de comprendre qu’à une nouvelle situation morale devait correspondre une nouvelle tactique, qu’à de nouveaux ouvriers et d’inexpérimentés, il fallait proposer des méthodes plus simples. Malheureusement, ce furent nos adversaires qui, avant nous, s’avisèrent d’abandonner la tactique savante et circonspecte de la guerre d’Amérique. Si, en 1794 et 1795 encore, Howe s’embarrasse, devant Villaret-Joyeuse, déformations surannées, et Hotham, d’une prudence qui n’était pas de mise en présence d’un adversaire comme l’amiral Martin, Jervis un peu plus tard, Saumarez, Sidney-Smith, Nelson surtout et les officiers de son école, rejettent résolument les évolutions méthodiques et n’admettent plus qu’une seule manœuvre, attaquer dans un brusque corps-à-corps un ennemi dont on a cessé de redouter la riposte et compter sur le coup d’œil, sur l’instinct militaire des capitaines pour que, fraction par fraction, vaisseau par vaisseau, cet ennemi ébloui, incertain, paralysé dans sa formation rigide, soit enveloppé, écrasé de feux, réduit à merci.

C’est, nous l’avons déjà dit, le triomphe de l’initiative.


Oui, mais, précisément, est-ce par l’esprit d’initiative, par l’audace individuelle, par la haute et sereine confiance qui rejette au second plan la crainte des responsabilités, que se feront remarquer les officiers sortant des rangs ? On sait assez que non, — toutes exceptions personnelles admises. Comment l’aire, alors, s’il est vrai que ce sont justement ces facultés qu’exigeront le maniement rationnel de nos nouvelles unités et l’application de la tactique de l’enveloppement ?

Attendrons-nous, pour faire la guerre, que le problème de l’instruction publique intégrale ait été résolu et qu’à peu près tous les officiers, quelle que soit leur origine, se trouvent en possession de cette culture générale, littéraire et philosophique pour une large part, qui, dès l’aurore de notre vie intellectuelle, sait déjà fortifier nos âmes en élevant nos pensées ? — Mais nos rivaux consentiront-ils à retarder jusque-là une agression dont les diverses « réorganisations » qui nous menacent ne tarderont peut-être pas à leur donner la dangereuse tentation ?

Ou bien encore, pour reprendre en sous-œuvre un édifice d’éducation dont la base resterait trop étroite, ferons-nous passer systématiquement par l’Ecole supérieure tous les officiers sortant du rang ?… Mais il est bien tard, alors, pour changer le pli d’un cerveau ; et, au demeurant, ce n’est point la quantité des connaissances qui importe, dans la formation des caractères, c’est leur choix ; et puis, ces connaissances, il faut les digérer, se les assimiler, les transformer en énergie, en force morale, en puissance de conception et de réflexion ; il faut que « savoir » devienne « pouvoir… »

Avouons-le : tout cela serait chanceux ou insuffisant, dangereux aussi pour quelques-uns, qui perdraient de leurs facultés d’action sans gagner assez du côté de la réflexion. Nous devons trouver autre chose, tourner nos efforts, par exemple, vers la culture pratique de l’initiative individuelle au cours même de la carrière de l’officier, dans l’exercice de ses fonctions normales. Et, puisqu’il s’agit surtout de celui qui sort du rang, pourquoi ne s’attacherait-on pas à lui fournir, encore sous-officier, l’occasion de commander, de diriger, de faire quelque chose tout seul ? On est entré déjà dans cette voie en formant des chefs de section d’artillerie moyenne et légère pour les bâtimens où les pièces sont disséminées. Les corvées d’embarcations à l’extérieur, dans les pays étrangers, sont une excellente école. Malheureusement pour l’instruction des sous-officiers[19], ces corvées deviennent rares ; mais on pourrait les remplacer par des exercices tactiques de canots à vapeur, au grand bénéfice du coup d’œil militaire, en même temps que de l’esprit de décision et d’à-propos. La plupart des corsaires de la Révolution, à qui, certes, ne manquaient ni la confiance en eux-mêmes, ni l’audace réfléchie, ni même l’instinct de la guerre, étaient d’anciens sous-officiers de la marine royale dont les caractères s’étaient formés sur les vaisseaux ou les frégates d’alors, au cours d’une existence à la vérité beaucoup plus accidentée, beaucoup plus aventureuse que celle que l’on mène aujourd’hui sur nos cuirassés et sur nos croiseurs.

Pour les officiers subalternes, enseignes et lieutenans de vaisseau, il y a, félicitons-nous-en, la parfaite école des torpilleurs et bientôt des sous-marins. Si les torpilleurs n’existaient pas, il les faudrait inventer pour rompre nos futurs commandans d’unités de combat à l’exercice des responsabilités. Tâchons donc d’en étendre le bénéfice à un plus grand nombre de sujets, en grossissant l’effectif d’une flottille qui, d’ailleurs, utilisée en temps de guerre avec résolution et jugement à la fois, nous rendra les plus sérieux services. Seulement, pour Dieu ! que l’on ne s’avise pas de faire exécuter des évolutions d’escadre à des groupes de torpilleurs, ni des manœuvres à rangs serrés !…

Mais ces officiers subalternes, les voici devenus officiers supérieurs, capitaines de vaisseau et capitaines de frégate, et c’est chez eux, appelés qu’ils sont à commander les grandes unités de combat, qu’il est le plus désirable de rencontrer l’esprit d’initiative dont notre tactique a besoin. Eh bien ! ces officiers seraient-ils convenablement préparés par le régime actuel de nos escadres, par les méthodes courantes d’exercices du temps de paix, à la direction personnelle de leur bâtiment et à l’utilisation vraiment personnelle aussi de son armement offensif ?

Il est permis d’exprimer quelques doutes à cet égard et, sans revenir sur ce que nous avons dit déjà des évolutions d’escadre, des manœuvres à rangs serrés, nous oserons avancer que tout est trop minutieusement réglé dans notre marine et trop rigoureusement uniforme ; que les ordres, les prescriptions de détail, les tableaux de service, n’y laissent point assez, dans la vie de tous les jours, au libre jugement des capitaines, à leur appréciation attentive et bien informée des facultés particulières de leur bâtiment aussi bien que des qualités individuelles de leurs officiers et de leurs hommes. Et non seulement il faut qu’au même jour et à la même heure, toutes les catégories du personnel de toutes les unités d’une même force navale soient employées ou exercées de la même façon[20], mais encore il faut que les exercices purement militaires soient exécutés conformément à des prescriptions rigoureuses, élaborées sur les bâtimens-des écoles dans un étroit esprit de réglementation et à l’observation desquelles les « officiers de spécialités » veillent avec un soin jaloux.

Pour qu’il en fût autrement, pour que la culture de l’initiative pût être entreprise et porter ses fruits, il faudrait :

Que les commandans d’unités fussent beaucoup plus libres dans la direction de l’instruction générale de leur personnel, instruction dont ils assumeraient par conséquent la pleine et réelle responsabilité vis-à-vis du commandant en chef ;

Que, le plus souvent possible, les escadres fussent disloquées, que les divisions, les unités même en fussent disséminées dans divers ports[21]. Au cours des périodes de rassemblement pour les manœuvres et pour les tirs en marche sur buts mobiles, les commandans de division d’abord, le commandant en chef ensuite auraient tôt fait d’apprécier les résultats des méthodes individuelles d’entraînement et de rectifier les erreurs de direction.

Au demeurant, comme tout concourt à rendre plus pressante la nécessité des réformes dont l’heure est venue, l’égrénement des unités de nos forces navales va s’imposer bientôt par les difficultés que l’on éprouve à les tenir réunies, à les loger dans une même rade fermée. Et cela encore en raison de l’accroissement des dimensions des bâtimens, de leur longueur surtout. On creuse à grands frais, en ce moment, certaines parties de la rade de Toulon que l’on n’avait jamais senti le besoin d’utiliser jusqu’ici. Il est même douteux que ces travaux suffisent, car il deviendra nécessaire d’élargir les intervalles entre les corps-morts[22] du mouillage actuel pour faciliter les manœuvres d’entrée et de sortie de bâtimens dont la longueur augmente toujours et atteindra couramment 150 mètres.

Plus nous allons et plus, du fait même du « progrès » des déplacemens, l’aménagement de nos rades militaires devient dispendieux. On peut le regretter, on peut même trouver là un argument en faveur de la transformation radicale de la force navale et de l’emploi exclusif des petites unités, des sous-marins, par exemple. Mais, outre que les sous-marins coûteront cher aussi, pour d’autres motifs, ne fût-ce que par la nécessité où l’on sera d’en multiplier le nombre pour obtenir des résultats sensibles ; outre qu’ils grandiront et se compliqueront à leur tour, il faut bien reconnaître qu’il y a des méthodes de guerre, la guerre du large, la guerre commerciale, les opérations sur les lignes de communications économiques, dont on ne saurait leur confier la réalisation. Il s’en faut donc que la disparition des grandes unités de combat puisse être escomptée comme un bénéfice prochain. En attendant, puisqu’on avoue au contribuable que la Vérité lui coûtera 39 millions et l’Ernest-Renan 33 (annexes du budget de 1903, tableaux), on devrait aussi l’avertir que ces prix de revient déjà respectables veulent être majorés de 40 à 50 pour 100 pour tenir compte de dépenses corrélatives à la mise en service de ces grandes unités, telles que l’aménagement et le creusement des ports et des rades, telles que la construction de cales très longues et très hautes, d’immenses bassins de radoub, d’appontemens, etc. et cet avertissement serait nécessaire : il nous sera permis de dire, en effet, à la fin de ce chapitre où nous avons parlé de la « force morale, » qu’il ne suffirait pas de développer celle du personnel de la marine, et que ce souci serait vain si nous ne pouvions compter sur la persévérante confiance de la nation. Or, cette confiance ne saurait nous être conservée que par un exposé très franc, par une justification très complète de nos besoins.

C’est dans la faveur réfléchie d’une opinion publique dûment éclairée que nous devons chercher notre plus ferme appui et le premier fondement de notre force morale.


Arrivés ainsi à la fin de notre étude, reprenons, pour conclure, et résumons les enseignemens que nous y avons trouvés :

Partis de la constatation des difficultés et des dangers que présentent actuellement les manœuvres d’escadre traditionnelles, nous avons fait voir que ces dangers ne pouvaient que grandir, à cause de l’inévitable accroissement des tonnages, tandis que la conception la plus moderne de la tactique navale, dérivée du progrès des vitesses et de celui de l’armement offensif, rendait de moins en moins justifiée la recherche des formations compactes et des évolutions à rangs serrés.

Mais cette tactique de l’enveloppement, dont nous prouvions en passant la valeur par des exemples historiques, exige la mise en action d’unités nouvelles aussi et malheureusement assez différentes de celles qui prendront place, vers 1907, dans nos escadres de ligne. Nous avons essayé d’en préciser la physionomie, d’en définir le rôle, et de donner une idée d’un combat où se trouverait engagée une réunion de bâtimens répondant à notre idéal.

La vitesse du navire et la force de son artillerie ne nous paraissaient cependant pas les seules garanties de l’efficacité de la tactique en question. Nous sentions qu’à des unités destinées à agir, non pas isolément, certes, mais séparément (tout en combinant leurs efforts), nous devions donner une valeur individuelle spéciale ; que, par conséquent, de leurs équipages il fallait exiger, avec une instruction technique supérieure, une éducation militaire, une discipline de premier ordre, et l’assurance calme, au combat, qui résulte d’une pleine confiance dans les engins, les moyens et les chefs ; qu’aux officiers, quelle que fût leur origine, aux commandans d’unités, aux commandans de groupes, nous devions demander autre chose que la bravoure, que l’aptitude aux évolutions réglées, autre chose encore que la ferme contenance à son poste dans la ligne de bataille, et c’est : l’imagination qui fait concevoir les mouvemens décisifs, le coup d’œil militaire qui en révèle l’opportunité, le courage mental qui donne la hardiesse de les entreprendre ; que, chez tous enfin, du dernier matelot au commandant en chef, il fallait exalter cet ensemble de facultés nobles, élevées, actives qui constitue la force morale…

Et, vraiment, ce dernier enseignement nous semble de beaucoup le plus important de tous, comme celui qui a la portée la plus générale et dont le bénéfice, en définitive, peut s’appliquer aux situations les plus diverses, aux méthodes de guerre les plus variées ; de sorte que, tout en reconnaissant qu’il s’agit bien, à l’heure où nous sommes, d’éviter des avaries graves, peut-être des catastrophes, qu’il s’agit aussi d’avoir le plus tôt possible l’unité de combat à puissance offensive maxima, et d’adopter, pour l’utilisation judicieuse de ce type de bâtiment, la tactique de l’enveloppement, nous disons qu’il s’agit surtout de savoir si, dans les batailles de l’avenir, nous aurons des Douglas, des Foley, des Nelson, ou bien des Villeneuve et des Dumanoir ; si, habilement dressés par nos commandans en chef, nos commandans en sous-ordre et nos capitaines sauront, obéir à l’inspiration qui force La victoire ou s’ils attendront les signaux du navire amiral avec cette passivité d’indécision qui appelle la défaite.

En un mot, nous disons qu’il s’agit de restaurer chez nous l’initiative individuelle.


  1. L’intervalle est la distance qui sépare deux bâtimens ou deux colonnes parallèles dans une ligne ou dans un ordre de front. Le mot de distance s’applique plus particulièrement a celle que laissent entre elles les unités dans la ligne de file.
  2. On cite l’amiral Jauréguiberry comme ayant fait tenir, il y a quelque vingt-cinq ans, une ligne de file à 100 mètres, c’est-à-dire beaupré sur poupe, ou, pour parler plus exactement, éperon sur gouvernail. Cela fut très admiré.
  3. A la Dominique (1782), Rodney, poussé, dit-on, par son capitaine de pavillon Douglas, profita du désordre causé dans la ligne française par une saute de vent pour couper la flotte du comte de Grasse vers le centre, tout près de la Ville de Paris, le vaisseau amiral, qui, entouré, dut se rendre après une magnifique défense.
    A Saint-Vincent (1797), Jervis réussit à s’interposer avec quinze vaisseaux bien serrés entre les deux groupes, trop écartés l’un de l’autre, de l’escadre de don Joseph de Cordova, forte en tout de vingt-cinq vaisseaux. Au cours de l’engagement que soutenaient ses seize unités, Cordova fit un effort pour rejoindre les neuf bâtimens de son second, l’amiral Alava, rejeté sous le vent. Son trois-ponts de 120 canons, la Santissima Trinidad, se laissa barrer le passage par le 74 de Nelson, le Captain. Nelson avait dû pour cela quitter le poste qui lui était assigné dans la ligne anglaise. C’était une infraction grave, sur laquelle le chef d’état-major de Jervis, Calder, crut devoir insister : « Soyez sûr, Calder, répondit spirituellement Jervis, que, si vous commettez jamais faute pareille, je vous la pardonnerai… »
    A Trafalgar, la ligne franco-espagnole fut coupée en deux endroits par les deux lourdes colonnes de Nelson et de Collingwood.
    A Lissa, ce ne fut pas, en fait, la dislocation de l’ordre mince des Italiens par le coin autrichien qui donna le succès à Tegetthoff, mais l’application individuelle du mode de combat par le choc. Persano s’en était fié à l’artillerie pour rompre l’attaque de son adversaire ; mais l’artillerie n’était pas encore assez puissante : elle l’est aujourd’hui. Dans les rencontres où des principes tactiques opposés sont en jeu, le vaincu n’est souvent qu’un précurseur malheureux.
  4. Il existe des « instantanés » du combat pris par les officiers d’un croiseur japonais que son rôle mettait un peu en dehors du fort de l’action. On y voit très bien les bâtimens de l’amiral séparés par de grands intervalles, tandis que ceux de l’amiral Ting semblent faire bloc. A la vérité, il faut tenir compte de la perspective spéciale de la photographie.
  5. Et pas seulement pour l’œil du commandant en chef… Les évolutions d’une armée navale sont fort belles et le sont d’autant plus qu’elles sont plus compliquées, comme les « figures » d’un carrousel. Les évolutions des flottes à voiles étaient sans doute encore plus saisissantes. Les marches d’approche des lourdes brigades anglaises, vues du haut des kopjes, offraient aussi aux Boers de très intéressans spectacles. De même, vu du plateau du mont Saint-Jean, l’assaut des quatre divisions du premier corps, serrées en masse… mais rien de tout cela ne donne la victoire sur des gens de sang-froid et qui tirent juste.
    Le mouvement offensif des deux colonnes de Nelson et de Collingwod à Trafalgar était imposant, certes, mais point du tout par la régularité de la formation. Les vaisseaux anglais paraissaient en désordre, disent les relations françaises ; mais chacun d’eux, se hâtant vers l’ennemi, savait ce qu’il avait à faire et avait bien résolu de le faire. On a reproché à Nelson d’avoir couru le risque de faire écraser ces deux têtes de colonne par l’artillerie de la longue ligne de l’armée combinée qui aurait pu couvrir ses premiers vaisseaux de feux convergens. Mais l’amiral anglais savait bien que nous n’avions plus de canonniers-pointeurs, 1er corps ayant été détruit en 1791.
  6. L’auteur du plan primitif ne saurait, en bonne justice, être rendu responsable des modifications, retouches, soustractions et additions que ce plan subit de la part des trop nombreux organismes du ministère. En ce qui touche l’artillerie, surtout, l’ingénieur a beaucoup à faire pour défendre son œuvre.
  7. Cette puissance balistique a été augmentée dans ces derniers temps (modèle 1902) ; mais le poids, les dimensions, la capacité intérieure et la charge explosive du projectile du 164, 7 ne permettent pas à cette bouche à feu de supporter la comparaison avec les calibres voisins de 200 millimètres.
  8. On entend couramment parler de 3 coups à la minute pour le 203. A supposer que l’on veuille dire que, dans la première minute du tir, — la bouche à feu étant déjà chargée, — on puisse faire partir 8 coups, la rapidité réelle n’en serait pas moins de 2 coups par minute, et il semble douteux que notre 194 millimètres y parvienne, avec les organes actuellement employés pour le chargement et pour le débit des monte-charges.
  9. Ces deux bâtimens sont en construction ; deux autres du même type, Pisa et Venezia, vont être mis en chantiers. Les Italiens les qualifient de « navires du 1er rang ; » mais c’est uniquement parce qu’ils atteignent 8 000 tonnes, limite inférieure du déplacement des bâtimens de cette catégorie. Pour nous, ce seraient des " croiseurs cuirassés. »
  10. La vitesse maxima exigeant le développement complet de la puissance des appareils évaporatoires, on est obligé de distraire un grand nombre d’hommes des services exclusivement militaires pour en faire des soutiers, des transporteurs de charbon supplémentaires.
  11. On s’est étonné récemment que la plupart des écrivains maritimes considèrent la vitesse comme une faculté plus particulièrement stratégique et on a proclamé qu’elle était aussi une faculté tactique qui devait trouver son utilisation sur le champ de bataille. En effet, cela est possible, mais à la condition que les différences de vitesse entre les deux partis soient très accusées, ce qui, jusqu’ici, n’avait eu lieu qu’au Yalou. En revanche, dans les opérations stratégiques, une faible supériorité de vitesse entraine toujours des avantages sensibles pour qui sait s’en servir.
  12. L’objection principale à l’emploi du 305 est celle du poids considérable d’une bouche à feu à qui l’on a donné une longueur de 45 calibres pour obtenir des vitesses initiales exagérées, le projectile restant d’ailleurs plus léger que ceux des canons étrangers du même calibre. On peut concevoir un autre 305 millimètres, ne dépassant pas 30 calibres de longueur et 35 tonnes de poids, au lieu de 50, qui se contenterait de 600 mètres de vitesse initiale, au lieu de 800, mais qui, avec une justesse très suffisante, lancerait un projectile plus long, plus lourd de 25 p. 100, d’une capacité intérieure beaucoup plus grande, susceptible par conséquent d’effets balistiques beaucoup plus étendus.
  13. Il s’agit des 240, modèle 1893, dont voici les caractéristiques principales : longueur d’âme : 40 calibres ; poids de la pièce : 21 tonneaux ; poids de l’affût, châssis, berceau et freins : 14 tonneaux ; poids des plates-formes, tubes, pivots, appareils de pointage, manœuvre et chargement : 38 tonneaux environ ; poids des munitions en comptant 140 coups d’obus de semi-rupture coiffés a 170 kilos : 32 tonneaux environ. Au total : 105 tonneaux à peu près. C’est sur ce chiffre que nous tablerons tout à l’heure.
  14. Non compris le poids des projectiles de l’artillerie légère.
  15. Si surprenant que cela puisse sembler aux lecteurs de la Revue, un de nos grands croiseurs cuirassés sera « baptisé » du nom d’Ernest Renan. Les motifs tout d’abord un peu obscurs de ce parrainage inattendu, dont l’ombre du doux et religieux sceptique doit bien s’égayer, apparaissent plus clairement quand on rapproche ce nom de ceux de quelques autres unités de notre flotte nouvelle : Jules-Ferry, Jules-Michelet, Edgar-Quinet. Ce mélange de marine, d’anti-cléricalisme, de cuirasse, de philosophie et de grande vitesse a une saveur spéciale que goûtera certainement la postérité.
  16. Le matériel en question n’est pas lourd et ne représente, en général, que 0,4 pour 100 du déplacement ; mais il est encombrant, compliqué, délicat ; les tubes sous-marins entraînent de graves difficultés de construction et la manœuvre en est difficile et peu sûre. En somme, la torpille automobile, très utile, indispensable même ailleurs, serait ici peu à sa place.
  17. Il existe déjà des embarcations de ce système. Le fonctionnement en est satisfaisant et l’on ne voit pas de motif sérieux de n’en pas multiplier le type. On étudie d’ailleurs aussi et on pourrait mettre bientôt en service, si on le voulait, des embarcations pourvues de moteurs à pétrole.
  18. La composition de notre escadre, la grande vitesse dont dispose chacune de ces unités, nous dispensera de lui adjoindre une division légère formée de croiseurs cuirassés. Les trois divisions cuirassées feront à tour de rôle le service d’exploration.
  19. Et même des jeunes officiers sortant du Borda. C’est aux aspirans que l’on confie d’ordinaire le commandement des chaloupes et canots expédiés à quelque distance du bord, surtout à l’étranger. Ils s’y trouvent souvent dans des conjonctures délicates.
  20. Il y a pourtant des « blancs » dans les tableaux de service, et, à certaines heures, certains jours, les capitaines ont le droit de déterminer le genre d’exercices qu’ils jugent convenable de faire exécuter. Mais ces blancs sont si étroitement encadrés !
  21. Il ne faudrait point répugner à faire stationner quelques-uns de nos navires de combat, à tour de rôle, dans les ports de commerce. On n’y connaît pas assez la marine de guerre, et un contact plus intime, plus prolongé, ferait disparaitre bien des malentendus.
  22. Points d’amarrage constitués à l’avance sur les emplacemens favorables d’une rade et qui dispensent les navires de mouiller leurs ancres.