Les épis (LeMay)/50

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Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 236-240).

Le jour des morts


À mon fils René


C’est l’automne frileux et c’est l’âpre novembre.
Un brouillard gris descend sur la pelouse d’ambre,
Et l’homme est triste. Il voit se flétrir près de lui,
Les coteaux souriants où le soleil a lui,
Et les arbres feuillus où les nids, à l’aurore,
Ont chanté. L’homme est triste, et son cœur se déflore
De même que le champ mouillé de ses sueurs.
Le ciel n’a point d’azur, et de fauves lueurs
Glissent de temps en temps dans l’ombre de la nue.
La fenêtre s’est close, et, sur la route nue,
Dans l’ornière, on entend le râle des essieux.
Le malade esseulé demande en vain aux cieux
Le rayon de soleil qui réchauffait sa chambre.

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C’est l’automne frileux et c’est l’âpre novembre.

On dirait que le monde est un vaste tombeau,
Car tout meurt, et le jour de son pâle flambeau
N’éclaire que des deuils. Fleurs et feuilles fanées
S’en vont on ne sait où, comme vont nos années !
Plus de gerbes de flamme au sommet des rochers.
Sous le voile du soir pleurent nos blancs clochers.
Tout se lamente. Au loin, c’est la vague qui brise,
Les affres de l’été qui meurt, la froide bise
Qui chasse les oiseaux en morne défilé.
Le nid vide ressemble au toit de l’exilé.
L’oiseau reviendra-t-il sur la branche flétrie,
Et le pauvre exilé, dans sa chère patrie ?
Nul ne sait, car partout le cœur laisse un lambeau.

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On dirait que le monde est un vaste tombeau.


Suivons la foule. Allons, mon fils, au cimetière.
Ta créature, ô Dieu ! ne meurt pas tout entière ;
Ton œuvre est éternelle, et tu ne détruis rien.
Quand ton Verbe créa tu dis que c’était bien.
Nos corps dans leurs tombeaux se changent en atomes.
Ils ne se traînent plus comme de vains fantômes,
Mais ils vont, déliés, invisibles, subtils,
Ils vont dans l’herbe molle et dans l’or des pistils,
Dans l’arbre aux verts rameaux qui nous prête son ombre
Dans les fleurs que partout l’été sème sans nombre.

Ils germent dans les blés qui couronnent les champs,
Et l’oiseau les aspire en modulant ses chants.
Ainsi vivra toujours peut-être, la matière.

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Suivons la foule. Allons, mon fils, au cimetière.


Quel calme saisissant ! Combien dorment ici
Qui nous aimaient beaucoup, que nous aimions aussi !
Ils ont brisé leur chaîne et c’est la délivrance.
Leur plaisir est fini, finie est leur souffrance !
Fini le rêve aimé qui dorait l’avenir !
Finis l’ivresse folle et l’amer souvenir !
Ils vinrent en ces lieux, sur les feuilles jaunies,
Voir les tombeaux fermés après les agonies.
Ils lurent quelques noms, prièrent à genoux,
Songèrent un instant sans doute, comme nous,
À la fragilité de toute vie humaine !
Ô jour de deuil sacré que chaque automne amène,
Tu le proclames haut, la mort est sans merci !

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Quel calme saisissant ! Combien dorment ici !


Prions pour tous. Qui sait où trouver l’innocence ?
Attend-elle son juge en la magnificence,
Sous ce marbre orgueilleux qu’on entoure là-bas,
Ou dans le dénûment, loin du bruit de nos pas,

Sous l’humble croix sans nom ? Qui sait ? Prions quand même
La prière souvent détourne l’anathème.
Prions pour l’ouvrier qui maudit son labeur ;
Prions pour le bourgeois qui trouva son bonheur
Dans les vins de la table ou les baisers d’alcôve ;
Pour celui qu’éblouit le reflet de l’or fauve ;
Pour celui qui ferma son aile à tout essor ;
Pour la vieillesse lente à se soumettre au sort,
La jeunesse fauchée en son efflorescence.

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Prions pour tous. Qui sait où trouver l’innocence ?


Quand l’astre où nous vivons sera frappé de mort,
Quand il se brisera comme un verre que mord
La tenaille d’acier dans une main grossière ;
Quand il ne sera plus, mon Dieu, qu’une poussière,
Et qu’il aura quitté le glorieux chemin
Qu’à l’aurore des temps lui traça votre main,
L’homme reparaîtra. Vous voulez qu’il renaisse.
Vous le revêtirez d’une chaste jeunesse,
Que votre éternité ne saurait point flétrir.
La terre qui servit, hommes, à vous pétrir,
Par le souffle divin sera glorifiée.
Notre âme gémissante en vous s’est confiée,

Ne la rejetez point loin de vous, ô Dieu fort !

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Quand l’astre où nous vivons sera frappé de mort.


Où vont, en nous quittant, les âmes que l’on pleure ?
Quel guide les conduit, Dieu grand ? Quelle demeure
Peut enchaîner leur vol dans les champs infinis ?
Viennent-elles parfois à leurs tombeaux bénis,
Voir ce qui reste encore de leur forme première ?
Vont-elles écouter, de chaumière en chaumière,
Les prières que font pour elles les vivants ?
Ô cimetière saint, sous tes sables mouvants
L’ange ému voit germer la vie et l’espérance !
Ô cimetière saint, j’en garde l’assurance,
Un jour la voix de Dieu secouera ton sommeil !
Au-delà de tes croix je vois luire un soleil,
Est-ce l’éternité dont un rayon m’effleure ?

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Où vont, en nous quittant, les âmes que l’on pleure ?