Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Epistre à sa Mere

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LES ŒVVRES
DE M. DES ROCHES
DE POETIERS LA FILLE.

Epiſtre à ſa Mere.



MA Mere, ie ſçay que vous enſuiuãt, ie pourroy ſuiure vn exemple de vertu ſuiuy de biẽ peu de perſonnes : mais pour ce que ie ne puis vous imiter ny me tirer ſi promptement de la multitude, à tout le moins en cecy ie ſuiray la commune façon de la plus grand part de ceux qui eſcriuent, leſquels ont accouſtumé de prier les lecteurs d’auoir leurs œuures pour agreables, comme ſ’ils vouloient par leurs courtoiſies mendier les faueurs. Or quant à moy ie leur donnerois volontiers licence de penſer & dire de mes eſcrits tout ce que bon leur ſemblera, mais ie croy qu’ils n’ont point beſoing de ma permiſſion. S’il y en a qui les reprennent auecques iuſte occaſion, i’eſſairay de me corriger tirant profit de leur cenſure : ſi quelques vns en iugent ſans aduis & diſcretion, ie penſerois eſtre ſans diſcretion & aduis de m’arreſter à leur iugement. Ils diront peut eſtre que ie ne deuois pas eſcrire d’amour, que ſi ie ſuis amoureuſe il ne faut pas le dire, que ſi ie ne ſuis telle il ne faut pas le feindre : ie leur reſpondray à cela, que ie ne le ſuis, ny ne feins de l’eſtre : car i’eſcry ce que i’ay penſé, & non pas ce que iay veu en Syncero, lequel ie ne connoy que par imagination. Mais cõme il eſt aduenu à quelques grands perſonnages de repreſenter vn Roy parfaict, vn parfaict orateur, vn parfaict courtiſan, ainſi ai-je voulu former vn parfaict amoureux : & ſi l’on dit que pour auoir pris exemple de tãt d’excellens hommes, ie les ay mal enſuyuis, ie diray auſſi que les Roys eſtant perſonnes publiques, doiuent par leurs vertus eſtre l’ornement de leurs peuples, que les orateurs & courtiſans ayant à paroiſtre deuant les grands ont beſoing de ſe pouruoir de toutes perfections qui les facent remerquer des ſages & du vulgaire : mais Syncero ne veut plaire qu’à ſa dame ſeulement, que i’ay formee à ſon patron le plus qu’il m’a eſté poſſible, imitant noſtre grand Dieu, lequel apres qu’il eut creé le pere Adam, luy donna vne femme ſemblable à luy. Beaucoup diront volõtiers que ie ne deuoy point eſcrire de quelque ſuject que ce ſoit, meſme en ce temps que nous voyons tant de Poëtes en la France. Ie ne veux faire autre reſponce à ce propos là, ſinon qu’il y a bien aſſez d’hommes qui eſcriuent, mais peu de filles ſe meſlent d’vn tel exercice, & i’ay touſiours deſiré d’eſtre du nombre de peu : non-pas que i’aye tant d’eſtime de moy, que de me vouloir parangonner aux plus excellentes non plus qu’aux moindres : car ie ne veux iuger de moy ny par audace, ny par vilité de cueur : au-moins ie ne me ſentiray point coupable dauoir perdu beaucoup de temps à compoſer vn ſi petit ouurage que cettuy-cy, pour ce que ie n’y ay jamais employé d’heures, fors celles que les autres filles mettent à viſiter les compaignies pour eſtre veües de leurs plus gẽtils ſeruiteurs, deſirãt qu’ils puiſſent deuenir dignes chantres de leurs beautez, encores qu’elles ayent bien la puiſſance de ſe chãter elles meſmes : toutesfois elles dedaignent de ſy prendre : approuuant (ce croi-je) l’opinion de Zinzime qui ne pouuoit eſtimer les Gentils-hommes Romains pour eſtre bien inſtruits en la Muſique à ſaulter & voltiger, pour ce que les ſeigneurs de Turquie faiſoient faire tels exercices à leurs eſclaues. Ainſi quelques vnes des Damoiſelles de ce temps, ſans vouloir prendre la peine d’eſcrire, ſe contentent de faire compofer leurs ſerfs, attiſant mille flames amoureuſes dans leurs cueurs, par la vertu deſquelles ils deuiennent Poëtes mieux que ſ’ils auoient beu toute l’õde ſacrée de la fontaine des Muſes. Mais quant à moy, qui n’ay iamais faict aueu d’aucun ſeruiteur, & qui ne penſe point meriter que les hommes ſe doiuent aſſeruir pour mon ſeruice : i’ay bien voulu ſuiure l’aduis de la fille de Cleomenes qui reprenoit les Ambaſſadeurs Perſans, dont ils ſe faiſoient accouſtrer par des Gentils-hommes, comme ſ’ils n’euſſent point eu de mains. Auſſi ie m’eſtimerois indigne de ce peu de graces que Dieu ma donnee par voſtre moyen (ma mere) ſi de moymeſme ie n’eſſaïois de les faire paroiſtre : ce n’eſt pas que i’eſpere me tracer auec la plume vne vie plus durable que celle que ie tien de Lacheſis, auſſi n’ay-je point quitté pour elle mes pelotons, ny laiſſé de mettre en œuure la laine, la ſoye, & l’or quand il en a eſté beſoing, ou que vous me l’auez commandé : I’ay ſeulement penſé de vous monſtrer comme i’employe le temps de ma plus grande oiſiueté, & vous ſupplie humblement (ma mere) de receuoir ces petits eſcrits qui vous en rendront teſmoignage : ſi vous en trouuez quelques vns qui ſoient aſſez bien nez, auoüez les ſ’il vous plaiſt pour voz nepueux, & ceux qui ne vous ſeront agreables, puniſſez les à l’exemple de Iacob qui condemna la famille d’Iſachar pour obeir à ſes autres enfans.