Les Aventures de Til Ulespiègle/IV
CHAPITRE IV.
eu de temps après, Til Ulespiègle voulut se venger des railleries que son bain lui avait
attirées. Il attacha la corde dans une autre
maison et la tendit sur la Sal, puis il annonça qu’il
marcherait sur la corde. Aussitôt jeunes et vieux
accoururent pour le voir. Il dit alors aux jeunes gens
de lui donner chacun son soulier gauche, et que cela
lui servirait à faire un bon tour quand il serait sur
la corde. On le crut aisément, et les jeunes gens, qui
étaient bien au nombre de cent vingt, commencèrent à retirer leurs souliers et à les lui donner. Dès qu’il
les eut, il les passa à une courroie et les emporta.
Quand il fut sur sa corde avec les souliers, chacun le
regardait de tous ses yeux, pensant qu’il allait faire
quelque bon tour ; les jeunes gens commençaient
à être inquiets, et auraient bien voulu ravoir leurs
souliers. Til était sur la corde, et après quelques
tours il s’écria : « Attention ! que chacun cherche son
soulier ! » Ce disant, il coupa la courroie et jeta tous
les souliers pêle-mêle sur le sol. Alors chacun de se
précipiter sur la masse de souliers et d’attraper ce
qu’il pouvait. L’un criait : « C’est mon soulier ! –
Tu mens ! disait l’autre, il est à moi ! » Là-dessus
ils se prennent aux cheveux, se battent, se renversent ;
l’un est dessous, l’autre dessus ; l’un crie,
l’autre pleure, un autre rit. Cela dura si longtemps
que les parents des jeunes gens s’en mêlèrent et
commencèrent à se pelauder rudement. Cependant
Til était sur sa corde et leur criait en riant : « Hé !
hé ! cherchez vos souliers, comme l’autre jour je me
suis baigné ! » Puis il gagna le large, et laissa vieux
et jeunes se disputer les souliers. Mais de quatre semaines
il n’osa se montrer ; il passa tout ce temps
auprès de sa mère, occupé à raccommoder des souliers.
Sa mère en fut toute joyeuse ; elle pensait qu’il n’y
avait pas encore à désespérer. La pauvre femme ne
savait pas le tour qu’il avait joué, par suite duquel
il n’osait sortir de la maison.