Les Aventures de Til Ulespiègle/LXI

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 146-147).

CHAPITRE LXI.


Comment, à Erfurt, Ulespiègle escroque encore un
rôti à un boucher.



Au bout de huit jours Ulespiègle revint au marché à la viande. Le boucher qu’il avait trompé lui dit d’un ton de défi : « Reviens donc chercher un rôti ! » Ulespiègle dit oui, et voulait empoigner le rôti ; mais le boucher le lui retira vivement. Ulespiègle dit : « Attendez, laissez là ce rôti ; je payerai. » Le boucher remit le rôti sur l’étal. Alors Ulespiègle lui dit : « Si je te dis une chose qui soit à ton avantage, me donneras-tu ce rôti ? – Oui ! dit le boucher ; tu pourrais me dire des choses qui me seraient utiles ; mais tu pourrais aussi m’en dire qui ne me serviraient de rien, et tu voudrais emporter le rôti. – Je n’y toucherai pas, dit Ulespiègle, si ce que je te dirai n’est pas de ton goût. Voici ce que je dis : « En avant la bourse, et paye le monde ! » Comment trouves-tu cela ? Est-ce de ton goût ? – Ces paroles me plaisent beaucoup, dit le boucher ; par conséquent elles sont de mon goût. » Alors Ulespiègle dit à ceux qui étaient autour d’eux : « Chers amis, vous avez bien entendu ; ainsi le rôti est à moi. » Puis il le prit et l’emporta, et dit au boucher en se moquant de lui : « Voilà que j’ai encore pris un rôti, comme tu me l’avais dit. » Le boucher restait tout confus et ne savait ce qu’il devait répondre, ayant été attrapé deux fois ; et il dut supporter les railleries de ses voisins, qui étaient là et qui se moquaient de lui.