Les Batailles de la Somme/02

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Les Batailles de la Somme
Revue des Deux Mondes6e période, tome 45 (p. 183-216).
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LES
BATAILLES DE LA SOMME

II. [1]
DU 14 JUILLET AU 15 OCTOBRE 1916


VI

Les douze premiers jours de la bataille avaient amené le résultat suivant. La gauche britannique, de Gommécourt à Thiepval, avait échoué ; mais la droite, d’Ovillers à Maricourt, avait emporté toute la première position ennemie. « Après dix jours et dix nuits d’un combat incessant, nos troupes ont achevé la prise méthodique du premier système de défense de l’ennemi, sur un front de 14 000 mètres. Ce système de défense se composait de nombreuses lignes ininterrompues de tranchées, s’étendant sur une profondeur variant entre 2 000 et 4 000 mètres, et comprenait cinq villages puissamment fortifiés, de nombreux bois retranchés et abondamment munis de fils de fer barbelés et d’un grand nombre de solides redoutes. La prise de chacune de ces tranchées constituait une opération d’une certaine importance, et toutes sont maintenant entre nos mains. » A la droite des troupes britanniques, les Français avaient, au Nord de la Somme, enlevé la première position allemande et pénétré dans la seconde. Au Sud de la Somme, ils avaient dépassé la troisième position allemande.

Au début de l’action, le front ennemi, de Gommécourt à Soyécourt, était tenu par sept divisions, qui étaient, du Nord au Sud : au Nord de la Somme, la 2e division de réserve de la Garde, la 52e division, le XIVe corps de réserve (26e et 28e divisions de réserve) ; enfin la 12e division du VIe corps ; au Sud de la Somme : la 121e division et la 11e du VIe corps.

Le secteur droit entre Gommécourt et la Boisselle (la 2e division de réserve de la Garde, la 52e et la 26e de réserve) tint bon ou se rétablit. Mais le secteur gauche entre la Boisselle et Soyécourt fut enfoncé ; la 28e division de réserve, la 12e, la 121e et la 11e subirent de très fortes pertes.

Comment les Allemands bouchèrent-ils ces trous ? Ils avaient en réserve trois groupes de divisions. L’un était placé immédiatement derrière le front de la Somme, là où l’attaque était attendue. Il comprenait le VIe corps de réserve vers Cambrai, la 10e division bavaroise vers Bohain et Péronne, la 22e division de réserve vers Saint-Quentin ; soit quatre divisions, placées de façon à intervenir rapidement au Nord de la Somme C’est là, semble-t-il, que les Allemands avaient prévu le choc. Au contraire, ils semblent avoir attaché peu d’importance à nos préparatifs au Sud de la Somme : ils n’avaient disposé aucune réserve spéciale pour ce secteur.

Un autre groupe était préparé derrière le front du Nord où une attaque britannique semblait toujours possible : il comprenait la 123e division en arrière d’Ypres, la 183e vers Tournai, et la 3e division de la Garde vers Valenciennes, soit trois divisions.

Enfin, il existait un dernier groupe de cinq divisions dans l’Est, destiné, semble-t-il, à nourrir les attaques sur Verdun : le IXe corps entre Vouziers et Charleville, la 44e division de réserve vers Sedan, la 4e active vers Stenay, la 5e vers Saînt-Avold. En outre, sur le front de Champagne, la 185e division était en voie de relève et avait déjà deux régi mens disponibles vers Attigny.

Dès le début de l’action, trois divisions du groupe de réserve immédiat, furent disposées au Nord de la Somme : la 10e bavaroise, dès le 1er juillet, vers Mametz ; la 12e de réserve, dans la nuit du 1er au 2, entre Montauban et Maricourt ; la 11e de réserve, dans la nuit du 2 au 3, vers Curlu. De plus, la 185e division, que nous avons vue disponible en Champagne, était engagée en partie, dès le 2 au soir, vers la Boisselle.

Au contraire, au Sud de la Somme, les Allemands se trouvèrent pris au dépourvu. Ils jetèrent là en toute hâte la dernière des divisions en réserve au front immédiat, la 22e qui était à Saint-Quentin, et ils l’engagèrent à partir du 2 au soir, à mesure qu’elle arrivait, bataillon par bataillon. On sait de plus qu’un régiment allemand qui tient les tranchées a généralement un bataillon en première ligne, un bataillon en seconde ligne, et le troisième bataillon au repos à l’arrière, en réserve de secteur. Les Allemands raflèrent ces troisièmes bataillons de Chaulnes à Reims, et en expédièrent treize sur la Somme, par tous les moyens possibles, chemin de fer, automobiles, quelques-uns à pied. Ces bataillons disparates appartenaient aux VIIIe, XIIe, XVIIe, XVIIIe corps actifs, à la Garde, à la 113e division, aux 15e et 16e divisions de réserve.

A partir du 3, les divisions des deux autres groupes en réserve, celui du Nord et celui de l’Est, commencent à arriver. Du Nord, la 3e division de la Garde arrive le 3 ; la 183e, le 7 ; la 123e, le 9. De l’Est, la 44e de réserve arrive le 5 et s’engage près d’Estrées ; le IXe corps arrive le 9. Ainsi, sur treize divisions qu’ils avaient disponibles pour toute l’étendue du front occidental, les Allemands, du 1er au 9 juillet, en ont appelé onze sur la Somme. Il faut y ajouter un régiment, le 163e, du IXe corps de réserve, retiré du front de Vimy. Donc, avec les sept divisions du début, un total de plus de dix-huit divisions engagées en dix jours.

Grâce à cette arrivée des réserves, ils ont pu retirer du feu, le 5 juillet, quatre des premières divisions engagées, qui étaient à l’état de débris ; la 28e de réserve, la 121e et les deux divisions du VIe corps. La 185e division, que nous avons vue venir de Champagne le 2, fut aussitôt si éprouvée qu’il fallut relever’ certains de ses élémens le 4.

En même temps, le haut commandement allemand s’organisa suivant un type qu’il conserva jusqu’à la fin de la bataille. Les unités engagées formèrent trois groupemens. On sait quel est le principe de ces groupemens : supérieurs à l’ancien corps d’armée, inférieurs à l’armée, ils ont pour but de constituer dans des secteurs déterminés, des états-majors permanens, aux mains desquels se succèdent les divisions de rechange. L’artillerie lourde, les services d’aviation et d’autres encore restent aussi sur place. Ainsi les relèves ne compromettent pas la stabilité de l’ensemble. A la droite allemande fut constitué un groupement von Stein avec l’état-major du XIVe corps de réserve. Au centre, jusqu’à la Somme, un groupement von Gossler. Ce général commandait le VIe corps de réserve, qui arriva sur la Somme le 3 juillet ; le groupement fut constitué par ce corps et par des unités voisines, comme la 123e division. Enfin, à la gauche, au Sud de la Somme, fut constitué un groupement von Quast, qui s’étendait jusqu’à Soyécourt. Le général von Quast, né en 1850, commandait, en 1914, le IXe corps à Altena. Il continua à le commander pendant la guerre et c’est l’état-major de ce corps qui fut celui du nouveau groupement. A la fin de juillet, le commandement du groupement du centre passa du général von Gossler au général von Kirchbach. Ce général, qui appartient à l’armée saxonne, est né en 1847. Il était à la retraite depuis 1913. Quand la guerre éclata, il reçut le commandement du XIIe corps de réserve et l’arrivée de ce corps sur la Somme fit passer le commandement du centre aux mains de son chef. Enfin, dans le cours de juillet, ces trois groupemens, constituant un groupe d’armées, Heeresgruppe, furent réunis sous le commandement du général von Gallwitz.


VII

Vers le 11 juillet, le front au Nord de la Somme avait pris la forme d’une ligne brisée, composée de trois élémens : 1° une première face Nord-Sud, de l’Ancre à la Boisselle, formant la gauche de l’attaque anglaise ; 2° un flanc Ouest-Est, de la Boisselle au bois des Trônes par Contalmaison et le bois de Mametz ; 3° une seconde face Nord-Sud, tenue au Nord par les Anglais, au Sud par les Français, sur l’alignement bois des Trônes-Hardecourt. Au total, l’espace d’une crémaillère.

La face gauche au Sud de l’Ancre, arrêtée par la première position allemande du plateau de Thiepval, était momentanément paralysée. La face droite, bois des Trônes-Hardecourt, ayant ses objectifs vers l’Est, ne pouvait progresser dans cette direction que si elle était fortement couverte à sa gauche par le flanc intermédiaire la Boisselle-bois des Trônes constituant le centre du dispositif général. Il était donc nécessaire que l’adversaire en direction du Nord-Est fût refoulé, pour que l’attaque franco-britannique de la droite pût progresser vers l’Est.

Or, ces troupes britanniques du centre avaient devant elles la seconde position allemande.

L’occupation du bois de Mametz et du bois des Trônes permettait de passer à l’assaut de cette seconde position. L’attaque fut décidée pour le 14 juillet, à l’aube, sur le front Longueval inclus-bois de Bazenlin-le-Petit inclus. Sur la gauche, à un kilomètre dans l’Ouest, sur un éperon, la villa Contalmaison, conquise, couvrait le flanc des assaillans. L’artillerie avait pu être avancée, et le terrain permettait des tirs d’enfilade sur les lignes ennemies. La préparation commença le 11. Une difficulté particulière venait du large espace qui séparait les tranchées britanniques des tranchées allemandes. Dans la nuit du 13 au 14, les troupes d’attaque se portèrent en avant de 1 000 à 1 500 mètres, dans l’obscurité, sous le couvert de fortes patrouilles, sans que l’ennemi s’aperçût du mouvement, et elles se rangèrent au pied des crêtes à une distance de 300 à 500 mètres des tranchées ennemies, sans avoir cessé un instant de se sentir les coudes. Sir Douglas Haig fait remarquer la hardiesse et la précision de ce mouvement, exécuté par des troupes improvisées depuis la guerre, et il ajoute qu’il eût été impossible, si le terrain n’avait été minutieusement reconnu, dans la plupart des cas, par les commandans des divisions, des brigades et des bataillons, opérant en personne avant de donner leurs ordres.

Il faisait une nuit sombre, chargée de gros nuages. Une planète brillait à l’Est, l’horizon était bordé de la bande blanche et jaune des éclatemens, surmontée de la pluie lumineuse, blanche, verte, rouge, des fusées. A travers le fracas, des hommes racontent qu’ils ont entendu chanter l’alouette et la caille. A trois heures vingt-cinq du matin, quand il y eut assez de jour pour reconnaître à petite distance l’ami de l’ennemi, l’assaut fut donné sous l’aube froide. Précédées d’un barrage d’artillerie bien exécuté, les troupes entrèrent sur tout le front dans la position ennemie. Le barrage ennemi se déclencha trop tard et tomba derrière les assaillans.

A la droite, nos alliés, qui occupaient déjà la partie Sud du bois des Trônes, le purgèrent entièrement d’ennemis, délivrant un petit groupe de 170 hommes du Royal West Kent, qui, cernés depuis la veille, mais armés de mitrailleuses, avaient tenu toute la nuit dans le Nord du bois. L’opération était finie


CARTE POUR SUIVRE LES OPERATIONS DE LA BATAILLE DE LA SOMME DU 14 JUILLET AU 15 OCTOBRE 1916


à huit heures du matin. De là de fortes reconnaissances furent envoyées à droite vers Guillemont, à gauche vers Longueval. Déjà une division écossaise, qui avait attaqué à l’Ouest du bois des Trônes, occupait la partie Sud de Longueval, qui se trouva ainsi abordé de deux côtés. A quatre heures de l’après-midi, il était entièrement occupé, à l’exception de deux points d’appui.

Au centre du front d’attaque, Bazentin-le-Grand et son bois furent pris par une division de l’ancienne armée, déjà illustrée un siècle plus tôt en Espagne. De là les troupes, poussant au Nord, enlevèrent le village de Bazentin-le-Petit et le cimetière qui est à l’Est. L’ennemi contre-attaqua deux fois vers midi sans succès. Un nouveau retour offensif, dans l’après-midi, lui rendit le Nord du village jusqu’à l’église. Mais les troupes britanniques, revenant à la charge, reprirent la position et refoulèrent l’ennemi avec de grosses pertes. A la gauche du village, le bois de Bazentin-le-Petit fut pris, malgré une résistance acharnée et un retour offensif, et les avant-postes britanniques s’établirent au Sud immédiat de Pozières.

Dès le commencement de l’après-midi, l’ennemi, bousculé, donnait des signes de désorganisation, et sir Henry Rawlinson était averti qu’il semblait possible de pousser au Nord de Bazentin jusqu’au bois des Foureaux, qui, comme on s’en souvient, domine toute la région, à 1 500 mètres environ derrière la position qui venait d’être enlevée. A huit heures du soir, l’infanterie britannique y pénétra et s’en empara après un combat corps à corps, ne laissant à l’ennemi que l’extrémité Nord. Sur les flancs de l’infanterie, la cavalerie, tenue en réserve par le commandement anglais, eut l’occasion, rare dans cette guerre, de donner. Un escadron de dragons de la garde et un escadron de cavaliers du Dekkan se dirigèrent, dit J. Buchan, « par la vallée basse située au-delà de Bazentin-le-Grand en s’abritant derrière un pli de terrain et dans les blés. L’avance finale fut faite en partie à pied, en partie à cheval, et les ennemis qui étaient dans les champs de blé furent foulés aux pieds par les chevaux, ou bien faits prisonniers, ou bien tués à coups de sabre et de lance. »

La bataille continua le 15, quoique à une échelle réduite, mais en complétant et en assurant les succès de la veille. Au Sud-Est du bois des Trônes, un boqueteau surnommé Arrow Head Copse ; au Nord-Est, une ferme appelée la ferme de Waterlot, furent occupés. Au Nord, le bois Delville, qui couvre Longueval du côté du Nord-Est, fut pris ; mais, dans Longueval même, l’ennemi continuait à résister sur ses derniers points d’appui et dans les vergers. Il menaçait de là le flanc droit des troupes britanniques en pointe au bois des Foureaux, et qui étaient ainsi très aventurées ; elles furent ramenées dans la nuit du 15 au 16.

Le 16, des progrès furent faits au centre gauche, où, malgré des contre-attaques acharnées de l’ennemi, les troupes britanniques, progressant au Nord-Ouest du bois de Bazentin-le-Petit, arrivèrent à 500 mètres de la corne Nord-Est de Pozières. On se rappelle que ce village était d’autre part menacé du Sud. Enfin à l’Ouest, les troupes de l’armée Gough, exécutant leur mission de pression méthodique, avaient achevé le 16 et le 17 de réduire Ovillers, et marchaient également sur Pozières. Cette position était donc menacée de trois côtés. C’est, on s’en souvient, un long village, très visible, sur une route montante, bordée d’arbres, et qui apparaît du Sud à flanc de versant, et de l’Ouest en ligne de crête, se détachant sur l’horizon.

Les opérations du 14 juillet et des jours suivans étaient un magnifique succès. La seconde position ennemie était enlevée sur un front de 5 kilomètres ; le recul des Allemands était de 1 500 mètres. Quatre villages et trois bois étaient pris. On avait conquis 8 obusiers lourds, 4 canons lourds, 42 canons et obusiers de campagne et 52 mitrailleuses. On avait fait 2 000 prisonniers. Au total, le chiffre des prisonniers faits par les troupes britanniques depuis le début de la bataille était de 189 officiers et 10 779 hommes. Sur un front de 6 000 mètres, les lignes britanniques étaient maintenant établies sur la crête méridionale du grand faite de partage, et leurs postes avancés allaient jusqu’au voisinage de la troisième position allemande.


VIII

Après les combats du 14 juillet et des jours suivans, la ligne britannique s’appuyait à droite à la ferme Maltz Horn, où elle joignait la ligne française ; de là, elle suivait en direction du Nord la lisière Est du bois des Trônes, allait jusqu’à Longueval qu’elle enveloppait, tournait alors à l’Ouest par Bazentin-le-Grand et Bazentin-le-Petit jusqu’aux abords Sud de Pozières, et de là continuait toujours vers l’Ouest jusqu’au Nord d’Ovillers. Elle représentait ainsi une équerre avec une face tournée au Nord, Ovillers-Longueval, et une face tournée à l’Est, Longueval — ferme Maltz Horn. De plus, des alliés avaient des postes en avant de la face Est, à l’Arrow Head Copse et à la ferme de Waterlot ; en avant du sommet de l’équerre, dans le bois Delville ; et enfin en avant de la face Nord, vers le bois des Foureaux.

« Si désireux que je fusse de poursuivre rapidement les succès atteints, écrit sir Douglas Haig, il était d’abord nécessaire d’élargir ce front. » En effet, il était flanqué des deux côtés par de très fortes positions ennemies. A l’Ouest, c’était le groupe de Pozières et de Thiepval ; mais ce groupe serait tourné automatiquement par une avance du centre anglais vers l’Est, et, pour le moment, il suffisait d’y maintenir une pression méthodique et d’y réaliser un progrès pas à pas. Il n’en allait pas de même à la droite, sur la pointe d’équerre de Longueval. Sir Douglas Haig rappelle en termes excellens l’inconvénient de ces saillans, étroit espace où devaient s’entasser les communications, les batteries, les munitions tant anglaises que françaises, tandis que les Allemands avaient toute la place de développer autour de lui des feux en demi-cercle. De plus l’ennemi, occupant les crêtes, avait, de Guillemont au bois des Foureaux, des vues directes sur nos alliés. Il était donc nécessaire que la droite britannique, au lieu de rester repliée en potence, se portât en avant pour se mettre à la hauteur du centre. Pour cela, il fallait emporter d’abord Guillemont, la ferme de Falfemont et le bois de Leuze, — et ensuite une seconde ligne formée par Ginchy et le bois des Bouleaux. La difficulté de déloger l’ennemi de ces lignes puissamment fortifiées fut encore augmentée par le mauvais temps. Le pays ondulé ne permet, dans beaucoup de cas, d’observer le tir que par avions, et les Alliés avaient, dès le début de la bataille, pris dans l’air une supériorité décidée sur l’adversaire. Mais cette observation veut un temps clair ; or, la chute de pluie, en juillet et en août, a été supérieure à la moyenne et, même quand il ne pleuvait £as, le temps était couvert.

La droite britannique et la gauche française se touchaient sur une ligne qui partait de la ferme Maltz Horn et qui venait aboutir à mi-chemin entre Morval (objectif anglais) et Sailly-Saillisel (objectif français). Il est évident que les opérations des deux armées devaient être coordonnées. Enfin, tout en portant l’effort principal à la droite, il ne fallait pas permettre à l’ennemi de s’y opposer avec toutes ses forces, et, pour cela, il ne fallait rien relâcher de la pression à la gauche.

De leur côté, après le premier choc reçu, les Allemands firent d’énergiques efforts pour enrayer la marche des Alliés. Nous les avons vus, du 1er au 10 juillet, engager sur la Somme dix-huit divisions ; du 10 au 31 juillet, ils en amenèrent douze nouvelles, et ramenèrent une seconde fois au combat trois de celles qui avaient déjà été engagées. Une seconde phase de la bataille va donc commencer, consacrée à l’usure de ces forces nouvelles, où les gains de terrain seront moins considérables, où l’ennemi contre-attaquera avec une énergie sans résultat. Cette phase de réaction commence à la moitié de juillet et dure tout le mois d’août. Elle ne prend fin que par la prise de Guillemont le 3 septembre, suivie dix jours plus tard par celle de Ginchy.

La contre-offensive allemande sur le saillant de l’équerre britannique au bois Delville eut lieu le 18 juillet dans l’après-midi. L’ennemi reprit tout le Nord et le Nord-Est du bois, ainsi que la moitié Nord de Longueval, Mais les troupes britanniques restèrent accrochées avec beaucoup d’énergie à la corne Sud-Est du bois ; plus au Sud, trois attaques allemandes sur la ferme de Waterlot échouèrent.

La véritable bataille commença le vendredi 20 juillet par une grande attaque des Alliés. S’il faut en croire un article d’un collaborateur militaire, visiblement inspiré, dans le Lokal Anzeiger du 22 juillet, le choc était attendu. « C’est une partie du programme de toutes les offensives, même partielles, de l’ennemi, écrivait ce journal, que toutes les attaques projetées sont annoncées au monde entier plusieurs jours d’avance. C’est ainsi que le Novoïé Vremia, qui a des attaches particulières à l’ambassade anglaise de Saint-Pétersbourg, écrivait au commencement de la semaine que le choc principal de l’offensive franco-britannique se produirait dans quelques jours. Des masses de canons et d’hommes auraient été amenées, et derrière le front une nombreuse cavalerie, était, prête à s’engager au moment voulu. »

Dès le 19, les troupes britanniques exécutèrent en Flandre, à Fromelles, une diversion avec deux divisions pour fixer les réserves ennemies. Puis le 20, les Alliés lancèrent l’attaque sur tout le front depuis Pozières à gauche jusqu’à Vermandovilliers à droite, avec des forces que l’ennemi évalua à 17 divisions. Sous le choc, les Allemands avouent qu’une de leurs divisions immédiatement au Nord de la Somme (entre Hardecourt et Ham) fléchit sur un front de 3 kilomètres et se retira sur une seconde ligne située à 800 mètres. La gauche française se trouva ainsi avancée vers l’Est jusqu’au ravin où court le petit chemin de fer de Combles à Cléry. A l’extrémité Est du village de Ham, la ferme de Monacu, enlevée par les Français, fut reprise par une contre-attaque.

Au Sud de la Somme, la tactique naturelle des Français, serrés dans le coude de la rivière, était de se faire jour au Sud-Est, en direction générale de Nesle, ce qui aurait eu pour effet d’inquiéter gravement les arrières des Allemands avancés plus au Sud dans le saillant de Roye. Ainsi, au moment où nous sommes, la bataille s’oriente sur trois axes d’attaques : au Nord-Est, en direction de Bapaume ; à l’Est, en direction de Péronne ; au Sud-Est, en direction de Nesle. Laquelle de ces directions devait être la principale, nous ne sommes pas en mesure de le dire. Il semble en particulier que l’importance qu’on accordait aux opérations de la droite, en direction de Nesle, ait beaucoup varié au cours de la bataille. Des actions projetées de ce côté n’ont jamais été exécutées. La plupart du temps, cette aile droite a été réduite à ses propres ressources et a agi sans dotation particulière. Elle a ainsi exécuté une série d’opérations brillantes, mais qui ont peu modifié les résultats généraux de la bataille.

Cette aile droite était arrêtée dans sa marche vers le Sud-Est par une forte ligne de résistance, qui appuyait son extrémité à l’Est, vers la Somme, à ce nid de Barleux, tassé et invisible dans son trou ; puis qui revenait par Soyécourt vers Chaulnes. Les Français étaient arrivés le 2 juillet devant Barleux. La garnison allemande tenait la couronne de hauteurs qui enveloppe le village. Elle fut violemment attaquée le 3. D’après un intéressant récit de Max Osborn dans la Gazette de Voss du 11 août, des noyaux de troupes coloniales, composés de Français, menaient l’assaut et jouaient le rôle des Stosstruppen dans l’armée allemande. Ces élémens d’élite entraînaient la masse des troupes noires, qui étaient elles-mêmes suivies par des unités du Nord de la France.

Un second assaut eut lieu le 9. Après une préparation d’artillerie qui dura toute la matinée, l’infanterie attaqua à trois heures de l’après-midi. Le principal effort se porta d’une part sur l’angle Nord-Ouest du village, et d’autre part sur le débouché Sud, où se trouve le cimetière. La tentative faillit réussir. Par le Nord, les Français pénétrèrent dans le village : par le Sud, ils le débordèrent en atteignant la route de Villers-Carbonnel. Mais une contre-attaque allemande, après un corps à corps d’une demi-heure, les repoussa.

Le 10 juillet, après un feu violent, nouvelle attaque française, trois fois répétée, à deux heures de l’après-midi. Le 11, combat à l’angle Nord-Ouest du village, où les lignes se touchent et où les Français ont pénétré dans une ancienne tranchée allemande qui court vers le Nord. Le 12, le 13, le 16, nouvelles tentatives, préparées ou commencées. Enfin le 20, dès l’aube, le feu d’artillerie s’accroît. À huit heures du matin, il tonne en ouragan, et s’aggrave d’obus à gaz. À huit heures quarante, l’assaut se déclenche. Les baïonnettes des noirs étincellent à 80 mètres des tranchées allemandes, mais les feux rasans de l’infanterie allemande arrêtent l’adversaire. Cependant par l’angle Nord-Ouest, les Soudanais ont réussi à pénétrer dans le village et on se bat corps à corps. Ils sont repoussés ; mais quelques-uns ont réussi à se maintenir dans les ruines. Les jours suivant, ils s’y tiennent cachés ; mais, chaque nuit, ils sortent et tirent sur les Allemands qu’ils rencontrent. Max Osborn rencontra le 3 août un de ces noirs qui venait seulement d’être pris. Il était resté treize jours dans une cave, vivant de pain et de sardines, et s’abreuvant à une citerne.

L’extrême droite française fut plus heureuse et s’empara, entre Soyécourt et Lihons, d’un bois de 800 mètres sur 600, nommé le bois Eroste. Quant à l’armée britannique, qui engagea cette fois encore de la cavalerie près du bois des Foureaux, elle réussit à y pénétrer. Mais, le 23, une attaque générale ayant eu lieu sur tout le front de Pozières à Guillemont, la 4e armée trouva devant elle l’ennemi en force sur toute la ligne, couvert par des postes avancés et des mitrailleuses dans des trous d’obus. Il était évident que l’armée allemande était remise de son échec du 14, et qu’il fallait recommencer une longue et minutieuse préparation.

Après ces affaires du 20 et du 23, un calme relatif s’établit sur tout le front, sauf à la gauche, où les Australiens de l’armée Gough continuaient d’avancer. — A cet arrêt, les Allemands crurent que les Alliés étaient hors de souffle, et ils célébrèrent un peu prématurément la fin de la seconde phase de l’offensive. Le 27, les journaux allemands reproduisaient un télégramme envoyé de Péronne au New York World par le journaliste Carl von Wiegand. Ce télégramme exposait l’état de la bataille, du point de vue allemand. L’offensive anglo-française avait été brisée comme par un mur. Sans doute les assaillans reprenaient haleine pour un troisième assaut, mais les Allemands se préparaient à les recevoir. Après vingt et un jours de lutte, les Anglo-Français n’avaient réussi qu’à enfoncer dans les lignes allemandes un coin de 8 kilomètres et demi de profondeur, large de 50 kilomètres à la base, mais de moins de 3 à la pointe, devant Péronne, dans la région Biaches-La Maisonnette. Ce coin couvrait 90 kilomètres carrés. Aux combats du 20, qui auraient marqué le plus grand déploiement de forces alliées dans cette bataille, les Alliés auraient disposé, toujours d’après Carl von Wiegand, d’une masse de choc de 34 divisions, dont 17 en première ligne, appuyées de 4 000 canons. Malgré ces formidables moyens, les Allemands restent pleins de confiance. A Péronne, le commandant en chef a dit au journaliste : « Les Alliés ne perceront jamais ici. » Les officiers ont ajouté : « Ni dans un an, ni dans deux, les Alliés ne rompront nos lignes. » Cependant ils ne déprécient pas leurs adversaires. Le général a parlé des Français avec étonnement et admiration : Die französische Nation hat die ganze Welt überrascht, niemand mehr als uns. Das französische Volk ist wie neugeboren. (« La nation française a surpris le monde entier, et personne plus que nous. Le peuple français est comme régénéré. »)

Au moment où ces lignes paraissaient, l’armée Gough, à la gauche de l’attaque britannique, avait emporté Pozières le 25. Ce village avait une singulière importance. Primitivement, c’était un des points d’appui de la seconde ligne allemande ; cette ligne ayant sauté dans l’Est, les Allemands l’avaient remplacée par une ligne nouvelle, par une sorte de raccord, qui venait s’embrancher sur l’ancienne ligne, précisément à Pozières. En d’autres termes, la ligne allemande avait pivoté (par sa gauche (Est) autour de Pozières, situé à sa droite et servant de charnière. Ce village, simple point d’appui, avait donc passé au rôle de bastion d’angle. C’est cette pierre angulaire qu’il s’agissait de faire sauter.

Le village, sur une pente montante, se présentait en espalier à nos Alliés, qui l’attaquèrent de trois côtés. A gauche, les territoriaux de Londres se portèrent contre les tranchées de l’Ouest ; au centre, les Australiens eurent la rude tâche de traverser le village même, genre de combat tout à fait à leur goût, dit le correspondant du Times ; enfin à droite un troisième corps, qui n’est pas nommé, dut déborder le village à l’Est.

Les Australiens se lancèrent à l’assaut, dans la nuit du 22 au 23, peu après minuit, après un formidable bombardement. Il y avait devant le village deux lignes de tranchées ; la première, récente et mal creusée, fut enlevée d’un bond. Pendant que l’infanterie la retournait, l’artillerie écrasait la seconde ; puis elle allongea son tir, et la seconde tranchée fut à son tour enlevée ; quoique bouleversée, on pouvait voir qu’elle avait été soigneusement faite. Elle était garnie d’Allemands, qui furent passés à la baïonnette ou faits prisonniers. Un troisième bond porta les assaillans aux premiers arbres du village. Le 25 dans l’après-midi, les Australiens avait complètement traversé le village, et donné la main à l’extrémité Nord aux territoriaux travaillant à leur gauche ; les troupes de droite avaient également dépassé le village et repoussé une contre-attaque. Cette extrémité Nord de Pozières est formée par le cimetière. Le cimetière pris, les Bavarois qui l’avaient défendu essayèrent de se replier en terrain découvert sur le moulin qui est à la crête. Les mitrailleuses britanniques en firent un carnage.

Le même jour, l’ennemi lançait sur la 4e armée deux fortes attaques, l’une autour du bois des Foureaux, l’autre au Nord-Ouest du bois Delville ; elles furent repoussées et, le 27, nos alliés reprenaient la totalité du bois Delville ; le 29, ils nettoyaient d’Allemands la partie Nord de Longueval et les vergers.

La possession du bois Delville et de Longueval qui s’y appuie étant assurée, la droite britannique passa le 30 à l’attaque sur la ligne Guillemont-Falfemont, en liaison avec une attaque de la gauche française. Un bataillon entra dans Guillemont qu’il traversa, mais n’étant pas soutenu latéralement, dut se replier. Une nouvelle attaque, le 7 août, eut le même sort. Nos alliés entrèrent dans Guillemont, mais durent se replier, faute d’avoir pu enlever les tranchées à gauche et à droite du village.

Attaquer directement Guillemont était d’autant plus naturel que ce village commande le terrain qui est au Sud. En le prenant d’abord, on facilitait donc beaucoup l’opération dans les autres secteurs. Mais quand il apparut que cette opération était irréalisable, on renversa le plan ; et on décida de procéder par une série de progrès combinés, avec les Français, en commençant d’abord plus à droite, dans le secteur français, sur Maurepas.

L’attaque française sur Maurepas, menée par le Ier corps, eut lieu le 12 août. Un brillant combat nous donna toute l’agglomération Sud du village, avec le cimetière et l’église, emportés par un bataillon du 9e zouaves. Plus au Sud, le front, tenu par des Alpins, fut avancé sur les pentes Sud de la cote 100. Plus au Sud encore, la croupe à l’Ouest de Cléry fut prise, et le front vint s’appuyer à la Somme, en face de Buscourt. Cette croupe à l’Ouest de Cléry était défendue par deux lignes de tranchées, dites tranchées Heilbronn. Elle fut attaquée par le 170e d’infanterie, colonel Lavigne-Delville. Le régiment entra en ligne dans la nuit du 11 au 12. Le 12, à trois heures de l’après-midi, un peloton enleva d’assaut un premier point d’appui, une ferme isolée, dite ensuite ferme Ladevèze, à l’Est de la ferme de Monacu, d’où l’ennemi pouvait prendre l’attaque dans le flanc droit. A trois heures trente, nouvelle opération préparatoire ; à la droite, la parallèle de départ était à 600 mètres de la tranchée allemande ; on croyait le terrain libre ; mais un observateur y aperçut, dans les hautes herbes et les marécages de la vallée, des têtes d’Allemands, à 150 mètres de nos lignes ; des coups de fusil partirent de ces herbes. Il fallait aller voir ce qui s’y cachait. Le lieutenant Besançon part avec une section, tombe sur un parti allemand trois fois plus nombreux, caché dans des trous couverts de paquets d’herbes et camouflés de toiles vertes. Il en massacre une partie et ramène le reste, quatre-vingts prisonniers. Enfin l’attaque principale se déclenche à dix-sept heures quinze, et la tranchée Heilbronn est prise. A la droite, tout près de la Somme, il avait fallu enlever le bois Gâchette, par un terrain coupé et marécageux. Un combat furieux s’engagea à la lisière Ouest du bois. Une mitrailleuse allemande tirait de la corne Nord-Ouest ; le soldat Sellier l’aperçut, s’élança seul, s’en empara et ramena les cinq servans prisonniers. A la gauche, les troupes ont atteint en un quart d’heure la tranchée Heilbronn, distante là de 8 ou 900 mètres. A cinq heures cinquante, tout l’objectif était atteint. Le régiment avait fait 263 prisonniers.

Ainsi, dans cette journée du 12, le progrès s’était fait surtout par le centre et la droite, entre Maurepas et la Somme. Le 16, un nouveau combat porta à son tour la gauche en avant, entre Guillemont au Nord et Maurepas au Sud. Une ligne de tranchées fut enlevée sur un front de 1 500 mètres, et la route Guillemont-Maurepas fut atteinte, comme la route Maurepas-Cléry avait été atteinte le 12.

Cependant la moitié Nord de Maurepas restait à l’ennemi. L’honneur de la reprendre « revint, dit une relation officieuse, au 2e bataillon du 1er régiment d’infanterie. C’est l’ancien régiment de Cambrai. Beaucoup de ses hommes sont originaires des pays envahis. Pour eux se battre à Maurepas, c’était ouvrir une des portes de leur province. » L’attaque fut commandée pour le 24 août, à dix-sept heures quarante-cinq. L’ennemi, malgré un terrible bombardement, avait encore deux mitrailleuses intactes : l’une utilisait des talus à gauche de la route de Combles, tout à fait dans l’axe de l’attaque ; l’autre, une maisonnette à droite. A seize heures trente, ces mitrailleuses tiraient encore. Au même moment, l’artillerie française allongea son tir ; les troupes d’assaut gagnèrent en rampant les parallèles de départ qu’elles avaient évacuées pour ne pas recevoir les coups courts de leurs propres pièces. La mitrailleuse du talus fut prise par une manœuvre d’une précision remarquable. Le commandant Frère, qui commandait l’attaque, avait fait amener avec beaucoup de peine un canon de 37, qu’il établit en flanquement perpendiculairement sur l’axe d’attaque ; au moment précis où ce canon tirerait, et où les mitrailleurs allemands baisseraient la tête sous le projectile, les troupes d’assaut devaient se jeter hors des tranchées et profiter de cette minute de répit pour coiffer l’obstacle. C’est ce qu’elles firent. A minuit, Maurepas était entièrement aux Français, et la position était retournée contre un retour offensif des Allemands, qui ne se produisit pas. Les Français avaient eu affaire à des compagnies d’élite de la Garde.

De leur côté, les troupes britanniques avaient repris l’offensive le 16, en même temps que les Français attaquaient entre Guillemont et Mauropas. Elles se portèrent sur Guillemont sans succès ; le 18, une nouvelle attaque leur donna les abords du village. Mais elles ne devaient l’emporter que le 3 septembre, dans la grande attaque combinée qui ouvre la troisième phase de la bataille.


IX

A la fin d’août, la situation était la suivante : au Nord, les troupes britanniques, avançant du bois Delville sur Ginchy, étaient à mi-chemin de ce village ; en continuant vers le Sud, le front passait entre le bois des Trônes et Guillemont ; puis, continuant au Sud-Est, il descendait dans la grande étoile de ravins au fond de laquelle se trouve un petit bois. Ce bois avait été enlevé dans le courant d’août par les troupes françaises, qui y avaient trouvé un certain nombre de pièces de 77 ; puis ce bois avait passé du secteur français au secteur anglais, la limite des deux armées étant désormais au petit chemin de fer de Péronne à Combles.

Telle était la situation quand fut déclenchée, à la fois par l’armée anglaise et par l’armée française, l’attaque générale du 3 septembre. Nos alliés avaient a (Taire, depuis le nord de Ginchy jusqu’à l’Ouest de Combles, à la 3e division allemande. Cette division travaillait fiévreusement, depuis le 25 août, à se faire un front défendable ; elle y employait, outre sa compagnie de pionniers réglementaires, trois compagnies supplémentaires, pionniers et travailleurs. Cette 3e division formait elle-même la gauche du groupement Kirchbach. La droite, de Ginchy au bois des Foureaux, était formée par la 56e. La 24e de réserve était en réserve.

L’attaque du 3, rendue possible par les progrès partiels accomplis en août, fut préparée dans les deux premiers jours de septembre ; l’assaut fut donné le 3, à midi, depuis Hamel jusqu’à l’extrême droite. Le résultat le plus complet de la journée fut la prise de Guillemont. Les Irlandais enlevèrent d’un élan les tranchées en avant du village, puis, après un léger arrêt de leur droite, commencèrent la conquête des îlots, sous le feu des mitrailleuses qui tiraient des hauteurs de Ginchy. Le centre du village, un carrefour de trois chemins, avait été puissamment organisé. Il fut emporté et Guillemont fut pris et conservé malgré trois violentes contre-attaques. A deux kilomètres plus au Sud, en contact avec les Français, la ferme de Falfemont, atteinte au début de l’action par les fusiliers anglais, ne put être conservée, mais elle se trouva débordée au Nord, et, attaquée ainsi de front et de flanc, elle fut prise le 5. Au Nord-Est de Guillemont, les troupes britanniques avaient poussé sur Ginchy, qu’elles avaient occupé dans l’après-midi du 3 ; mais les contre-attaques allemandes avaient repris une grande partie du village, où les deux adversaires restaient face à face. De Guillemont, occupé le 3, nos alliés poussèrent vers l’Est. La route de Combles, comme nous l’avons vu, descend dans un fond, et au bout d’un kilomètre passe entre le bois de Leuze à droite et le bois des Bouleaux à gauche. Les troupes britanniques atteignirent le 5 le bois de Leuze et en chassèrent complètement l’ennemi le 6.

Ainsi, du 3 au 6 septembre, la droite britannique avait progressé sur un front de 3 kilomètres, avançant de 1 500 mètres, et, ce qui est plus important, rompant la barrière que l’ennemi lui opposait depuis sept semaines. Le succès fut complété le 9 par la prise de Ginchy. Les Irlandais furent encore chargés de l’opération. Les compagnies de gauche parties à 300 mètres atteignirent les objectifs en huit minutes ; les compagnies de droite, arrêtées par des mitrailleuses, durent amener un canon de tranchée. Depuis le 1er juillet, nos alliés avaient fait 17 000 prisonniers.

La 3e division allemande, qui avait supporté le 3 l’effort de la droite britannique, dut être relevée. Dans la nuit du 5 au 6, on voit apparaître à sa place des élémens de la 24e division, qui était en réserve. Mais suivant un système fréquent chez les Allemands, ces élémens ne paraissent avoir été là que pour protéger la relève. Ils disparaissent dès le 8, et l’on voit à leur place deux régimens, appartenant à deux divisions et ramenés des bords de l’Aisne : le 28e de réserve (16e division de réserve) qui s’établit au bois des Bouleaux, et le 161e (15e division) qui s’établit à droite, au Nord-Est de Ginchy.

Les combats du 3 septembre et des jours suivans avaient eu pour résultat, dit le Communiqué britannique du 5, « la prise de l’ensemble de ce qui restait de la seconde ligne de défense ennemie partant de la ferme du Mouquet jusqu’au point de jonction des lignes anglaises et françaises. »

Le 3 septembre, tandis que les troupes britanniques attaquaient par leur droite Guillemont et Ginchy, les troupes françaises, en contact avec elles, attaquaient par leur gauche et prenaient le Forest et Cléry. Le front français à la fin d’août se liait au front britannique, comme nous l’avons vu, dans le ravin qui mène du Sud-Ouest à Combles et où passe le tortillard de Péronne. Il enveloppait Maurepas, suivait approximativement la route de Maurepas à Cléry par la cote 121 et la colline 109, puis, se dérobant devant Cléry, qui restait à l’ennemi, il venait rejoindre la vallée de la Somme à peu près en face de Buscourt.

En face des Français, la principale ligne de résistance de l’ennemi était marquée par les trois gros bastions alignés du Nord au Sud : Combles, le Forest, Cléry. Une route reliait ces trois bastions à la façon d’une courtine. C’est tout ce système défensif qui fut emporté le 3 septembre, d’un élan magnifique, depuis le voisinage de Combles jusqu’à la Somme.

Quatre divisions allemandes défendaient ce front de 6 kilomètres : c’étaient, du Nord au Sud, la 53e de réserve, nouvellement arrivée ; puis le 1er et le 2e de la Garde ; enfin, à la gauche de Cléry, la 1re division de réserve bavaroise. Malgré cette densité considérable, les défenseurs laissèrent entre nos mains le Forest et Cléry. Deux mille prisonniers témoignaient de la vigueur de l’attaque.

Le succès était poursuivi le 5. Au Nord-Est du Forest, le bois d’Anderlu était atteint ; au Sud-Est, la ferme de l’Hôpital et le bois du Rainette étaient enlevés ; plus loin, sur la droite (Sud), une partie du bois Marrières était occupée. Enfin, au voisinage de la Somme, les troupes s’élevaient sur la croupe au Nord-Est de Fleury.

En même temps un événement nouveau se produisait à l’extrême droite du front d’attaque français. La 10e armée avait appuyé sur sa gauche jusqu’à Barleux, elle entrait à son tour en ligne et étendait le combat jusqu’au-delà de Chaulnes, à Chilly.

Le front ennemi devant la 10e armée, de Barleux à Chilly, était tenu de la façon suivante : devant la gauche française, à partir de Barleux, le IXe corps (17e et 18e divisions) ; puis des élémens du XIIe, une division du XVIIe (35e division), puis les 30e et 17e divisions de réserve, enfin l’autre division du XVIIe corps, la 36e. Ces troupes étaient disposées sur les deux côtés d’un angle obtus, ouvert d’environ 120 degrés, qui avait sa pointe à Soyécourt ; sur la face droite, de Barleux à Soyécourt, les Allemands faisaient face au Nord-Ouest ; sur la face gauche de Soyécourt à Chilly, ils faisaient face à l’Ouest. Le pays est une alternance de plaines et de vallons, avec des bouquets de bois. Ces vallons sont délicieux. Les routes bordées d’ormes font des arceaux de verdure. Les lentes ondulations font varier les lignes. Au moment où la bataille s’engageait, les blés, grandis sur le riche limon, commençaient à s’assembler en meules ; les bois, qui sont souvent de la futaie, laissaient pénétrer le regard dans des demeures d’ombre verte.

Sur la face droite, la première ligne de tranchées ennemies fut enlevée et le front français ; qui passait au Sud de Belloy et d’Estrées, fut porté jusqu’aux lisières de Deniécourt et de Berny, dépassant d’un kilomètre au Sud la route d’Amiens à Péronne. — Au centre, Soyécourt, qui formait la pointe du saillant allemand, fut attaqué sur ses deux faces, par le Nord et par le Sud-Ouest, et emporté. — Enfin, à la face droite du Saillant, au Sud de Soyécourt, la première position allemande s’appuyait aux villages de Vermandovillers (1 kilomètre au Sud de Soyécourt), et de Chilly. Vermandovillers fut débordé à gauche et à droite et en partie conquis. Chilly fut enlevé ; après l’avoir dépassé de 700 mètres, les Français trouvaient un long ravin, allongé du Nord-Ouest au Sud-Est, et profond d’une dizaine de mètres. Ce ravin a été dépassé. Enfin, entre Vermandovillers et Chilly, à mi-chemin des deux villages, les Français emportèrent la lisière d’un assez grand bois, long d’un kilomètre, mais peu profond, qui couvre immédiatement Chaulnes. La vigueur du choc est attestée par 2 700 prisonniers. Le 5, les Allemands contre-attaquèrent vigoureusement par l’aile droite de leur saillant entre Barleux et Berny, sans, pouvoir faire plier nos lignes. Bien mieux, plus à l’Ouest, entre Berny et Soyécourt, le progrès des Français continuait vers Deniécourt, qui était attaqué du Nord par Estrées, de l’Ouest et du Sud par Soyécourt. Le village est couvert par un parc : les Français enlevèrent les tranchées qui couvraient ce parc, et abordèrent les lisières. — Le 6, plus à l’Est, ils enlevaient la plus grande partie de Berny.

En trois jours, 3, 4 et 5 septembre, les Allemands avaient laissé aux mains des Français 6 630 prisonniers et 36 canons, dont 28 lourds.

Le 12 septembre, l’armée Fayolle reprenait encore une fois l’offensive. Les progrès du 3 et du 5 l’avaient mise au contact d’une grande ligne de défense allemande, qu’on appelait la tranchée des Berlingots, et qui s’étendait de Morval au Nord à la Somme au Sud. Cette ligne de défense avait environ 8 kilomètres de longueur, 2 au Nord devant les Anglais, 6 au Sud devant les Français. C’est sur ces 6 kilomètres que se déclencha l’attaque du 12.

Au moment où elle attaquait, la 6e armée avait devant elle, au Nord de la Somme, les unités suivantes : devant sa gauche, dans la région au Sud de Combles, un régiment de la 54e division de réserve (XXVIIe corps), le 247e ; puis, en allant vers sa droite, deux régimens de la 2e division de la Garde, au Nord-Est du Forest ; à l’Est du Forest, un autre régiment de la 54e division de réserve, le 245e ; puis au Nord-Est de Cléry, toute la 53e division de réserve (242e, 244e, 241e de réserve) appartenant également au XXVIIe corps ; enfin à l’Est et au Sud-Est de Cléry, au contact de la Somme, deux régimens de la 13e division.

Ces unités étaient en pleine relève. On voit qu’il y reste deux des unités engagées le 3, la 2e division de la Garde, et la 53e division de réserve. Or, au Nord, la 54e division de réserve relevait précisément la division de la Garde, dont les élémens encore en ligne étaient ainsi intercalés entre les siens, tandis qu’au Sud, la 13e division s’apprêtait à relever la 53e de réserve. Cette 13e division, appartenant au VIIe corps actif, arrivait de Verdun, où elle était depuis le mois de juin, et où elle tenait en dernier lieu le secteur du Mort-Homme. Elle avait été embarquée le 7 et le 8 septembre, et elle était arrivée par Sedan, Charleville, Hirson et Cambrai jusqu’à Roisel, où elle avait été débarquée. Les premiers élémens avaient, dès le 9 novembre, occupé le secteur de Cléry ; d’abord en réserve, ils avaient ensuite relevé les élémens fatigués de la 53e, et l’une et l’autre divisions étaient enchevêtrées. — Enfin cet ordre de bataille était complété au Sud de la Somme par une division qui tenait le front jusqu’à Barleux.

L’attaque fut lancée à midi trente. Le premier objectif était, comme on a vu, la tranchée des Berlingots, position défensive étendue du Nord au Sud, de Frégicourt (1 kilomètre à l’Est de Combles) jusqu’à la Somme et, jalonnée par la ferme le Priez, le mamelon de la ferme de l’Hôpital et le bois Marrières. Cette position était formée de deux lignes de tranchées, à 200 ou 300 mètres l’une de l’autre. La première ligne avait des abris de mitrailleuses protégés et des abris profonds pour l’infanterie. La seconde n’avait que fort peu d’abris. Les deux lignes étaient, naturellement, reliées par des boyaux. A 60 mètres devant la première s’étendaient deux réseaux successifs de fils de fer, chacun de ces réseaux étant épais de 5 à 6 mètres. Telle était la première position ; la seconde était établie à deux kilomètres environ en arrière, le long de la route de Bapaume à Péronne. Elle appuyait sa droite (Nord) à Rancourt, son centre à Bouchavesnes, sa gauche à Feuillancourt et au canal du Nord. Elle se composait d’une seule tranchée continue, avec un petit nombre d’abris et d’emplacemens de mitrailleuses, et précédée d’un seul réseau épais de 4 à 5 mètres.

On sait avec quelle rapidité foudroyante, au point où la tactique est aujourd’hui parvenue, un assaut se déclenche, l’infanterie partant derrière les éclats de sa propre artillerie. La tranchée des Berlingots fut enlevée en une demi-heure. De là, la gauche de l’attaque se porta en avant sur la cote 145, l’enleva et, poussant jusqu’à la seconde position, vint border la route de Péronne à Bapaume entre Rancourt et Bouchavesnes. La droite, partie des hauteurs Nord-Est de Cléry, enleva la crête suivante et se trouva sur le revers Est, le long de la vallée de la Tortille, dernier fossé qui couvre le mont Saint-Quentin, principal bastion de Péronne.

A la limite commune des deux secteurs, juste au centre de l’action, se trouvait sur la seconde position le village de Bouchavesnes. Il n’était pas dans les objectifs du 12. Il fut néanmoins attaqué à six heures trente. Trente-cinq minutes plus tard, nos troupes annonçaient par des feux de Bengale leur arrivée au centre du village ; à huit heures du soir, Bouchavesnes était entièrement pris. Il y eut un moment d’émotion, quand cette nouvelle parvint au Quartier Général de l’Armée. Il n’y avait plus devant les vainqueurs qu’une seule tranchée allemande ; au-delà, c’était l’espace libre. On décida d’attaquer le lendemain matin.

Deux routes divergent de Bouchavesnes. L’une vers l’Est, gravit l’épine de Malassise et redescend sur la Tortille à Moislains. Mais elle reçoit dans le flanc gauche les feux du bois de Saint-Pierre-Vaast, large étendue de taillis où l’ennemi était puissamment établi. L’autre se dirige au Sud-Est, gravit la cote 130 et redescend sur Allaines.

Le 13 au matin, quand les Français se portèrent en avant, l’ennemi avait installé des mitrailleuses dans des trous d’obus, et fit une défense extrêmement énergique. Cependant, dans la direction du Sud-Est, la ferme du bois Labé, à 600 mètres au Sud de Bouchavesnes, fut enlevée. À ce moment-là comme au 3 juillet, l’ennemi paraît avoir été forcé de faire appel à ses dernières ressources. De violentes contre-attaques, exécutées le 14, contre l’aile droite et le centre sur la cote 76 et la ferme du bois Labé, ne réussirent pas à reprendre nos gains. Ce même jour, notre aile gauche, juste à mi-chemin entre Combles et Rancourt, enleva la ferme le Priez.

Le combat du 12 bouscula complètement la ligne allemande. Du 12 au 14, 2 141 prisonniers dont 30 officiers furent envoyés à l’arrière. Toutefois, l’ordre de bataille ne fut pas immédiatement modifié. Le 15, il était encore le même. Mais, dans les jours suivans, un remaniement considérable eut lieu. Les troupes qui étaient en ligne le 12 disparaissent complètement : non seulement la division de la Garde, la 53e de réserve, qui étaient déjà, en voie de relève le 12, mais la 13e qui venait prendre les tranchées, s’éclipsent entièrement ; la 54e ne laisse en ligne que le 248e régiment, qui ne tenait pas les tranchées le 12 ; le 245e et le 247e engagés ce jour-là sont retirés. A la place des unités disparues, on voit le XVIIIe corps actif, dont une division, la 25e, contient les Français à l’Est de Bouchavesnes, tandis que l’autre, la 21e, occupe la région de Rancourt. Mais surtout on voit apparaître au Nord de la Somme trois divisions de formation nouvelle, 212e, 213e et 214e, qui viennent d’être constituées du 5 au 10 septembre et qui sont identifiées à partir du 18.

Trois jours après l’offensive de la 6e armée française, c’est-à-dire le 15 septembre, les troupes britanniques, opérant à sa gauche, se portèrent à leur tour en avant. Voyons quelle était à ce moment la situation de nos alliés.

Vers le 10 septembre, les troupes britanniques avaient réussi à s’établir par leur centre dans la deuxième position allemande, sur le grand plateau de partage, depuis Pozières jusqu’au bois des Foureaux, quoique celui-ci ne fût pas entièrement en leur possession. D’autre part, l’équerre que formait leur droite à la fin de juillet, avec Longueval comme sommet, s’était ouverte de façon à perdre tout caractère inquiétant. La pointe portée en avant était maintenant aux lisières du bois Delville, qui couvre Longueval, et le côté droit de l’angle, au lieu de se diriger vers le Sud, s’en allait vers l’Est-Sud-Est, par Ginchy et le bois de Leuze. Au Sud de ce point, les Français avaient pareillement poussé leur gauche en avant et tenaient la ligne bois Douage (inclus), Cléry (inclus). Grâce à cet élargissement, il était possible de penser, sur le front de cette aile droite raffermie, à d’autres opérations.

En effet, il restait à cette aile droite à s’élever à son tour maintenant sur le faîte principal du partage. Ce faite, après le bois des Foureaux, continue vers l’Est, par la cote 154, pendant une lieue. De Ginchy, où elles avaient leur pointe extrême vers le Nord-Est, les troupes britanniques voyaient à 2 kilomètres cette cote 154, comme une colline dominante qui barrait l’horizon, et au-delà de laquelle se trouvent cachés Les Bœufs au Nord-Est, Morval à l’Est.

L’extrême droite anglaise, au bois de Leuze, et faisant face au village de Morval, en était séparée par la tête d’un ravin profond, flanqué de toutes parts par l’ennemi et barré lui-même un peu plus bas par la petite ville de Combles. De l’autre côté du ravin de Combles commençait le secteur français ; là, l’extrême gauche de l’armée Fayolle marchait en direction de Sailly-Saillisel, par une sorte de défilé entre le ravin de Combles et le bois de Saint-Pierre-Vaast. Ainsi la droite britannique marchant sur Morval et la gauche française marchant sur Sailly-Saillisel débordaient Combles de part et d’autre. Les commandans anglais et français étaient tombés d’accord qu’il n’était pas nécessaire d’attaquer directement cette ville et que les progrès à gauche et à droite la rendraient intenable à l’ennemi. Il est d’ailleurs évident que les opérations des deux armées devaient être intimement liées. « Pour combattre dans de telles conditions, écrit sir Douglas Haig, l’unité de commandement est ordinairement essentielle, mais en ce cas l’amitié cordiale (the cordial good feeling) des armées alliées et le sérieux désir qu’avait chacune d’aider l’autre ont fait le même office et écarté toutes les difficultés. »

A la gauche britannique, d’autre part, c’étaient toujours les défenses de la ligne allemande originale qui arrêtaient l’armée du général Gough. Les ordres du 3 juillet donnaient à celui-ci le rôle de pivot de manœuvre, et ne lui prescrivaient qu’une avance lente et méthodique. Ce programme avait été réalisé avec beaucoup d’habileté et d’endurance, mais le temps approchait où la prise de Thiepval allait devenir indispensable. Déjà les troupes britanniques étaient à l’Est au contact de la ferme du Mouquet, qui restait aux Allemands. Tournant de là au Sud-Ouest, la ligne traversait une large vallée interdite par un ouvrage nommé le Wonderwork, qui fut brillamment enlevé le 14 septembre. Puis, en continuant vers la gauche, le front anglais enveloppait Thiepval par le Sud et par l’Ouest.

C’est dans ces conditions que se prépara la grande attaque du 15 septembre. Le plan de sir Douglas Haig était d’attaquer par sa droite, entre le bois des Foureaux et Morval. Si cette attaque réussissait, on retendrait à gauche sur le front Courcelette-Martinpuich. La préparation commença le 12. La dernière phase commença le 15 à six heures du matin. A six heures vingt, l’assaut fut donné. C’était un joli matin, avec la brume blanche d’automne posée sur le terrain. Les avions anglais, que le soleil faisait étinceler, tournaient au-dessus de la bataille, environnés des bouquets blancs des shrapnells. Les uns donnaient la chasse aux avions ennemis, dont quinze furent détruits et neuf contraints à s’abattre. D’autres descendaient à petite portée sur les lignes allemandes, mitraillaient les fantassins dans les tranchées et les artilleurs à leurs pièces. D’autres enfin renseignaient le commandement. La maîtrise de l’air par les Alliés pendant la bataille de la Somme est un trait caractéristique. Ce n’est guère qu’à la fin de septembre que les Allemands rétablirent l’équilibre. Les tanks apparaissaient pour la première fois et l’effet de surprise contribua à la victoire. On connaît le curieux aspect de cette machine, qui a la forme d’un ressort de voiture. L’avant, en cuiller comme celui des bateaux, porte un éperon. Un armement à bâbord, un autre à tribord, donne des feux latéraux, tandis qu’un troisième permet de tirer devant soi. Le système de propulsion est celui des chenilles qu’on emploie en Amérique aux défrichemens. Une extrême adhérence au sol permet de descendre et de remonter les pentes les plus abruptes. Les mouvemens latéraux ne sont pas moins aisés, et la machine tourne exactement sur elle-même. Elle tranche les arbres comme de la paille, défonce les murs, descend dans les entonnoirs de mines, en sort, et passe sur les tranchées en lançant par les deux, flancs des feux d’enfilade. Elle passe, invulnérable, à l’allure du trot, au milieu des défenses. Elle arrache les réseaux et va écraser les mitrailleuses sur place.

A huit heures quarante, au centre du front d’attaque, les tanks entraient dans Flers, suivis par les troupes. A dix heures, celles-ci attaquaient la sortie Nord du village ; à midi, elles occupaient les tranchées allemandes établies au-delà. Plus à droite, au Nord-Est de Ginchy, elles conquéraient le plateau 154 et arrivaient au contact de la forte ligne Morval-Les Bœufs-Gueudecourt. Plus à gauche, au contraire, elles enlevaient enfin le bois des Foureaux. La principale défense de ce bois était, à son angle oriental, un large cratère de mine, organisé en forteresse. D’autre part, le bois culmine à sa lisière Nord. Les Allemands pouvaient donc, du Nord et de l’Est, le balayer de feux de mitrailleuses. Les troupes britanniques prirent le parti de l’envelopper à gauche et à droite, en se frayant un chemin à travers les trous d’obus et les petits élémens de tranchées qui parsemaient la plaine. Les tanks attaquèrent le fort de la corne Est. Une fois le bois enveloppé, le nettoyage commença par le bas. Sir Douglas Haig pouvait dès lors, comme il l’avait prévu, étendre l’attaque sur la gauche de ce front, et aborder Courcelette et Martinpuich. Ces deux villages furent emportés avant la fin du jour.

A Martinpuich, derrière les premières tranchées allemandes, d’autres tranchées, combinées avec des trous d’obus organisés, formaient un réseau inextricable. Les tanks y passèrent sans difficulté. Un commandant de bataillon, terrifié, se rendit au monstre lui-même et fut ramené comme passager. L’infanterie ainsi précédée arriva sans peine au village ; mais l’ennemi avait organisé les ruines, qui ne furent emportées qu’après un combat acharné. A Courcelette, les Allemands avaient eux-mêmes attaqué deux heures avant l’attaque anglaise, et ils avaient pénétré dans les lignes de nos alliés, où ils se trouvèrent débordés par l’assaut, tués ou pris. Devant le village il y avait deux tranchées très fortes, où deux vagues anglaises se brisèrent. La troisième les emporta et arriva aux lisières à six heures du soir. La prise du village n’était pas prévue pour ce jour-là ; mais les hommes demandèrent à l’attaquer, et, à huit heures du soir, Courcelette était pris.

Enfin, le 18, à l’extrême droite, un ouvrage nommé le Quadrilatère, établi sur la route de Ginchy à Morval et qui interdisait l’avance vers ce dernier village, cédait à son tour.

Le combat du 15 septembre, donnant à l’armée britannique trois villages et un progrès de 2 kilomètres sur un front de 10, réalise le plus grand progrès qui ait été fait en un seul jour dans tout le cours de la bataille. Il donna à lui seul 4 000 prisonniers, dont 127 officiers.

Ainsi la 6e armée française, au centre de la ligne de bataille, avait attaqué le 12 ; la 4e armée britannique, à sa gauche, avait attaqué le 15 ; la 10e armée française, formant l’aile droite du dispositif, attaqua à son tour le 17. Nous avons vu qu’elle formait autour des positions allemandes, de Berny à Chaulnes, une équerre qui les enveloppait. Les Français enlevèrent par leur aile droite Vermandovillers, village qui jusqu’ici était partagé entre les deux adversaires ; par leur aile gauche, ils enlevèrent Berny. Ils se rendaient ainsi maîtres de deux têtes de vallon importantes qui descendent à l’Est et au Sud-Est, tandis qu’ils cernaient le plateau intermédiaire.

Le 20, l’ennemi monta une grande contre-attaque sur le saillant que la 6e armée faisait à la suite de ses progrès du 12 et du 13. Ce saillant avait trois faces : l’une à gauche, regardant le Nord-Est, de Combles à Rancourt ; la seconde au centre, regardant au Sud-Est, de Bouchavesnes à la Somme par la cote 76. Depuis le 13, l’ennemi avait porté ses efforts sur la face droite, par où il pouvait espérer, de grands résultats, et couper le saillant aux racines. N’obtenant rien, il attaqua le 20 sur le centre du saillant, où l’œuvre était plus facile. En effet, tandis que les Français, sur cette ligne avancée, n’avaient pas de flanquement, les Allemands pouvaient les tirer du Nord (bois de Saint-Pierre-Vaast) et du Sud (mont Saint-Quentin), en même temps qu’ils les attaquaient de l’Est. Cette disposition concentrique des feux ennemis était encore favorisée par la disposition des hauteurs. En effet, les positions allemandes formaient autour des Français un véritable demi-cercle de collines dominantes. L’ennemi mit en ligne deux divisions : la 21e, adroite (Nord), de Rancourt à Bouchavesnes ; la 25e, à gauche, de Bouchavesnes à la ferme du bois Labé. La 21e division avait deux régimens accolés, ayant chacun deux bataillons en première ligne, en place depuis le 16. Le troisième régiment était en réserve à 10 kilomètres en arrière, à Hurlu. La 25e division avait ses trois régimens accolés, mais sur un front plus étroit ; le 117e n’avait qu’un bataillon en ligne, qui avait pris place dans les tranchées de départ pendant la nuit du 18 au 19 ; le 116e avait deux bataillons en ligne, dont un arriva aux tranchées de départ dans la nuit du 19 au 20 ; le 115e ne prit pas part à l’attaque ; il resta sur la défensive, avec un bataillon en première ligne et deux en réserve.

L’assaut échoua. A la gauche française, dans le secteur de la ferme le Priez, l’ennemi se massait hors des vues, derrière une crête, dont la ferme, tenue par les Français, occupe le revers Sud. Quatre vagues d’assaut, lancées de là, se firent hacher et refluèrent derrière la crête d’où elles étaient parties. Au centre, sur Bouchavesnes, l’ennemi, qui attaquait depuis neuf heures du matin, put prendre pied, vers une heure de l’après-midi, dans les pans de murs, restes des maisons de la lisière Nord-Est. Il en fut rejeté à la baïonnette. L’ennemi ne fit point appel à ses bataillons disponibles. Il ne porta en avant qu’un bataillon du 37e régiment, faisant partie de la réserve du XVIIIe corps, et qui vint de Hurlu étayer la 21e division. Il est vraisemblable qu’il ne voulut pas engager ses dernières forces. Cette hypothèse semble confirmée par ce fait que, le 24, les bataillons qui avaient combattu le 20 n’étaient pas encore relevés.

Or, le lendemain 25, la ligne alliée s’ébranlait de nouveau sur une étendue comprenant toute la droite britannique, de Martinpuich au ravin de Combles, et la gauche française du ravin de Combles à la Somme, soit 18 kilomètres de front. L’objectif des troupes britanniques était d’enlever l’éperon au Nord de Fiers et les trois villages Gueudecourt, les Bœufs et Morval, formant une ligne de défense devant laquelle on était arrivé le 15 à distance d’assaut. A la fin de la journée, tous les objectifs étaient atteints, sauf à Gueudecourt, où l’on se trouvait en présence de la quatrième position de l’ennemi, et qui ne fut pris que le lendemain.

Les troupes françaises avaient pour premier objectif Rancourt et Frégicourt, formant la première ligne de défense allemande. En arrière de ces deux villages, une seconde ligne était constituée à contre-pente depuis la corne Ouest du bois de Saint-Pierre-Vaast jusqu’à l’Ouest de Morval par le bois de la Haie. Cette ligne s’appelait dans sa partie droite (Ouest) tranchée de Prilep, dans sa partie gauche (Est) tranchée des Portes de fer. L’ennemi avait en ligne, entre Combles et Rancourt, la 213e et la 214e division ; plus loin, entre Rancourt et l’Est de Bouchavesnes, les deux divisions du XVIIIe corps, la 21e et la 25e, que nous avons vues combattre le 20, étaient encore en ligne, la 21e étant en pleine relève ; enfin plus au Sud de la route Péronne-Bapaume à la Somme, le front était tenu par la 212e division et un régiment de la 28e.

Le 25 au matin, d’après un récit officiel, la 42e division, commandée par le général Deville, et qui formait le centre de l’attaque se jeta sur Rancourt, et en enleva les trois quarts d’un élan. A gauche, la division Fontclare arriva jusqu’aux abords de Frégicourt ; mais elle ne put aborder le hameau, flanqué du Nord par les feux de Morval. A droite, une autre division fut moins heureuse et se trouva arrêtée par des mitrailleuses et des tirailleurs essaimes dans des trous d’obus et dans des emplacemens abandonnés de batteries, sur les pentes qui descendent vers le bois de Saint-Pierre-Vaast. Le 26, les Anglais ayant enlevé Morval dans la nuit, la division Fontclare enlevait à son tour Frégicourt et poussait jusqu’au bois de la Haie ; la division Deville débouchait de Rancourt, et atteignait la corne Nord-Ouest du bois de Saint-Pierre-Vaast.

La prise de Morval par l’armée britannique et celle de la ligne Frégicourt-Rancourt par l’armée française réalisaient l’enveloppement de Combles, où les Alliés entrèrent à la fois le 26 septembre, les Anglais par le Nord, les Français par le Sud. Les Allemands, sentant le péril, avaient donné dans la nuit l’ordre d’évacuer ce bourg. Cependant une compagnie qui occupait la lisière Sud reçut l’ordre de retraite trop tard. Elle vint successivement se heurter aux Français sur le chemin de Frégicourt, aux Anglais sur le chemin Morval, rentra dans Combles et y fut prise.

La prise de Combles détermina sir Douglas Haig à reporter maintenant les opérations à sa gauche, et lui fit juger que le temps était venu pour l’armée Gough d’emporter le plateau de Thiepval, c’est-à-dire le puissant système formé par ce village, la ferme du Mouquet et les trois grandes redoutes Zollern, Stuffet Schwaben. L’assaut fut donné le 26, avant que l’ennemi ait eu le temps de se remettre du coup reçu à l’autre aile le 25. A la droite, la ferme du Mouquet et la redoute Zollern, située en arrière, furent enlevées. A la gauche, le village de Thiepval fut pris le 27. Restaient, sur la partie Nord du plateau, les deux fortes redoutes Schwaben à gauche (route Thiepval-Grandcourt) et Stuff, à droite. Dès le 27, la tranchée qui les reliait était emportée ainsi que les faces Sud et Ouest de la redoute Stuff et la face Sud de la redoute Schwaben ; mais l’ennemi se cramponna à ses défenses sur les pentes Nord du plateau qui descendent vers l’Ancre.

Cette double victoire aux ailes, en amenant les armées britanniques par leur gauche au Nord de Courcelette et par leur droite au-delà de Gueudecourt, obligea le centre allemand à se replier à son tour sur la ligne de Sars-Eaucourt-l’Abbaye. Le 27, nos alliés purent se porter en avant dans ce secteur sur une profondeur de 500 à 600 mètres sans rencontrer de résistance sérieuse. Le 29 septembre, la ferme Destremont, position avancée devant le Sars, était prise, et ce village était enlevé le 7 octobre ; Eaucourt-l’Abbaye avait été emporté le 3. Dans cette même journée du 7, la droite britannique avait également progressé, enlevé les tranchées ennemies sur un front de 2 kilomètres, et pris pied sur le dernier éperon qui masque le Transloy.

La journée du 26 donnait aux Alliés deux avantages importans : d’une part, la position de Combles, qui s’intercalait entre la droite britannique et la gauche française, se trouvait prise, et rien ne gênait plus la liaison des armées alliées ; — d’autre part, la position de Thiepval, incrustée dans le flanc gauche des armées britanniques, ayant sauté, celles-ci se trouvaient libres de leurs mouvemens, comme un organisme débarrassé d’un kyste.

Considérons maintenant ce grand faîte de partage entre la Somme et les eaux belges, ce faite où, au début de septembre, les Anglais étaient seulement établis par leur centre. Au début d’octobre, les Allemands en étaient entièrement chassés à l’exception des dernières pentes Nord du plateau de Thiepval, d’où ils ne seront expulsés que par le combat du 13 novembre sur l’Ancre, — et à l’exception sur la droite, devant les Français, des positions de Sailly-Saillisel, qui ne furent prises par les Français qu’au milieu d’octobre.


X

Quelles ont été les conséquences de la bataille de la Somme de 1916 ? Au point de vue tactique, il faut distinguer le secteur au Nord et le secteur au Sud de la Somme. Dans le secteur Nord, les combats de juillet à octobre ont donné aux Alliés la totalité du grand faîte de partage qui était l’objectif indiqué par le rapport de sir Douglas Haig. Du haut de ce faîte, ils sont descendus à gauche vers l’Ancre ; à droite, ils n’ont pas réussi à menacer directement la Tortille ; mais dans l’espace de trois kilomètres environ de Bapaume, forteresse naturelle dont ils ont atteint le glacis, l’ennemi gardait la contrescarpe, le fossé et le noyau.

Cette situation resterait très forte, si les troupes britanniques devant l’Ancre n’avaient été en mesure de tourner cette défense en la prenant à revers par la rive Nord. C’est ce qui est arrivé le 15 novembre, où, sur cette rive, nos alliés ont fait tomber la forte position de Beaumont-Hamel. Dès lors, le système Ancre-Bapaume-Tortille, découvert sur sa droite, devenait vulnérable, et l’ennemi se décidait à l’évacuer en février 1917.

Au Sud de la Somme, les Français, comme nous l’avons vu, tournaient dans une sorte de manège fermé, limité par cette rivière, où, partis d’un front face à l’Est, ils étaient arrivés à faire un front face au Sud-Est entre Biaches et Chaulnes. Si limité que fût le terrain, ce progrès suffisait à donner aux Allemands qui tenaient la ligne Roye-Noyon des inquiétudes pour leur flanc droit. Ils l’ont assez montré en évacuant ultérieurement cette ligne.

Mais il ne faut pas considérer seulement les résultats d’ordre tactique. Quelles ont été les pertes allemandes sur la Somme ? — Les trophées britanniques, du 1er juillet au 18 novembre 1916, sont : 38 000 prisonniers, dont plus de 800 officiers, 29 canons lourds, 96 canons et obusiers de campagne, 136 mortiers de tranchée, et 514 mitrailleuses.

Les pertes allemandes sont calculées d’après les listes publiées par l’ennemi lui-même : du 1er juillet au 15 septembre, il a engagé 600 bataillons ; 517 seulement figurent sur ces listes ; de plus, le nombre des blessés, que l’expérience fixe à 4 pour 1 mort, y est certainement trop faible ; enfin les hommes morts de maladie ne figurent pas.

Prenons cependant pour base le nombre des morts avoués. Du 1er juillet au 15 septembre, l’ennemi avoue 85 521 tués ou disparus, et 13 921 prisonniers. Le chiffre vrai des prisonniers est de 55 800, soit 41 879 de plus que l’ennemi n’en avoue. Ces 41 879 doivent être comptés sur les 85 521 tués ou disparus. Restent donc 43 642 morts authentiques.

Ce nombre de morts, multiplié par quatre, donne le nombre des blessés ; soit 174 568. Le total des morts (43 642), blessés (174 568) et prisonniers (55 000) donne le chiffre des pertes figurant aux listes ennemies, soit 274 010 hommes, pour 517 bataillons. Extrapolons pour avoir le chiffre des pertes dès 600 bataillons, réellement engagés, soit environ un sixième en plus, ou 319 680 hommes.

Voilà les pertes avouées jusqu’à la mi-septembre. Depuis lors, d’autres listes ont étendu nos connaissances jusqu’à la fin du mois. Sur le front britannique 330 bataillons engagés une fois ont perdu 45 pour 100 de leur effectif, soit 140 722 hommes ; 14 divisions engagées également une fois ont perdu 50 pour 100 ; 4 divisions engagées deux fois ont perdu plus de 60 pour 100 ; 34 bataillons, au mois de décembre, n’avaient pas encore publié leurs pertes. Sur le front français, 326 bataillons ont perdu 45 pour 100, soit 139 388 hommes ; 10 divisions engagées une fois ont perdu 50 pour 100 ; 3 divisions engagées deux fois ont perdu plus de 60 pour 100 ; 39 bataillons en décembre n’avaient pas publié leurs pertes.

Ces chiffres avoués sont déjà effrayans. Ils font pour les trois premiers mois 330 000 hommes. Certaines unités ont été presque anéanties. En trois semaines, du 20 août au 7 septembre, la 18e division a perdu 8 443 hommes ; en un mois, du 6 septembre au 1er octobre, la 11e division a perdu 8 498 hommes. En deux séjours, le 26e régiment (7e division) a presque perdu la totalité de son effectif, 2 975 hommes. En extrapolant des trois premiers mois aux deux derniers, on arrive, au 1er décembre, à une perte avouée de 550 000 hommes. En portant le chiffre des blessés à la proportion de 4 pour 1 mort, on est amené à l’augmenter de 140 000. On arrive donc à une perte totale sur la Somme, du 1er juillet au 1er décembre, de 700 000 hommes, sans compter les morts de maladie et les tués non avoués, dont le chiffre est hypothétique.

A la fin de son rapport, sir Douglas Haig indique ses conclusions. Il avait assigné trois buts à la bataille de la Somme : dégager Verdun, fixer l’ennemi sur le front occidental, et user sa force vive. Selon le commandant anglais, ces trois buts ont été atteints. En ce qui concerne Verdun, le fait n’est pas contestable. La fixation de l’ennemi sur le front occidental est également manifeste. « Le transfert des troupes d’Occident en Orient, qui avait commencé après l’offensive russe en juin, n’a duré que peu de temps après le commencement de l’offensive de la Somme. Par la suite, l’ennemi n’a renvoyé sur le front oriental, à une exception près, que des divisions épuisées par la bataille, et qui étaient toujours remplacées par des divisions fraîches. En novembre, le nombre des divisions ennemies sur le front occidental était plus considérable qu’en juillet, malgré l’abandon de l’offensive sur Verdun. » Enfin, en ce qui concerne l’affaiblissement de la force vive de l’ennemi, on ne peut douter « que ses pertes en hommes et en matériel aient été beaucoup plus considérables que celles des Alliés, tandis que la balance de l’avantage moral penche encore plus de notre côté. » Les quatre cinquièmes des divisions allemandes du front occidental ont été l’une après l’autre engagées sur la Somme, plusieurs deux fois, quelques-unes trois fois. Beaucoup ont très bien combattu, même dansées dernières affaires, « mais la résistance d’un nombre plus grand encore est devenue à la fin décidément plus faible qu’elle n’était dans les premières phases de la bataille. » Il y a donc détérioration certaine de la force de résistance de l’ennemi. — Chacun des trois buts, dit sir Douglas Haig, suffirait à justifier la bataille de la Somme. Qu’ils aient été atteints tous les trois, « c’est une noble compensation pour les splendides efforts de nos troupes et pour les sacrifices faits par nous, et par nos Alliés. »

« La puissance de l’ennemi, dit-il en terminant, n’a pas encore été brisée, et il n’est pas encore possible d’estimer combien de temps la guerre durera avant que les objectifs pour lesquels les Alliés combattent soient atteints. Mais la bataille de la Somme a mis hors de doute que les Alliés fussent capables d’atteindre ces objectifs. L’armée allemande est le pilier de la défense des Puissances centrales, et une bonne moitié de cette armée, malgré l’avantage de la défensive appuyée sur les ouvrages les plus forts, a été battue sur la Somme cette année. Ni les vainqueurs, ni les vaincus ne l’oublieront, et, quoique le mauvais temps ait donné du répit à l’ennemi, il y a certainement dans ses rangs des milliers d’hommes qui commencent la nouvelle campagne avec peu de confiance dans leur capacité, soit de résister à nos assauts, soit de surmonter notre défense. »

Telle est la conclusion du commandant des forces britanniques. Le Bulletin des Armées, d’autre part, publiait le 27 septembre un récit des opérations du 1er juillet au 17 septembre, et il arrivait à la même conclusion. Il constatait l’ampleur du résultat tactique : 180 kilomètres de terrain conquis, soit 10 kilomètres de plus que les Allemands n’en avaient réellement conquis en six mois devant Verdun. Les seules armées françaises avaient fait 30 000 prisonniers non blessés. Mais il ne faut pas juger la bataille au terrain enlevé. L’objectif véritable n’est pas reportable sur la carte. C’est la destruction des forces vives de l’ennemi. Or, du 1er juillet au 17 septembre, les Allemands avaient « engagé dans la bataille de la Somme 67 divisions nouvelles et 17 bataillons, dont 34 divisions sur le front anglais et 33 divisions, plus 17 bataillons sur le front français, ce qui fait 310 bataillons contre les Anglais et 312 contre nous. » C’est la moitié des forces allemandes en France, qui sortaient de la lutte diminuées physiquement et moralement. Et la première bataille de la Somme a été ainsi un progrès de plus vers cette rupture définitive d’équilibre qui s’appelle la victoire.


HENRY BIDOU.

  1. Voyez la Revue du 15 avril.