Les Causes de la révolution/Retour du Parlement

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La situation du roy, était alors vraiment à plaindre, il avait fait tous les sacrifices qui étaient en son pouvoir, il avait offert à ses sujets un plan de gouvernement, où la liberté individuelle et publique étaient respéctées, il avait adouci les loix criminelles, affranchi les protestans de loix gènantes, parlait d’abolir la corvée, la taille, la gabelle, et de reculer les barrieres jusqu’aux frontieres ; cependant il voyait les provinces se soulever, les factieux s’éfforcer de noircir son caractere, en le peignant sous les couleurs les plus odieuses, et les parlemens se refuser à toutes ces demandes.

On ne saurait nier toutes-fois, que la principale source des maux de la France, ne vienne de son caractere irrésolu et facile, qui le portait à abandonner ses projets, après la moindre opposition, avec la même promptitude qu’il les avait adoptés.

Les ministres aussi, qui avaient sa confiance, et qu’il n’avait choisi cependant, que d’après la voix du public, ne servirent pas peu, par leurs manieres hautaines, à lui faire des ennemis, et ensuite par leurs intrigues secrétes à amener cette révolution, dont quelques uns ont été les chefs.

La plupart des pairs, refuserent de sieger dans la cour pleniere, il n’y avait pas d’alternative, il fut obligé d’y renoncer. Le malheur était, qu’ayant été annoncé avec trop de hauteur, le roy ne pouvait revenir sur ses pas, sans avilir son autorité et courir le risque de trop exalter la tête du parlement. Ce corps fut bientôt rappelé, mais malheureusement il ne se comporta pas, après sn retour dans la capitale, avec la modération que les gens bien intentionés, auraient desiré trouver, dans ces magistrats chéris. Son premier acte après son rapell, fut d’ordonner que tous les édits, qui avaient rapport à sa suspension, seraient brulés publiquement par la main du Boureau, donnant ainsi l’éxemple de la turbulence à la populace, dont l’éffervéscence n’était déja que trop grande.

La convocation des états généraux, semblait alors indispensable à tous les partis : pour s’y préparer, la cour crut devoir encore assembler les notables, afin de savoir de quelle maniere cela devait se faire.

Il semble, qu’on eut tres bien pu suivre le modéle des anciens états généraux, mais Necker avait à coeur, d’établir sa double représentation du tiers, et surtout ce qu’il appellait l’amalgame des différens ordres de l’état, c’est à dire, leur réunion dans une seule chambre, et les voix prises par tête et non par ordre comme autrefois : en un mot franchement et simplement, d’établir sur le vaste empire de la France, le maussade et ridicule gouvernement de la pétandiere dans laquelle il était né ; et ainsi de nous favoriser tous les ans d’une révolution de seringues, comme sa chere Genève * .... idée sublime en vérité, et malheureusement trop commune, de la Laponie à la Nigritie, à presque tous les hommes peu instruits, qui pensent que la plus grande faveur, que Dieu put faire à leur voisins, serait de leur donner la forme de gouvernement établi dans leur pays, aussi bien que leurs manieres, leur religion, leur climats, et même leur couleur.


(*) Dans une des querelles perpétuelles, entre le sénat et les habitans de Genève, le peuple fit mettre bas les armes, au régiment que le sénat avait à ses ordres, en leur envoyant de l’eau bouilante par la figure avec des seringues et des pompes, et ainsi opéré une révolution de l’aristocrate au démocrate ; presque tous les ans, les mécontens trouvent le moyen, de changer leur gouvernement, et comme les révolutions ne sont pas très sanglantes, les prises d’armes, comme on les appelle, sont un sujet de diversion pour les habitans, qui les occupe et les tient en haleine.


Les notables cependant, se declarerent d’une autre opinion, et recommanderent l’assemblée de 1614 comme le modéle sur lequel, la convocation des présents états généraux devait se faire, que les trois ordres devaient délibérer dans des chambres séparées, ainsi qu’il avait toujours été l’usage, et être à peu près du même nombre, les uns que les autres.

Les notables en donnant cet avis, ne firent que suivre, celui que le parlement avait donné quelque tems avant : mais ce corps n’était plus l’idole du peuple, les ésprits étaient trop enflammés pour s’arrêter à des idées modérées, tous les services qu’il avait rendus, étaient oubliés et ceux de leurs membres, que n’a gueres, le peuple regardait comme des héros, n’étaient plus à ses yeux, que de vils instrumens d’aristocratie.

Un ésprit général de liberté, où plutôt de licence, s’était répandu de toutes part : la tolérance, la pilosophie moderne, étaient hautement préchées et préconisées : les Abbés, les petits maitres, les valets, les femmes, les filles, les poissardes, tout le monde raisonnait, se croyait philosophe, et non seulement prétendant au droit de publier ses rêveries, mais encore à celui d’employer toute espéce de moyens pour les mettre à éxécution.

Nos peres, n’étaient qu’une foule idiots qui ne connaissaient pas les droits de l’homme, et dont tous les établissemens n’étaient qu’un amas confus de sottise et de ridicule, que l’on disait urgent, non seulement de réparer, mais même de renverser de fond en comble ! que faire, disait-on, d’une vieille maison, qui tombe en ruines de tous cotés et dont toutes les fournitures ne sont plus de mode. On ne se donnait même pas la peine de penser, qu’il était à propos de conserver un pavillon pour se loger, dans l’intervalle de la batisse et du démolissement, afin de pouvoir être à couvert en attendant la perféction du nouveau batiment.

Chacun ne s’occupait que de ces idées chimeriques et plaçait le bonheur complet de la nation dans leur accomplissement ; on parlait beaucoup de tolérance, cependant on ne voyait pas d’un oeil tres tolérant, ceux qui trouvaient que la religion, les loix telles qu’elles, le gouvernement et même les distinctions établies dans la société, devaient être réspéctés : qu’en un mot, nos peres n’étaient pas tout à fait des fous, qu’ils avaient souvent raisonnés fort juste et avaient fait des établissemens tres utilles.

On leur reprochait avec ironie, d’avoir des idées gothiques, dont il était à propos de se défaire, et quelques fois même on leur faisait sentir, qu’en cas qu’ils fussent opiniatres, on saurait bien trouver le moyen, de leur faire entendre raison.

Les plaintes et les murmures du public de Paris, à cette époque, et surtout celles des avocats, des procureurs, et des médecins, qui ont toujours été plus violentes, et qui sont à présent nos souverains seigneurs, ne pouvaient ils pas, avoir quelques rapports à cette petite fable.


Les Anes et Jupiter


Des anes à jupin, criaient à pleine tête,
    Que des Bourdons la race malhonête,
        Sans travailler, mangeait le miel,
        Des laborieuses abeilles.
        Le bon jupin, du haut du ciel
    Entendant braire, ouvrit ses deux oreilles
        Et bientôt leur fit demander
        Ce qu’ils avaient à clabauder.
Ah sire, dirent-ils, voyez quelle insolence !
Ne sauriez vous chatier l’orgueil de ces bourdons ;
Faut il que le miel, soit à leur convenance,
Et que l’abeille, encore, endure leurs hauts tons !
― Que vous importe, ― ont ils pris vos chardons !
        Les ruches ne sont point de plainte,
Ce n’est que rarement, que les plus gros frêlons
Les volent ; les petits, des abeilles ont crainte
Et ne s’y frottent guère ! ayez pitié de nous,
Dirent les péccatas, ils en avallent tous.
Je crois, se dit jupin, que ces anes sont fous :

        Eh bien, dit il, que voulez vous
    Que pour vous plaire, il faille que je fasse !
        Ah sire, accordez nous la grace
D’en pouvoir prendre aussi .... lors faisant la grimace
Le bon jupin leur dit, messieurs les bourriquets
        Je vous entends, je vous connais,
Des grands seigneurs frêlons, vous braissez l’injustice
Et si vous le pouviez, vous en feriez autant,
        Cependant (soit dit sans malice)
    Votre appétit, du leur est différent. (*)

Ces messieurs ont depuis prouvé évidemment que leur appétit, était bien autre chose, que ce qu’ils reprochaient aux ordres privilégiés, ils ont tout dévorés, et ne paraissent pas plus rassasiés qu’ils ne l’étaient alors.


J’ai publié cette petite fable, en 1789 à Paris, dans une plaisanterie qui m’amusait alors.


Il est aisé de concevoir, que l’ésprit du public, se trouvant dans de telles dispositions, il devait regarder avec un souverain mépris, toutes résolutions tendantes à conserver un ancien ordre de chose.

Loin d’être satisfait de la répartition égale des impôts, les novateurs ne visaient à rien d’autre, qu’à la destruction entière de toutes espéces de privilèges quelconques ; les éfforts tardifs que le parlement fit alors, pour tacher de calmer l’éffervéscence qu’il avait lui même éxcité, ne servirent plus qu’à lui attirer la haine de ce même public, qui peu de tems avant, l’avait idolatré.

Les notables à leur dissolution, laisserent le ministere aussi embarrassé, qu’il l’avait été à celle des premiers, qui comme ceux-cy n’avaient rien décidé, qui put favoriser ses plans, et n’avaient servi, qu’à augmenter l’effervéscence populaire, en excitant l’attention du public.

Quelques jours avant leur dissolution, le prince de Conti, declara dans un comité général, et devant Monsieur, " que sa conscience, sa naissance et l’état présent des affaires, l’obligeait de représenter, que la monarchie était attaquée, par la diffusion de principes scandaleux, qui avaient éxcité le trouble par tout le royaume. Qu’il était nécessaire, pour la sureté du thrône, des loix et de toute espéce d’ordre, de suprimer pour jamais, tout nouveau sistême : que les freres du roy, devaient engager sa majésté, à ouvrir les yeux, sur les dangers de toutes innovations, et à conserver la constitution du royaume, avec ses anciennes formes. "

Cette note fut remise au roy, qui répondit, " Que le sujet qu’elle contenait, était entièrement étranger à celui qui avait fait assembler les notables, et qu’il leur défendait de s’en occuper : que quand, les princes de son sang avaient, quelque chose à lui communiquer, ils devaient s’adresser directement à lui. "

Deux jours après, tous les princes du sang, à l’éxception de Monsieur, et du Duc d’Orléans *, présenterent un mémoire au roy, renforçant les représentations du prince de Conti ; " L’état, dirent ils, est dans un danger éminent, la fermentation des ésprits, conduira à une révolution dans les principes du gouvernement ; les institutions que l’on a regardé jusqu’à présent, comme sacrées et par lesquelles la monarchie a fleurie si longtemps, passent pour injustes, et sont traitées avec mépris ! Le style des mémoires des différentes corporations des villes, et même des provinces, annoncent un sistême régulier d’insurrection, et un mépris marqué pour les lois de l’état. Les opinions les plus monstrueuses et les plus condamnables, passent pour justes et raisonables. Qui pourra, ajoutaient ils, mettre des bornes à cette licence ! Les droits du thrône ont déja été disputés : ceux des deux premiers ordres, sont au moment d’être suprimés : dans peu les droits sacrés de propriété seront envahis et la distribution inégalle des richesses, sera considérée comme une maniere de réforme."


Monsieur et le Duc d’Orléans, se trouvaient alors unis, pour des motifs bien différents ; le premier, pour ne pas déplaire à son frere, qu’il savait avoir pris son parti, et l second, parce qu’il prévoyait que ce nouvel ordre de chose, était tres favorable à ses vues criminelles.


Les princes, en faisant ces représentations, (qui semblerent éxagérées dans le tems,) étaient loin de croire qu’avant peu, tout ce qu’ils annonçaient, serait mis à exécution et que même on en serait réduit, à regarder comme désirable que la fureur des parts, n’en n’eut pas fait d’avantage.

Les éléments semblaient combinés avec les novateurs, pour augmenter à un plus haut point encore, l’animosité et la rage populaire ; un orage terrible ravagea deux provinces et detruisit par la grêle, tous les fruits de la terre ! I’hyver rigoureux de 1788, vint mettre le comble à la misere et à la fureur du peuple, elle n’aurait cependant, certainement pas du ètre tournée contre la noblesse, dont un grand nombre répandit des sommes considérables, pour le soulagement de la classe indigente, non seulement de ses vassaux, mais encore plus particulierement, des habitans de Paris.

Le Duc d’Orleans, cherchant toujours à s’acquérir la popularité, fit allumer des feux à ses frais, dans tous les carrefours près de son palais ; les papiers parlaient avec emphase de sa générosité, et rapportaient les sommes, qu’il avait envoyé aux differents curés des paroisses, pour le maintien des pauvres.

Il est, sùr qu’on leur en avait parlé, mais il est fort douteux, s’ils toucherent rien de ce qu’on leur avait offert : je crois vraisemblable, que le futur citoyen Egalité, acquit dans cette occasion, l’avantage d’une réputation de générosité et de charité, sans cependant vuider ses coffres : petite manoeuvre, dont bien d’autre riches ont souvent fait usage, dans tous les pays du monde.

Necker avait toujours la faveur publique, à peine osait on exprimer une opinion contre lui ; sa fille Mde. de Staal publia une lettre sur l’Émile de Rousseau, qu’elle eut la modestie de dater au temple de la vertu, chez le premier restaurateur de France ; elle lui fit, à la fin de son ouvrage, un compliment emphâtique, dans lequel elle ne faillit pas grande cérémonie pour déclarer, que le plus grand présent, que le ciel dans sa bonté, eut jamais fait aux hommes, était le sage qu’il lui était permis d’appeller son père. La postérité pourra-t-elle croire, que l’opinion publique était tellement montée, que ces éxpressions ridicules, trouverent fort peu de censeurs, et que ceux qui se permirent d’en rire, furent regardés comme des gens singuliers, qui n’avaient point d’amour pour leur patrie.

Le roy dont le coeur éxcéllent, n’a jamais pu lui permettre, de croire de mauvaises qualités, à ceux qui l’entouraient, accordait à ce favori du peuple la confiance la plus entiere ; il s’en remit à lui, pour la forme dans laquelle les états généraux devaient être assemblés, et Necker se décida absolument, et tout seul, contre l’opinion de l’assemblée des notables.

Le 24 Janvier 1789, le roy envoya des lettres circulaires pour les convoquer le 27 d’Avril à Versailles : il éxpliqua en peu de mots, que les besoins de l’état, éxigeaient qu’il rassemblat ses fidelles sujets autour de sa personne, afin qu’ils pussent lui faciliter les moyens de surmonter les difficultés, dans lesquelles il se trouvait enveloppé.

Tous ceux de nos rois, qui avaient assemblé les états généraux, craignant avec raison, l’ésprit turbulent de la capitale, avaient eu grand soin de les en éloigner. La nécéssité d’une telle précaution est si évidente, que l’on a de la peine à concevoir, comment le ministere put déterminer Louis XVI à les assembler à Versailles.

Il y eut aussi un édit, pour encourager les hommes de lettres et les scavans, à donner leurs opinions, sur la maniere dont états généraux, devaient être assemblés. Un tel encouragement, fut suivi d’autant de disquisisions, de recherches pédantiques et d’impertinences philosophiques, qu’il y avait de sottise et de folie à le demander. Les traits de bêtise que le ministere, fit alors pleuvoir à grands flots sur nos têtes, quelque ridicules qu’ils puissent paraitre à présent, que j’en fais l’observation, ont cependant beaucoup aidé à la révolution.

Le ministre d’un roi, qui demande avis à tout le monde, sur la maniere de gouverner, ne semble-t-il pas déclarer, qu’il ne sait comme il faut s’y prendre, et engager le peuple à se gouverner lui même ! Ne serait ce pas la, ce que voulait le Génevois, qui donnait ces conseils.

Necker, donna lui même l’éxemple et publia un mémoire, qu’il présentat au roy, afin d’assurer son projet favori de la double représentation du tiers, du succès de laquelle, il se rendit personnellement responsable.

Le roy, qui avait reçu son ministre du peuple, dans l’éspêrance de rétablir la tranquillité publique, et la sienne propre, ne crut pas prudent de l’hazarder, en contre-carrant ses desseins. Il publia un édit, tracé où dicté par lui, qui accordait au tiers la double représentation ; malheureusement il ne décida point la quéstion de l’unité des chambres, c’est à dire, si les voix seraient prises par tête, où par ordre.

La noblesse cependant, dans beaucoup de province s’était assemblée et avait forméllement déclarée, ne vouloir prendre part aux déliberations des états généraux, que suivant l’ancienne coutume et la constitution du royaume, c’est à dire dans des chambres séparées : en Bretagne particulierement, elle se montra plus déterminée que par tout ailleurs ; lorsque les lettres circulaires du Duc de Penthievre gouverneur de la province, eurent été reçues par les gentils-hommes: ils s’assemblerent dans les différentes villes, et déclarèrent, qu’ils ne consentiraient à députer aux états généraux de la France, que lorsque ceux, particuliers à la province, auraient été eux mêmes assemblés, afin qu’ils pussent choisir leur représentans, suivant l’ancienne constitution de la province, et du royaume.

D’après les scênes, qui avaient eu lieu, aux derniers états, le ministere pouvait fort bien craindre, que de plus violentes encore ne se passassent. Il ne voulut point consentir à leur demande, et ordonna aux trois ordres de s’assembler, dans trois villes différentes ; le tiers, ne fit pas la moindre difficulté et choisit ses représentans, parmi les têtes, qui s’étaient montrées les plus éxaltées.

Le clergé et la noblesse persisterent dans leur refus, et la noblesse entre-autres, declara que prévoyant les maux qui allaient accabler la France, et n’étant pas dans son pouvoir de les empêcher, elle se croyait heureure, de n’y point participer par sa présence.

Quoique cette détermination courageuse de la noblesse de Bretagne, de ne point consentir à aucune infraction de la constitution de leur province, où de celle du royaume, leur fasse beaucoup d’honneur ; il est sûr aussi, que les états généraux, furent ainsi privés de quarante membres, qui auraient pu être d’autant plus utiles, qu’ils étaient accoutumés à la discussion d’affaires politiques dans leur province, et peutêtre eussent arrêtés des décrets désastreux par leur nombre .... mais que dis-je, combien la noblesse de Bretagne, n’a-t-elle pas de raison, de se glorifier de n’avoir pas pris part à cette scêne d’horreur ! N’est il pas, plus que probable, que si les factieux, eussent vu le nombre de leurs opposants, à peu près égal au leur, cela n’eut servi qu’a faire courir de plus grands dangers aux partisans de la monarchie, par la faveur populaire dont les démagogues jouissaient et qu’ils l’eussent également emporté.

Le tiers des principales villes de Bretagne était persuadé, que les gentils-hommes, retracteraient le serment qu’ils avaient fait, de ne point députer aux états généraux, que suivant l’ancienne forme. Deux où trois jours après leur départ de Nantes, pour se rendre à l’endroit indiqué, on fabriqua dans quelques boutiques de marchande de mode, des rubans et des bonnets d’une certaine maniere, que l’on appella des rubans au parjure et des bonnets aux faux sermens, dont leurs dames se parerent.

La plaisanterie était un peu forte, et se trouva déstituée de fondement, car ils ne députerent point. Comme les gentils-hommes avaient signés, et fait signer à leurs enfants, le serment de ne point se départir de la constitution du royaume et de la province : à leur exemple, le tiers ouvrit aussi des bureaux, où l’on recevait des signatures, au bas d’un serment, de faire tamis les éfforts possibles, pour acquérir la liberté bienfaisante dont la France jouit à présent.

En consequence des ordres donnés par le roy, dans ses lettres circulaires, la plupart des députés, furent rendus à Versailles le 27 Avril : mais par une fatalité singuliere, let députés de Paris, n’étant pas encore élus, le roy jugea à propos, de suspendre l’ouverture des états généraux jusqu’au 4 de May. Dans ce court espace, les partis eurent le tems de se rallier sous leur différents chefs, et furent bientôt distingués par les dénominations, d’aristocrates, de modérés, et de démocrates.

Le premier, était composé des royalistes, qui voulaient conserver l’ancienne constitution du royaume, sans aucune altération dans ses principes, quoique désirant la réforme des abus.

Le second, ne voulait point continuer la distinction des trois ordres, et s’était mis dans la tête, des idées alambiquées d’un gouvernement parfait, beaucoup plus propre à une nation d’anges, qu’à une d’hommes, assez grand pécheurs.

Il faut pourtant avouer, que Messrs. les modérés croyaient voir le bien public, dans leur rêveries philosophiques.

Le dernier, dirigé par Mirabeau, que son ordre avait rejetté avec mepris *, comprenait les ésprits les plus violens, et les plus turbulens du tiers et quelques membres pourris de la noblesse et du clergé ; il masquait l’ambition, l’orgueil, l’intérêt et la jalousie qui le dominait, sous les mots trop souvent abusés, d’amour de la patrie, d’égalité, de justice, et de soulagement du peuple. Comme quand il eut enfin détruit toutes les loix et les établissemens qui avaient si long-temps fait l’honneur de la France, il parla d’humanité et du respect du aux propriétés en faisant bruler les chateaux et massacrer les propriétaires, que pour comble d’horreur, il accusait d’avoir payes les brigands qui les égorgeaient.


Mirabeau, après s’être déshonoré par ses vices et la turpitude de sa vie, se présenta à Aix en Provence, pour être élu par l’ordre de la noblesse, dont il était membre ; malgré ses grands talens, sa conduite le fit refuser tout d’une voix, et même renvoyer de l’assemblée ; anime alors par la vengeance et le désir de paraitre, qui était son premier mobile il fit la cour aux ésprits inquiets et turbulens du tiers, déclara qu’il n’était point gentilhomme, se munit d’une petite boutique sur la grande place d’Aix et se fit voir au comptoir vendant différentes choses…. il fut élu membre du tiers.


Lors du changement du ministere, il avait été permi au Duc d’Orleans de quitter son éxil ; il vint, sans paraitre à la cour, s’établir dans son palais, qui depuis longtemps était le centre des factieux et dont alors il protégeait encore davantage le rassemblement.

Aigri par le mépris, dans lequel la cour le tenait, et par ce dernier éxil, il ne fut pas difficile aux factieux, de l’engager à suivre toutes leur démarches en ajoutant aux mouvemens odieux qui l’agitaient, une ambition fatalle, dont le succés le metterait à même, de satisfaire les passions brutalles, qui remplissaient son ame.

Les novateurs en le méttant à leur tete, étaient aussi bien convaincu de sa nullité, que le reste des Français, mais apparement comptaient profiter de sa présomption pour user de ses trésors, ainsi qu’ils ont fait, résolus peutêtre, à le jetter de côté, et à s’en defaire feraient épuisés, ainsi qu’ils l’ont fait encore.

Dans l’intervalle de la premiere assemblée, à l’ouverture des états généraux ; la populace de Paris montra de quel ésprit de fureur elle était animée, et ce qu’on devait attendre des principes de morale, de tolérance et de philosophie, qu’on lui avait prêché depuis longtemps. Réveillon, grand manufacturier de papier dans le Fauxbourg St. Antoine, ayant déplu à les ouvriers nombreux, par la réprimande qu’il leur fit sur leur turbulence, dans une assemblée primaire dont il était président. Ils resolurent sa destruction ! pour mettre le peuple de leur côté, ils firent courir le bruit, qu’il était à la tête d’un certain nombre de manufacturiers, qui avaient résolus de diminuer la solde des ouvriers, et des artizans à Paris.

La populace comença à témoigner sa rage, en le brulant en éffigie avec plusieurs autres ; la police ayant envoyé contre elle, un détachement de troupe, trop foible pour la tenir en ordre, cela ne servit qu’à augmenter son audace ; le lendemain elle s’attroupa, pilla, et démolit la maison Réveillon.

On y envoya dabord, un fort détachement des gardes Françaises, qui à leur arrivée devant la maison, ne parurent pas disposés, à faire cesser le tumulte et mime refuserent de faire feu : ils furent bientôt joints, par un des gardes Suisses, en qui la populace n’avait pas la même confiance, et qui furent accueillis à coup de pierre et de tuiles ; ils souffrirent ces insultes pendant quelques temps, avec beaucoup de patience, mais enfin leur inaction, ne faisant qu’augmenter la fureur du peuple, on se détermina à repousser la force par la force ; les gardes Suisses aussi bien que les gardes Françaises, tirerent alors sur la populace, et tuerent un tres grand nombre, le reste s’échappa par la fuite.

Beaucoup de gens pretendirent dans le tems, que ce tumulte n’était point accidentel, les démocrates le reprocheront à la cour, et les royalistes en accuserent les démagogues.

Il est impossible à présent, de plus avoir de doute sur le véritable auteur de cette sédition. On fait, que ce furent les agens du Duc d’Orléans, qui payerent et ameuterent la populace dans cette occasion ; il paraît que son intention était de connaitre, les efforts que l’on pouvait attendre d’elle, et si les troupes étaient aussi bien disposées qu’on le désirait, afin d’achever de les corrompre, si cela paraissait nécéssaire.

Quoique les gardes Françaises, eussent refusés de faire feu dans le commencement, qu’on eut même été obligé de casser à leur tête, un des sergens qui les commandaient, ils avaient cependant finis par obéir ; cette disposition ne paraissant pas encore assez favorables aux vues du prince ; ses agens surent si bien les travailler sous main, que deux mois après ils furent tout autant à leurs ordres, qu’ils purent le désirer.

Le jour marqué, pour l’ouverture des états généraux arriva enfin. Elle se fit avec toute la pompe imaginable : le roy et la reine, assis sur un thrône, étaient entourés des princes du sang, à l’éxception du Duc d’Orleans, qui affecta de préférer le siége qu’il avait dans l’assemblée, comme député de son bailliage, à celui auquel sa naissance le méttait en droit de prétendre.

Les herauts d’armes, ayant proclamé l’ouverture des états généraux, le roy prononça un discours paternel, dans lequel après s’étre réjoui, de se trouver au milieu de ses sujets fidelles, dans une assemblée, dont ses prédécésseurs avaient négligés d’entourer leur personnes ; il expliqua les besoins de l’état, exprima les souhaits les plus ardens, pour que l’union put prévaloir dans l’assemblée, et que cette époque fut à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité de la France ! " C’est le souhait de mon cœur, dit il, le désir le plus ardent de mes prières, en un mot, la récompense que j’attends, pour la sincérité de mes intentions, et l’amour que j’ai pour mon peuple. Il donna aussi à entendre, que l’ésprit public était en fermentation, qu’un trop grand désir d’innovation s’en était emparé, mais, ajoutait il, les états généraux, n’écouteront " d’autres eonseils, que ceux dictés par la sagesse et la prudence, et leur déliberation, répondront pour les vrais sentimens d’une nation généreuse, dont l’amour pour son roy, a toujours été le trait le plus marqué."

Le garde des Sceaux, Mr. de Barentin, expliqua alors plus en détail, les intentions du roy, quoique dans un discours tres abrégé, parla beaucoup d’une monarchie modérée égallement éloignée du despotime et de l’anarchie républicaine, mais ne dit mot concernant la maniere, dont les délibérations feraient prises.

Necker fuivit, et débita un long etallage d’éxpressions verbeuses et déclamatoires, mélés comme à son ordinaire, d’apostrophes sentimentales ; son grand et rare mérite aussi, ne fut point oublié, ni sa vertu, &c. &c.

Il évita avec soin, de parler d’aucune matiere politique, et dans l’allusion qu’il fit, pour la question éssentielle des chambres féparées où réunies, il fut encore plus ambigu qu’il l’avait jamais été. il en dit assez, pour déplaire au tiers, qui en attendait une décision précise en sa faveur, et pour être accusé par les autres ordres, d’avoir décidé une question dont il ne lui appartenait pas de se mêler, de son authorité privée En un mot, il fut tout aussi innintelligible à son audience, que ses livres le sont, à ses lécteurs de bonne foi.

C’est une chose réélement incompréhensible, avec la fermentation qui reignait alors, de voir le ministere assez frappé d’aveuglement, pour ne pas faire user au roi, l’authorité qu’il possédait encore ; en suivant à peu près la forme de procéder dans les anciens états généraux, sa volonté aurait, été obéie : c’eut été une révolte ouverte, pour aucun des ordres de l’état, de ne pas s’y soumettre.

Mais le citoyen Necker, avait sa chere Genève devant les yeux, et n’osant se declarer trop ouvertement, contre l’ancienne constitution du royaume : après avoir éxcité la fermentation du public à ce sujet, il laissa la chose sans la décider, bien persuadé que ceux à qui elle était si avaatageuse, par la double représentation qu’il leur avait fait avoir, ne manqueraient pas de se prévaloir de la popularité dont ils jouissaient et de leur force. Effectivement dès la premiere séance, le tiers envoya un méssage à la noblesse et au clergé, pour se joindre à lui, afin de vérifier leur pouvoir en commun.

La noblesse ayant considérée cette offre, comme une manœuvre pour décider la question des trois chambres, s’y refusa ; alors les chefs du tiers, l'engagerent à declarer, qu’aucuns pouvoirs ne pouvaient être vérifiés que dans leur chambre, et en leur présence : que jusqu’au moment où la noblesse et le clergé ne se fussent soumis à cette forme, ils ne devaient pas être regardés comme légalement assemblés, mais comme des individus isolés, incapables d’agir au nom de leur constituans, pendant qu’eux seuls, formeraient les états généraux.

On peut regarder cette déclaration, comme le vrai commencement de la révolution ; par elle les factieux, s’assuraient le pouvoir entier des trois ordres, ils empêchaient le clergé et la noblesse de regagner la popularité qu’ils avaient perdus, par l’abandon résolu de leur priviléges pécuniaires ; ils les obligeaient, même avant de faire aucun acte quelconque, de se soumettre au joug qui leur était préparé, en abandonnant des droits et des priviléges, dont ils avaient joui longtemps avant, qu’on eut pensé à admettre le tiers dans les états généraux.

La chambre du tiers état, fut dés le commencement remplie de gens de toutes éspéces, qui se mêlant avec les députés faisaient un bruit, et occasionaient un désordre qu’on n’aurait pas soufferts à la comédie ; l’ambition des factieux, était de plaire à cette multitude ignorante qui les entourait, et qu’ils flattaient d’une maniere indécente ; c’était en quelques façon ce ramassis, qui dictait les décrèts, que les députés proposaient, où plutôt, les modernes Licurgue, lui faisait connaitre les sujets dont elle devait se plaindre, afin d’avoir un prétexte pour faire les loix en conséquence.

La plus grande partie des membres du bas clergé, étant entièrement disposé à joindre le parti populaire, convint de nommer des commissaires, pour s’aboucher avec ceux de la noblesse et du tiers, au sujet de la vérification des pouvoirs. Mais les gentils-hommes, rejéttant tout ce qui pouvait avoir l’air de céder ce point principal, procéderent à leur vérification particuliere, et se déclarerent légallement constitué ; quoique cette démarche fut entierement conforme à l’ancien usage, elle fut reçu avec la plus grande indignation par les communes qui firent quelques motions violentes contre la noblesse.

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