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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXXXII

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Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXXXII.


Comment le roi d’Angleterre fit aviser par ses maréchaux la place où il ordonneroit ses batailles.


Bien étoit informé le roi d’Angleterre que son adversaire le roi de France le suivoit à tout son grand effort, et avoit grand désir de combattre à lui, si comme il apparoît ; car il l’avoit vîtement poursuivi jusques bien près du passage de Blanche-Tache, et étoit retourné jusques à Abbeville : si dit adonc le roi d’Angleterre à ses gens : « Prenons ci place de terre, car je n’irai plus avant, si aurai vu nos ennemis ; et bien y a cause que je les attende, car je suis sur le droit héritage de madame ma mère, qui lui fut donné en mariage ; si le veux défendre et calenger contre mon adversaire Philippe de Valois. »

Ses gens obéirent tous à son intention et n’allèrent adonc plus avant. Si se logea le roi en pleins champs, et toutes ses gens aussi ; et pour ce qu’il savoit bien qu’il n’avoit pas tant de gens, de la huitième partie, que le roi de France avoit, et si vouloit attendre l’aventure et la fortune et combattre, il avoit mestier que il entendît à ses besognes. Si fit aviser et regarder par ses deux maréchaux, le comte de Warvich et messire Godefroy de Harecourt, et messire Regnault de Cobehen avec eux, vaillant chevalier durement, le lieu et la place où ils ordonneroient leurs batailles. Les dessus dits chevauchèrent autour des champs et imaginèrent et considérèrent bien le pays et leur avantage : si firent le roi traire celle part et toutes manières de gens ; et avoient envoyé leurs coureurs courir par devers Abbeville, pour ce qu’ils savoient bien que le roi de France y étoit et passeroit là la Somme, à savoir si ce venredi ils se trairoient sur les champs et istroient d’Abbeville. Ils rapportèrent qu’il n’en étoit nul apparant.

Adonc donna le roi congé à toutes ses gens d’eux traire à leurs logis pour ce jour, et lendemain bien matin, au son des trompettes, être tous appareillés, ainsi que pour tantôt combattre en la dite place. Si se trait chacun, à cette ordonnance, en son logis, et entendirent à mettre à point et refourbir leurs armures. Or parlerons-nous un petit du roi Philippe qui étoit le jeudi au soir venu en Abbeville.