Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXV

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Livre I. — Partie I. [1326]

CHAPITRE XXV.


Comment la roine d’Angleterre fut honorablement reçue à Londres, et comment les compagnons messire Jean de Hainaut s’en retournèrent en leur pays.


Après cette justice faite, si comme vous avez ouï, la roine et tous les seigneurs, et grand’foison des communes du pays, se mirent au chemin vers Londres ; et firent tant par leurs petites journées qu’ils y vinrent à grand’compagnie ; et issirent contre la roine et son ains-né fils, qui devoit être leur droit sire, communément tous ceux de Londres, grands et petits ; et leur firent grand’fête et grand’révérence, et à toute leur compagnie aussi ; et donnèrent ceux de Londres grands dons à la dite roine et à ceux de sa suite où il leur sembloit mieux employé. Quand ils furent ainsi reçus et si grandement fêtés comme dit est, et ils eurent là séjourné environ quinze jours, les compagnons qui passés étoient avec monseigneur Jean de Hainaut eurent grand talent de retourner chacun en sa contrée, car il leur sembloit qu’ils avoient bien fait la besogne et acquis grand honneur, si comme ils avoient. Si prirent congé à madame la roine et aux seigneurs du pays. Madame la roine et les seigneurs leur prièrent assez de demeurer encore un petit de temps, pour voir qu’on voudroit faire du roi, qui en prison étoit ainsi que ouï avez, mais ils avoient si grand désir de retourner chacun en sa maison que prière n’y valut rien.

Quand la roine et son conseil virent ce, ils prièrent de rechef à monseigneur Jean de Hainaut qu’il voulût encore demeurer jusques après Noël, et qu’il détînt ses compagnons avec lui le plus qu’il en pourroit détenir. Le gentil chevalier ne voulut mie laisser à parfaire son service, et octroya courtoisement le demeurer jusques à la volonté de madame la roine : si détint de ses compagnons ce qu’il en put détenir ; mais petit fut, car les autres ne voulurent aucunement demeurer, dont il fut moult courroucé. Toutefois, quand la roine et son conseil virent que ses compagnons ne vouloient demeurer pour nulle prière, ils leur firent toute l’honneur et la révérence qu’ils purent ; et leur fit la roine donner grand argent pour leurs frais et pour leur service, et grands joyaux, et chacun selon son état, si grandement que tous s’en tinrent pour contents ; et avec ce, elle leur fit rendre l’estimation de leurs chevaux qu’ils voulurent laisser, si haut que chacun vouloit estimer les siens, sans dire ni trop ni peu et sans débat ; et tous furent payés en deniers appareillés. Si demeura le dit monseigneur Jean de Hainaut à la prière de la roine, à petite compagnie de ses gens, entre les Anglois qui lui faisoient toujours toute l’honneur et compagnie qu’ils pouvoient. Aussi faisoient les dames du pays dont il y ayoit grand’foison, comtesses et autres grands et gentils dames et pucelles, qui venues étoient accompagner madame la roine et venoient de jour en jour ; car il leur sembloit que le gentil chevalier l’eût bien desservi, comme il avoit.