Les Chroniques de la Canongate (Montémont)/Les Deux Bouviers

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 2p. 164-194).


LES DEUX BOUVIERS.




m. c. annonce une deuxième histoire.


Ils paraissaient ensemble sur la plaine découverte. Aussitôt que l’aurore entr’ouvrait sa paupière, tous deux conduisaient leurs bœufs aux champs.
Milton. Élégie sur Lycidas.


Je me suis quelquefois demandé avec surprise pourquoi les occupations favorites et les passe-temps de l’espèce humaine tendent toujours à troubler cet heureux état de calme, cet otium, comme l’appelle Horace, cette tranquillité qu’il dit être l’objet des vœux de tous les humains, soit qu’ils naviguent sur l’Océan, soit qu’ils n’aient point quitté la terre ferme. Je m’étonne que cet état de repos auquel nous tenons tant, lorsque le devoir ou la nécessité nous forcent à l’abandonner, soit précisément ce que nous brûlons d’échanger contre un état d’agitation continuelle, dès que nous sommes libres d’en jouir tout à notre aise. En un mot, il suffit de dire à un homme : « Reste en repos », pour qu’à l’instant il soit en proie à un ardent amour pour le travail. Le chasseur se fatigue autant que son garde-chasse ; le maître de la meute prend autant d’exercice que son piqueur, et l’homme d’état, ou le politique, accomplit un travail plus dur et plus pénible que l’homme de loi. Et, pour en venir à ma propre affaire, celui qui se fait volontairement auteur se soumet au risque d’encourir une critique amère, et à la certitude d’un travail intellectuel et physique tout aussi opiniâtre que celui de son pauvre confrère forcé par la nécessité de prendre la plume.

Ces réflexions m’avaient été suggérées par l’annonce que m’avait faite Janet que le petit Gillie Pied-Blanc venait d’arriver de l’imprimerie.

« Vous devriez plutôt l’appeler Gillie Pied-Noir, Janet, lui répondis-je : car, ce n’est ni plus ni moins qu’un enfant du diable[1], venu pour me tourmenter afin d’avoir de la copie ; car c’est ainsi qu’ils appellent les feuilles manuscrites qu’on leur donne à imprimer.

— Ah ! que Dieu pardonne à Votre Honneur ! dit Janet ; car ce n’est pas agir selon votre coutume que de donner de tels noms à un enfant orphelin.

— Je n’ai rien autre chose à lui donner, Janet, il faut qu’il attende un peu.

— Eh bien, moi j’ai quelque chose à lui donner pour son déjeuner ; et il pourra attendre au coin du feu, dans la cuisine, jusqu’à ce que Votre Honneur soit prêt : et je crois qu’à ce prix il ne sera pas fâché d’attendre, s’il le faut, toute la journée.

— Mais Janet, » dis-je à mon active surintendante lorsqu’elle rentra dans le salon, après avoir rempli ce devoir hospitalier, « je commence à trouver ce travail d’écrire nos Chroniques plus fatigant que je ne m’y attendais ; car ce petit drôle vient ici pour me demander de la copie, c’est-à-dire, quelque chose à imprimer, et je n’ai rien à lui donner.

— Votre Honneur ne doit pas être embarrassé pour le faire : je vous ai vu écrire assez vite pour en être convaincu. Vous avez tout le pays des montagnes pour sujet, et je suis sûre que vous savez cent histoires meilleures que celle de Hamish Mac Tavish car, à tout prendre, il ne s’agit dans cette histoire que d’un jeune cateran et d’une vieille folle ; et si l’on avait brûlé cette méchante femme comme sorcière, le charbon n’eût pas été perdu. Forcer son mauvais sujet de fils à tirer sur un gentilhomme, sur un Cameron ! Je suis moi-même cousine au troisième degré des Camerons, et mon sang parle pour eux. Et si vous voulez écrire sur les déserteurs, à coup sûr il y en a eu assez sur le sommet d’Arthur’s-Seat, le jour de l’affaire des Mac-Kaas, et de cette autre journée funeste près de Leith-Pier, Ohonari ! »

Ici Janet fondit en larmes et essuya ses yeux avec son tablier. Quant à moi, le sujet dont j’avais besoin venait de se présenter à moi, mais j’hésitais encore à en faire usage. Il en est des sujets comme du temps, ils s’usent à force de servir. Il ne convient qu’à un âne comme le juge Shallow de faire main basse sur les airs que sifflent les charretiers, et d’essayer de les faire passer pour les productions de son génie. Le pays des montagnes, qui offrait autrefois une mine abondante en anecdotes neuves et originales, est maintenant, ainsi que me le disait mistress Baliol à peu près épuisé par les fouilles continuelles des romanciers modernes, qui, trouvant dans ces régions lointaines des habitudes et des mœurs primitives, se sont ridiculement imaginé que le public ne peut jamais s’en passer. Aussi trouve-t-on sur les tablettes d’un cabinet littéraire autant de montagnards en jaquette que dans un bal calédonien. On aurait pu, il y a quelques années, tirer un excellent parti de l’histoire d’un régiment montagnard et de la révolution singulière qui ne pouvait manquer de s’opérer dans l’esprit de ceux qui le composaient, lorsqu’ils abandonnaient leurs montagnes pour les champs de bataille du continent, et leurs simples et indolentes habitudes pour les manœuvres régulières qu’exige la discipline. Mais cette mine a été exploitée d’avance. Mistress Grant de Laggan a décrit les mœurs, les coutumes et les superstitions des montagnes dans leur simple état de nature ; et mon ami le général Stewart de Garth, en écrivant l’histoire réelle des régiments montagnards, a rendu extrêmement téméraire et hasardeuse toute tentative pour en tracer une esquisse avec le pinceau de l’imagination. Et cependant, moi aussi j’éprouve le désir d’ajouter une pierre au vieux tombeau. Sans avoir recours à la faculté poétique pour colorer des impressions et des souvenirs de jeunesse, je puis essayer de tracer deux scènes propres à faire connaître le caractère montagnard. Ces scènes appartiennent particulièrement aux Chroniques de la Canongate, puisqu’elles sont aussi connues des vieilles têtes grises qui habitent ce quartier que de Chrystal Croftangry lui-même. Pourtant je ne remonterai pas au temps des clans et des claymores. Vous aurez donc, aimable lecteur, l’histoire de Deux Bouviers. Puisqu’une huître peut être traversée dans ses amours, dit l’aimable Tilburina[2] un bouvier peut bien être sensible au point d’honneur, dit le chroniqueur de la Canongate.







CHAPITRE PREMIER.

le présage.


Mon récit commence le lendemain de la foire de Doune. Le marché avait été animé ; plusieurs marchands y étaient venus des comtés situés dans le centre et dans le nord de l’Angleterre, et l’argent anglais y avait roulé rondement, au point que les fermiers des montagnes en avaient le cœur tout réjoui. De nombreux troupeaux étaient sur le point de partir pour l’Angleterre, soit sous la garde de leurs maîtres, soit sous celle des bouviers, à qui les premiers confiaient, sous leur responsabilité, l’emploi ennuyeux et pénible d’emmener les bestiaux du marché où ils avaient été achetés et leur faire parcourir un espace de plusieurs centaines de milles, jusqu’aux champs ou jusqu’aux fermes où ils devaient être engraissés pour les boucheries.

Les montagnards surtout excellent dans ce métier difficile de conducteur de troupeaux, qui semble leur convenir aussi bien que le métier de la guerre. Il leur offre l’occasion d’exercer toutes leurs habitudes d’une patience à toute épreuve, et d’une activité toujours renaissante. Il faut qu’ils connaissent parfaitement les routes situées dans les parties les plus sauvages du pays, et qu’ils évitent, autant que possible, les grands chemins, qui fatiguent les pieds des bœufs, et les barrières dont le péage tourmente celui qui les guide. Sur l’herbe, au contraire, ou dans les plaines marécageuses, les troupeaux non-seulement marchent à l’aise et à l’abri des taxes, mais encore, s’ils y sont disposés, ils peuvent prendre, chemin faisant, un à compte sur leur nourriture. La nuit, les bouviers dorment ordinairement à côté de leurs troupeaux, quelque temps qu’il fasse, et la plupart de ces hommes endurcis aux fatigues ne reposent pas une seule fois sous un toit pendant un voyage à pied du Lochaber au Lincolnshire. Ils reçoivent un gros salaire ; car la tâche qu’on leur confie est d’une grande importance, puisqu’il dépend de leur prudence, de leur vigilance et de leur probité, que leur bétail arrive en bon état au lieu de sa destination, et rapporte du profit au nourrisseur. Mais comme ils s’entretiennent à leurs frais, ils sont d’une économie remarquable. À l’époque dont il est question, la provision d’un bouvier montagnard, pour son long et fatigant voyage, consistait en quelques poignées de gruau, d’avoine, avec deux ou trois oignons, renouvelés de temps en temps, puis une corne de bouc pleine de whisky, dont il faisait usage régulièrement tous les matins et tous les soirs. Son poignard, ou skene-dhu, c’est-à-dire, couteau noir, porté de manière à être caché sous le bras ou par les plis du manteau, était sa seule arme, avec le bâton à l’aide duquel il dirigeait les mouvements du troupeau. Jamais un montagnard n’était plus heureux que dans ces occasions. Il y avait dans un voyage de cette espèce une variété qui plaisait à la curiosité naturelle et à l’amour du mouvement qui distinguent le Celte ; il y trouvait le changement continuel de lieux et de scènes, les aventures, les incidents inséparables de ce métier, et des relations soit avec les fermiers, soit avec les nourrisseurs et les marchands, qui convenaient d’autant plus à Donald[3], qu’elles ne nécessitaient aucune dépense de sa part. Il éprouvait même dans ce métier des sentiments qui flattaient intérieurement son amour-propre, et lui donnaient une haute idée de son habileté ; car le montagnard, qui n’est qu’un enfant parmi des troupeaux de moutons, devient un prince au milieu de ses bœufs, et ses habitudes naturelles lui font mépriser la vie indolente et monotone du berger. Ainsi donc, il ne se sent jamais plus heureux que quand il commande un troupeau de bestiaux de son pays confié à ses soins.

Parmi ceux qui, ce jour-là, quittèrent Doune dans le but dont nous venons de parler, aucun ne mettait sa toque d’un air plus galant, ou n’attachait au-dessous des genoux ses bas de tartan à des jambes d’aussi bonne tournure, que Robin M’Combich, appelé familièrement Robin Oig, c’est-à-dire Robin le jeune, ou le petit. Quoique court de stature, et sans avoir des membres vigoureux, comme l’épithète de Oig l’indique, il était aussi léger et aussi alerte qu’un daim des montagnes. Son pas avait, dans le cours d’une longue marche, une élasticité qui excitait l’envie de plus d’un de ses robustes compagnons ; et la manière dont il ajustait son plaid et plaçait sa toque indiquait la conviction intérieure où il était qu’un aussi galant John Highlandman ne pouvait passer devant de jeunes filles des basses terres sans être remarqué. Ses joues rubicondes, ses lèvres vermeilles, ses dents blanches, faisaient ressortir une physionomie à laquelle l’habitude d’être exposée à l’inconstance des saisons et au grand air avait donné le coloris de la santé et de la vigueur, plutôt que celui de la rudesse. Si Robin Oig ne riait pas, et même ne souriait pas souvent, ce qui n’est guère conforme aux usages de ses compatriotes, ses yeux vifs brillaient, en revanche, sous sa toque, avec une expression de bonne humeur qui paraissait toujours prête à se changer en joie.

Le départ de Robin Oig fut un événement dans la petite ville où il avait, ainsi que dans les environs, un grand nombre d’amis parmi les deux sexes. C’était un personnage marquant dans sa classe ; il faisait des affaires considérables pour son propre compte, et il possédait la confiance des meilleurs fermiers des montagnes, de préférence à tous les bouviers du pays. Il aurait pu donner à ses affaires une plus grande extension s’il avait voulu y associer quelqu’un ; mais, à l’exception de deux jeunes garçons, fils de sa propre sœur, Robin rejetait l’idée de tout auxiliaire, de tout associé, sentant peut-être que sa réputation dépendait de sa persévérance à remplir en personne et dans toutes les occasions, les devoirs de sa profession. Il se contentait donc du haut prix accordé aux gens les plus habiles de son état, et nourrissait secrètement l’espérance de se mettre, par quelques voyages en Angleterre, en état d’entreprendre des affaires pour son propre compte, et d’une manière digne de sa naissance. En effet, le père de Robin Oig, Lachlan M’Crombich, c’est-à-dire fils de mon ami, car son véritable surnom de clan était M’Gregor, avait été ainsi nommé par le célèbre Rob Roy, à cause de l’amitié particulière qui avait subsisté entre le grand-père de Robin et ce fameux cateran. Quelques personnes prétendent même que Robin Oig tirait son nom de baptême d’un homme aussi renommé dans les solitudes sauvages de Lochlomon, que l’avait été Robin Hood dans la joyeuse forêt de Sherwood. « Qui ne serait fier de tels ancêtres ? » dit James Boswell. Robin Oig était donc orgueilleux de son origine ; mais ses fréquents voyages en Angleterre et dans les basses terres lui avaient donné assez de tact pour savoir que des prétentions à cet égard, admissibles dans sa vallée solitaire, pouvaient paraître ridicules et lui devenir nuisibles, s’il cherchait à s’en prévaloir ailleurs. L’orgueil de la naissance était donc pour lui, comme le trésor de l’avare, l’objet secret de sa contemplation, sans qu’il osât en faire étalage aux yeux de l’étranger.

Les félicitations et les heureux souhaits furent prodigués à Robin Oig. Les connaisseurs firent un grand éloge de ses troupeaux, principalement des bêtes à cornes qui étaient la propriété de Robin. Les uns lui tendaient leurs tabatières pour la prise du départ, les autres lui offraient le doch-an-dorroch, ou coup de l’étrier, et tous s’écriaient : « Bon voyage et bon retour ! bonne chance au marché saxon ! De bons billets dans le leabhar-dhu (portefeuille noir), et de l’or anglais plein le sporran ! »

Les jolies filles faisaient leurs adieux plus modestement, et plus d’une, dit-on, aurait donné son plus beau joyau pour être sûre que c’était sur elle que le dernier regard du jeune homme s’était fixé lorsqu’il s’était mis en chemin.

Robin Oig venait de donner le signal du départ : « Hoo, hoo ! » pour presser les traîneurs du troupeau, lorsqu’un cri se fit entendre derrière lui :

« Arrête, Robin ! attends un moment, voici Janet de Tomahourich, la vieille Janet, la sœur de ton père.

— Peste sur la vieille sorcière des montagnes ! » dit un fermier du Carse[4] de Stirling, « elle va jeter un sort sur les bestiaux.

— Elle ne le saurait, » dit un autre de la même profession, » Robin Oig n’est pas homme à laisser un seul de ses bœufs, sans faire à sa queue le nœud de saint Mungo, et cela suffit pour mettre en fuite la plus fameuse sorcière qui ait jamais traversé le Dimayet sur un manche à balai. »

Il ne sera peut-être pas indifférent au lecteur de savoir que le bétail des montagnes d’Écosse est particulièrement sujet à être ensorcelé par des charmes dont les gens prudents et bien avisés se préservent au moyen d’un nœud d’une espèce toute particulière, qu’ils font à la touffe du poil qui termine la queue de l’animal. Mais la vieille femme, objet des soupçons du fermier, ne paraissait s’occuper que de Robin, sans faire attention à son troupeau. Celui-ci, au contraire, semblait excessivement contrarié de sa présence.

« Quelle idée de vieille femme ! lui dit-il, quel motif vous amène de si bonne heure, Mhume[5] ? Je vous ai dit adieu hier au soir et j’ai reçu vos souhaits pour mon voyage.

— Oui, mais tu m’as laissé plus d’argent qu’une vieille femme n’en a besoin, enfant de mon cœur, dit Janet ; néanmoins je me soucierais peu de la nourriture qui m’entretient, du feu qui me réchauffe, et même du soleil bienfaisant du ciel, s’il devait arriver quelque malheur au petit-fils de mon père. Laisse-moi donc faire autour de toi la marche du deasil, afin que tu puisses voyager sain et sauf. »

Robin Oig s’arrêta à moitié riant, à moitié embarrassé, et faisant signe à ceux qui l’entouraient qu’il ne se prêtait au désir de la vieille que pour lui faire plaisir. Alors elle exécuta autour de lui, à pas chancelants, la cérémonie expiatoire qui, d’après l’opinion de quelques-uns, est tirée des rites druidiques. Elle consiste, comme chacun sait, à tourner trois fois autour de la personne qui est l’objet de la cérémonie, ayant soin d’exécuter cette marche mystérieuse selon le cours du soleil. Tout à coup, la vieille s’arrêta et s’écria d’une voix qui exprimait l’horreur et l’effroi : « Petit-fils de mon père, je vois du sang sur votre main !

— Silence, pour l’amour de Dieu, ma tante ! dit Robin Oig, vous attirerez sur votre tête, avec votre taishataragh (seconde vue), des embarras dont vous ne serez pas capable de vous tirer. »

La vieille femme répéta d’un air sombre et égaré : « Il y a du sang sur votre main, et du sang anglais. Le sang de Gaël est plus foncé et plus rouge. Voyons ! voyons ! »

Avant que Robin Oig eût le temps de l’en empêcher, ce qu’il n’aurait pu faire qu’en recourant à sa force, tant les mouvements de la vieille furent prompts et décisifs, elle arracha de la ceinture du jeune homme le poignard caché sous les plis de son plaid, et l’élevant en l’air, elle s’écria, quoique la lame brillât au soleil, claire et sans tache : « Du sang, encore du sang saxon ! Robin Oig M’Combich, je t’en conjure, ne pars pas aujourd’hui pour l’Angleterre !

— Bah, répondit Robin Oig, impossible ! je n’aurais plus qu’à courir le pays. N’êtes-vous pas honteuse, Mhume ? rendez-moi mon poignard. Vous ne sauriez distinguer à la couleur la différence qui existe entre le sang d’un taureau noir et celui d’un taureau blanc, et vous parlez de distinguer le sang d’un Saxon de celui d’un Écossais ! Tous les hommes tirent leur sang d’Adam, Mhume. Donnez-moi mon poignard, vous dis-je, et laissez-moi partir. Sans vous, je serais déjà à moitié chemin du pont de Stirling.

— Non, jamais je ne te le rendrai, dit la vieille femme : ma main ne lâchera pas ton plaid que tu ne m’aies juré de ne plus porter cette arme fatale. »

Les femmes qui entouraient Robin le supplièrent de consentir à ce qu’elle demandait, en disant qu’il devait bien savoir que rarement les paroles de sa tante tombaient à terre ; et comme Robin Oig vit que les fermiers des basses terres commençaient à observer cette scène avec humeur, il résolut d’y mettre fin à quelque prix que ce fût.

« Eh bien donc, dit le jeune bouvier en donnant le fourreau à Hugh Morrison, vous autres habitants des basses terres, vous qui ne faites pas grand cas de ces prophéties, gardez mon poignard. Je ne puis vous le donner, car c’est celui de mon père ; mais vos troupeaux suivent les miens, et je consens avec plaisir à ce qu’il reste entre vos mains plutôt qu’entre les miennes. Cela suffit-il, Mhume ?

— Sans doute, répondit la vieille, c’est-à-dire, si votre ami des basses terres est assez fou pour garder ce poignard.

Le robuste habitant de l’ouest se prit à rire aux éclats.

« Bonne femme, dit-il, je suis Hugh Morrison de Glenae, descendu des Manly Morrison du vieux temps ; et mes braves ancêtres, dans tout le cours de la vie, ne se sont jamais servis d’une telle arme contre un homme. Ils n’en avaient pas besoin ; ils portaient leurs sabres à leurs côtés, et moi je porte cette baguette (il montrait un énorme bâton) pour me défendre, et je laisse le poignard à John le montagnard. Ne secouez pas la tête, habitants des montagnes, ni vous surtout, Robin ; je garderai le poignard, si vous avez peur des contes de la vieille sorcière, et je vous le rendrai quand vous en aurez besoin. »

Robin n’était rien moins que satisfait d’une partie du discours de Hugh Morrison ; mais il avait acquis pendant ses voyages plus de patience qu’il n’est donné à un caractère montagnard d’en avoir, et il accepta l’offre de service du descendant des Manly Morrison, sans paraître offensé de la manière peu flatteuse dont elle était faite.

« S’il n’avait pas eu dans la tête son coup du matin, disait Robin, et s’il avait un peu plus de bon sens qu’un pourceau de Dumfries, il aurait parlé autrement à un gentilhomme ; mais on ne saurait tirer d’un pourceau autre chose qu’un grognement. C’est une honte de voir le couteau de mon père destiné à couper un haggis[6] pour un rustre tel que lui. »

En parlant ainsi, mais en langue gaélique, Robin mit son troupeau en marche, et fit un signe d’adieu à tous ceux qu’il laissait derrière lui. Il était pressé, parce qu’il espérait rejoindre à Falkirk un camarade, un confrère, dans la compagnie duquel il devait voyager.

Cet ami de Robin Oig était un jeune Anglais, nommé Harry Wakefield, bien connu dans tous les marchés du nord, aussi renommé et aussi estimé dans sa classe que notre bouvier montagnard. Il avait près de six pieds de haut, et il était doué de formes vigoureuses, propres à lui faire jouer un rôle distingué dans la lutte de Smithfield et dans les autres combats à coups de poignet bien qu’il eût trouvé ses maîtres parmi les professeurs en titre de l’art de boxer, il était parfaitement capable de mettre hors de combat tout novice rustique comme lui ou tout amateur de seconde force. Il paraissait dans toute sa gloire aux courses de Doncaster, pariant sa guinée, et toujours avec succès ; et il n’y avait pas un combat marquant dans le Yorkshire, où les nourrisseurs de bestiaux sont des personnages célèbres, auquel il n’assistât lorsque ses affaires le lui permettaient. Mais, quoique un peu coureur par caractère, et aimant le plaisir partout où il pouvait le trouver, Harry Wakefield était un homme solide, et le prudent Robin Oig Mac Combich lui-même n’était pas plus attentif aux affaires de commerce.

Ses jours de repos étaient de vrais jours de fête, mais ses jours de travail étaient consacrés avec persévérance aux occupations les plus laborieuses. Par ses manières et son caractère, Wakefield était le modèle des joyeux enfants de la vieille Angleterre, dont les arcs et les longues flèches attestèrent, dans un si grand nombre de batailles, sa supériorité sur les autres nations, et dont les bons sabres sont, de notre temps, sa meilleure et sa plus sûre défense. Il était facile d’exciter sa gaieté : car, d’une constitution robuste, et heureux dans toutes ses entreprises, il était disposé à trouver bien tout ce qu’il voyait ; et les difficultés qu’il pouvait rencontrer de temps à autre étaient, pour un homme de son énergie, plutôt un sujet d’amusement qu’une cause de contrariété. Avec toutes les qualités d’un caractère ardent, notre jeune bouvier anglais n’était pas sans défauts. Il était irascible, quelquefois même querelleur ; et d’autant plus disposé peut-être à soumettre ses disputes à la décision du pugilat, qu’il trouvait peu d’antagonistes capables de lui résister.

Il serait difficile de dire comment Harry Wakefield et Robin Oig devinrent amis intimes ; mais il est certain qu’ils se lièrent étroitement, quoiqu’en apparence ils eussent peu de sujets de conversation, dès qu’il n’était plus question de leurs bœufs. Robin Oig parlait très-mal l’anglais, quand il s’agissait de choses étrangères à ses bêtes à cornes ; et Harry Wakefield n’avait jamais pu accoutumer sa langue, trop habituée à l’accent rude du Yorkshire, à prononcer un seul mot d’écossais. C’est vainement que Robin Oig employa toute une matinée, en traversant le Minch-Moor, à enseigner à son compagnon de voyage à prononcer avec précision le mot Llhu, qui veut dire un veau en langue gaélique. De Traquair à Murder-Cairn, la montagne retentit des accords discordants du Saxon sur le monosyllabe rebelle, et des éclats de rire qui suivaient chaque tentative infructueuse. Ils avaient cependant de meilleurs moyens d’éveiller les échos : car Wakefield savait maintes chansons à la louange de Molly, de Susanne, de Cicely ; et Robin avait un talent tout particulier pour siffler d’interminables pibrochs[7] avec toutes les variations ; et ce qui plaisait encore plus à l’oreille méridionale de son compagnon, c’est qu’il savait la plupart des chansons joyeuses et pathétiques du nord, que Wakefield cherchait à accompagner en sifflant une basse. Ainsi, quoique Robin ne comprît que difficilement les histoires de son compagnon sur les courses de chevaux, les combats de coqs ou les chasses au renard, et quoique les récits du montagnard sur les légendes historiques de son pays, les combats des divers clans, les contes de lutins et de féeries fussent à peu près inintelligibles pour le bouvier du Yorkshire, ils n’en rencontraient pas moins dans la compagnie l’un de l’autre un attrait qui les engagea pendant trois ans à voyager ensemble toutes les fois que leur direction fut la même. Chacun d’eux trouvait son avantage à cela ; car, où l’Anglais aurait-il rencontré un meilleur guide que Robin Oig Mac Combich pour le conduire à travers les montagnes de l’ouest ? Et lorsqu’ils arrivaient à ce que Harry nommait le bon côté de la frontière, sa protection et sa bourse toujours bien garnie étaient au service de son ami le montagnard, et dans bien des circonstances sa générosité fut très-utile à Robin.



CHAPITRE II.

le combat.


Fut-il jamais deux amis si tendres ? Comment purent-ils se désunir ? Voici comment : il lui était bien cher ; il voulait le lui prouver ; et comme il n’avait pas d’autre ami, il résolut de se battre avec lui.
Duc contre Duc.


Les deux amis avaient traversé, avec leur cordialité ordinaire, les gras pâturages de Lidderdale, et laissé derrière eux la partie du Cumberland appelée emphatiquement le Désert. Dans ces régions solitaires, les bestiaux confiés à la garde de nos bouviers pouvaient se nourrir à bon marché en broutant l’herbe le long de leur chemin, et quelquefois en cédant à la tentation séduisante d’envahir d’un saut le pré d’un voisin. Mais maintenant la scène allait changer d’aspect : ils descendaient vers un pays, vers des champs entourés de clôtures, où des libertés de ce genre ne pouvaient être prises impunément et sans quelque arrangement ou quelque marché préalable avec les propriétaires de ces terrains. Il était pourtant nécessaire de prendre quelque mesure de ce genre ; car on était à la veille d’une grande foire de bestiaux, qui devait avoir lieu dans le nord, et où nos deux bouviers espéraient vendre une partie de leurs bœufs, qu’il était nécessaire de conduire au marché reposés et en bon état. On ne pouvait obtenir des pâturages que difficilement et à un prix très-élevé. Cette nécessité occasionna une séparation momentanée entre les deux amis, qui allèrent, chacun de son côté, faire leurs arrangements, et pourvoir aux besoins de leur troupeau comme ils le pouvaient. Malheureusement il arriva que tous deux, à l’insu l’un de l’autre, firent marché pour un terrain appartenant à un gentilhomme campagnard assez riche, dont les terres étaient situées dans le voisinage. Le bouvier anglais s’adressa au bailli du domaine, qu’il connaissait. Il arriva que le gentillâtre du Cumberland, qui avait quelques soupçons sur la probité de son agent, prenait alors des mesures pour s’assurer jusqu’à quel point ils étaient fondés, et avait ordonné que toutes les demandes qu’on ferait relativement à ses terres encloses, dans le but de les occuper temporairement, lui fussent renvoyées. Cependant, comme M. Ireby était parti le jour précédent pour un voyage de quelques milles, dans le nord, le bailli crut devoir considérer la restriction mise à ses pleins pouvoirs comme levée pour le moment, et conclut qu’il ne pouvait mieux entendre les intérêts de son maître, et peut-être les siens, qu’en faisant un arrangement avec Harry Wakefield. Pendant ce temps, Robin Oig, ignorant de son côté ce que ferait son camarade, rencontra par hasard sur la route, un petit homme de bonne mine monté sur un petit poney, dont la queue et les oreilles étaient taillées selon la mode de l’époque. Le cavalier portait des culottes de peau collantes et de longs éperons brillants. Il fit à Robin quelques questions relatives aux marchés et au prix des bestiaux. L’Écossais, reconnaissant en lui un homme poli et de bon sens, prit la liberté de lui demander s’il ne connaissait pas quelques pâturages à louer dans le voisinage, pour entretenir momentanément son troupeau. Il ne pouvait s’adresser à homme mieux disposé. Le gentilhomme à culottes de peau de daim était le propriétaire du terrain pour lequel Harry Wakefield était en train de négocier avec le bailli.

« Tu es fort heureux, mon brave Écossais, dit M. Ireby, de m’avoir rencontré ; je vois que ton troupeau a bien assez de sa journée, et j’ai à ma disposition le seul champ qui soit à louer à trois milles à la ronde.

— Mon troupeau peut très-bien encore faire deux, trois et quatre milles, répondit le prudent montagnard. Mais, ajouta-t-il, que demanderait Votre Honneur par tête de bétail, si je voulais louer le parc pour deux ou trois jours ?

— Nous n’aurons point de difficultés ensemble, Sawney, si tu veux me vendre à un prix raisonnable six de tes bœufs pour les engraisser cet hiver.

— Et lesquels Votre Honneur voudrait-il avoir ?

— Lesquels ? voyons… les deux noirs, le brun qui est là-bas… celui qui a les cornes tordues… puis ces deux… Allons, combien par tête ?

— Ah ! dit Robin, Votre Honneur est un connaisseur, un vrai connaisseur. Je n’aurais pas mieux choisi les six meilleurs, moi qui les connais comme s’ils étaient mes enfants, les pauvres bêtes !

— Eh bien, combien par tête, Sawney ? continua M. Ireby.

— Les prix ont été bien élevés cette fois aux foires de Doune et de Falkirk, » reprit Robin.

La conversation continua ainsi jusqu’à ce qu’ils fussent convenus du juste prix des six bœufs ; le gentilhomme comprenant dans l’arrangement l’usage momentané de son parc pour les bestiaux, et Robin faisant, selon lui, un très-bon marché, pourvu toutefois que l’herbe fût passable. M. Ireby mit son cheval au pas, tant pour montrer le chemin au bouvier et le mettre en possession du parc, que pour apprendre de lui les dernières nouvelles qui s’étaient débitées aux foires du nord.

Arrivés au champ, le pâturage parut excellent ; mais quelle fut leur surprise, quand ils virent le bailli introduisant tranquillement le troupeau de Harry Wakefield dans ces mêmes pâturages, qui venaient d’être loués à celui de Robin Oig par le propriétaire lui-même ! Ireby, donnant un coup d’éperon à son cheval, s’avança vers le bailli, et apprenant ce qui avait eu lieu entre Harry Wakefield et lui, informa, en peu de mots le bouvier anglais que ce terrain lui avait été loué sans son autorisation, et qu’il pouvait chercher du pâturage où bon lui semblerait, attendu qu’il n’y en avait pas là pour lui. En même temps il fit une semonce sévère au bailli pour avoir osé transgresser ses ordres ; il lui enjoignit d’aider à l’instant à faire évacuer les bestiaux affamés et fatigués de Harry Wakefield, qui venaient justement, à leur grande joie, de commencer un repas abondant, et lui donna ordre d’introduire le troupeau de Robin, que le bouvier anglais parut dès ce moment considérer comme un rival.

Les sentiments qui s’élevèrent dans le cœur de Wakefield le poussaient à résister aux ordres de M. Ireby ; mais tout Anglais a une idée assez exacte des lois et de la justice, et le bailli John Fleecebumpkin, reconnaissant qu’il avait outrepassé les limites de son pouvoir, Wakefield sentit qu’il n’avait rien de mieux à faire que de rassembler son troupeau affamé et d’aller chercher à parquer ailleurs. Robin Oig, voyant à regret ce qui était arrivé, s’empressa d’offrir à son ami de partager avec lui le champ disputé. Mais l’orgueil de l’Anglais était trop cruellement blessé pour qu’il acceptât ; il répondit d’un air de dédain : « Prends tout, prends : il ne faut pas faire deux bouchées d’une cerise ; tu sais parler mielleusement aux maîtres, et jeter de la poudre aux yeux des gens simples… Honte sur toi, Robin ! je ne voudrais pas baiser les souliers de qui que ce fût pour avoir la permission de cuire dans son four. »

Robin Oig affligé, mais peu surpris du mécontentement de son camarade, le supplia d’attendre une heure seulement pendant qu’il irait chez le gentillâtre du Cumberland chercher le paiement des bestiaux qu’il avait vendus, lui promettant de revenir sur-le-champ pour l’aider à conduire son troupeau dans quelque endroit où il pût se reposer à l’aise ; et alors, ajoutait-il, il lui expliquerait la méprise dans laquelle ils étaient tombés tous deux. Mais l’Anglais continuant avec indignation : « Tu as donc vendu des bestiaux ? lui dit-il ; oui, oh ! tu es un rusé gaillard, tu as su discerner le moment favorable pour faire un marché. Va-t’en au diable ! jamais je ne veux revoir ton visage de traître et de chenapan ; va-t’en, tu devrais être honteux de me regarder en face.

— Je n’ai honte de regarder personne en face, » dit Robin tant soit peu ému, « et de plus, je vous regarderai en face aujourd’hui même, si vous voulez m’attendre là-bas dans le clachan.

— Peut-être feriez-vous mieux de vous en tenir éloigné, » lui répondit son camarade ; et, tournant brusquement le dos à son ancien ami, il fit marcher devant lui son troupeau qui était peu disposé à lui obéir, tandis que le bailli, qui prenait un intérêt réel ou affecté à Wakefield, le secondait de son mieux.

Après avoir employé quelque temps à marchander avec les fermiers voisins, qui ne pouvaient ou ne voulaient lui accorder un pâturage, Harry, forcé par la nécessité, mit fin à cette affaire en faisant intervenir l’hôte du cabaret où Robin Oig et lui étaient convenus de passer la nuit, lorsqu’ils se séparèrent la première fois. L’hôte consentit à lui laisser établir son bétail dans un marais stérile à un prix à peu près égal à celui que le bailli avait demandé pour l’enclos ; et la mauvaise qualité du pâturage, ainsi que l’argent qu’il lui en coûta, furent regardés par Harry comme autant de circonstances qui aggravaient le manque de foi et d’amitié de son camarade. Le ressentiment de Wakefield fut encore excité par le bailli qui avait ses raisons particulières pour en vouloir au pauvre Robin, cause involontaire de sa disgrâce : le cabaretier et deux ou trois buveurs qui se trouvaient là par hasard, enflammèrent encore la colère du bouvier ; les uns, par suite de l’aversion que leur inspiraient les Écossais, aversion qui, si elle existe encore quelque part, se rencontre principalement sur les frontières ; les autres, par cet amour du mal qui caractérise les humains dans tous les rangs de la société, soit dit sans offenser l’honneur des enfants d’Adam. L’excellent John Barleycorn aussi, qui anime et exalte toujours les passions bonnes ou mauvaises, ne manqua pas de jouer son rôle dans cette occasion, et « Malheur aux amis perfides et aux maîtres durs et inflexibles ! » fut le toast qui fit vider plus d’un pot de bière.

Pendant ce temps, M. Ireby prenait plaisir à retenir le bouvier écossais dans la salle de son vieux manoir. Il fit servir devant lui une tranche de bœuf froid et un pot de bière écumante, et observa d’un air de satisfaction l’excellent appétit avec lequel Robin Oig fêtait ce souper auquel il était peu accoutumé. Le gentilhomme du Cumberland poussa même la condescendance jusqu’à allumer sa pipe et pour accorder sa dignité patricienne avec son goût pour les conversations agriculturales, il crut devoir se promener en long et en large, tandis qu’il causait avec son hôte le bouvier.

« J’ai passé près d’un autre troupeau, dit le gentillâtre, à la tête duquel était un de vos compatriotes. Ses bêtes étaient moins nombreuses que les vôtres : la plupart était sans cornes. Quant à lui, c’était un gros homme ; mais ce n’était pas un de vos gens à jaquette ; il portait décemment une culotte… Savez-vous qui il peut être ?

— Mais oui, je pense que ce peut, que ce doit être Hugh Morrison ; je ne croyais pas qu’il eût déjà fait autant de chemin. Il a gagné un jour sur nous, mais ses bêtes du comté d’Argyle doivent être fatiguées. À quelle distance était-il en arrière ?

— À environ six ou sept milles, répondit le gentillâtre, car je l’ai dépassé à Chrystenbury-Crags, et je vous ai rejoint à Hollan-Bush. Mais si ses bêtes sont fatiguées, peut-être y aurait-il quelque bon marché à faire avec lui.

— Oh ! non. Hugh Morrisson n’est pas un homme à bons marchés ; il vous faut rencontrer pour cela quelque bon montagnard, comme Robin Oig. Mais je vais vous souhaiter une bonne nuit et aller au clachan voir si la mauvaise humeur de Harry Wakefield est passée. »

La compagnie du cabaret était encore réunie et occupée à causer de la prétendue trahison de Robin Oig, lorsque le coupable entra dans la salle. Sa présence, comme il arrive souvent en pareil cas, interrompit un moment la discussion dont il était l’objet, et il fut reçu avec ce silence glacial qui, mieux que mille exclamations, apprend au nouveau venu qu’il est vu avec déplaisir. Surpris et offensé, mais non effrayé de l’accueil qu’il reçut, Robin entra d’un air assuré et même un peu hautain, ne salua personne quand il vit que personne ne le saluait, et se plaça près du feu à quelque distance de la table à laquelle Harry Wakefield, le bailli et deux ou trois autres individus étaient assis. La vaste cuisine, à la mode du Cumberland, aurait fourni assez de place pour rendre les distances encore plus grandes entre les deux amis.

Robin s’étant assis, s’occupa d’allumer sa pipe, et demanda une pinte de bière à deux sous.

« Nous n’avons point de bière à deux sous, » répondit Ralph Heskett le cabaretier ; mais comme tu te fournis toi-même de tabac, tu peux aussi bien te fournir de boisson. C’est, je crois, la coutume de ton pays.

— Fi ! notre homme, » dit l’hôtesse, petite femme vive, enjouée, et qui s’empressa d’apporter de la bière au nouveau venu ; « fi ! tu sais bien ce que cet étranger demande, et ton métier est d’être poli. Tu devrais savoir que si l’Écossais aime les petites mesures, il paie en bon argent. »

Sans faire aucune attention à ce dialogue entre les deux époux le montagnard prit son verre, et, s’adressant à la compagnie en général, il porta ce toast, intéressant pour chacun : « Aux bons marchés !

— Il serait à souhaiter que le vent nous soufflât moins de marchands du nord, et moins de vieilles vaches des montagnes pour dévorer nos pâturages anglais, dit un des fermiers.

— Par l’âme de mon corps ! vous êtes dans l’erreur, mon ami, » répondit Robin avec calme ; » ce sont vos gros Anglais qui dévorent nos bestiaux écossais, pauvres bêtes !

— Je voudrais que quelqu’un dévorât leurs conducteurs, dit un autre ; un Anglais honnête ne peut gagner son pain sans les rencontrer dans son chemin.

— Ni un fidèle serviteur conserver la faveur de son maître, si un Écossais se glisse entre lui et le soleil, ajouta le bailli.

— Si ce sont là des plaisanteries, » reprit Robin Oig avec le même calme, « c’est en amasser trop à la fois sur un même homme.

— Ce ne sont point des plaisanteries, mais des choses sérieuses, reprit le bailli. Écoutez, M. Robin Oig, ou quelque soit votre nom, il est bon que vous sachiez que nous n’avons tous qu’une même opinion, et que cette opinion est que vous, mons Robin Oig, vous vous êtes conduit envers notre ami, M. Harry Wakefield, comme un fourbe et un drôle.

— Sans doute, sans doute, » répondit Robin toujours avec modération, « vous êtes ici un assortiment de juges pour la sagesse et la conduite desquels je ne donnerais pas une prise de tabac. Si M. Harry Wakefield se croit offensé, il sait le moyen de s’en faire rendre raison.

— Il dit vrai, » répondit Wakefield qui jusque-là avait écouté sans rien dire, partagé entre le ressentiment de la conduite de Robin et le souvenir de leur ancienne amitié.

Il se leva alors et alla droit à Robin, qui se leva également de son siège en le voyant approcher, et lui tendit la main.

« C’est bien, Harry : allez, allez, donnez-lui une leçon… ne le ménagez pas ! Tels furent les mots qui retentirent de tous côtés.

— Donnez-moi la paix, et allez au diable ! » s’écria Wakefield ; et s’adressant alors à son camarade, il prit la main qu’il lui tendait avec un mélange d’égards et de défi. « Robin, lui dit-il, tu as mal agi avec moi aujourd’hui ; mais si tu veux, comme un franc garçon, après nous être serré la main, que nous escrimions tous deux sur le gazon, je te pardonnerai, et nous redeviendrons plus amis que jamais.

— Et ne vaudrait-il pas mieux redevenir amis dès à présent sans recourir à ce moyen ? dit Robin. Je pense que nous serons bien meilleurs amis avec nos os intacts qu’avec nos os rompus.

Harry Wakefield laissa retomber la main de son ami, ou plutôt la repoussa loin de lui.

« Je ne croyais pas avoir eu pendant trois ans un lâche pour compagnon.

— Le nom de lâche n’appartient ni à moi ni à aucun des miens, » dit Robin dont les yeux commencèrent à étinceler, mais qui se contint encore. « Ce ne furent ni les jambes ni les mains d’un lâche, Harry Wakefield, qui vous tirèrent du gué de Frew, alors que vous étiez entraîné vers le rocher noir, et que les anguilles de la rivière s’apprêtaient à se régaler de votre corps.

— Et cela est vrai aussi, répondit l’Anglais, interdit à ce souvenir.

« Parbleu ! s’écria le bailli, voilà Harry Wakefield, le plus brave garçon qui se soit jamais montré à Whitson-Tryste, à Woolerfair, à Carlisle-Sands ou à Stagshaw-Bank, qui n’est pas capable de venger une injure ! Voilà ce que c’est que de vivre si long-temps avec des gens à bonnets et à jaquettes, on oublie l’usage de ses poings.

— Je puis vous prouver, maître Fleecebumpkin, que je n’ai pas perdu l’usage des miens, » reprit Wakefield ; et, continuant de s’adresser à Robin : « nous ne pouvons en rester là, dit-il, il faut jouer des mains, ou nous serions la risée de tout le pays. Le diable m’emporte si je te blesse : je mettrai des gants, si tu veux. Allons, avance-toi comme un homme.

— Pour être battu comme un chien, reprit Robin : y a-t-il là quelque raison ? Si vous croyez que je vous ai offensé, que je vous ai fait quelque tort, je suis prêt à aller chez votre juge, bien que je ne connaisse ni lui ni son langage. »

Un cri général s’éleva alors : « Non, non, point de loi ! point de juge ! poings contre poings ? et vous serez amis après.

— Mais, continua Robin, si je dois me battre, je n’ai pas, comme les singes, le talent de le faire avec mes mains et mes ongles.

— Eh bien, comment voulez-vous vous battre, lui demanda son antagoniste, quoique je commence à croire qu’il sera difficile de vous amener là de quelque manière que ce soit ?

— Je veux me battre à l’épée, et baisser la pointe au premier sang répandu, comme un gentilhomme. »

Un bruyant éclat de rire suivit cette proposition qui, dans le fait, avait plutôt échappé au cœur gonflé du pauvre Robin, qu’elle n’avait été dictée par son bon sens.

« Gentilhomme ! pouah ! » répéta-t-on de toutes parts avec des éclats de rires inextinguibles ; « un beau gentilhomme en vérité ! Ralph Heskett, ne peux-tu procurer deux épées à ce gentilhomme ?

— Non, mais je puis envoyer quelqu’un à l’arsenal de Carlisle, et leur prêter deux fourches pour s’exercer en attendant.

— Silence ! dit un autre ; les Écossais viennent au monde coiffés de leur bonnet bleu, et tout armés de leur poignard et de leur pistolet.

— Il vaudrait mieux envoyer en poste, dit M. Fleecebumpkin, chercher le seigneur de Corby Castle, pour servir de second à ce gentilhomme. »

Au milieu de ce torrent de sarcasmes, le montagnard porta sa main par instinct sous les plis de son plaid.

« Non, il vaut mieux que cela ne soit pas, » se disait-il dans son langage des montagnes ; « mais malédiction sur ces pourceaux qui ne connaissent ni convenances ni politesse !

— Faites place, tous tant que vous êtes, » dit-il en s’avançant vers la porte. Mais son ancien ami interposa sa robuste personne pour l’empêcher de sortir de la maison, et Robin Oig ayant essayé de passer par force, il l’étendit sur le plancher aussi facilement qu’un enfant renverse une quille.

« Un cercle, un cercle[8] ! formons un cercle autour d’eux ! » fut le cri général : les poutres enfumées, et les jambons qui étaient suspendus, en frémirent, ainsi que la vaisselle étalée sur le buffet. « Bien, Harry ! bien ! frappez comme il faut ! Prenez garde à lui maintenant ; il voit son sang couler ! »

Tandis que ces cris se faisaient entendre, le montagnard se releva vivement. Toute sa prudence et son sang-froid avaient fait place alors à une rage frénétique. Il s’élança sur son antagoniste avec la fureur, l’activité et la soif de vengeance d’un tigre irrité. Mais que peut la rage contre la science et le sang-froid ? Robin Oig fut renversé de nouveau, et comme le coup fut nécessairement vigoureux, il resta sans mouvement sur le plancher. L’hôtesse accourut offrir son secours, mais M. Fleecebumpkin l’empêcha d’approcher.

« Laissez-le, il se relèvera à temps, et recommencera le combat ; il n’a pas encore gagné la moitié de sa part.

— Il a cependant gagné tout ce que je veux lui donner, reprit son adversaire, dont le cœur commençait à revenir vers son ancien camarade ; j’aimerais bien mieux vous en faire autant à vous-même, monsieur Fleecebumpkin, à vous qui prétendez vous y connaître. Robin n’a pas même eu l’art de se déshabiller avant de commencer le combat ; il a combattu avec son plaid. Relève-toi, Robin, mon garçon, soyons amis maintenant ; et que j’entende quelqu’un dire un seul mot contre toi ou contre ton pays ! »

Robin Oig était encore sous l’influence de la colère, et il aurait volontiers renouvelé le combat ; mais retenu d’un côté par la bonne dame Heskett, et, de l’autre, convaincu que Wakefield n’était plus disposé à jouer des mains, sa fureur fit place à un silence sombre et menaçant.

« Tiens, viens, ne prends pas cela tant à cœur, ami, » dit le brave Anglais avec l’humeur sans rancune de son pays ; « donne-moi la main, et soyons plus amis que jamais !

— Amis ! » s’écria Robin avec emphase, « amis ! jamais ! maintenant, Harry Wakefield, veille sur toi !

— Eh bien donc ! que la malédiction de Cromwell tombe sur ton orgueilleuse tête d’Écossais, répondit Harry ; fais ce que tu voudras, et va-t’en au diable ! car que peut dire de plus un homme à un autre après le combat, si ce n’est qu’il est fâché d’en être venu là ? »

Ainsi se séparèrent les deux amis. Robin, après avoir jeté une pièce d’argent sur la table, sortit du cabaret ; mais avant de s’éloigner, il montra le poing à Wakefield, leva son doigt en l’air avec une expression de menace : puis il disparut au clair de la lune.

Quelques paroles vives eurent lieu après son départ entre le bailli, qui se piquait d’être bon lutteur, et Harry Wakefield, qui, avec une inconséquence née d’un sentiment de générosité, était fort disposé à entamer un nouveau combat pour l’honneur de Robin Oig, quoique, disait-il, Robin ne sût pas se servir de ses poings comme un Anglais, ce qui ne lui était pas naturel. Mais dame Heskett empêcha cette seconde querelle d’aller plus loin, en déclarant qu’elle ne souffrirait pas davantage qu’on se battît dans sa maison, ce qu’on avait fait déjà que trop. « Et vous, monsieur Wakefield, ajouta-t-elle, vous apprendrez peut-être ce que c’est que de faire d’un ami un ennemi mortel.

— Bah ! bah ! Robin Oig est un honnête garçon, incapable de faire une méchante action.

— Ne vous fiez pas à cela. Vous ne connaissez pas le caractère des Écossais, bien que souvent vous ayez fait affaire avec eux. J’ai des raisons de le connaître, moi : ma mère était Écossaise.

— On le voit bien par sa fille, » dit Ralph Heskett.

Ce sarcasme matrimonial donna un autre tour à la conversation. De nouveaux habitués entrèrent au cabaret, et les autres s’éloignèrent. L’entretien roula sur les foires qui devaient avoir lieu prochainement dans les différentes parties de l’Écosse et de l’Angleterre. On mit en train quelques marchés ; et Harry Wakefield fut assez heureux pour vendre une partie de son troupeau à un bénéfice considérable, événement de quelque importance pour lui, et plus que suffisant pour effacer de son esprit tout souvenir de ce que le commencement de la journée avait eu de pénible. Mais il restait quelqu’un de l’esprit duquel le souvenir de cette soirée n’aurait pu être effacé par la possession de tous les bestiaux existants, depuis Esk jusqu’à Éden.

C’était Robin Oig Mac Combich. « Que n’avais-je une arme ! pensait-il ; faut-il que, pour la première fois de ma vie, j’aie été sans mon poignard ! Maudite soit la langue qui me conseilla de m’en séparer !… Ah ! le sang anglais, le sang anglais ! Oh ! paroles de ma tante ! quand sont-elles jamais tombées à terre ! » Et le souvenir de la fatale prophétie le confirma dans le projet de meurtre que son esprit venait tout à coup de concevoir.

« Oh ! Morrison ne peut être à une grande distance. Et d’ailleurs, quand il serait à cent milles, qu’importe ? »

Dès lors son caractère impétueux tourna toutes ses idées vers un but fixe, vers un motif d’action : aussi se dirigea-t-il avec la rapidité ordinaire dans son pays, vers les plaines à travers lesquelles M. Ireby lui avait dit que Morrison s’avançait. Son esprit tout entier était absorbé par cette pensée qu’il avait reçu une injure… et cette injure, d’un ami ; et par le désir de se venger de celui qu’il regardait maintenant comme son plus cruel ennemi. Cette bonne opinion qu’a un homme de lui-même, cette importance qu’il se donne, enfin toutes ces idées imaginaires de naissance et de qualité étaient devenues pour lui d’un bien plus grand prix, parce que, de même que l’avare à l’égard de son trésor, il ne pouvait en jouir qu’en secret. Mais ce trésor, il avait été pillé ; ces idoles, qu’il adorait secrètement, avaient été profanées et souillées ! Insulté, bafoué et battu, il n’était plus digne, dans sa propre opinion, du nom qu’il portait, ni de la famille à laquelle il appartenait : rien ne lui avait été laissé, rien que la vengeance. Et comme ses réflexions acquéraient un nouveau degré d’amertume à mesure qu’il avançait, il jura que cette vengeance serait aussi soudaine et aussi signalée que l’offense.

Quand Robin Oig quitta le cabaret, il y avait au moins entre Morrison et lui une distance de sept à huit milles anglais. Le premier allait très-lentement, étant obligé de régler son pas sur la marche lente de son troupeau ; le second, qui marchait à raison de six milles à l’heure, laissait bien loin derrière lui les champs couverts de chaume, les haies dont ils sont entourés, les terrains couverts de rochers, et les tristes bruyères qui brillaient de l’éclat d’une gelée blanche sous les rayons d’une pleine lune de novembre. Bientôt il entend le lointain mugissement des bestiaux de Morrison ; bientôt il les voit, pas plus gros que des taupes, s’avancer lentement sur la vaste étendue d’une plaine marécageuse ; enfin il les atteint, il les dépasse, il arrête leur conducteur.

« Dieu nous protège, » dit l’habitant des contrées du sud… « Est-ce vous, Robin Mac Combich, ou votre ombre que je vois [9] ?

— C’est Robin Oig Mac Combich, » répondit le montagnard, et ce n’est pas lui… Mais n’importe, hâtez-vous de me donner mon couteau noir.

— Quoi ! est-ce que vous retournez aux montagnes ? diable ! Avez-vous donc déjà tout vendu avant la foire ? Voilà un marché qui par sa prompte expédition l’emporte sur tous ceux que j’ai vus.

— Je n’ai pas vendu ; je ne vais pas au nord ; il peut se faire que je n’y retourne jamais. Donnez-moi mon poignard, Hugh Morrison, ou nous nous fâcherons.

— En vérité, Robin, je ferais très-bien de ne pas vous le rendre ; c’est une arme dangereuse dans la main d’un montagnard, et il me vient à l’esprit que vous roulez dans votre tête quelque mauvais coup.

— Bah, bah ! donnez-moi mon poignard, dit Robin Oig avec impatience.

— Doucement, doucement, » lui répondit cet ami plein de bonnes intentions. « Je vais vous dire quelque chose qui vaudra mieux que ces affaires de poignard : vous savez que le montagnard, l’habitant des basses terres et l’habitant des frontières deviennent tous frères, lorsqu’ils sont sortis d’Écosse. Voyez, les garçons d’Eskdale, Charlie de Liddesdale toujours prêts à se battre, les jeunes gens de Lockerby, les quatre Dandie de Lustruther, et quelques autres plaids gris, sont là qui viennent derrière nous ; et si vous avez été insulté dans une querelle, voilà la main d’un homme, de Morrison : nous vous ferons rendre justice, quand bien même Carliste et Stanwig ensemble prendraient part à la querelle.

— Pour vous dire la vérité, répliqua Robin Oig, qui voulait éluder les soupçons de son ami, je me suis engagé dans la Garde Noire, et il faut que je parte demain matin.

— Engagé ! étiez-vous fou ou ivre ? Il faut vous racheter. Je puis vous prêter vingt billets, et vingt de plus si le troupeau se vend.

— Je vous remercie, je vous remercie, Hughie ; mais c’est avec plaisir que je suis la route que je me suis tracée, ainsi le poignard, le poignard !

— Hé bien ! le voilà, puisque rien autre chose ne peut vous contenter. Mais songez à ce que je vous ai dit. Malheur à vous ! ce sera une triste nouvelle dans le pays de Ralquidder, lorsqu’on saura que Robin Oig Mac Combich a mal tourné, et qu’il s’est engagé.

— Mauvaises nouvelles pour Balquidder, c’est vrai, » murmura le pauvre Robin ; « mais que Dieu vous soit en aide, Hughie, et qu’il vous envoie de bons acheteurs ! Vous ne rencontrerez plus Robin Oig ni au marché ni à la foire. »

En parlant ainsi, il secoua à la hâte la main de son ami, et partit dans la direction du lieu d’où il était venu, avec la même rapidité qu’auparavant.

« Ce garçon-là a reçu quelque injure, murmura Morrison entre ses dents : au reste, nous saurons mieux cela demain matin. »

Mais long-temps avant que le jour parût, la catastrophe était arrivée. Il y avait déjà deux heures que la querelle avait eu lieu, et elle était entièrement oubliée de tout le monde, lorsque Robin Oig revint au cabaret de Heskett. La salle était remplie de différentes sortes de gens ; chacun y causait à sa manière ; les chuchotements, les voix fortes des hommes occupés à traiter d’affaires commerciales se mêlaient aux éclats de rire, aux chansons et aux plaisanteries licencieuses de ceux qui n’avaient autre chose à faire qu’à s’amuser. Parmi ces derniers était Harry Wakefield, au milieu d’une troupe de farceurs qui, la grosse veste sur le dos, les souliers garnis de clous aux pieds, portaient la gaieté anglaise sur leurs physionomies. Il répétait la vieille chanson :


Quoique je sois Roger,
Qui conduit charrue et charrette,


lorsqu’il fut interrompu par une voix bien connue, qui disait d’un ton élevé et sévère, empreint du rude accent des montagnes : « Harry Wakefield, si vous êtes un homme, levez-vous !

— De quoi s’agit-il ?… Qu’est-ce ? » se demandèrent les assistants.

— Ce n’est qu’un maudit Écossais, » dit Fleecebumpkin tout à fait ivre, à qui Harry Wakefield a donné un bouillon tantôt, et qui revient pour ranimer la querelle.

— Harry Wakefield, répéta la même voix sinistre, levez-vous, si vous êtes un homme ! »

Il y a dans la voix d’un homme dont la colère est profonde et concentrée, quelque chose qui attire l’attention et inspire la crainte. Les assistants se reculèrent de tous côtés et regardèrent avec étonnement le montagnard, qui se tenait debout au milieu d’eux, fronçant les sourcils, et annonçant par les traits de sa figure une résolution sinistre.

— Je me lèverai de tout mon cœur, Robin, mon garçon ; mais ce sera pour te donner une poignée de main, et boire à l’oubli de toute animosité. Ce n’est pas chez toi un défaut de courage, si tu ne sais pas te servir de tes poings. »

Et en disant cela, il se tenait devant son antagoniste. Son regard ouvert et confiant contrastait étrangement avec les yeux sombres et sauvages du montagnard, dans lesquels brillait la vengeance.

« Ce n’est pas ta faute, te dis-je, si, n’ayant pas le bonheur d’être Anglais, tu ne sais pas plus te battre qu’une petite fille.

— Je sais me battre, » répondit Robin Oig d’une voix sombre, mais calme, « et vous allez le voir. Vous, Harry Wakefield, vous m’avez montré tantôt comment se battent les manants saxons, voyez maintenant comment se bat un dunniewassel[10] montagnard. »

Il ajouta la parole à l’action ; et tout à coup faisant briller son poignard, il le plongea dans la large poitrine du paysan anglais, avec une telle violence et une telle force, que la poignée rendit un son lugubre et prolongé sur la poitrine, et que la lame, à deux tranchants, pénétra jusqu’au cœur de la victime. Harry Wakefield tomba et expira, en ne poussant qu’un gémissement. Son assassin prit ensuite le bailli au collet, et lui mit le poignard sanglant sur la gorge, tandis que la surprise et l’effroi rendaient Fleecebumpkin incapable de défense.

« Il serait juste que je vous étendisse près de lui, dit-il, mais le sang d’un être méprisable ne se mêlera jamais sur le poignard de mon père avec le sang d’un brave homme. »

En parlant ainsi, il repoussa le bailli avec une telle force, qu’il le fit tomber sur le plancher, tandis que, de l’autre main, il jetait l’arme fatale au milieu du foyer ardent.

« Allons, s’écria-t-il, me prenne qui voudra, et que le feu efface le sang, s’il le peut. »

Le silence et l’étonnement continuaient d’absorber les spectateurs, quand Robin Oig demanda un officier de paix, et un constable étant arrivé, Robin se livra à lui.

« Vous avez fait cette nuit un beau travail, lui dit le constable.

C’est votre faute, reprit le montagnard : si vous l’aviez empêché de me frapper il y a deux heures, il serait maintenant aussi alerte et aussi gai qu’il l’était il y a deux minutes.

— Vous aurez à en répondre d’une façon bien amère, reprit l’officier de paix.

— N’importe, la mort paie toutes les dettes ; elle paiera celle-ci également.

L’horreur qu’éprouvaient les assistants commença bientôt à se changer en indignation ; la vue d’un compagnon chéri assassiné au milieu d’eux, quand la provocation avait été, d’après leur opinion, si étrangement disproportionnée à la vengeance, les eût portés à tuer le meurtrier sur le lieu même. Le constable pourtant fit son devoir dans cette circonstance, et avec l’aide de quelques-uns des spectateurs les plus raisonnables, il fit venir des gardes à cheval pour veiller sur le prisonnier, et le conduire à Carliste, afin d’y être jugé aux prochaines assises. Pendant que l’escorte se préparait, le prisonnier montrait la plus complète indifférence ; il n’essaya pas même de faire la plus légère réponse. Seulement, avant d’être emmené du fatal appartement, il désira voir ce cadavre qu’on avait relevé et placé sur une large table, au bout de laquelle Harry Wakefield était assis quelques minutes auparavant plein de vie, de vigueur et de gaieté. Jusqu’au moment où les chirurgiens arrivèrent pour examiner le coup mortel, on avait, par décence, couvert d’une serviette la figure de Harry. À la surprise et à l’horreur générales qui se manifestèrent par une exclamation, Robin Oig, les dents serrées et les lèvres à demi fermées, repoussa le voile, et contempla d’un regard triste, mais assuré, ce visage sans vie, qui, tout à l’heure encore animé, exprimait le sourire et la bonne humeur, en même temps que la confiance dans sa force, et même le mépris de son ennemi qui semblait encore tracé sur ses lèvres livides. Tandis que les assistants s’attendaient à voir la blessure toute fraîche se rouvrir et remplir la chambre de sang, Robin Oig replaça le linge en s’écriant : « C’était un bel homme. »

Mon récit est presque achevé. L’infortuné montagnard fut jugé à Carliste. Je fus moi-même présent aux débats, et en ma qualité de membre du barreau écossais, ou du moins d’homme d’un certain rang, je fus invité par le shériff du Cumberland à occuper un siège dans la salle du tribunal. Les faits du procès criminel furent prouvés de la manière que je viens de rapporter. Quels que pussent être les préjugés de l’audience contre un crime aussi peu britannique qu’un assassinat par vengeance, cependant, lorsque les préjugés du prisonnier eurent été eux-mêmes expliqués, on demeura convaincu qu’il se regardait comme souillé d’un déshonneur ineffaçable, pour avoir essuyé une violence personnelle. De plus, en considérant la modération, la patience, qu’il avait d’abord montrées, la générosité anglaise inclina à regarder son crime comme une erreur passagère provenant d’une fausse idée du point d’honneur, plutôt que comme le fait d’un cœur naturellement sauvage et perverti par l’habitude du vice. Je n’oublierai jamais le résumé que le vénérable président des assises adressa au jury : et pourtant je n’étais alors guère disposé à me laisser émouvoir par l’éloquence et le pathétique.

« Jusqu’ici, messieurs les jurés », dit-il en faisant allusion à d’autres procès récents, « notre tâche a été de scruter des crimes qui excitent le dégoût et l’horreur, en même temps qu’ils appellent sur eux la vengeance méritée de la loi. Nous avons maintenant un devoir plus pénible encore à remplir ; c’est d’appliquer les arrêts sévères, mais salutaires de la justice à un cas d’une espèce particulière, et dans lequel le crime (car c’en est un très-grand) provient moins de la perversité du cœur que de l’erreur du jugement, moins du désir de faire le mal, que d’une fausse idée de ce qui est bien. Deux hommes, d’après ce qui nous a été dit, jouissaient d’une haute estime dans leur classe, et étaient attachés l’un à l’autre par les liens de l’amitié. Déjà la vie de l’un des deux a été sacrifiée au point d’honneur, et celle de l’autre est sur le point de s’éteindre sous le glaive de la loi. Et cependant, tous deux ont droit de réclamer au moins notre commisération, comme ayant agi mutuellement dans l’ignorance de leurs préjugés nationaux, et en hommes malheureusement égarés, plutôt que comme ayant dévié volontairement du sentier de la droiture.

« Dans la cause primitive de cette funeste querelle, nous devons en justice donner raison au prisonnier ici présent. Il avait acquis la possession de l’enclos, objet de la dispute, par un contrat légal avec le propriétaire, M. Ireby ; et cependant quand il se vit accablé de reproches non mérités et amers, surtout pour un caractère irascible, il offrit de céder la moitié de son acquisition pour conserver la paix, et vivre en bonne intelligence. Cette proposition amicale fut rejetée avec mépris. Alors s’ensuivit la scène qui eut lieu dans l’auberge de M. Heskett. Vous observerez comment le prisonnier y fut traité par le défunt, et, je regrette d’être forcé de l’ajouter, par les spectateurs eux-mêmes qui semblent avoir excité le ressentiment de l’Anglais au plus haut degré. L’Écossais ne demandait qu’à entrer en arrangement et à faire la paix : il offrait même de se soumettre à un magistrat ou à un arbitre. Néanmoins, il fut insulté par toute la compagnie, qui paraît avoir oublié dans cette occasion la maxime nationale de l’égalité dans le combat ; et lorsqu’il essaya de s’échapper paisiblement, on lui barra le passage : il fut renversé, frappé jusqu’à effusion de sang.

« Messieurs les jurés, ce n’est pas sans quelque impatience que j’ai entendu mon savant confrère, plaidant pour la couronne, s’efforcer de donner une couleur défavorable à la conduite du prisonnier dans cette circonstance. L’accusé était effrayé, nous a-t-il dit, de rencontrer son adversaire dans une lutte égale, et de se soumettre aux lois du combat ; en conséquence, semblable à un lâche Italien, il eut recours à son fatal stylet pour assassiner celui avec lequel il n’osait se mesurer en homme. J’ai remarqué que le prisonnier frémissait à cette partie de l’accusation, et que son âme la repoussait avec l’horreur naturelle à un homme brave ; et, comme je désire que mes paroles fassent impression quand j’accuse son crime réel, de même je veux que l’on soit convaincu de mon impartialité lorsque je réfute tout ce qui me paraît être une charge mal fondée. Il n’y a aucun doute que le prisonnier ne soit un homme d’un caractère résolu… trop résolu malheureusement : plût au ciel qu’il l’eût été moins, ou plutôt qu’il eût reçu une éducation capable de diriger sagement un pareil caractère !

« Messieurs, quant aux lois du combat dont parle mon savant confrère, elles peuvent être connues dans les lieux où se livrent les combats de taureaux, d’ours et de coqs ; mais elles ne le sont pas ici. Ou, si elles doivent être admises comme fournissant une sorte de preuve qu’il n’y a pas de malice préméditée dans une lutte de cette espèce, dont il résulte souvent de funestes accidents, elles ne peuvent l’être toutefois que si les deux partis sont in pari casu, s’ils sont égaux en force et en adresse, et s’ils consentent d’un commun accord à s’en rapporter à cette espèce d’arbitrage. Mais prétendra-t-on qu’un homme d’une éducation et d’un rang supérieurs doive être obligé de se soumettre à cette lutte grossière et brutale, et souvent contre un adversaire plus jeune, plus vigoureux ou plus habile ? Certainement le code du pugilat, s’il est fondé, comme le prétend mon savant confrère, sur la maxime de la vieille Angleterre, l’égalité des armes ; ce code, dis-je, ne peut contenir rien d’aussi absurde. Et, messieurs les jurés, si les lois autorisent un gentilhomme anglais portant son épée, comme nous le supposons, à s’en servir pour se défendre contre une agression personnelle de la nature de celle que le prisonnier a soufferte, elles ne protégeront pas moins un étranger dans les mêmes circonstances pénibles. Si donc, messieurs les jurés, quand il se vit ainsi pressé par une force majeure, quand il se vit en butte aux insultes de toute une compagnie, et à la violence directe, de l’un des assistants au moins, tandis qu’il pouvait craindre avec raison celle de tous les autres ; si, dis-je, l’accusé avait alors tiré l’arme que ses compatriotes portent habituellement sur eux, et que le même fait malheureux dont les témoins vous ont transmis les détails en eût été le résultat, je n’aurais pu, selon ma conscience, vous demander contre lui un verdict de meurtre. La défense personnelle du prisonnier aurait pu, même dans ce cas, outrepasser les limites que les jurisconsultes appellent moderamen inculpatœ tutelœ ; mais la peine encourue aurait été celle que la loi prononce contre l’homicide excusable, et non contre le meurtrier. Permettez-moi d’ajouter que, selon moi, cette inculpation moins grave devrait être appliquée dans ce cas, malgré le statut de Jacques Ier, chap. 8, qui prive du bénéfice de clergie[11] le meurtrier qui a commis le crime avec une arme courte, même sans préméditation. Ce statut contre l’usage du poignard provient d’une cause temporaire, et comme le crime réel est le même, qu’il soit commis avec un poignard, une épée ou un pistolet, l’indulgence de la loi moderne place tous ces cas sur la même ligne, ou à peu près.

« Mais, messieurs les jurés, le point délicat de la question est l’intervalle de deux heures écoulées entre l’outrage et la funeste vengeance. Dans la chaleur de l’action, dans la chaude mêlée, la loi, prenant en considération les infirmités de la nature humaine, a quelque indulgence pour les passions qui l’emportent dans un tel moment de fureur ; elle a égard au sentiment de la douleur, à la crainte d’une injure plus grave, à la difficulté de préciser avec exactitude le degré de violence nécessaire pour protéger l’individu attaqué, sans blesser l’agresseur plus qu’il n’est absolument indispensable de le faire. Mais le temps qu’il faut pour franchir une distance de douze milles, quelque prompt qu’ait été le trajet, était un intervalle suffisant pour que le prisonnier pût réfléchir ; et la violence avec laquelle il mit son dessein à exécution, ainsi que les circonstances qui l’ont accompagné, et qui prouvent une préméditation profonde, n’ont pu être le résultat de la colère ou de la crainte. On y reconnaît les desseins et l’accomplissement d’une vengeance méditée, à laquelle la loi ne peut, ne veut, ni ne doit accorder aucune pitié, aucun égard.

« Il est vrai, nous pouvons le répéter comme circonstance atténuante de l’action fatale de ce malheureux, que sa position est tout à fait particulière. Le pays où il est né était, dans un temps qu’ont pu voir beaucoup d’entre nous, inaccessible non-seulement aux lois de l’Angleterre, qui n’y ont pas pénétré encore, mais même à celles qui régissent nos voisins d’Écosse, et que nous devons considérer comme fondées sur les principes de la justice et de l’équité admis dans tout pays civilisé. Dans leurs montagnes, les diverses tribus des anciens Celtes, comme les peuplades du nord de l’Amérique, étaient habituées à faire la guerre entre elles, de manière que chaque individu était obligé de marcher armé pour sa propre défense et celle de son voisin. Ces hommes, d’après les idées qu’ils avaient de leur origine et de leur importance, se regardaient comme autant de chevaliers ou d’hommes d’armes plutôt que comme les rustiques habitants d’une contrée paisible. Les lois du pugilat étaient inconnues à la race belliqueuse des montagnards ; cette coutume de décider les querelles par les seules armes que la nature a données à tous les hommes doit leur avoir paru aussi vulgaire et aussi absurde qu’elle l’est aux yeux de la noblesse de France. La vengeance, d’un autre côté, doit avoir été aussi familière à leurs habitudes sociales qu’à celles des Cherokees et des Mohawks. C’est vraiment au fond, comme dit Bacon, une sorte de justice sauvage et sans règles ; car la crainte de la vengeance doit lier les mains de l’oppresseur, lorsqu’il n’y a pas de loi régulière pour réprimer la violence. Mais, quoiqu’on puisse admettre toutes ces prémisses, et quoique nous devions convenir que, telles ayant été les coutumes des ancêtres du prisonnier, beaucoup de ces opinions et de ces sentiments doivent influencer encore la génération actuelle ; néanmoins, de pareilles considérations ne peuvent ni ne doivent faire fléchir les armes de la loi ni dans vos mains, messieurs les jurés, ni dans les miennes. Le premier objet de la civilisation est de mettre la protection de la loi, également administrée, à la place de cette justice sauvage que chaque homme se rendait lui-même, selon la longueur de son épée ou la force de son bras. La loi dit aux sujets, d’une voix qui ne le cède qu’à celle de la Divinité : « La vengeance m’appartient. » Dès que la passion a le temps de se calmer et la raison d’intervenir, l’offensé doit savoir que la loi se réserve le droit exclusif de décider entre les partis ce qui est juste ou injuste, et qu’elle oppose sa barrière inviolable à toute tentative individuelle pour se faire justice soi-même. Je le répète, ce malheureux doit être un objet de pitié plutôt qu’un objet d’horreur ; car il a failli par ignorance, et par de fausses idées du point d’honneur ; mais son action n’en est pas moins un meurtre, messieurs, et il est de votre devoir de le déclarer. Les Anglais ont leurs passions funestes comme les Écossais ; et si l’action de cet homme restait impunie, vous pourriez faire sortir du fourreau, sous divers prétextes, mille poignards, depuis Land’s-End jusqu’aux Orcades. »

Ainsi se termina le résumé du vénérable président ; et, à en juger par son émotion et par les larmes qui remplissaient ses yeux, cette tâche fut pénible pour lui. Le jury, suivant ses instructions, prononça le verdict de culpabilité, et Robin Oig Mac Combich, autrement dit Mac Gregor, fut condamné à mort et exécuté. Il subit sa condamnation avec la plus grande fermeté, et en reconnaissant la justice de la sentence. Mais il repoussa avec indignation les observations de ceux qui l’accusaient d’avoir attaqué un homme désarmé. « Je donne ma vie pour la vie que j’ai prise, dit-il : que puis-je faire de plus ? »




  1. Printer’s devils, les petits diables de l’imprimeur ; c’est ainsi que l’on désigne en Angleterre les petits garçons d’imprimerie chargés de porter et de rapporter les épreuves d’auteur. a. m.
  2. Personnage du Critique de Shéridan. a. m.
  3. Donald et Ronald sont des noms de famille des hautes terres en Écosse, et c’est ainsi qu’on appelle quelquefois les montagnards écossais, à cause de la multiplicité de ces noms.
    Les Écossais ont aussi pour sobriquet Sawney (corruption d’Alexandre), comme on appelle les Anglais John Bull, les Irlandais Pat (corruption de Patrick), et les Américains Jonathan. a. m.
  4. Étendue de terres basses le long d’une rivière, et formée principalement d’argile : voilà pourquoi on y récolte le meilleur blé. a. m.
  5. Nom d’amitié donné à la nourrice, à la tante dans les familles écossaises. a. m.
  6. Espèce de pouding cuit dans l’estomac d’un mouton. a. m.
  7. Chants guerriers des montagnards écossais. Chaque clan ou tribu a son pibroch. a. m.
  8. A ring, a ring ! cri du peuple anglais pour entourer les boxeurs qui vont se mesurer en plein air. a. m.
  9. Wraith, dit le texte ; l’esprit ou l’ombre d’une personne qui apparaît pendant qu’elle vit encore, comme pour annoncer sa fin prochaine. a. m.
  10. Gentilhomme. a. m.
  11. Dénomination qui comprend en Angleterre toutes les exceptions à l’application de la peine de mort. a. m.