Les Comédiennes de la cour

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Les Comédiennes de la cour
Revue des Deux Mondes3e période, tome 106 (p. 823-863).
LES
COMÉDIENNES DE LA COUR

LA DUCHESSE DU MAINE, MADAME DE POMPADOUR ET LA REINE MARIE-ANTOINETTE


I

Deux traits distinctifs de cette société d’autrefois qui divinisait le plaisir et tomba dans le gouffre avec une si folle et si gracieuse imprévoyance, c’est d’abord la science de la conversation et du monde, perfectionnée par le sentiment des nuances, facilitée par le loisir des grandes existences, par l’influence de plus en plus prépondérante de la femme ; c’est ensuite le goût de la comédie de salon, mis à la mode par quelques princes et seigneurs de haut parage, devenu insensiblement une passion, une fureur universelle, pénétrant tous les ordres de la nation, au point que ce talent fait en quelque sorte partie intégrante de l’éducation, et qu’à certain moment on compte, pour Paris seulement, cent soixante théâtres particuliers. La science de la conversation n’appartient pas en propre au XVIIIe siècle, et le XVIIe siècle nous en fournit les plus excellens modèles ; la comédie d’amateurs au premier abord semble un produit spontané, une découverte du siècle dernier, qui s’est conservée à peu près intacte, à travers bien des écroulemens, bien des métamorphoses.

Et toutefois, il ne peut en revendiquer l’honneur tout entier. Comment oublier, en effet, ces divertissemens royaux, développés en France par Catherine de Médicis, parvenus à leur complet épanouissement sous Louis XIV, ces ballets mêlés de comédies, composés par Benserade, Lulli, Molière, pour la plus grande gloire du roi et des princes qui prenaient plaisir à se mêler aux danses avec leurs courtisans ? Le ballet de Circé et ses Nymphes, en 1581, coûtait plus de 600,000 livres. Sully, Sully lui-même, n’avait-il pas dansé des pas que lui enseignait la sœur d’Henri IV ? Voilà sans doute l’origine du théâtre de société, car les mœurs sociales, pas plus que la nature, ne procèdent par bonds. Tombant de si haut, l’exemple ne devait pas manquer d’imitateurs. Aussi bien un salon n’est-il pas une cour en miniature, avec son roi ou sa reine, les favoris, quelques amis dévoués, la masse des indifférens, avec les petites intrigues d’ambition ou d’amour, et ce mélange d’historiettes, de sentimens nobles ou mesquins, de conversations élevées parfois, plus souvent oiseuses, qui partout forment la trame de la vie humaine ? Pourquoi les salons n’auraient-ils pas marché sur les traces de la cour, que l’on considérait comme la source de tout bien, le modèle des grâces et du goût ? Comment ces princes du sang et ces seigneurs n’auraient-ils pas été tentés de réaliser dans leurs palais et châteaux ce qui se faisait devant eux, avec eux, à Versailles ? On peut même s’étonner qu’ils aient si longtemps tardé.

Passe-temps délicieux, remède contre l’ennui et le désœuvrement, instrument de domination féminine, rapprochemens piquans entre les situations scéniques et réelles, moyen assuré de faire briller des talens authentiques, de recueillir une ample moisson de complimens, toutes les vanités de la vanité, tous les mobiles du cœur humain trouvent leur compte dans cet agrément. Sans aller jusqu’à répéter que les Français sont les comédiens ordinaires du bon Dieu et les tragédiens de la Fatalité, ne peut-on soutenir que la vie mondaine semble une perpétuelle comédie, puisque les sociétés reposent sur un certain nombre de conventions ou d’habitudes, devenues naturelles, légitimes si l’on veut, par une sorte de prescription plusieurs fois séculaire, mais qui sont en état de divorce perpétuel avec la vérité toute nue ? Nous voilà donc comédiens, comédiens sans le savoir, forcés de transposer sans cesse nos sentimens, de nous incarner en quelque sorte dans des personnages de fiction : la plupart y parviennent lentement, quelques-uns naissent acteurs, habitent sans effort les dehors de leur âme, jouent leur vie privée, leur vie publique et mondaine ; on croirait qu’ils sont toujours en scène ; ils attendent ou méditent une réplique théâtrale, posent pour la galerie, et, dans la solitude même, enflent la voix, déclament, s’adressent à un parterre invisible.

De la comédie mondaine à la comédie d’amateurs, il n’y a qu’un pas. Comment les femmes auraient-elles résisté à l’envie de faire des excursions hors d’elles-mêmes, et reines, amoureuses, ingénues, paysannes, de vivre quelques instans d’une vie factice, en s’enivrant de la sensation si pénétrante de l’admiration collective ? Le véritable esprit, cette perle sociale, n’est ni incompatible avec le talent scénique, ni nécessaire à le former. Quelle revanche pour un personnage ordinaire dans la vie privée de se révéler passionné, incisif, éloquent sur les planches, tandis qu’un prince de Ligne, une Mme de Staal, y paraîtront gauches, insuffisans ! Et, en vérité, nombre de gens du monde jouent fort bien[1], si bien qu’au XVIIIe siècle les théâtres particuliers font une véritable concurrence aux vrais théâtres qui finirent par s’en émouvoir : à défaut des avantages que retire d’un long exercice l’acteur de profession, ils ont le maintien, le ton, la noblesse des manières qu’apportent l’usage de la bonne compagnie et l’éducation ; toujours ils ont vécu dans un pays que les autres ont tardivement abordé ou n’aperçoivent que de bas en haut.

Et puis quelle merveilleuse ressource pour une maîtresse de maison ! La conversation languit parfois dans les longues soirées d’automne, et, même entre beaux esprits, entre intimes, il est malaisé de planer toujours dans la région des pures idées, de ne pas verser dans la critique et son pseudonyme, la médisance. Amuser l’innombrable tribu des ennuyeux, les muets, les timides, les importans, les parens indispensables qui, troublant la solitude, n’apportent point la compagnie et qu’il faut cependant avoir, varier les plaisirs de ses hôtes, frapper de temps en temps un grand coup qui réveille la curiosité, satisfaire en un mot tout le monde… et ses causeurs, n’est-ce pas le rêve de toute directrice d’un salon ? Et la comédie d’amateurs lui offre une mine inépuisable : des répétitions pendant cinq ou six semaines, mille brigues pour obtenir une invitation ou un rôle, les élus affairés répétant à tous les échos d’alentour leurs tirades et consultant mystérieusement les gens du métier, le choix d’une toilette traité comme une affaire d’État. N’est-ce pas de quoi justifier l’éclosion d’un tel goût, son succès, sa durée si persistante ? Sans compter qu’on pouvait éluder ainsi les prohibitions canoniques, donner des représentations même en temps défendu par l’Église.

Les collèges des jésuites, les couvens de l’aristocratie et de la bourgeoisie avaient commencé cette éducation théâtrale ; on avait vu Mme de Caylus jouant à Saint-Cyr devant la cour tous les rôles d’Esther qu’elle savait à force de les entendre répéter, et les jouant si bien qu’on la trouva trop touchante, trop profane. Mme de Maintenon décida que les petites filles de Saint-Cyr ne représenteraient plus Andromaque, parce qu’elles y mettaient trop de sentiment ; et quand Racine eut écrit Athalie, la canaille des faux dévots et des mauvais poètes empêcha qu’elle ne fût jouée, car, glapissaient-ils, il était honteux de montrer sur le théâtre des demoiselles rassemblées de toutes les parties du royaume pour recevoir une éducation chrétienne, et non moins honteux que Mme de Caylus se fît voir ainsi à toute la cour. S’inspirant des mêmes principes, le parlement, peu après l’expulsion des jésuites, en 1765, interdit formellement la comédie et la tragédie dans les maisons d’éducation. Mais il n’en fut ni plus ni moins ; et, après comme avant, collèges et couvens eurent leurs spectacles, leurs ballets même, ainsi qu’en témoigne une piquante historiette. À Fontevrault, le maître de danse s’efforçait de faire répéter à Madame Adélaïde un ballet qui avait nom : le Ballet couleur de rose. La princesse trouvait le ballet fort mal qualifié et prétendait ne prendre sa leçon qu’à la condition qu’on l’appellerait le Menuet bleu : le maître d’insister, la princesse de tempêter, de trépigner. L’affaire devenant grave, on assembla le chapitre qui, après mûre délibération, prononça que le ballet serait débaptisé et appelé : le Menuet bleu.

On avait débuté enfant, on continuait jeune femme ; le mariage servait de port d’armes et donnait la clé des champs ; des chastes chefs-d’œuvre de Racine on passait aux pièces plus libres, pour verser quelquefois dans les parades et les parodies. Chaque grande maison a théâtre à la ville, théâtre à la campagne, et, presque toujours, un ou plusieurs auteurs attitrés, dont les compositions alternent avec le répertoire, ministres des plaisirs littéraires, plus ou moins domestiqués, qui fabriquent à volonté prologues, épîtres dédicatoires, comédies, opéras, tragédies : chez la duchesse du Maine, Malezieu, Genest, Voltaire, auprès du comte de Clermont et du duc d’Orléans, Laujon, Collé, auprès de Monsieur, frère du roi, des Fontaines, Piis et Barré[2]. Maurice de Saxe enrégimente Favart pour diriger cette troupe qui l’accompagne aux armées, dont il fait un levier d’enthousiasme, un instrument de ses faiblesses. Quelques-uns, comme les Brancas, recrutent leurs auteurs parmi les membres de leur société : Forcalquier, Pont de Veyle, le président Hénault. À douze ans, Mlle Necker écrit une comédie en deux actes, les Inconvéniens de la vie de Paris, jouée chez ses parens à Saint-Ouen, devant Marmontel, qui naturellement, en membre bien appris de l’innombrable tribu des Philintes et des dos voûtés, la porte aux nues. Dans son château de Passy, M. de La Popelinière donne des comédies, presque toujours de lui, jouées en perfection par sa femme, et applaudies grâce à ses excellens soupers. Filles d’opéra, courtisanes à la mode, se mettent de la partie ; dans le théâtre de leur hôtel de la Chaussée-d’Antin, les demoiselles Verrières ont sept loges en baldaquin, et puis des loges grillées où se glissent les femmes du monde qui veulent voir sans être vues ; Colardeau, et après lui, La Harpe s’y multiplient, à la fois auteurs, acteurs, amans de cœur ; peu ou point de farces, de parades grossières, mais des pièces empruntées à la comédie française ou italienne : c’est là aussi que pour la première fois on représenta la Julie de Saurin, et l’Espièglerie de Billard du Monceau. Rien de plus élégant, de mieux fréquenté que les théâtres de la Guimard, dirigés par Carmontelle, le grand faiseur de proverbes, peintre moraliste en détrempe, si renommé alors, si oublié aujourd’hui : décorations d’un goût parlait, tentures de taffetas rose relevées d’un galon d’argent, magnifique jardin d’hiver ; présidens de parlement, cordons bleus, princes du sang occupaient les meilleures places. Je ne sache pas qu’on y vît les prélats de cour ni les jolis abbés tonsurés, plus exacts aux levers des beautés de robe et d’épée qu’aux devoirs de leur ministère, mais ils ne se gênent guère pour fréquenter l’opéra, la comédie, où leur présence amena mainte algarade avec le parterre. Quant aux spectacles particuliers chez des gens du monde, c’est péché véniel dont ils ne se privent point. Et tout Paris se gaussa de la mystification de M. de Jarente, évêque d’Orléans, chargé de la feuille des bénéfices. Le duc de Choiseul lui recommande chez la comtesse d’Amblemont deux jeunes abbés ; charmé par leur attitude réservée et leur modestie, l’évêque promet la faveur demandée et leur donne l’accolade. Quelques instans après, il voit sur la scène deux actrices qui ressemblent trait pour trait aux protégés du duc ; les rires de l’assistance achèvent de l’éclairer, et tout le premier il s’associe à la gaîté générale. Cependant, il dut se repentir de son imprudence, car l’aventure s’ébruita et on en tira un ballet, le Ballet des deux abbés, qui fit les délices des salons.

Du grand monde, de Paris et Versailles, cette mode ne tarde pas à gagner la bourgeoisie, à émigrer en province : les seigneurs l’emportent avec eux dans leurs terres ; autour d’eux, c’est un délire d’imitation, et tous les hobereaux d’estropier à l’envi les chefs-d’œuvre des auteurs dramatiques et des musiciens. Après la sérénissime banqueroute, le premier soin de Mme de Guéménée, arrivant au château où le roi l’a exilée, est de demander des tapissiers et de leur faire arranger un théâtre. Une châtelaine qui veut à tout prix recruter une troupe suffisante enrôle ses quatre femmes de chambre et apprend à sa fille, âgée de onze ans, le rôle de Zaïre. Dans les garnisons, cette passion brouille les cervelles au point que beaucoup d’officiers ne rougissent pas de s’associer aux actrices, de paraître sur la scène avec elles ; et, pour couper court à cet abus, il fallut qu’un règlement du ministre de la guerre l’interdît de la manière la plus formelle. La palme du ridicule demeure à Charpentier, le fameux cordonnier pour dames, qui, sur son théâtre particulier, joue tragédies et parades, et qu’un récit du temps peint dans la plaisante insolence de sa fatuité. Chargé d’une commission auprès de lui, le chevalier de La Luzerne trouve à sa porte deux domestiques en livrée, traverse des chambres superbement meublées, s’arrête dans un cabinet où il admire une commode du travail le plus riche, garnie de portraits des premières dames de la cour. Sur ces entrefaites, paraît Charpentier, vêtu d’un délicieux négligé de petit-maître, et comme le chevalier le complimente : — « Monsieur, vous voyez, répond-il du ton le plus dégagé, c’est la retraite d’un homme qui aime à jouir. Je vis en philosophe. Il est vrai que quelques-unes de ces dames ont des bontés pour moi ; elles me donnent leurs portraits ; vous voyez que je suis reconnaissant et que je ne les ai pas mal placés. » —M. de La Luzerne, lui ayant montré le modèle de souliers qu’on lui a confié : — « Ah ! je sais ce que c’est : je connais ce joli pied ; on ferait vingt lieues pour le voir. Savez-vous bien qu’après la petite Guéménée, votre amie a le plus joli pied du monde ? Fort bien, je ferai son affaire. » — Le chevalier allait se retirer, lorsque le grand homme l’arrêta : — « Sans façon, si vous n’êtes point engagé, restez à manger ma soupe ; j’ai ma femme qui est jolie, et j’attends quelques autres femmes de notre société qui sont fort aimables ; nous jouons Œdipe après dîner, et vous pourriez bien ne pas vous repentir d’être resté avec nous. » — Peut-être m’abusé-je, mais il semble qu’un tel trait démontre assez bien une époque, un goût poussé jusqu’à la manie, et qu’il ne déparerait point le Bourgeois gentilhomme ou Turcaret. C’était alors une prétention fort répandue de vivre en philosophe, et cela consistait souvent à se mettre au-dessus de son état, des mœurs ou des lois : entretenir de belles filles, donner des concerts, des spectacles, faire grande chère, lire Voltaire, Diderot, d’Holbach, cette hygiène facile paraissait suffire à beaucoup de personnages plus soucieux d’assurer la réputation de leur esprit que celle de leur jugement et de leur caractère. Mais singer n’est pas imiter.


II

On ne saurait esquisser une histoire de la comédie de salon sans s’occuper du théâtre de la duchesse du Maine. Cette enragée de distraction, cette galérienne du bel esprit, cette égoïste à la quatrième puissance, joue ici le rôle d’initiatrice, et c’est là peut-être son titre unique à l’indulgence de la postérité. Le rire n’est-il pas le principe de la gaîté, comme la gaîté est l’apanage de la sérénité, de l’optimisme ? Avoir procuré au monde un nouveau plaisir, cela égale presque la découverte d’une étoile, car la vie ne vaut la peine d’être vécue que par la combinaison du nécessaire, de l’utile, de l’agréable, et les maladies morales ne sont pas les moins redoutables. Aussi bien on nous célèbre, on nous condamne souvent pour des actions qui, mieux approfondies, produiraient un effet moindre ou contraire, auxquelles nous n’avons qu’une part minime ; l’importance des choses bien moins que l’à-propos en fait le mérite, et l’histoire se présente comme une école d’incertitude, de modestie. En vulgarisant le goût de la comédie d’amateurs, Mme du Maine et ses courtisans ne songeaient qu’à s’amuser ; le reste vint par surcroît.

Les contemporains ont constaté avec quelle désinvolture la poupée de sang, à peine mariée à un demi-Louis (fils légitimé de Louis XIV et Mme de Montespan), s’affranchit des rites de l’étiquette : soirées officielles, conversations morales chez Mme de Maintenon, voyages ou toilettes de gala et dînettes dans le carrosse du roi ; ils ont dit son humeur impétueuse et inégale, sa mémoire prodigieuse, l’audace de son courage, sa parole juste et rapide, le tour précis de son esprit, cette hypertrophie du moi qui la fit croire en elle-même de la même manière qu’elle croyait en Dieu et en Descartes, sans examen, sans discussion, son ignorance absolue des défauts, des talens et des ridicules de ses amis (elle ne sortait pas de chez elle et n’avait pas même mis le nez à la fenêtre), la tyrannie de son commerce et la brutale franchise de ses caprices ; elle-même avoue fort joliment qu’elle ne peut se passer des personnes dont elle ne se soucie point, et on la voyait apprendre avec indifférence la mort de gens qui lui arrachaient des larmes s’ils arrivaient un quart d’heure trop tard à une partie de promenade. Peu lui chaut d’être entendue, il lui suffit d’être écoutée. Sa vie est une longue jeunesse que n’éclaira jamais l’expérience ; comme celui de la duchesse de Chaulnes, son esprit semble le char du soleil abandonné à Phaéton. Se faire du bruit à elle-même, conserver l’empire de la bagatelle, s’entendre comparer à la reine Christine ou à Vénus, devenir un des premiers personnages de la monarchie, et, pour y parvenir, ne pas craindre de mettre le feu au milieu et aux quatre coins du royaume, voilà ses deux idées fixes, sa volonté bien arrêtée. — « Elle a de la hauteur sans fierté, remarque Mme de Staal-Delaunay, le goût de la dépense sans générosité, de la religion sans piété,.. beaucoup de connaissances sans aucun savoir, et tous les empressemens de l’amitié sans en avoir les sentimens. » — À ses yeux, il y aura toujours deux torts impardonnables, la mort ou l’absence : présent, il faut payer de sa personne, faire sa partie dans le concert, car Sceaux n’est pas un hôpital, et sa passion dominante est la multitude, une société de quarante personnes lui semblant à peine le particulier d’une princesse. À force de traiter son mari comme un nègre, de lui reprocher l’honneur qu’elle lui avait fait, elle, petite-fille du grand Condé, en l’épousant, elle le rend petit et souple, le jette malgré lui dans la ridicule conspiration de Cellamare : le pauvre duc du Maine avait la bonté de craindre qu’elle ne devînt folle, sans doute parce qu’il vit s’affaiblir avec l’âge la raison de M. le prince, son père. Un jour qu’il se croyait mort, ce dernier en concluait fort logiquement qu’il ne devait plus manger, et son médecin dut employer un subterfuge pour l’empêcher de suivre son syllogisme jusqu’au bout ; parfois, métamorphosé en limier, il poursuivait de ses aboiemens un cerf imaginaire, et, à Versailles, tout ce que la majesté du roi-soleil obtenait dans ces crises, c’est qu’il se contentât de remuer les mâchoires comme un chien qui japperait sans voix.

Autour de la Nymphe de Sceaux s’empressent gens de cour et beaux esprits[3] : le duc de Nevers, les duchesses d’Estrées et d’Albemarle, la duchesse de La Ferté, cette fantasque créature qui se vantait devant Mme de Staal d’être la seule qui eût toujours raison, jouait à la campagne au lansquenet avec ses fournisseurs et s’excusait de les tricher ; « mais c’est qu’ils me volent ; » — la présidente Dreuilhet qui éternue si drôlement ses chansons ; un jour, malgré qu’elle soit très souffrante, l’altesse sérénissime la force de chanter dès la soupe, « parce que, objecte-t-elle naïvement au président Hénault, il n’y a pas de temps à perdre, cette femme peut mourir au rôti ; » — le cardinal de Polignac, l’onction et la séduction personnifiées, qui, d’après Saint-Simon et la duchesse d’Orléans, aurait compromis la duchesse de Bourgogne, la reine de Pologne, veuve de Sobieski, et la duchesse du Maine, auteur de l’Anti-Lucrèce et d’un mot resté célèbre dans les fastes de la courtisanerie ; — l’abbé Genest, qui mit en mauvais vers la Physique de Descartes et raconta en assez méchante prose les divertissemens de cette cour de Lilliput, commis, professeur de langue anglaise, écuyer du duc de Nevers avant d’être d’église et de l’Académie française ; — l’abbé de Vaublanc, surnommé le Sublime du frivole ; — Mme Tibergeau, qui, réveillée par la princesse, pendant la nuit, pour savoir ce qui pouvait le mieux, prose ou vers, traduire l’amour, répondait prestement, malgré ses quatre-vingt-cinq ans :

Non, ce n’est point en vers qu’un tendre amour s’exprime ;
Il ne faut point rêver pour trouver ce qu’il dit,
Et tout arrangement de mesure et de rime
Ôte toujours au cœur ce qu’il donne à l’esprit.


Qui encore ? Le poète Destouches ; mais il se lassa de cette servitude dorée ; mécontent de l’indifférence de la baronne de Sceaux à l’égard d’une de ses œuvres, il prit un beau jour la clé des champs sans crier gare, bravant toutes les indignations, laissant dans sa chambre, en guise de congé, un couplet des plus cavaliers. Et Destouches n’est pas le seul littérateur du XVIIIe siècle qui ait le sentiment de sa dignité : Piron, revendiquant son titre de poète, passait fièrement devant un grand seigneur ; Lesage, grondé sur son retard par la duchesse de Bouillon chez laquelle il devait lire une tragédie, remettait son manuscrit dans sa poche et se retirait en ripostant : — « Je vais toujours vous épargner deux heures de lecture. » — Sans parler des boutades de Jean-Jacques, de Chamfort, plus d’un homme de lettres commence à comprendre la noblesse de sa fonction, la nécessité de l’indépendance, et, parmi ceux-là mêmes qui semblent le plus étroitement asservis, combien de révoltes intimes, que d’amertumes discrètement voilées ou racontées dans les Mémoires posthumes, quelles rancunes et quelles aspirations vers un état qui leur donnera la liberté de l’âme et du talent !

L’oracle du château, l’homme universel et infatigable, c’est Nicolas de Malézieu, ancien maître de mathématiques du duc de Bourgogne et du duc du Maine, ami de Bossuet et de Fénelon même au fort de leur querelle, membre de l’Académie des choses et de l’Académie des paroles, type de l’érudit aimable, à l’âme un peu faible, tournée vers le sourire des grands, enseignant à la duchesse latin, philosophie, astronomie ; traduisant à livre ouvert et déclamant avec feu les tragédies de Sophocle et d’Euripide ; grand organisateur de fêtes, improvisant à volonté comédies, ballets, chansons, intermèdes, virelais et autres bagatelles. À Sceaux, ses décisions jouissent d’un tel prestige que les disputes les plus violentes prennent fin lorsque quelqu’un prononce ce mot : Il l’a dit. De 1699 à 1710, Malézieu reçut à peu près chaque année dans son castel de Châtenay le duc et la duchesse, avec quelques personnes de leur suite ; on y jouait des pièces du répertoire, des comédies de circonstance, et c’est là sans doute que la princesse conçut cette passion théâtrale qui l’anima jusqu’à la fin et faisait dire à Voltaire que, quand elle serait malade, il conviendrait de lui administrer quelque pièce au lieu de l’extrême-onction.

En 1703, grande parade arrangée, exécutée par le Sylvain de Châtenay et M. de Dampierre, gentilhomme du duc, qui jouait fort bien de la flûte allemande, du cor, de la viole et du violon. Bizarrement vêtu, affublé d’une barbe monumentale, Malézieu s’annonce comme le phénix des opérateurs : l’âme d’Hippocrate, la quintessence d’Esculape, ont passé en lui, et, par exemple, avant-hier, à Novogorod, il a remis la tête à un grand décapité depuis quatre ans par ordre du tsar ; mais ayant appris que son altesse se rendait à Châtenay, il a couru sept cents lieues en moins de deux jours. Et d’appeler Arlequin Dampierre, porteur d’une cassette miraculeuse, et de jargonner avec lui mille facéties en présentant ses eaux nonpareilles. Voici l’eau générale, qui improvise les grands capitaines, dédiée au duc : c’est un extrait de la cervelle de César, du flegme de Fabius, du souffle d’Alexandre et de l’âme du grand Condé. Voici la bouteille d’esprit universel, étonnant mélange de pénétration d’esprit, de finesse, de discernement, des charmes de la conversation. « Je sais, madame, disait l’opérateur à la duchesse, que vous possédez naturellement toutes les merveilles qu’elle renferme ; mais ne laissez pas de l’accepter pour en faire part à quelques-unes de vos amies qui sont bien éloignées de vous ressembler. » Le sirop de Violet, les pilules fistulaires font jouer à merveille de la flûte, de la viole, et Dampierre-Arlequin démontrait aussitôt ce prodige. Même miracle par l’esprit de contredanse : une goutte répandue sur le dos de la personne la plus inerte la rend soudain plus agile qu’un lutin, et danser la Furstenberg, la Forlane, le Pistolet, la Chasse, le Derviche, la Sissoire, les Tricotets, ne sera pour elle qu’un jeu. L’opérateur avise un paysan ivre-mort (Allard), le frotte de quelques gouttes, et le voilà qui se relève avec une légèreté d’oiseau, et pendant une demi-heure, véritable merveille de l’air, exécute les pas les plus fantastiques. Mais il n’est pas au bout de son boniment : il a amené des Indes un bonze, poète célèbre, de Moscovie un fameux compositeur, et sa troupe va exécuter un de leurs opéras, Philémon et Baucis. Mlle des Enclos, M. Bastaran, artistes de la musique du roi, représentaient Philémon et Baucis, tandis que Buterne, Visé, Forcroy, La Fontaine, Desjardins, Descoteaux, etc., composaient les chœurs. L’opéra de Matho fut, tout d’une voix, déclaré admirable.

Malézieu composa plusieurs pièces pour son théâtre : Purgopolinice, capitaine d’Êphèse, les Importuns de Chastenay, la Tarentule, le Prince de Cathay, divertissement orné de musique et destiné à rappeler la fondation de l’ordre de la Mouche à miel. Le prince obtenait l’honneur insigne d’être reçu chevalier et prononçait le serment consacré : « Je jure, par les abeilles du Mont Hymète, fidélité et obéissance à la directrice perpétuelle de l’ordre (la duchesse du Maine) ; de porter toute ma vie la médaille de la Mouche et d’accomplir, tant que je vivrai, les statuts de l’ordre, et, si je fausse mon serment, je consens que le miel se change pour moi en fiel, la cire en suif, les fleurs en orties, et que les guêpes et les frelons me percent de leurs aiguillons. » C’est dans la Tarentole[4] que la princesse monta pour la première fois sur la scène ; elle devait apprendre bien d’autres rôles, aborder les genres les plus divers, jouer tous les personnages : Molière et Quinault, Genest et Marivaux, Malézieu et Mme de Staal, tous étaient son domaine et sa proie, tous relevaient de sa mémoire, de sa présomption ; elle s’en tirait passablement pour une altesse, mieux, en tout cas, que cette pauvre Marie-Antoinette, qui jouait royalement mal et chantait si faux.

La Tarentole, comédie-ballet mêlée de danses, récits et symphonies, fut représentée en 1705. Dans une galerie basse, de plain-pied avec le jardin, trois tables de vingt couverts, servies avec magnificence, attendaient la plus brillante compagnie. Après le dîner, on passa dans une autre galerie, et le jeu et la conversation menèrent jusqu’à sept heures. Alors on descendit au jardin, où la salle de spectacle était formée par une tente dont l’intérieur était décoré de feuillages verts fraîchement découpés, entrelacés avec art et éclairés par une infinité de bougies. Au fond, un théâtre de vingt-cinq pieds carrés, cintré de verdure et de festons, avec un grand portique de verdure et deux moindres qui l’accompagnaient de chaque côté ; devant la scène, l’orchestre, composé des meilleurs musiciens du roi, au nombre de trente-cinq, M. Matho à leur tête. On avait permis aux curieux d’entrer, de sorte qu’il s’y trouva plus de trois cents personnes. Le spectacle dura trois heures, sans ennuyer un moment, remarque Hamilton : il est vrai qu’il fut interrompu vers le milieu par un laquais de Mme d’Albemarle, qui, au meilleur endroit et tandis qu’on suait à grosses gouttes, dérangea tout le monde pour porter une coiffe et une écharpe à sa maîtresse de peur du serein[5].

Le vieux Pincemaille a promis à un autre riche vieillard, M. Fatolet, sa fille Isabelle, qui, naturellement, aime le marquis de Paincourt, plus pourvu de grâces et de jeunesse que d’écus. Comme il sied dans toute comédie qui se respecte, la soubrette Finemouche, les valets Crotesquaset Bruscambille favorisent les amours de Paincourt et d’Isabelle. Soufflée par eux, celle-ci contrefait la muette, bâille sans cesse depuis plusieurs jours : de la sorte, on ajournera le mariage, on gagnera du temps, et le temps est une bonne mère de famille qui arrange bien des choses. Cependant, les vieillards ont imaginé d’appeler le docteur Rhubarbarin : paraît Isabelle, les yeux égarés, qui crache au visage du docteur, lui casse les dents d’un maître soufflet ; il s’enfuit, furieux. Fatolet et Pincemaille courent après lui pour l’apaiser. — Second acte. Bruscambille vante à son maître un médecin incomparable, l’homme le plus savant et le plus désintéressé du monde, qui fuirait à une lieue si on lui offrait une pistole. Seulement, il a avec lui un secrétaire chargé de vendre au prix coûtant les liqueurs spiritueuses qu’il emploie. Pincemaille apprend avec terreur que, pour composer certain remède appelé pot-pourri, il met dans une grande cuve d’argent un œil d’éléphant vif, le foie d’une baleine, la grosse dent d’un crocodile, huit cent quarante germes d’œufs d’autruche, vingt cœurs de lions, un estomac de phénix, une pinte d’urine de sirène, et qu’il fait bouillir le tout au feu de cannelle pendant trois ans. « Ah ! gémit le grigou, s’il faut du pot-pourri pour guérir ma fille, je suis perdu ! » Arrivent Paincourt et Crotesquas déguisés en Turcs. Après avoir examiné la malade, Crotesquas prononce solennellement qu’elle a été piquée de la Tarentole, qu’elle entrera bientôt en fureur, que déjà Bruscambille et Finemouche présentent tous les symptômes du même mal, et qu’il gagnera le père et le fiancé s’ils s’exposent à l’haleine d’Isabelle. Pas d’autre remède que la danse et la musique. — Au troisième acte, le valet et la servante feignent d’être attaqués de la « tarentole » et jouent mille tours aux vieillards : ainsi, Bruscambille prend la tête de Fatolet et lui met le nez au derrière de Pincemaille ; il les force à danser à perdre haleine, les menace de son grand couteau. Survient le docteur avec des musiciens, des danseurs. Balou exécute un joli pas de deux, on chante un aimable morceau sur des paroles italiennes composées par le duc de Nevers. Bruscambille et sa commère vont mieux, la folie d’Isabelle ne diminue point. Alors Crotesquas déclare qu’il n’y a plus d’espoir ; Fatolet renonce au mariage et, après bien des détours, le faux Esculape fait allusion à un remède suprême, mais sa conscience ne lui permet pas de le conseiller. Il faudrait marier Isabelle dans les vingt-quatre heures, et l’époux court à une mort certaine. Paincourt se présente, se dévoue, et, cette fois, Pincemaille lui accorde sa fille avec transport. — Après le souper, il y eut un feu d’artifice et l’on dansa bien avant dans la nuit.

C’est encore pour Mme du Maine que Malézieu composa sa scène de Polichinelle et du Voisin[6], représentée en 1705 par les marionnettes devant la cour de Sceaux. Les comédiens de bois faisaient fureur à cette époque, et ce plaisir des petits était devenu un plaisir des grands : ils jouaient à Versailles, à Marly, devant le roi, dans la chambre de la duchesse de Bourgogne. On sait que nos aïeux ne reculaient pas devant le mot cru ; ces gens si raffinés se complaisaient parfois en d’étranges distractions, et ce serait matière à beaux développemens qu’une histoire de la pudeur où l’on raconterait les métamorphoses accomplies dans le code des bienséances. Qui donc expliquera ces variations, non-seulement de pays à pays, mais de salon à salon, et dans la même société, dans la même personne ? ces élans de gaîté succédant à des sursauts d’indignation en présence du même mot ? Qui rendra compte des ruades de l’être humain, de ces boutades grossières qui jaillissent parfois du gentilhomme le plus distingué, revanche terrible de la bête, éternel point d’interrogation des penseurs ? Est-il vrai qu’ici non plus il n’y ait point de règles fixes, que les individus, comme les peuples, n’aient de brillant que les surfaces ; que l’extrême politesse soit aussi proche de la grossièreté que la rouille l’est du fer ? De voir, par exemple, un Malézieu, membre de l’Académie française, un des esprits les plus délicats de son temps, s’amuser à écrire une farce scatologique, et son illustre auditoire l’entendre avec délices, ce serait de quoi s’étonner, si tous les siècles ne nous donnaient le spectacle de telles antinomies. Voici, d’ailleurs, une scène expurgée de cette facétie singulière :

Polichinelle. — Bonjour, voisin ; sais-tu le dessein qui m’a p… par la tête ?

Le Voisin. — Comment ! p… ? C’est passé. Que veux-tu dire ?

Polichinelle. — Par la sanguenne ! il n’est pas passé, puisqu’il y est encore !

Le Voisin. — Eh bien, quel est ce dessein ?

Polichinelle. — C’est que je veux demander à être reçu au cas de ma mie Françoise.

Le Compère. — … Ha ! j’entends ! tu voudrais être de l’Académie française, pour avoir des jetons.

Polichinelle. — Eh ! oui. T’y voilà, palsangué ! On dit que ces jetons-là valent pour le moins vingt sols, et je n’en gagne que cinq à porter mes crochets. C’est un grand profil, compère, que je ferai là… Il y a pourtant une chose qui m’embarrasse.

Le Voisin. — Qu’est-ce que c’est ?

Polichinelle. — C’est que je ne sais pas comment je ferai pour manger du foin.

Le Voisin. — Que veux-tu dire ? Manger du foin… Es-tu fou ?

Polichinelle. — Je veux dire que j’ai trouvé deux charrettes de foin qui faisaient un embarras devant leur porte, et l’on disait que c’était pour ces messieurs.

Le Voisin. — Gros sot ! c’est pour leurs chevaux.

Polichinelle. — Oh ! oh ! Ce sont donc des chevaux qui sont là ! Palsangué ! je m’en vais demander une place pour le mien ; … le foin sera pour lui et les jetons seront pour moi.

Le Voisin. — Impertinent ! Sais-tu bien qu’il faut faire des vers pour être de cette compagnie ?

Polichinelle. — J’en ai peut-être fait, sans y prendre garde… Quoi, sont-ce des vers de fougère ?

Le Voisin. — Les vers sont des ouvrages d’esprit que font les poètes ; cela rime.

Polichinelle. — Cela lime, dis-tu ? Oh ! s’il ne faut qu’une lime, j’en ai une chez nous.

Le Voisin. — Rime, te dis-je. Voilà un plaisant animal ! Tu ne sais pas dire deux mots de suite : comment ferais-tu donc pour haranguer, le jour de ta réception ?

Polichinelle. — Pourquoi non ? Je suis de race.

Le Voisin. — Comment ? De race ?

Polichinelle. — Oui, de race ; mon père vendait des harengs et ma mère était harengère ; comment ne saurais-je pas haranguer !

Le Voisin. — Allons. Voyons comment tu ferais : imagine-toi que je suis l’Académie.

Polichinelle. — Oui da, compère. (Il p…, tousse et crache.) Meschieurs,.. depuis que le grand cardinal de Richelieu a tiré l’Académie de cette profonde et vaste matrice du néant, elle a si bien rivé le clou aux autres Académies, qu’elles sont comme une (crotte) auprès d’un pain de sucre ; ainsi je ne prétends pas vous ennuyer par des losanges ;.. je veux d’abord vous fourbir une occasion de manifester vos talons et vos génisses.

Le Voisin. — Quel diable de patois ! T’imagines-tu que ce soit là le style de l’Académie ? Tu veux dire, vos talens et vos génies.

Ici, Polichinelle propose à ses confrères de purifier le dictionnaire d’un certain nombre d’ordures sur lesquelles il discute copieusement, et comme le compère l’avertit qu’il pourrait bien en même temps rembourser quelques coups de bâton :

— Bon, repart-il, je n’en aurais pas plus que tant d’autres de là-dedans, qui en méritent, et auxquels on n’en donne point.

Mal en prit à Malézieu, plus mal encore à ses hauts et puissans patrons. L’Académie s’indigna de la plaisanterie comme d’une trahison, ils furent bernés, chansonnés d’importance, une petite guerre de brocards, de satires s’engagea, et, à leur tour, les immortels, les jetonniers n’eurent pas toujours les rieurs de leur côté[7]. Et puis les belligérans se calmèrent à la longue, et la paix lut célébrée en vers : tout finissait alors par des chansons.

Châtenay, Sceaux, Clagny, Anet, voilà les étapes de cette « vie mythologique entre deux charmilles. » La princesse dormant fort peu, le sommeil, à sa cour, semblait un gêneur, un importun : le jour on répétait, le soir on jouait, mais comment employer les nuits ? On commença par les loteries poétiques : la duchesse mettait les lettres de l’alphabet dans un sac, et chaque assistant en tirait une ; A devait une ariette, G une comédie, O une ode ou un opéra, S un sonnet, T un triolet, et ainsi de suite. Heureusement, il est avec les loteries des accommodemens, et la Baronne de Sceaux elle-même donne l’exemple des compromis ; Malézieu, Genest, Mme de Staal paieront au besoin ses dettes littéraires. Quant aux autres, ils trouveront un complaisant, ou un faiseur d’esprit à gages ; alors l’esprit, le talent ne sont pas encore affranchis, ils se traînent à la remorque des grands qui trouvent tout simple de les payer, comme ils achètent d’autres services. Et de s’extasier, de crier au génie, si par hasard une altesse gribouille elle-même quelques essais. On sait l’admiration excitée par les étrennes de Mme de Thianges au duc du Maine qui s’appliquait à traduire l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac : une chambre toute dorée, mesurant un mètre de chaque côté ; au-dessus de la porte, en grosses lettres : Chambre du sublime. Au dedans, un lit, un balustre, un grand fauteuil dans lequel est assis le duc du Maine en cire et fort ressemblant ; auprès de lui, M. de La Rochefoucauld auquel il montre des vers, autour du fauteuil Mme de La Fayette, Bossuet, M. de Marcillac ; au dehors du balustre, Racine, La Fontaine, et Boileau, qui, armé d’une fourche, empêche d’approcher sept ou huit grimauds de poètes. Aux gens qui sont l’objet de telles flagorneries, il faut savoir gré, non-seulement de leurs qualités, mais de tous les vices qu’ils n’ont pas. Mme de Staal-Delaunay, très gâtée par l’abbesse de son couvent, avait, quoique infiniment petite, tous les défauts des grands, elle l’avoue elle-même ; cela lui servit plus tard à les excuser en eux, bien que sa pénétration ne pût s’empêcher de les noter, et sa délicatesse d’en souffrir.

Le jeu, les loteries poétiques, paraissant à la longue un peu monotones, l’abbé de Vaubrun imagina un nouveau divertissement. La déesse de la Nuit apparut à l’improviste, enveloppée de ses crêpes, et remercia la princesse de la préférence qu’elle lui accordait sur le jour ; elle avait un suivant qui chanta un air de circonstance arrangé par Malézieu et Mouret. Cette bagatelle amusa infiniment Mme du Maine, qui décida d’y donner suite : tous les quinze jours, deux personnes organisaient une fête de ce genre ; elles prenaient le titre de Roi et de Reine, commandaient, payaient la dépense, et déposaient leur souveraineté le lendemain même de la grande nuit. Il y en eut seize en tout, et elles furent interrompues par la maladie et la mort de Louis XIV ; on avait commencé assez simplement, on finit par déployer un faste ruineux dans la mise en scène, les costumes et les décorations. D’ordinaire, le roi et la reine se contentent de combiner trois intermèdes héroïques ou pastoraux, séparés par des reprises de jeu. Ainsi, pendant la quatrième nuit, le premier intermède est rempli par un jeu de quilles animées qui se plaignent qu’on ne les admette point à ces divertissemens ; dans le deuxième, on voit une ambassade de Groënlandais qui, avec des complimens dignes de Gongora et de ses disciples, offrent à son altesse sérénissime la souveraineté de leur pays ; la fête se termine par un dialogue d’Hespérus et de l’Aurore. Chargé d’organiser la treizième nuit, l’abbé de Vaubrun s’adresse à Destouches et Mouret qui écrivent un opéra-ballet, les Amours de Ragonde, véritable farce de carnaval, agrémentée d’une musique gaie et spirituelle. Ragonde, vieille amoureuse, un peu sorcière et secondée par les lutins, parvient, malgré son âge et ses quatre dents, à épouser le berger Colin. Premier acte : la soirée du village ; second acte : les lutins ; troisième acte : la noce, suivie d’un formidable charivari. Les Amours de Ragonde passèrent au répertoire de l’Opéra en 1742, plus tard au théâtre de Mme de Pompadour.

Mme de Staal fit des vers pour quelques-unes des nuits, les plans de plusieurs autres, et on la consulta pour toutes. Une physionomie bien originale, cette femme, née en France, « fabriquée en Angleterre et conçue dans l’amertume, » qui fut mieux qu’une soubrette de cour, presque un La Bruyère femelle, élevée pour le bonheur, et puis réduite par la malchance à entrer comme femme de chambre chez la duchesse du Maine, où, très lentement, à travers mille déboires et mille ingratitudes, elle conquiert le rang de dame d’honneur, très ferrée sur Descartes, sur la géométrie et l’anatomie[8] (le savant Du Verney dit qu’elle était la fille de France qui connaissait le mieux le corps humain), véritable héroïne de la conspiration de Cellamare, dont elle garde le secret avec la plus courageuse fidélité, tandis que ses maîtres livrent piteusement leurs projets et leurs amis, subtile et romanesque, capable de faire de l’esprit sur ses propres souffrances, sachant inspirer et ressentir des amitiés profondes, aimée de ceux qu’elle méconnaît, dédaignée, traitée comme une vieille gazette par ceux qu’elle adore,

Car Dieu, qui fit la grâce avec des harmonies,
Fit l’amour d’un soupir qui n’est pas mutuel,


et, après mainte odyssée amoureuse, se réfugiant vers cinquante ans dans un mariage de raison, pour vivre dans les limbes[9]. Elle a un sentiment secret pour le marquis de Silly, et elle pousse le désintéressement jusqu’à rédiger pour lui sa correspondance galante avec une dame. Chaulieu, septuagénaire, aux trois quarts aveugle, mais toujours charmant et charmeur, s’éprend pour elle d’une véritable passion, va la voir tous les jours, lui confère une autorité despotique sur sa maison, la compare dans ses lettres à Hélène pour la grâce, et affirme que Molière, par la force de la métempsycose, a élu domicile dans sa personne : par un raffinement de délicatesse assez étrange, il lui propose à chaque instant des parties avec un jeune homme pour lequel il a démêlé la très tendre amitié de Mlle Cordier-Delaunay. C’est de l’amour clairvoyant et plus qu’indulgent, mais la sagesse, la raison ne vont-elles pas plus souvent à entretenir d’aimables erreurs et à faire durer un attachement qu’à poursuivre une stérile et désolante vérité ? Dès que le charme est fini, que devient l’opéra d’Armide ? Un débris de palais détruit, une senteur de lampes qui s’éteignent ? « Est-il rien de si amusant que vous ? écrit Chaulieu. Est-il rien de si amoureux que moi ? ., qui jamais autre que vous a fait son amant fidèle et constant par le récit de ses friponneries ? .. Combien de choses ai-je à vous dire ? L’esprit s’épuise, mais le langage du cœur est intarissable. J’ai lieu de croire que vous ne vous ennuyez pas avec moi : appelez cela coquetterie, penchant, goût, plaisir, sympathie, volupté, amour, passion, amusement, amitié, je vous laisse le choix des armes et des noms. » De tout un peu : Mlle Delaunay, qui croyait avoir appris de la vie qu’on n’aime que soi, et que l’héroïsme de sentiment n’est qu’une production de l’imagination que le cœur sans cesse désavoue, Mlle Delaunay s’abandonnait alors à ce plaisir exquis : être aimée de quelqu’un qui ne compte plus sur soi et ne prétend rien de vous. Et toutefois, certaines lettres de l’abbé laissent supposer que sa flamme tendait plus loin ou plus bas que le platonisme ; les hommes de ce temps-là ne désarmaient pas volontiers et se souvenaient des vertes vieillesses des patriarches. Ne se plaint-il pas un jour que ses chaînes sont trop douces ? Une absence, un caprice, une jalousie, tout peut les rompre. Et de conjurer son idole de mettre quelque chose entre eux qui les empêche de se séparer jamais. Il voudrait faire son bonheur, qu’elle fasse un peu le sien, car tout n’est qu’un commerce dans la vie. Mais peut-être l’Anacréon français habillait-il du costume de l’amour une amitié passionnée, tandis que sa partenaire procédait tout autrement dans les Mémoires où elle a pris soin, selon sa propre expression, de ne se présenter qu’en buste.

Rien de plus attrayant que ces Souvenirs, de plus fin que ses jugemens. Ressorts des machines, spectacles des coulisses, jeu des acteurs, son propre jeu à elle-même, elle analyse tout d’un style net, rapide, élégant, avec une ironie voilée que tempèrent le goût et je ne sais quelle indulgence faite de désabusement, de philosophie pratique et de dédain. Mêmes qualités éclatent dans deux comédies écrites en 1747 pour le théâtre de Sceaux, l’Engouement, la Mode, pleines d’amusantes critiques contre certains ridicules de la société. Il y manque ce qui manque presque toujours aux pièces d’amateurs, qu’ils s’appellent Guibert, Hénault, Pont de Veyle, Du Deffand, Forcalquier, l’action, le mouvement, l’art de l’intrigue, de la mise en scène, mais on y rencontre des dialogues spirituels, des traits de caractère empruntés à plusieurs personnages, accumulés sur une même tête. Orphise, par exemple, excuse plaisamment ses engouemens perpétuels : « Plus on a de goût pour les choses parfaites, plus on est exposé à les croire où elles ne sont pas. » Dans la Mode, satire vigoureuse des absurdités où entraînait le culte de cette inconstante divinité, je rencontre une comtesse qui aime son mari et prend des amans pour ne pas se chamarrer de ridicules, parce que la vie est un tissu de bienséances qu’il faut remplir. D’ailleurs rien ne lui est plus suspect que la trop grande fidélité ; aussi, après avoir refusé à sa fille un parti de tout point excellent, se ravise-t-elle lorsqu’elle croit savoir que le jeune homme a fait des folies pour une actrice. Et elle enseigne à sa fille qu’un mari est l’homme du monde avec qui on vit le moins. Elle déploie un luxe absurde, car pourvu que l’on lasse de la dépense, elle ne voit pas que le bien soit si nécessaire ; quant à l’étude, il ne faut rien connaître que l’histoire du jour, et, si l’on veut lire, que ce soit des brochures encore toutes mouillées, car, dès qu’elles sont sèches, on n’en veut plus. Écoutons-la discuter gravement, avec sa bonne amie la marquise, le choix d’un galant nouveau :

La Marquise. — On se l’arrache, c’est à qui l’aura ; il est vrai qu’on le garde si peu que dans huit jours ce serait à recommencer. J’aime mieux quelque chose de plus fixe. Il y en a un autre d’une figure charmante, à ce qui m’a été dit (car je ne l’ai jamais vu), mais c’est un homme qui a des singularités. Il veut du mystère dans ses galanteries, et prétend qu’on ne sache pas à qui il est attaché. Vous m’avouerez qu’il y a peu de femmes assez dupes pour vouloir supporter les sujétions d’un engagement, sans y rien trouver qui flatte la vanité, car enfin il ne faut pas croire que les frais n’en soient pas grands. C’est bon marché quand les complaisances se partagent par moitié ; combien de femmes se voient obligées d’en porter les trois quarts !

La Comtesse. — Et quelquefois le tout. C’est ne guère connaître la vie des femmes du monde que de la croire aisée ; elle est plus austère que la vie retirée.

La Marquise. — Ah ! vous avez bien raison. Il n’y a qu’à voir en détail comment se passent nos journées. Le matin, quelle discussion avec les ouvriers, les marchands, pour le choix des parures ! Quels soins pour avoir ce qu’il y a de plus nouveau, de meilleur goût et pour n’être pas prévenue sur une mode ! Ensuite les cartes, les billets qu’il faut écrire pour l’arrangement des parties. Tout cela mène jusqu’au dîner. On dîne… on ne dîne point, car il faut souper. Après, vient l’excessif travail d’une toilette faite avec toute l’attention que demande la nécessité de se bien mettre. À peine a-t-on fini, qu’on sort pour les spectacles : il faut toujours tout voir, ou plutôt être vue partout. Enfin on va souper, et la nuit se passe à cavagnole.

La Comtesse. — Et lorsque le jour paraît, si malheureusement on se trouve accablée de sommeil, il faut encore dire qu’on ne peut pas se résoudre à se coucher. Vous en direz tout ce que vous voudrez ; pour moi, je m’imagine qu’il y a beaucoup plus d’avantage (surtout pour les personnes paresseuses comme moi) dans le parti de ces brillantes retraites où l’on semble reprendre un nouvel éclat. Vous ne le croiriez pas, je suis quelquefois tentée d’en faire l’essai.

La Marquise. — Ah ! gardez-vous-en bien. N’y eût-il que le préliminaire, il est affreux : plus de rouge, plus de spectacles ; la parure est encore un article qu’il faut céder…

Le bouquet de la pièce, c’est la réponse de la comtesse lorsque la marquise lui confie que son amant Acaste a eu l’idée saugrenue de demander sa main : « Peut-être feriez-vous mieux de le prendre au mot. — Comment donc ? — Oui, de l’épouser pour vous en défaire. » Et la marquise s’empresse de suivre un si sage avis.

Quant aux lettres de Mme de Staal, elles soutiennent la comparaison avec ses mémoires et classent leur auteur parmi les maîtres du genre. Sentimentale avec le chevalier de Ménil, purement amicale avec M. d’Héricourt et Mme du Deffand, cette correspondance reflète à merveille sa nature d’esprit moralisante, un peu précieuse, tournée vers le marivaudage philosophique et le reploiement sur soi-même. Lorsqu’elle écrit à la marquise, le trait devient plus sarcastique, afin de se mettre à l’unisson, de guérir ses infirmités morales en l’amusant. Passer tout à ses amis et ne rien prétendre, prendre le temps, les choses, les gens, comme tout cela se trouve, se bien pénétrer de cette idée que la délicatesse augmente à mesure qu’on la sent et que ce sont les intervalles de plaisir qui font l’ennui, voilà sa recette, pas très différente en somme de celle de la duchesse de Choiseul[10]. Quant à l’altesse sérénissime, on l’égratigne de temps en temps, vengeance bien permise après toutes les meurtrissures supportées depuis trente ans, et l’on ne se gêne pas pour remarquer que les grands, à force de s’étendre, deviennent si minces qu’on voit le jour à travers[11] ! D’ailleurs, ils sont « en morale ce que les monstres sont dans la physique ; on aperçoit en eux à découvert la plupart des vices qui sont imperceptibles dans les autres hommes. » Et le lien le plus fort qu’on ait avec eux, c’est celui de l’habitude. Après la mort subite de la duchesse d’Estrées, l’inséparable de Mme du Maine, elle écrit à la marquise : « On l’enterre ici aujourd’hui, et puis la toile sera baissée, on n’en parlera plus… Il faut convenir que nous allons un peu au-delà de l’humaine nature. Je vois d’ici ma pompe funèbre ; si le regret est plus grand, les ornemens seront en proportion. Que nous importe ? Il faut toujours bien faire et ne s’embarrasser que de cela. » Mais ses traits les plus malins, elle les réserve pour Voltaire et surtout Mme du Châtelet, qui tous deux firent une première visite à Anet en août 1747 ; de tels coups de langue devaient enchanter Mme du Deffand, qui n’aime guère l’immortelle Emilie dont elle a tracé un portrait sanglant : « Mme du Châtelet et Voltaire, qui s’étaient annoncés pour aujourd’hui et qu’on avait perdus de vue, parurent hier sur le minuit, comme deux spectres, avec une odeur de corps embaumés qu’ils semblaient avoir apportée de leurs tombeaux. On sortait de table. C’étaient pourtant des spectres affamés ; il leur fallut un souper et, qui plus est, des lits qui n’étaient pas préparés. La concierge, déjà couchée, se leva à grande hâte. Gaya, qui avait offert son logement pour les cas pressans, fut forcé de le céder dans celui-ci, et déménagea avec autant de précipitation et de déplaisir qu’une armée surprise dans son camp, laissant une partie de son bagage au pouvoir de l’ennemi… Pour la dame, son lit ne s’est pas trouvé bien fait ; il a fallu la déloger aujourd’hui. Notez que ce lit, elle l’avait fait elle-même, faute de gens… »

Et Mme de Staal ne fait grâce d’aucun travers. Eh quoi ! les deux revenans demeurent tête à tête enfermés toute la journée (en réalité, ils répétaient le Comte de Boursoufle de Voltaire), on ne les voit qu’à la nuit close, ils ne veulent ni jouer ni se promener, Mme du Châtelet dévaste le château, s’empare de tous les meubles qui lui conviennent pour son appartement ! « Elle en est d’hier à son troisième logement ; elle ne pouvait plus supporter celui qu’elle avait choisi ; il y avait du bruit, de la fumée sans feu (il me semble que c’est son emblème). Le bruit, ce n’est pas la nuit qu’il l’incommode, à ce qu’elle m’a dit, mais le jour, au fort de son travail : cela dérange ses idées. Elle fait actuellement la revue de ses principes ; c’est un exercice qu’elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s’échapper, et peut-être s’en aller si loin qu’elle n’en retrouverait pas un seul. Je crois bien que sa tête est pour eux une maison de force, et non pas le lieu de leur naissance : c’est le cas de veiller soigneusement à leur garde… Voltaire a fait des vers galans qui réparent un peu l’effet de leur conduite inusitée. »

Quelque temps après, la duchesse cachait Voltaire pendant deux mois pour le soustraire à la haine de gens de qualité dont il avait trop franchement démasqué les friponneries ; c’est dans cette retraite qu’il composa, c’est la nuit qu’il lisait à la princesse quelques-uns de ses contes : Babouc, Memnon, Scarmentado, Micromégas, Zadig. On réussit à apaiser ses ennemis, et les fêtes recommencèrent. Mme du Châtelet et Voltaire jouèrent avec succès dans l’opéra héroïque d’Issé, de Lamotte et Destouches, dans la Prude et Zélindor. Comme sa protectrice, il aima passionnément la comédie d’amateur, et il eut partout son théâtre, à Paris, rue Traversière, à Lausanne, Ferney et Tournay[12] (ces derniers lui attiraient de piquans démêlés avec leurs excellences de Berne). Il voulait que tous ses acteurs eussent le diable au corps, dirigeait les répétitions, et, dans son zèle extrême, revêtait dès le matin son costume tragique, puis, ainsi affublé, descendait au jardin où il donnait tranquillement des ordres à ses jardiniers stupéfaits. Il se croyait, et Lekain son élève le proclamait un merveilleux acteur, tandis que d’autres témoins, Gibbon en particulier, trouvaient sa déclamation modelée d’après la pompe et la cadence d’autrefois, respirant plutôt l’enthousiasme de la poésie qu’elle n’exprimait les sentimens de la nature.

À Sceaux, il occupait l’ancien logement de Sainte-Aulaire, et ce rapprochement lui dicta cet aimable madrigal :

J’ai la chambre de Sainte-Aulaire
Sans en avoir les agrémens.
Peut-être à quatre-vingt-dix ans
J’aurai le cœur de sa bergère :
Il faut tout attendre du temps,
Et surtout du désir de plaire.

Voltaire était en grande faveur, il aurait remplacé dans les bonnes grâces de la princesse Salpetriale Berger, Malézieu lui-même, sans une grave imprudence qui l’obligea de partir précipitamment. Mme du Maine, qui aimait qu’on lui offrît des fêtes chez elle, avait permis à la marquise de Malauze de faire les frais de l’opéra d’Issé ; mais aux deux représentations qu’on en donna, il y eut une si prodigieuse affluence de curieux qu’elle décida qu’on ne jouerait plus chez elle que des comédies. Même foule insupportable quand on donna la Prude. Mme du Maine résolut d’éclaircir le mystère, se fit montrer les billets d’invitation et les trouva indécens par rapport à elle. Très indécens, en effet, car ils étaient ainsi conçus : « De nouveaux acteurs représenteront vendredi 15 décembre, sur le théâtre de Sceaux, une comédie nouvelle en vers et en cinq actes. Entre qui veut, sans aucune cérémonie ; il faut y être à six heures précises et donner ordre que son carrosse soit dans la cour à sept heures et demie huit heures. Passé six heures, la porte ne s’ouvre à personne. » D’Argenson affirme faussement que Voltaire avait poussé le sans-gêne jusqu’à envoyer cinq cents billets d’invitation où il promettait comme principal attrait de la fête qu’on ne verrait pas Mme du Maine. Il n’est pas exact non plus qu’on le mit à la porte, on se contenta de le congédier poliment. Mais Voltaire était trop courtisan, l’altesse trop avide de plaisirs et curieuse d’illustres divertisseurs pour que la brouille fût éternelle : il mit en œuvre son esprit, sa grâce complimenteuse, elle accepta le rôle d’Égérie littéraire, lui donna la première idée de Catilina ou Rome sauvée, corrigea cette tragédie ; tant et si bien que, dans l’automne de 1749, il s’installait triomphalement à Sceaux et le 21 juin 1750 y faisait jouer sa pièce. Cette fois, l’altesse avait pris ses précautions, et l’auteur avait dû promettre qu’il n’y aurait pas cinquante personnes au-delà de ce qui vient journellement à Sceaux. Il remplit avec éclat le rôle de Cicéron, Lekain celui de Lentulus Sura. Une répétition générale avait eu lieu le 8 juin, rue Traversière, devant un public composé surtout de gens de lettres et d’amis : « Vous ne sauriez croire quel succès votre tragédie a eu dans cette grave assemblée, écrit le poète… Ame de Cornélie, nous amènerons le sénat romain aux pieds de votre altesse, lundi. »

Heureuse femme qui trouvait à la fin un amuseur plus célèbre à lui seul que tous les autres ! Les autres ! Partis pour le grand voyage, oubliés prestement ; peut-être même leur en avait-on voulu de leur indiscrétion. Une mort importune ne trouble-t-elle pas une fête, n’interrompt-elle pas une répétition ? Qui ne sait que la dernière politesse qu’on doive à ses amis consiste à se retirer à propos, sans bruit, sans fracas, dans la morte saison des plaisirs ? Et puis un défunt qui se respecte doit, au bout de huit jours, se contenter des lamentations de son épitaphe. Il fallait cependant tirer le rideau : le 23 janvier 1753, après soixante-dix-sept ans de cohabitation, l’âme de la duchesse (animula vagula, blandula) se sépara de sa petite enveloppe, et elle alla voir là-haut si Descartes, son philosophe, avait eu raison.


III

À ce moment même, le théâtre de Mme de Pompadour, inauguré en 1747 avec tant d’éclat, touchait au terme de sa carrière[13]. Celle-ci ne naît point sur les marches du trône, elle s’appelle Antoinette Poisson, elle est bourgeoise, robine, fille d’une mère assez galante, d’un père qui a encouru condamnation à mort pour avoir malversé dans les vivres, mais elle a reçu de la nature, de l’éducation les armes propres à conquérir un trône viager, à faire déroger l’adultère royal et ravir à la noblesse une de ses prérogatives : talens naturels et acquis, beauté, grâce, ambition. Le fermier général Le Normand de Tournehem, qui a des raisons de se croire peu ou prou son père, l’a magnifiquement élevée ; Guibaudet lui a enseigné la danse ; Jéliotte le chant, le clavecin ; Crébillon, Lanoue la déclamation ; elle conte à ravir, grave, aime l’art, monte à cheval en perfection, elle a le génie de la toilette. Jeune fille, stylée par sa digne mère, elle caresse déjà l’espérance d’une fortune quasi-royale, et, dans son esprit, comme dans l’âme de Macbeth, resplendit sans cesse la vision éblouissante, la prophétie de la bohémienne à laquelle elle fera plus tard une pension de 600 livres pour avoir prédit sa destinée. Jeune femme, elle marche droit à son but, avec l’énergie froide, la stratégie insinuante d’un vieux diplomate, avec tout l’arsenal de la coquetterie, mais jusque dans ses manœuvres les plus hardies, montrant le coup d’œil rapide, cet art d’éviter les périls, de collaborer avec le hasard, et ce respect des petites cartes qui font les grands capitaines, les heureux joueurs de la politique. D’instinct elle a deviné l’importance de l’opinion publique, cette force nouvelle qui surgit comme un pouvoir rival de la royauté, et senti qu’elle est dès lors entre les mains des écrivains ; aussi les protégera-t-elle toute sa vie ; en attendant, elle fait la cour à ceux qui peuvent lui ménager le suffrage des salons, et, par ceux-ci, l’aider à gravir les échelons qui la séparent du sommet. Et, fascinés par son esprit et ses grâces, littérateurs, artistes, gens du monde, grands seigneurs, font cortège à l’ambitieuse, la prônent à l’envi, répandent autour d’elle ce nuage d’encens qui excite la curiosité grandissante. Que ne peut la volonté, cette faculté suprême, cet aimant du succès, munie de tels auxiliaires ! Quelques années s’étaient à peine écoulées depuis son mariage, et, favorite déclarée, faite marquise de Pompadour, Mme d’Etiolles remplaçait officiellement la duchesse de Châteauroux.

La place une fois prise, il fallait la garder, la défendre contre les entreprises de la jalousie, contre un ennemi plus dangereux que tous les autres : il fallait lutter contre l’inconstance de Louis XV, surtout contre l’ennui, le morne ennui qui le dévorait, recommencer en quelque sorte tous les jours sa conquête, amuser cet homme, qui, selon l’abbé Galiani, faisait le plus vilain métier, celui du roi, le plus à contre-cœur possible. Elle songea à mettre en œuvre le talent qui lui avait valu de légitimes succès sur les théâtres d’Etiolles et de Chantemerle, afin d’offrir à son amant le ragoût de cette métamorphose continuelle qui la montrerait, elle, la meilleure comédienne de société de son temps, sous les aspects les plus variés. Réaliser l’idéal de l’unité dans la diversité, et, transposant le rêve de Néron, donner seule l’illusion de toutes les formes de la beauté, faire en sorte que celui qui vous aime croie aimer en vous toutes les femmes, n’est-ce pas le triomphe le plus rare, le secret des grandes dominatrices des cœurs ? Tour à tour paysanne, reine et déesse, elle prendrait tous les noms : Colette, Célimène, Pomone, Galatée, emprunterait à chaque héroïne de beauté ses vertus, créerait ainsi des modèles charmans qui la pareraient de leur prestige, et toutes ces réalités aimables, toutes ces fictions poétiques, groupées comme en un bouquet, feraient d’elle cette perfection que les hommes recherchent éperdument et presque toujours en vain : la femme, la femme complète, l’idole, celle qu’on adore avec son âme, avec son corps, dans le passé, dans le présent, dans l’éternité, pour laquelle on soupire, au printemps, à l’été, à l’hiver de la vie, aussi rare que le génie et le bonheur.

Aussitôt qu’elle eut obtenu le consentement de Louis XV, Mme de Pompadour ne perdit pas un instant : elle organisa son théâtre d’une manière savante, supérieure à tout ce qu’on avait vu jusqu’alors, elle en fit une machine de gouvernement et d’influence en exploitant les innombrables ressorts de la vanité humaine. Troupe de comédie et troupe d’opéra, chefs d’emploi et doubles, débuts sévères, congés et rentrées, orchestre de premier ordre, tailleurs et habilleuses renommés, magasins de costumes, décors et accessoires, rien n’y manque. Une galerie du palais, attenant au Cabinet des médailles, se transforme en salle de spectacle qui prend le nom de Théâtre des Petits-Cabinets ; plus tard, on voulut une salle plus grande, et on l’installa dans la cage du grand escalier des Ambassadeurs ; ce second théâtre était mobile, pouvait se défaire en quatorze heures, se rétablir en vingt-quatre. Pour être admis comme sociétaire, il faut prouver que l’on a déjà joué la comédie ; défense de refuser un rôle affecté à son emploi : seules les actrices jouissent du droit de choisir les ouvrages, d’indiquer le jour de la représentation, de fixer le nombre et l’heure des répétitions. Une amende punit le retardataire, mais les dames ont la demi-heure de grâce. N’est-ce pas le cas de protester contre le mot d’une autre femme du XVIIIe siècle : — « On voit bien, à la manière dont nous avons été traitées, que Dieu est un homme. » — Voici la composition primitive de la très noble troupe : ducs d’Orléans, d’Ayen, de Coigny, de Nivernois, de Duras, comte de Maillebois, marquis de Courtenvaux, marquis d’Entraigues ; marquise de Pompadour, duchesse de Brancas, comtesse d’Estrades, marquise de Livry, Mme de Marchais. Les spectacles commencent au retour de Fontainebleau, vers le milieu de novembre ; Mlles Gaussin et Dumesnil, de la Comédie-Française, dirigent parfois les répétitions. Lorsqu’on aborda l’opéra, la troupe n’avait que trois acteurs capables de chanter : la marquise, la duchesse de Brancas, le duc d’Ayen ; on leur adjoignit Mme Trusson, le comte de Clermont d’Amboise, le vicomte de Rohan, le marquis de La Salle. Elle a un directeur, le duc de La Vallière, et un sous-directeur, l’académicien Moncrif, lecteur de la reine, l’historiogriffe des chats, un secrétaire-souffleur, l’abbé de La Garde, bibliothécaire de la Pompadour. L’orchestre, composé pour un tiers environ d’amateurs, pour deux tiers d’artistes de la musique du roi, est conduit par Rebel ; dans les opéras, le compositeur a le droit de battre la mesure quand on joue son ouvrage. Les chœurs chantans, sous la direction de Bury, sont divisés en deux parties : côté du roi, côté de la reine, choisis à l’ancienneté, afin d’éviter toute jalousie sur la prééminence des talens. Sous les ordres de Dehesse, maître des ballets, se meut un bataillon de figurans et figurantes, âgés de neuf à douze ans ; on ne compte que quatre danseurs seuls : le marquis de Courtenvaux, le comte de Langeron, le duc de Beuvron et le comte de Melfort.

Pour décorer le théâtre, on a fait appel à des artistes d’élite : Perronet dessine les costumes qu’exécutent Renaudin, Mériotte, Supplis et Romarin ; quant au département des coiffures, il revient de droit à Notrelle, celui-là même qui fit insérer dans un almanach cette délicieuse réclame : « Le sieur Notrelle, coiffeur des Menus-Plaisirs, du roi et de tous les spectacles, place du Carrousel, a épuisé les ressources de son art pour imiter les perruques des dieux, des démons, des héros, des bergers, des tritons, des cyclopes, des naïades, des furies, etc. Quoique ces êtres, tant fictifs que vrais, n’en aient pas connu l’usage, la force de son imagination lui a fait deviner quel eût été leur goût à cet égard si la mode d’en porter eût été de leur temps. À ces perruques sublimes il a joint une collection de barbes et de moustaches de toutes couleurs et de toutes formes, tant anciennes que modernes. »

Qu’ils jouent ou ne jouent pas, les acteurs ont leurs entrées dans la salle, et Mme de Pompadour finit par les obtenir pour les auteurs. Quant aux actrices qui ne jouent point, il y a pour elles une loge dans laquelle la marquise se réserve deux places, dont l’une est toujours occupée par la maréchale de Mirepoix : moyen ingénieux de tourner la consigne qui n’admet pas les femmes comme spectatrices pendant les deux premières années. Et voici le billet d’entrée, une carte mignonne, grande comme une carte à jouer, où la pointe spirituelle de Cochin a jeté sur un balcon de tréteaux Colombine, au corps de robe agrémenté de nœuds de rubans, qui minaude l’étonnement, joue de la prunelle et de l’éventail, tandis qu’à côté d’elle, Léandre, en manchettes, le coude à la rampe et la main sur son cœur, déclare sa passion au nez de Pierrot, qui passe sa tête par le rideau du fond. Le roi s’est réservé le privilège de désigner les spectateurs, et il a bel et bien refusé au maréchal, au comte de Noailles, au duc de Gesvres et au prince de Conti des cartes pour la première représentation. En mettant à si haut prix cette faveur, il lui attribuait tout d’abord une valeur idéale, en faisait une force nouvelle au service de la favorite ; aussi l’octroi d’un bout de rôle, d’un billet devient-il une grosse affaire pour les courtisans et donne lieu à des marchés assez plaisans. Mme du Hausset avait pris le parti d’aller trouver le comte d’Argenson, ministre de la guerre, pour lui recommander un de ses parens : elle se retirait, après une réception assez froide, lorsque le marquis de Voyer, fils du ministre, la suit dans l’antichambre et lui tient ce discours : — « Vous désirez un commandement ? Il y en a un de vacant pour un de mes protégés, mais si vous voulez faire un échange de grâces, je vous le céderai. Je voudrais être exempt de police, et vous êtes à portée de me procurer cette place. » — Mme du Hausset, ayant demandé l’explication de la plaisanterie : — « Voici ce que c’est, reprit-il ; on va jouer Tartufe dans les Cabinets, il y a un rôle d’exempt qui consiste en très peu de vers. Obtenez de Mme la marquise de me faire donner ce rôle, et le commandement est à vous. » — Mme du Hausset réussit, elle eut son commandement, et M. de Voyer remercia Mme de Pompadour comme si elle l’eût fait duc.

C’est avec Tartufe qu’on inaugura le théâtre des Petits-Cabinets. Le 17 janvier 1747, Mmes de Pompadour, de Sassenage, de Brancas et de Pons, MM. de Nivernois, d’Ayen, de La Vallière, de Croissy, jouent cette comédie devant un public composé de quatorze personnes en tout : le roi, Mme d’Estrades, Mme de Roure, M. le maréchal de Saxe, MM. de Tournehem, de Vandières, Champcenetz et quelques autres. On donna ensuite le Préjugé à la mode, de La Chaussée, l’Esprit de contradiction, de Dufresny, les Trois Cousines, de Dancourt ; cette première saison se termina par la reprise du Préjugé à la mode et l’Érigone, de Mondonville. Mme de Pompadour, le duc de Nivernois, montraient un réel talent, M. de Courtenvaux était un excellent danseur, le roi subissait plus que jamais le charme et il disait à la favorite : « Vous êtes la plus charmante femme qu’il y ait en France. »

L’année suivante fut marquée par des incidens de quelque intérêt. Après avoir débuté par une comédie de Dufresny, le Mariage fait et rompu, suivie d’une pastorale de Moncrif, Rebel et Francœur, la troupe joua Y Enfant prodigue de Voltaire, que Mme de Pompadour avait fait agréer, bien qu’il fût assez mal en cour. Le poète s’empressa de la remercier par des vers, dont sa vanité ne lui permit point de garder le secret :

Ainsi donc vous réunissez
Tous les arts, tous les dons de plaire ;
Pompadour, vous embellissez
La Cour, le Parnasse et Cythère.
Charme de tous les yeux, trésor d’un seul mortel,
Que votre amour soit éternel !
Que tous vos jours soient marqués par des fêtes !
Que de nouveaux succès marquent ceux de Louis !
Vivez tous deux sans ennemis,
Et gardez tous deux vos conquêtes !

Mais voilà que le madrigal circule dans les sociétés de la reine et de Mesdames ses filles. On le commente, on l’épluche, on y découvre les intentions les plus noires. Comparer les conquêtes militaires du roi à celle de son cœur par sa maîtresse, attacher une parité de gloire à ces deux succès, quel crime impardonnable ! Chiffe, Loque et Graille courent chez leur père, le circonviennent, arrachent un ordre d’exil. La marquise dissimule son chagrin, sacrifie son poète[14], ce dont la reine et la famille royale lui surent quelque gré, et, pour la consoler, le roi, quelque temps après, la nomma surintendante du palais de la reine. Mais la malignité de ses ennemis se déchaîna en épigrammes et en chansons.

La contenance éventée,
La peau jaune et truitée,
Et chaque dent tachetée,
Les yeux fades, le col long,
Sans esprit, sans caractère,
L’âme vile et mercenaire,
Le propos d’une commère,
Tout est bas chez la Poisson, son, son…

Atteinte dans son orgueil de femme et d’actrice, la marquise riposta durement : ces couplets avaient été improvisés chez M. de Maurepas, il fut destitué, exilé, Pont de Veyle perdit une sinécure de 25,000 livres. Comblant de bienfaits sa famille, ses amis, ses cliens, elle se montre implacable à ses ennemis, quand elle peut les frapper ; l’un d’eux, le commandeur de Souvré, reçut un ordre d’exil pour avoir admiré qu’elle voulût apprendre l’allemand, « pendant qu’elle ne faisait qu’écorcher le français. »

Avec Richelieu du moins, elle dut se contenter de louvoyer, ne pas pousser à bout ses avantages ; le duc ne l’aimait pas, il aurait voulu la remplacer par Mme de Flavacourt, et ne négligeait aucune occasion de souligner ses travers, de la taquiner en ses goûts, de la faire devenir chèvre : il savait d’ailleurs son ascendant sur le roi, et que celui-ci ne détestait pas qu’on tourmentât ses maîtresses, faute de les tourmenter lui-même, comme lorsqu’il s’amusait à leur lire les sermons de Massillon. Le théâtre des Petits-Cabinets faisant partie des grands appartemens, les premiers gentilshommes de la chambre s’avisèrent qu’il relevait de leur juridiction, et que le duc de La Vallière empiétait sur leurs privilèges. Désigné pour être de service pendant l’année 1749, Richelieu entame aussitôt les hostilités : défense aux musiciens de la chambre d’aller nulle part sans son autorisation, refus de signer un ordre général pour que les voitures de la cour puissent quérir à Paris musiciens et comédiens, pour que le magasin des menus fournisse les habits. Puis, rencontrant le duc de La Vallière, il le traite de haut en bas, lui lave la tête : « A-t-il, lui, duc de La Vallière, une charge de cinquième gentilhomme de la chambre ? Bon pour le duc de Gesvres qui avait reçu 35,000 livres afin de se départir des droits de sa charge, mais lui, Richelieu n’en céderait pas une parcelle au prix d’un million. Et comme M. de La Vallière demeurait bouche bée : « Vous êtes une bête ! » ajouta le sermonneur, et il lui fit les cornes, ce qui n’est pas trop honnête, observe d’Argenson.

La corde était trop tendue : le roi se décida à intervenir. « Monsieur de Richelieu, dit-il à l’improviste, combien de fois avez-vous été à la Bastille ? — Trois fois, sire. » Et Louis XV se mit à détailler les motifs des trois lettres de cachet. Le maréchal comprit et recula : une sorte de concordat intervint, paix armée qui, pour la forme, réservait les prérogatives des gentilshommes de la chambre, qui, en fait, donnait gain de cause à la marquise. Celle-ci dédommagea son directeur en obtenant pour lui le cordon bleu. Pendant la bataille, elle avait invité le lieutenant de police à laisser vendre partout, même dans les théâtres, des bijoux appelés : Plaques de cheminées, avec une chanson où l’on persiflait l’amant de Mme de La Popelinière entrant chez celle-ci au moyen d’une plaque mobile pratiquée dans une cheminée[15]. Et, pendant un voyage à la Muette, sachant la favorite indisposée, et logeant au-dessus d’elle, le duc se vengeait en trépignant toute la nuit dans sa chambre ; ce qui ne l’empêche pas de lui imposer sa présence, de se faire nommer dans les voyages de la Celle, de Crécy, de Bellevue. Louis XV la consolait d’un mot piquant : « Vous ne connaissez pas M. de Richelieu ; si vous le chassez par la porte, il rentrera par la cheminée. » D’ailleurs elle triomphait sur les points essentiels, et il faut entendre d’Argenson prophétiser malheur à l’état gouverné par une coquette, tout en constatant avec amertume qu’il ne sert de rien de regimber contre l’éperon, et que les amis des solliciteurs conseillent de plus en plus d’avancer par elle et de lui rendre hommage.

Parmi les fêtes les plus brillantes du théâtre des Petits-Cabinets, citons le Méchant, de Gresset, joué après deux mois entiers d’études. Le duc de Nivernois brilla si fort dans le rôle de Valère, qu’on le déclara supérieur à Roseli qui l’avait créé, et qu’à une seconde représentation la favorite obtint de faire venir cet acteur, qui, dit-on, aurait désormais imité l’amateur, et assuré mieux encore son succès auprès du public.

Le spectacle était à la fois sur la scène et dans la salle, car on trouvait dans la pièce des études faites d’après nature : « Cléon le méchant est composé du caractère de trois personnages, que j’y ai bien reconnus : M. de Maurepas pour les tirades et les jugemens précipités, tant des hommes que des ouvrages d’esprit ; le duc d’Ayen pour la médisance et le dédain de tous ; et mon frère pour le fond de l’âme, les plaisirs et les allures. Géronte et Valère couvrent des noms trop respectables pour les articuler ici ; ce sont des âmes bonnes et simples, que séduit la mauvaise compagnie qui les entoure. Ariste est partout, ou doit être dans les honnêtes gens qui raisonnent bien ; Florise dans quantité de femmes trompées ; Pasquin est le président Hénault, bonne caillette, quoique avec l’esprit des belles-lettres, etc. Ainsi l’on doit dire : mutato nomine de te fabula narratur. » On voit, d’après ce passage de d’Argenson, que l’idée du roman à clef ne date pas d’hier, il a même des origines beaucoup plus anciennes, le Roman de la Rose, les fabliaux du moyen âge. Jamais on n’empêchera l’écrivain de s’inspirer du milieu où il vit, des personnages qu’il coudoie, et n’est-ce pas une des conditions essentielles du talent : un point de départ véritable, duquel l’imagination s’élance pour composer un être fictif, un canevas sur lequel l’auteur brode ses arabesques ? Prendre à celui-ci un trait de caractère, à celui-là une parole, évoquer un paysage, rapporter en le transposant tel ou tel fait, ce n’est pas copier, ni démarquer, c’est proprement créer. Ici comme partout, c’est affaire de mesure, de tact ; tant pis si les malins cherchent la petite bête, dépassent ou dénaturent la pensée de l’artiste.

Il semblait que la musique ne dût pas réussir comme le reste. Au premier opéra qu’on donna, on vit le roi bâiller et on l’entendit dire à un de ses voisins : « J’aimerais mieux la comédie. » Mme de Pompadour persiste, elle triomphe, et le 13 janvier 1750, sa troupe représente le plus bel opéra qu’elle ait joué sous le rapport des décorations : le Prince de Noisy, paroles de La Bruère, musique de Rebel et Francœur. L’intrigue, fort simple, servait de cadre à des ballets exécutés avec beaucoup d’ensemble. Poinçon-Pompadour, et l’énorme géant Moulineau se disputent la main de la princesse Alix, fille d’un druide : au premier acte, fête du gui sacré, au second, un jeu de machines faisant descendre du haut du théâtre des gerbes de fleurs dont le parfum endort le géant, que le petit Poinçon tue pendant son sommeil. Au troisième acte, le temple de la Vérité, où les deux amans viennent consulter l’oracle, et pour terminer, un changement à vue ; Alix et le petit Poinçon, reconnu prince de Noisy, prenant place sur un trône, dans une apothéose de lumières et de pierreries[16].

Une autre fois, dans Acis et Galatée de Lulli, Pompadour-Galatée était ainsi mise : grande jupe de taffetas blanc, peinte en roseau, coquillages et jets d’eau avec broderie et frisé d’argent, bordée d’un réseau argent chenille vert ; corset de taffetas rose tendre ; grande draperie, drapée de gaze d’eau, argent et vert à petites raies, avec armures d’autre gaze d’eau, bracelets et ornemens du corps de la même gaze d’eau garnis de réseau argent chenille vert ; la mante, de gaze verte et argent à petites raies, bordée de bouffettes d’une autre gaze d’eau ; la mante et la draperie doublées en plein de taffetas blanc, tout le vêtement orné de glands et barrières de perles.

Tout était à l’avenant, et cela ne laissait pas de coûter fort cher ; dans une seule année, on dépense plus de 100,000 écus. Tribou, maître à chanter de la favorite, reçoit une pension de 800 livres, puis il partage avec Dehesse les revenus d’une excellente sinécure dans les sous-fermes ; le marquis de La Salle, un des bons chanteurs de la troupe, obtient, comme récompense de ses services, le gouvernement de la province de la Marche, que sollicitaient des maréchaux de France et nombre de lieutenans-généraux plus anciens que lui. Un peu ému sans doute de ces prodigalités, Louis XV décida, en 1750, qu’il n’y aurait plus ni ballets, ni comédies à Versailles et qu’on les jouerait désormais au château de Bellevue, qui venait de coûter près de trois millions à la marquise, ou plutôt au Trésor royal, — une maison commode et charmante, sans nulle magnificence, — écrivait-elle à une amie. Aussi bien les mécontens de la cour et de la ville n’épargnaient point les satires :

Parmi ces histrions qui règnent avec toi,
Qui pourra désormais reconnaître son roi ?

Dans l’École de l’homme ou parallèle des Portraits du siècle et des Tableaux de l’Écriture sainte, on lisait des attaques comme celle-ci : — « Lindor, trop gêné dans sa grandeur pour prendre une fille de coulisses,.. se satisfait en prince de son rang ; on lui bâtit une grande maison, on y élève exprès un théâtre où sa maîtresse devient danseuse en titre et en office ; hommes entêtés de la vanité des sauteuses, insensés Candaules, ne pensez pas que le dernier des Gygès soit mort en Lydie ! »

Le théâtre de Bellevue étant beaucoup plus petit que les deux autres, il fallut restreindre le nombre des invités, se borner à la société intime de Louis XV et de Mme de Pompadour : ce qui ne l’empêcha pas de faire assez bonne figure. De 1750 à 1753, on y représente l’Homme de fortune, la Mère coquette, les Trois cousines, M. de Pourceaugnac, Zélisca, Venus et Adonis, Zélindor, roi des Sylphes : l’Homme de fortune semble avoir médiocrement réussi, le duc de Chartres n’était pas sûr de son rôle, la mémoire de la marquise travailla aussi, les acteurs ne se montrèrent pas, à beaucoup près, aussi fermes sur leurs étriers qu’ils auraient dû l’être : sans compter qu’il avait fallu retrancher des allusions à l’injustice des fortunes de finance et des vers comme celui-ci :

Vous, fille, femme et sœur de bourgeois, quelle horreur !

En revanche, Mmes de Pompadour, de Marchais et M. de La Salle firent merveille dans le Devin de village, qui, d’après d’Argenson, coûta plus de 50,000 écus au moment même où l’on ne payait plus aucuns gages dans la maison du roi.

Cependant les spectacles de Bellevue se faisaient plus rares qu’à Versailles ; l’auditoire semblait trop peu nombreux, le zèle se ralentit, la troupe s’égrenait peu à peu et tombait à rien. Aux opéras, aux comédies succédèrent les concerts, les feux d’artifices. Le théâtre de la marquise venait de durer six années consécutives : une tragédie, dix-huit comédies, trente et un opéras, dix ballets, en tout soixante ouvrages, dont plusieurs furent joués cinq et six fois, témoignaient de l’activité de la fondatrice. Après l’avoir créé de toutes pièces, elle l’avait soutenu de son ardente volonté ; abordant tous les genres, interprétant les œuvres de Molière, Quinault, Destouches, Gresset, Voltaire, Sainte-Foix, La Chaussée, Dancourt, Dufresny, Lulli, Campra, Mondonville, Rameau, etc. Elle avait étendu de tous côtés son influence, affermi sa conquête, et, devenue de fait premier ministre, elle jouait, contre l’honneur et la grandeur de la France, le rôle de maire du palais d’une monarchie tombée en quenouille. Mais, hélas ! qui donc, parmi les hommes politiques du XVIIIe siècle, a été le maître de l’heure, qui donc a commandé aux événemens ?


IV

On entre au théâtre de Trianon par une porte encadrée de deux colonnes ioniques, avec un Ironton triangulaire, d’où s’élance Apollon sous la forme d’un enfant couronné de laurier et brandissant une lyre. La salle de spectacle est blanc et or, décorée avec goût, la voussure percée de douze œils-de-bœuf entre lesquels des Amours font la chaîne avec des guirlandes de fleurs et de fruits ; les balustres, piédestaux en brèche violette, les sièges, les appuis des balcons et des loges en velours bleu. Dans la partie centrale de l’avant-scène, deux Muses couchées portent l’écusson de la reine ; à chaque coin, deux nymphes soutiennent un grand cornet garni de soleils, de roses, de lis, au milieu desquels brillent quatre-vingt-onze flammes de bougies. Tout autour des Grâces et des Muses, dans un Olympe de nuages, le peintre Lagrenée a fait voltiger des Amours au plafond[17].

Commencé en juin 1778, le théâtre de Trianon s’achevait en juillet 1779, et sans parler des meubles, tentures, frais de menuiserie, coûtait la somme de 141,200 livres 4 sous 8 deniers. Marie-Antoinette allait pouvoir se livrer à son goût favori, celui qui, après la musique, persista le plus ; car, de toutes les passionnettes, courses de chevaux, danses, jeux, fêtes champêtres, bals de l’Opéra, qui hantèrent cette âme, si frêle et futile avant l’auréole du malheur, la comédie qu’elle ne comprenait guère, la musique qu’elle entendait mieux, furent seuls durables. Assez indifférente aux choses de l’esprit, elle protège avec discernement les compositeurs allemands, italiens et français, pensionnant impartialement Gluck et Piccini, encourageant Grétry. Quant à son théâtre, il a en quelque sorte une double physionomie. Bien avant qu’elle ne monte elle-même sur les planches, car je ne compte pas une tentative secrète, du vivant de Louis XV, de concert avec ses belles-sœurs et beaux-frères, la Comédie-Française et la Comédie italienne sont fréquemment appelées à la cour ; puis la Montausier obtient la permission de s’installer avec sa troupe à Versailles et le privilège de suivre le roi dans toutes ses résidences. En un seul trimestre, la Comédie italienne joue treize fois, la Comédie française vingt-cinq fois, ce qui, à raison de 650 livres par séance, représente 24,050 livres. Tout d’abord, Louis XVI manifestait beaucoup de répugnance contre les spectacles, mais en flattant son faible pour les parades et les parodies[18], on parvint à le désarmer. La comédie lui inspira même une critique ingénieuse des courses de chevaux dont se montraient férus le comte d’Artois et les jeunes seigneurs, à l’imitation des Anglais. Ce prince avait engagé et perdu des sommes considérables sur un cheval, tandis que le roi n’avait voulu risquer qu’un écu de 3 livres, disant qu’il était père de famille de 25 millions de sujets. À quelque temps de là, les comédiens français venant représenter Don Japhet d’Arménie, Louis XVI recommanda aux coryphées de la cavalcade de reproduire les mines de son frère et de la reine à la course de Fontainebleau, et, afin de mieux assurer la ressemblance, il les fit lui-même répéter. Ceux-ci exécutèrent si bien la consigne que Marie-Antoinette et son beau-frère se reconnurent aussitôt ; mais voyant l’affectation avec laquelle le roi applaudissait leur propre charge, ils n’osèrent se fâcher et prirent gaîment la leçon. Louis XVI fut tellement enchanté qu’il voulut que la troupe eût bouche à cour et il la fit copieusement régaler.

Parmi les fêtes du Petit-Trianon, il faut mentionner celles qu’on donna successivement en l’honneur de Joseph II, du comte et de la comtesse du Nord, du roi de Suède. On joua Iphigénie en Aulide de Glück, Zémire et Azor, et le Dormeur éveillé, de Marmontel et Grétry, le tout accompagné de concerts, illuminations, feux d’artifice et soupers pantagruéliques ; à l’un de ces galas, on compte environ cent quatre-vingts plats de boucherie, volaille ou gibier. La reine avait banni l’étiquette de Trianon, elle arrêtait elle-même la liste des spectateurs, recevait et faisait placer. À la représentation d’Iphigénie, l’assemblée se composa de deux cent soixante-trois personnes auxquelles on distribua le libretto. Sageret avait brossé de superbes décors : un rideau d’horizon, chargé de nuages, avec la mer au bas ; pour l’orage, nouveau rideau avec transparens et appareil de nuées destiné à la descente de Diane ; le temple de la déesse, dans l’ordre dorique, le temple de Minerve, dans l’ordre ionique ; un palais avec des colonnes doriques cannelées ; un autre palais souterrain, d’ordre toscan, avec une porte en bronze rehaussé d’or. Quand elle reçoit le tsarévitch, Marie-Antoinette donne aussi aux élus les livrets de l’opéra et du ballet : douze exemplaires ont été reliés en maroquin avec grande dentelle en or, aux armes de la reine et de ses hôtes. Une dame d’honneur de la comtesse du Nord, la baronne d’Oberkirch, portait à cette fête une coiffure aussi originale que gênante : des bouteilles plates courbées dans la forme de la tête, contenant un peu d’eau pour y tremper la queue des fleurs naturelles et les entretenir fraîches dans les cheveux. Qu’on juge des prodiges d’équilibre nécessaires pour conserver cette savante machine ; mais quand on en venait à bout, le printemps sur la tête au milieu de la neige poudrée produisait, paraît-il, un effet ravissant. La comtesse du Nord avait sur la tête un oiseau de pierreries qu’on ne pouvait regarder, tant il lançait de feux ; au moindre mouvement, il se balançait par un ressort en battant des ailes au-dessus d’une rose. Quant à Gustave III, lui offrir une fête mêlée de spectacles, c’est le prendre par son faible ; son délire théâtral ne va-t-il pas jusqu’à composer lui-même des pièces, et obliger des jeunes filles de haute naissance, des mères, des vieillards à les jouer avec lui. Il donne des leçons de déclamation à ses acteurs, emploie à ces jeux les diamans de la couronne, et lorsqu’il fait représenter son Comte d’Helmfeld, il écrit de sa main les cinq cents billets d’invitation. Enfin, c’est à l’Opéra qu’il entretient les ministres étrangers, et vainement l’ambassadeur de France lui prêche-t-il une conduite plus politique, il répond que la révolution de 1772 a été préparée pendant une répétition d’opéra. Comme Marie-Antoinette, il a aussi le goût du jardinage, et ils échangèrent les plans des paysages et des fabriques de Drottningholm et de Trianon[19].

Voir exécuter devant soi et pour soi les plus belles choses du monde ne remplace pas toujours le plaisir de les faire soi-même ; aller aux spectacles de Paris, avoir sans cesse à Versailles, Choisy, Fontainebleau les deux Comédies, ne suffisait pas à la reine qui depuis longtemps caressait le rêve de devenir elle-même actrice, et parvint à arracher le consentement du roi. Cette fureur de dissipation inspire les plus sérieuses alarmes à Marie-Thérèse, tenue au courant par la correspondance secrète de son ambassadeur, le comte de Mercy-Argenteau, qu’elle a placé à Paris comme mentor et attentif observateur de sa fille. Le diplomate s’acquitte avec tact de sa mission, mais il a beau atténuer, employer les euphémismes les plus subtils, il ne peut dissimuler la surprise pénible que lui inspire cette reine de vingt ans, qui se met en avant sans le roi, va en cabriolet, aux chasses du bois de Boulogne, court les bals de l’Opéra en compagnie du comte d’Artois, de Monsieur, de jeunes seigneurs turbulens et libertins, passe ses soirées chez Mme de Guéménée, « un vrai tripot où règne un air de licence et de mauvais ton, » installe elle-même à la cour, au mépris des ordonnances, une banque de pharaon où l’on ponte trente-six heures de suite jusqu’au matin de la Toussaint. « La reine, écrit Mercy, a de l’esprit, de la pénétration, du caractère et des grâces infinies, mais l’emploi de si grands avantages n’est pas à beaucoup près tel que je m’en étais flatté et que je devais m’y attendre. » Quant à l’impératrice, elle ne prend pas le change, elle écarte les complimens et va droit à la plaie saignante. Il semble que dès le début elle ait le pressentiment du terrible avenir : « Ma fille court à grands pas vers sa ruine ; trop heureuse encore si en se perdant elle conserve les vertus dues à son rang… Ce n’est pas l’épithète de bon, mais de pauvre homme dont elle a régalé son époux. Quel style, quelle façon de penser ! » Sa fille lui adresse-t-elle un portrait où on l’a peinte avec la parure qu’elle affectionnait en 1775, la tête chargée de plumes larges et hautes, Marie-Thérèse répond un peu rudement : « Au lieu du portrait d’une reine de France, j’ai reçu celui d’une actrice. » Au reste, elle ne se dissimule point le peu d’effet des conseils de Mercy : « Comme elle n’est guère susceptible de réflexion, la conviction ne saurait non plus opérer sur son esprit, quelque docile qu’elle paraisse être à vos remontrances qui sont d’abord effacées par son goût démesuré pour les dissipations et les frivolités. » Et de déplorer ses entours, son engouement pour Mme de Lamballe, sa tendresse aveugle pour Mme de Polignac, les dépenses excessives et les promenades nocturnes sur la terrasse de Versailles. Bref, elle semble n’avoir que le choix des regrets, et Joseph II partage d’abord ses alarmes quand il s’écrie que, si l’on ne sait s’arrêter et prévenir, la révolution sera cruelle. Et puis il rend justice à ses qualités, il la déclare aimable et charmante, vertueuse, austère même, par caractère plus que par raisonnement. « Son premier mouvement, observe-t-il, est toujours le vrai. »

Marie-Thérèse dut se repentir d’avoir donné à sa fille deux comédiens comme maîtres de déclamation, surtout quand elle apprit sa première tentative théâtrale, « car d’ordinaire ces représentations finissent par quelque intrigue d’amour ou quelque esclandre. » Sa mort, survenue quelque temps après (29 novembre 1780), émancipait Marie-Antoinette, en la débarrassant de la tutelle occulte de Mercy, en lui enlevant l’appui moral de la correspondance maternelle.

La troupe de Trianon avait débuté par la Gageure imprévue, de Sedaine, le Roi et le Fermier, de Sedaine et Monsigny. Acteurs : la reine, Madame Elisabeth, la comtesse Diane de Polignac, le duc et la duchesse de Guiche, le comte d’Artois, le bailli de Crussol, M. d’Adhémar, dont la voix, assez belle jadis, mais devenue très chevrotante, excitait la gaité ; Vaudreuil, Esterhazy, Dillon, Besenval. On connaît cette jolie pièce, où Sedaine voulut montrer qu’il pouvait rivaliser avec Marivaux, peindre aussi bien les finesses et les élégances de l’aristocratie que les fortes vertus du Philosophe sans le savoir. Une marquise s’ennuie à la campagne, un jour de pluie, un de ces jours où l’on a le cœur bête ; le désarroi de son imagination lui inspire un singulier coup de tête. Voyant passer un officier à cheval sur la route, elle le fait monter, s’annonce sous un nom d’emprunt, et, sur le point d’être surprise à table, en fausse bonne fortune, par le marquis, elle l’enferme dans un cabinet. Jouant alors avec la jalousie de son mari, elle lui propose une gageure imprévue et l’amène à refuser lui-même la clef du cabinet qu’il avait impérieusement exigée, à demander pardon et payer le pari perdu. À son tour, un peu honteuse de son imprudence, elle confesse les torts de la finesse, et que le désir de montrer de l’esprit fait dire ou commettre bien des sottises. Ce rôle si nuancé, si difficile, Mme de Polignac n’avait pas craint de l’aborder ; quant à Marie-Antoinette, elle avait celui d’une petite soubrette aussi émerveillée qu’effrayée de l’audacieuse dextérité de sa maîtresse. Et les spectateurs devaient s’étonner un peu en l’entendant, elle, reine de France, débuter par ces mots : « Nous nous plaignons, nous autres domestiques, » — puis en la voyant broder des manchettes pour le valet Lafleur, un maître fourbe « qui reporte chez madame ce qui se passe chez monsieur. » Il est vrai que le comte d’Artois jouait ce personnage, il est vrai aussi que les spectateurs n’étaient pas nombreux, surtout au commencement ; on avait résolu de ne recevoir aucun jeune homme dans la troupe, de n’admettre comme spectateurs que le roi, Monsieur, les princesses royales ; et vainement les dames du palais, les grandes charges elles-mêmes, réclamèrent, au nom de l’étiquette et des usages établis, contre l’exclusion ; leurs instances restèrent sans effet. Toutefois, pour animer un peu les acteurs, on fit occuper les premières loges par les lectrices, les femmes de la reine, leurs sœurs et leurs filles, des espèces, aux airs de néant, comme on disait alors, d’où partirent sans doute les commérages des gazetiers et des pamphlétaires ; en tout, une quarantaine de personnes. Plus tard, la troupe des seigneurs se lassant de jouer devant des banquettes vides, on étendit les invitations : d’où nouvelles jalousies, nouvelles récriminations ; les dénigrans comparaient la troupe de Marie-Antoinette à celles du duc d’Orléans, de la Guimard, et le parallèle n’avait rien de flatteur ; car, bien que Caillot et Richer eussent contribué à la former, elle ne dépassa jamais, Vaudreuil excepté, le niveau d’une honnête médiocrité[20].

L’emploi de répétiteur, souffleur et ordonnateur ayant été confié à M. Campan, le duc de Fronsac, premier gentilhomme de la chambre, éleva les plaintes les plus vives. La reine se borna toujours à cette réponse : « Vous ne pouvez être premier gentilhomme quand nous sommes les acteurs ; d’ailleurs, je vous ai déjà fait connaître mes volontés sur Trianon : je n’y tiens point de cour, j’y vis en particulière. » Et, à la toilette de la reine, le duc ne manquait jamais de lancer quelque épigramme sur M. Campan, qu’il ne cessa d’appeler : mon collègue Campan. Marie-Antoinette se contentait de sourire et d’observer : « Il est affligeant de trouver un si petit homme dans le fils du maréchal de Richelieu. » Les hommes célèbres se voient souvent punis dans leurs descendans, qui n’empruntent que leurs défauts et en font tant qu’ils viennent à bout de leur nom.

Six autres pièces, On ne s’avise jamais de tout, les Fausses infidélités, l’Anglais à Bordeaux, le Sorcier, Rose et Colas, le Devin de village, remplissent le reste de cette saison théâtrale. Le roi, tout à fait converti, s’occupait infiniment du jeu de la reine ; celle-ci croyait avoir une vocation décidée pour les emplois de bergère ou de paysanne. Elle eût voulu, pour mieux s’autoriser à prendre ce divertissement, que Madame y prît part, et cette princesse aurait volontiers saisi cette occasion de faire cesser une nouvelle piquanterie survenue à propos de Mme de Balbi. Mais, aux premières ouvertures, Marie-Antoinette se heurta à l’opposition formelle de Monsieur, et Madame fit chorus. « Cependant, dès que moi, reine de France, je joue la comédie, vous ne devriez pas avoir de scrupule. — Si je ne suis pas reine, je suis du bois dont on les fait. » Piquée du parallèle, Marie-Antoinette fit sentir à sa belle-sœur qu’elle regardait la maison de Savoie comme fort au-dessous de la maison d’Autriche, dont l’illustration, d’après elle, marchait de pair avec celle de la maison de Bourbon. À ce moment, le comte d’Artois intervint et dit : « Je craignais, madame, de me mêler à la conversation, vous croyant fâchée ; mais, pour le coup, je vois bien que vous plaisantez. »

La grossesse de la reine, le temps de ses relevailles, après la naissance du dauphin, avaient interrompu les spectacles privés qui recommencèrent au printemps de 1782. Le Sage étourdi, de Boissy ; la Matinée et la Veillée villageoise ou le Sabot perdu, de Piis et Barré, forment la représentation du 13 avril. Dans la Matinée villageoise, l’intrigue roule autour d’un sabot perdu pendant la nuit et retrouvé le matin par le magister. Grand émoi le soir, à la veillée, quand il paraît avec le sabot accusateur : on l’essaie à toutes les jeunes filles, puis aux mamans, et l’on découvre qu’il appartient à la vieille Thomas. Alors Babet confesse que, sa mère ayant prudemment caché ses sabots, elle lui a emprunté les siens pour aller à un rendez-vous, et qu’elle en a perdu un en revenant. Malgré qu’elle ait vu le loup, le magister persiste à vouloir l’épouser ; mais le père Thomas, en vrai philosophe, marie sa fille à Colin, car, conclut-il avec une saine logique :

Colin l’i a fait perdre ; il est clair
Que l’i seul peut le l’i rendre.

Marie-Antoinette, assure de l’Isle, s’acquittait à ravir de ce rôle de Cendrillon villageoise ; la comtesse Diane était la mère Thomas, Mmes de Guiche, de Polignac, de Polastron, les jeunes filles ; Esterhazy, Besenval, le comte de Coigny, etc., remplissaient les autres emplois.

Le 6 juin, la troupe des seigneurs joue trois petites pièces assez insignifiantes, les Sabots, Isabelle et Gertrude, de Blaise ; les Deux Chasseurs et la Laitière, d’Anseaume et Duni. Pour la première, Duni fit successivement appel à Cazotte et à Sedaine. Gazotte avait écrit le livret ; mais, forcé de s’absenter, il ne put y mettre la dernière main : Duni le lit, s’aperçoit qu’il ne vaut rien, et l’idée lui vient de s’adresser à Sedaine. Mais la chose ne marche pas toute seule. Sedaine a un musicien attitré, il ne travaille que pour Monsigny. Duni alors emploie ce joli stratagème : il lui dit un soir, à la Comédie, qu’il a dans sa maison un escalier qui menace ruine et demande conseil. Sedaine, qui se souvenait avec plaisir de son premier métier de tailleur de pierres, accepte, examine l’escalier, formule son avis. Après l’avoir fait dîner, Duni se met au clavecin et, sans affectation, chante le premier air des Sabots. Sedaine le trouve agréable, regarde le livret, qu’il déclare mauvais, indique des changemens et revient quelques jours après pour diriger les travaux de l’escalier. Duni lui chante un autre morceau : Sedaine refait les paroles, corrige une nouvelle scène. Les visites se succèdent, et, en même temps que l’escalier s’arrange, la pièce se métamorphose presque entièrement ; et Duni de répéter en riant qu’il lui en avait coûté un escalier pour avoir une paire de sabots. À dire le vrai, Duni n’en avait point pour son argent, car Sedaine était resté au-dessous de lui-même ; mais Marie-Antoinette montra une prédilection marquée pour cette comédie à ariettes que, sur son ordre, Trial, Michu, Mme Dugazon et Gontier vinrent aussi représenter à la cour.

La dernière tentative dramatique de la reine eut lieu le 19 avril 1785 : dans le Barbier de Séville, elle était Rosine ; le comte d’Artois, Figaro ; Vaudreuil, Almaviva ; le duc de Guiche, Bartholo ; M. de Crussol, Basile. Jouer une telle pièce un an après le Mariage de Figaro[21], quatre jours après l’arrestation du cardinal de Rohan, au milieu de l’émotion causée par l’affaire du Collier, admettre à cette fête Beaumarchais emprisonné jadis par Marie-Thérèse, comme auteur d’un libelle contre la reine de France, enfermé naguère encore à Saint-Lazare, lui accorder une telle marque de sympathie malgré les répugnances du roi, charger le comte d’Artois de lancer les répliques célèbres qui ont comme une odeur de révolution, et traduisent avec âpreté l’immortelle colère des petits contre les grands, c’était paraître provoquer l’opinion publique, fournir des alimens à la calomnie, pousser la maladresse au-delà des limites permises. À propos de cette fâcheuse témérité, on a rapporté la réflexion de la Guimard assistant avec quelques-unes de ses pareilles à une représentation des Courtisanes : « Je ne croyais pas qu’il fût si amusant de se voir pendre en effigie. » Mais combien rares ceux qui savent profiter d’une leçon directe ; combien plus rares ceux qui reconnaissent utilement leurs défauts, dans un traité de morale, une comédie, un sermon, œuvres abstraites où l’amour-propre réédite sans cesse la parabole de la paille et de la poutre ! Le sens de l’opportunité est peut-être la première qualité des rois et des hommes d’État ; faire une chose, mauvaise en soi, alors que personne ne la critiquera ou qu’elle se perd dans un rayonnement d’autres succès, cela ne tire pas à conséquence ; exécuter une action belle en soi ou indifférente, quand les circonstances la placent sous un faux jour, sera imputé à crime à son auteur, entraînera parfois des cascades de malheurs. Quarante ans plus tôt, les pièces de Beaumarchais n’auraient pas produit la dixième partie de l’agitation qu’elles excitèrent ; en 1785, les reins de la monarchie sont trop affaiblis pour supporter impunément de fortes secousses, et si elle se soutient encore, c’est par je ne sais quel miracle d’habitude. Louis XV avait épuisé le crédit de patience et d’amour que le peuple pouvait accorder à ses rois ; le respect avait disparu, détruit par les philosophes, plus encore par les courtisans et les princes du sang, premiers contempteurs de la majesté royale, incapables de comprendre que, pour éviter une révolution, il faut la faire. Le mot du coiffeur athée : « Parce que je ne suis qu’un pauvre carabin, ne vous imaginez pas que je croie en Dieu plus qu’un autre, » peut désormais s’appliquer à la royauté : et, par une de ces fatalités dont l’histoire offre tant d’exemples, la médiocrité vertueuse de Louis XVI, les étourderies de Marie-Antoinette, chargées de la responsabilité des vices de leurs prédécesseurs, de tous les abus de l’ancien régime, revêtiront le caractère de forfaits et les précipiteront vers la catastrophe, comme ces petites pierres qu’un gros rocher, détaché du sommet de la montagne pendant un jour d’hiver, entraîne avec lui dans le gouffre.


Victor du Bled.
  1. On admirait dans Hue de Miroménil, garde des sceaux, le Scapin le plus comique des troupes d’amateurs et des soirées de Maurepas ; facultés si notoires qu’elles donnèrent lieu à une violente facétie intitulée : Très humbles remontrances de Guillaume Nicodème Volange, dit Jeannot, acteur des Variétés-Amusantes, à Mgr de Miroménil, garde des sceaux de France.
  2. Voir les très intéressantes études de M. Adolphe Jullien : la Comédie à la cour, le Théâtre des demoiselles Verrières. — Mémoires de Favart, de Saint-Simon, du duc de Luynes, de Mme de Staal-Delaunay. — De Loménie, la Comtesse de Rochefort et ses amis, 1 vol. ; Calmann Lévy. — Gaston Maugras, les Comédiens hors la loi. — Les Divertissemens de Sceaux, 2 vol., 1725. — Lemontey, Études sur la Régence. — Mémoires de Bachaumont. — Dutens, Mémoires d’un Voyageur qui se repose, t. II. — Arvède Barine, Princesses et grandes dames. — Correspondance de la duchesse d’Orléans. — Desnoireterres, Cours galantes, 4 vol.
  3. La mode des sobriquets, empruntée aux académies d’Italie, florissait depuis longtemps déjà. Dans tel salon, on les empruntait à la mythologie ou au roman ; dans tel autre, on prenait des noms d’oiseaux ; à Sceaux, la fantaisie surtout avait part à leur choix. Genest s’appelle l’abbé Pégase ou l’abbé Rhinocéros, à cause de son nez énorme ; le duc du Maine, le Garçon ; ses fils, le prince de Dombes et le comte d’Eu, les Deux Garçonnets ; Mlle Adélaïde de Nevers, Api ; le duc d’Albemarle, fils naturel de Jacques II, le Major ; Malézieu, le Curé ou Euclide. On reprit, pour la société de Mme du Maine, le gracieux surnom dont on avait salué les adorateurs de Ninon de Lenclos : après les Oiseaux des Tournelles, les Oiseaux de Sceaux.
  4. M. Guillaume Guizot a bien voulu nie communiquer le manuscrit inédit de la Tarentole et des Importuns de Chastenay. Dans l’une de ces pièces, Malézieu s’inspire du Malade imaginaire et du Médecin malgré lui ; dans l’autre, des Fâcheux. Quelques scènes sont assez amusantes, trop souvent scatologiques : purgations, clystères, leurs accessoires et conséquences y jouent un rôle éminent, et la joie que faisait éclater l’auditoire devant cette littérature éclaire certains aspects moraux de la haute société.
  5. Voici la distribution de la pièce :
    M. de Pincemaille. M. de Torpanne.
    Isabelle, sa fille. Mlle de Moras.
    Finemouche, suivante d’Isabelle. La duchesse du Maine.
    Crotesquas, valet du marquis. M. de Malézieu.
    Bruscambille, valet de M. de Pincemaille. M. de Dampierre.
    Le docteur Rhubarbarin. M. de Caramont.
    M. Fatolet. M. de Mayercrom.
    Le marquis de Paincourt. M. Landais.
  6. Pièces échappées du feu, 1717. Plaisance, in-12. — Tome IV du Recueil des pièces rares et facétieuses : chez Barraud, 1873.
  7. Tome X, p. 349 et suiv. : Recueil de chansons politiques, année 1705. — Adolphe Jullien, p. 62 et suiv.
  8. Recueil des Lettres de Mlle de Launay. Paris, an IX, 2 vol. — Lassay, Recueil de différentes choses, 1756. Lausanne.
  9. « Je découvris pourtant, sur de légers indices, quelque diminution des sentimens de M. de Rey. J’allais souvent voir M, les d’Épinay, chez qui il était presque toujours. Comme elles demeuraient fort près de mon couvent, je m’en retournais ordinairement à pied, et il ne manquait pas de me donner la main pour me conduire jusque chez moi. Il y avait une grande place à passer, et, dans les commencemens de notre connaissance, il prenait son chemin par les côtés de cette place : je vis alors qu’il traversait par le milieu, d’où je jugeai que son amour était au moins diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré. » Piquante application de la géométrie à la psychologie ! Et cependant, on a eu tort de prétendre qu’elle connaissait l’amour par principe, qu’il résidait plutôt dans sa tête que dans son cœur ; elle avait l’âme très tendre, mais elle ne put s’empêcher d’y mêler son esprit et son goût d’analyse. De même, je ne vois pas pourquoi on l’a accusée de sécheresse parce qu’elle dit, à propos de la mort de son père, qu’elle n’avait jamais vu : « Je lui donnai pourtant des larmes ; je ne me souviens pas d’où elles partirent. »
  10. Voir, dans la Revue du 15 août 1890, Mme de Choiseul et ses amis.
  11. Ailleurs, Mme de Staal admire que la Providence prenne soin de construire pour les princes des corps à l’usage de leurs fantaisies, sans quoi ils ne pourraient attraper âge d’homme.
  12. Voir Lucien Perey, Voltaire aux Délices, in-8o ; Calmann Lévy.
  13. Edmond et Jules de Goncourt, Madame de Pompadour. — Adolphe Jullien, Histoire du théâtre de Mme de Pompadour. — Émile Campardon, Madame de Pompadour et la cour de Louis XV. — Laujon, Essai sur les spectacles des petits cabinets. — Mémoires de Mme du Hausset, du duc de Luynes, de d’Argenson, d’Hénault. — Journal de Collé. — Recueil des comédies et ballets des petits appartemens. — Recueil de Maurepas. — De Carné, Études sur le gouvernement de Mme de Pompadour. — Lucien Perey, le Duc de Nivernois, 2 vol. in-8o ; Calmann Lévy.
  14. Plus tard, en Suisse, Voltaire parlait à Marmontel des bontés que lui avait autrefois témoignées Mme de Pompadour. « Elle vous aime encore, dit Marmontel, elle me l’a répété souvent, mais elle est faible, et n’ose pas ou ne peut pas tout ce qu’elle veut ; car la malheureuse n’est plus aimée, et peut-être elle porte envie au sort de Mme Denis, et voudrait bien être aux Délices. — Qu’elle y vienne, s’écria Voltaire, jouer avec nous la tragédie. Je lui ferai des rôles, et des rôles de reine ; elle est belle, elle doit connaître le jeu des passions. — Elle connaît aussi les profondes douleurs et les larmes amères. — Tant mieux ! c’est là ce qu’il nous faut, reprenait Voltaire, comme enchanté d’avoir une nouvelle actrice. — Et en vérité l’on eût dit qu’il croyait la voir arriver. — Puisqu’elle vous convient, laissez faire ; si le théâtre de Versailles lui manque, je lui dirai que le vôtre l’attend.
  15. Mémoires de Marmontel.
  16. Manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal. — Magasin pittoresque de 1842.
  17. Adolphe Jullien : la Comédie à la cour de Louis XVI ; J. Baux, éditeur, in-4o. — Mémoires de Mme Campan, de Bachaumont, de Fleury. — Métra, Correspondance secrète. — Recueil manuscrit de chansons de 1744 à 1782, t. VIII, Archives du département de Seine-et-Oise. — Correspondance secrète de Mercy-Argenteau avec Marie-Thérèse, 3 vol. ; Firmin-Didot. — De Goncourt, Histoire de Marie-Antoinette. — Lettres du chevalier de l’Isle au prince de Ligne. — G. Desjardins, le Petit-Trianon. Versailles, 1888. — Pierre de Nolhac, la Reine Marie-Antoinette ; Boussod et Valadon. — Souvenirs de la baronne d’Oberkirch, 2 vol. — Duc de Lévis, Souvenirs et Portraits. — Geffroy, Gustave III et la cour de France.
  18. En 1777, on donne la parodie de l’opéra d’Ermelinde, du ballet de Médée et Jason, la Princesse A E I O U, parade tellement salée qu’on répandit le bruit qu’il avait fallu recourir aux poissardes les plus fortes en gueule pour styler les acteurs. Et les gazettes d’ajouter que ces dames sollicitaient une pension avec un titre analogue au privilège qu’elles avaient eu de travailler aux plaisirs de la cour.
  19. De son côté, lorsque la reine dut garder la chambre pour ses premières couches, on dressa en face de sa porte un théâtre qu’elle pouvait voir de son lit.
  20. Les faiseurs de chansons n’épargnaient pas plus la reine qu’ils n’avaient ménagé Mme de Pompadour ; on peut en juger d’après ces vers :

    Reine de France en apparence,
    Vous l’êtes plus réellement
    Des ministres de la toilette,
    Des comédiens, des histrions,
    Et, bravant en tout l’étiquette,
    Des filles vous avez le ton…

    S’il est vrai que la Vaupalière
    Doive paraître à votre cour,
    Ma foi, dans cette pétaudière,
    Faites figurer tour à tour
    Ce que les comptoirs, les coulisses
    Nous offrent de plus séduisant.
    Avec des banquiers, des actrices,
    Vous tiendrez votre appartement.

  21. Le Prince de Ligne et ses contemporains, in-18 ; Calmann Lévy, 2e édition.