Les Conspirateurs du général Malet/02

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Les Conspirateurs du général Malet
Revue des Deux Mondes6e période, tome 53 (p. 358-389).
LES CONSPIRATIONS
DU
GÉNÉRAL MALET

II [1]
LA CONSPIRATION DE 1808


LE PERSONNEL

Lorsque Malet arriva à Paris pour répondre aux inculpations dont il était chargé, il se logea rue des Saints-Pères, n° 75, où il fit venir sa femme et son fils. S’il était destitué de son grade, il n’avait plus aucun moyen de subsister. Ses malversations à Rome avaient pu lui rapporter au plus quelques centaines de louis et ce n’était point de quoi vivre. Est-ce pour se soustraire à un jugement qui l’eût déshonoré que Malet prête l’oreille à d’anciens amis qui, vraisemblablement, avaient déjà, au moment d’Eylau, engagé une conversation avec le général Servan et qui se retrouvaient prêts à causer avec quelque général que ce fût ? Réunis peut-être par un lien maçonnique, ils connaissaient Malet au moins de réputation. Ils avaient, tous ou presque tous, un lien avec la Franche-Comté, soit qu’ils en fussent originaires, soit qu’ils eussent tenté d’y jouer un rôle politique. On voudrait croire que, comme ils l’ont dit plus tard, leur association des Philadelphes s’étendait loin, qu’elle avait des affidés non seulement en France, mais jusqu’à Rome. On ne connaît guère pourtant qu’une dizaine d’hommes passablement obscurs qui peut-être en formaient l’État-Major, à moins qu’ils ne fussent l’armée elle-même.

Il faut dire brièvement ceux qu’on a identifiés : Rigomer Bazin, auteur des Lettres philosophiques, — quelques pages, — professeur maintenant à temps perdu, avait fait de l’agitation anarchique dans le Jura, de l’an IV à l’an VII. Lemare, jadis président du département du Jura, avait, au 31 mai, fait déclarer son administration en faveur des Girondins proscrits, et au 18 Brumaire, « il avait dénoncé par des proclamations terribles l’usurpateur de tous les droits. » Puis il s’était consacré à l’enseignement de la grammaire ; il avait épousé sa bonne et il avait fondé quai de la Monnaie, no 3, un Athénée de la jeunesse dont la prospérité était contestable ; Philippe Corneille, qui avait été « le premier magistrat de la ville de Dole, était venu à Paris pour solliciter » en vers, une place de préfet ou de conseiller d’État. La place se faisant attendre, il causait. Gariot, jacobin convaincu, était un franc luron, établi quincaillier rue Saint-Martin, no 116, et buvait sec. Gindre, médecin à Chilly, ancien administrateur du Jura, avait, avec Lemare, mis Bonaparte hors la loi en brumaire. Baudement, jardinier, puis soldat, actuellement chef des bureaux de la mairie du 1er  arrondissement, était un « patriote rectiligne. » Eve Demaillot, dôlois comme Malet, se disant élève en diplomatie du célèbre Favier, indiscret, agité, faisant part au premier venu des nouvelles qu’il tient autant de son imagination que de l’ironie des passants, est un agité qui touche à la démence, le maniaque de la Terreur. Blanchet, de même âge que Demaillot, a consacré un vague talent de dessinateur à reproduire les traits des martyrs de la Liberté ; il a été fort avant dans la confiance des Jacobins et des Babouvistes. Liébaud, qui est de Salins, s’est établi jurisconsulte à Paris, rue du Four-Saint-Germain, no 17. Il s’empresse à adresser des conseils à Bonaparte qui ne lui répond pas. « On ne peut rien faire de Bonaparte, « dit-il. Des deux Ricord, l’aîné, Jean-François, a conservé de la Révolution une clientèle à laquelle il parle en patron. Son frère Alexandre, qui se fit au 10 août une sorte de réputation dans le bataillon marseillais, est à présent agent d’affaires, rue de la Victoire, et prétend ne plus faire de politique. Le docteur Seiffert, né à Leipzig, médecin jadis du duc d’Orléans, fort occupé de maçonnerie, fondateur de Loges, soigne le maréchal et la maréchale Kellermann pour quoi il est fort recommandé. Bournot, chef du 2e bataillon du 4e régiment des Vétérans, chargé en partie de la garde du Corps législatif, « s’emploierait à rétablir la dignité de la Représentation Nationale. » Baude, peintre en décors, fabricant de masques à l’enseigne Au Dieu Momus, a la spécialité des masques à caractère et des masques de petit carnaval pour poupées. Il en veut à mort à Bonaparte. Habitant rue Mêlée, n° 13, il est voisin d’un nommé François Delavigne qui tient rue Bourg-l’Abbé, sous le nom de sa fille, l’hôtel du Commerce : cent chambres, salons et cabinets particuliers. Dans l’un de ces salons se réunissent les principaux membres du comité qui en prend le nom de Comité de la rue Bourg-l’Abbé.

Il y a encore quelques individus qui, sans faire partie du Comité, voient familièrement Malet. Ainsi, Alexandre Ricard, faiseur d’affaires, domicilié rue Poissonnière ; Paganel, l’ancien conventionnel ; Rouget de Liste, son cousin ; Poilpré, son ancien aide-de-camp, qui habite rue Croulebarbe, 13, une maison avec un grand jardin.

Quant aux officiers, sauf Bournot, aucun n’a été initié. Malet a recueilli les noms de quelques généraux destitués ou réformés que leur situation fait présumer mécontents. Lorsqu’on aura besoin de leurs services, on leur donnera un ordre qu’ils exécuteront, sans réfléchir ni discuter. Malet, quand il rencontre quelqu’un avec qui il a été en rapport, ne manque pas de le pratiquer ; ainsi a-t-il fait pour le général Guillet [2], qui a été brigadier en même temps que lui dans la division Serras et qui, destitué une première fois pour indélicatesse, se trouve à Paris pour répondre à des plaintes portées contre lui par le général en chef de l’Armée de Dalmatie, pour crimes de droit commun. De même pour Guillaume qui signe « Entien offisié général. » Nommé général de brigade provisoire en mars 1794, ce Guillaume a été destitué pour mauvaise conduite en août de la même année. Nommé sous-inspecteur aux revues en 1800, il a été révoqué deux ans après pour malversations. Depuis lors, il bat le pavé. Malet qui l’a connu, semble-t-il, au début de la Révolution, a renoué avec lui et n’a point eu de peine à se faire écouter. Toutefois, entre Bournot, Guillet et Guillaume, son armée manque de prestige, et il doit rechercher quelques noms nouveaux. Il n’a pu manquer de noter le général Dutertre dont les escroqueries remplacent les actions d’éclat dans ses états de service, et il a sans doute fait part du désir qu’il a de recruter un vrai général, un général de division, un général qui, au moins, ait reçu ce grade d’une autorité régulière. Mais il le cherche en vain.

Malet, même s’il avait rencontré un général de division, n’eût pu, faute de relations avec le monde politique, engager la lutte contre le colosse, impérial avec cette bande d’aigrefins, débris de la Loge des Philadelphes. Pressé par l’imminence du jugement qui le menaçait, il se décida à nouer connaissance avec certains hommes dont il pouvait espérer un appui. C’est ainsi que, sous un prétexte, il se présenta chez Florent-Guyot, ancien conventionnel, à présent substitut du procureur général impérial près le Conseil des prises, qu’il croyait avoir été dans la confidence du général Servan, et dont il espérait obtenir des renseignements, et peut-être des entrées près de certains personnages. Lors de la première visite qu’il fit à Florent-Guyot, rue des Poulies, 24, après lui avoir parlé des enfants du général Thierry auxquels il s’intéressait, et de quelques nouvelles de gazettes, il lui dit : « J’ai entendu dire que l’année dernière, le Sénat s’était occupé de quelques mesures relatives à la situation de la France, et je viens causer avec vous pour savoir si vous en avez été instruit, et s’il ne serait pas convenable de les renouer pour être prêts dans le cas où elles deviendraient nécessaires. »

Florent-Guyot rapporta ces propos à Wenceslas Jacquemont, personnage considérable que la police connaissait pour avoir en 1802, abouché Moreau avec Cabanis, Chénier et Daunou en vue de renverser Bonaparte. Jacquemont, membre de l’Institut, exclu du Tribunat en 1803, nommé alors chef du bureau des Sciences au Ministère de l’Intérieur, et chargé d’une notable partie de l’Instruction publique [3], avait, dans le parti, une situation particulière et passait pour le philosophe du Parti. Quinze jours après la première conversation, Malet rencontra chez Florent-Guyot, Jacquemont qui se présentait comme chargé par le sénateur Garat de conférer avec lui. Jacquemont lui confirma que « quelques sénateurs avaient conçu un projet pour sauver la France d’un déchirement inévitable, que leur plan était de rétablir la Constitution de l’an VIII avec trois consuls et des vice-consuls, que parmi les sénateurs qui avaient conçu ce projet se trouvaient MM. Garat, Destutt de Tracy, et Cabanis ; que déjà le sénateur Garat avait des proclamations toutes prêtes ; que ces sénateurs désiraient connaître des généraux qui voulussent les seconder de leurs moyens. » Jacquemont ajouta que « le sénateur Garat l’avait chargé de dire à Malet qu’il était inutile qu’il le vit, attendu qu’il devait y avoir une réunion de douze sénateurs pour rédiger le travail, et que, lorsqu’il serait fait, il en serait instruit. »

« Par ce travail, le nombre des membres du Sénat était réduit à celui fixé par la Constitution de l’an VIII, et ce serait à eux que le projet serait soumis et qu’on était certain de la majorité, attendu que les événements arrivés en Espagne avaient rapproché de leurs opinions beaucoup de leurs collègues qui, comme eux, prévoyaient les déchirements de la France. » Il avait été question des sénateurs Boissy d’Anglas, Cabanis, Colaud, Garat, Lanjuinais, Lambrechts, Siéyès, Destutt de Tracy et Villetard. On aurait pu tout aussi bien en désigner quelques autres avec autant de vraisemblance, car, sauf Garat qui, selon Florent-Guyot, aurait autorisé Jacquemont à le nommer, aucun ne se mettait en avant, ni même ne paraissait. C’était une opinion répandue que « les Idéologues, » parmi lesquels Jacquemont tenait un rang distingué, étaient opposés à Napoléon, mais ils fuyaient toutes les occasions d’être compromis.

Ce fut sur ces bribes de renseignements, sur quelques épaves surnageant des projets de Servan, que Malet construisit sa conspiration. Il ne pouvait penser à obtenir de sénateurs avec lesquels il n’avait aucun rapport, une délibération qui légitimât plus ou moins ses actes, mais ce serait assez que l’on crût que cette délibération existait, et il la supposa. Il devait aller vite. Son procès était instruit, l’arrêt allait être rendu. Il allait être destitué, déshonoré, jeté hors de l’armée, sans pain pour sa femme, pour son (ils, pour lui, incapable d’un métier quel qu’il fût. Il aura quatre jours pour faire son coup, — quatre jours, pas plus, — mais ne suffisait-il pas de quatre heures, et quel temps fallut-il en Thermidor pour abattre Robespierre, quel temps en Brumaire pour abattre le Directoire ?


LES PRÉPARATIFS

L’Empereur a quitté Saint-Cloud le 2 Avril ; il est arrivé le 4 à Bordeaux où il est resté jusqu’au 13. Le 15, il entre à Bayonne, et, le 17, il s’installe au château de Marrac où il séjournera jusqu’au 22 juillet. Pas de ligne télégraphique établie en direction des Pyrénées. Il n’y a que le courrier. Si vite qu’il marche, il lui faut deux jours à l’aller, deux au retour. Avec cela, Malet a le temps qu’il lui faut. Parti sous l’empire de Napoléon, le courrier trouvera en revenant la dictature de Malet. Question de chance. Il suffit que Paris, — le Paris gobe-mouches, — y croie. Voici l’histoire telle qu’il l’a combinée et telle que ses papiers la racontent.


SÉNAT-CONSERVATEUR

Sénatus-consulte qui met hors la loi Napoléon Bonaparte et nomme une dictature en France.

Le Sénat-Conservateur extraordinairement assemblé,

Considérant que Napoléon Buonaparte a trahi les intérêts du peuple français, qu’il s’est joué de la liberté publique, de la fortune et de la vie des citoyens ;

Que l’agriculture, le commerce et l’industrie sont anéantis par la dépopulation et l’excès des impôts ;

Qu’une guerre ruineuse, prolongée par la perfidie, la soif de l’or et la fureur des conquêtes, sert d’aliment au délire ambitieux d’un seul homme et à la cupidité sans frein d’une poignée d’esclaves ;

Que toutes les sources de la vie politique se tarissent de jour en jour sous l’action d’un extravagant et sombre despotisme :

Décrète :

ARTICLE PREMIER. — Le Sénatus-Consulte qui nomme Napoléon Buonaparte empereur des Français est rapporté.

ART. 2. — Napoléon Buonaparte est déclaré tyran et mis hors la loi.

ART. 3. — La souveraine magistrature est provisoirement confiée à une dictature de neuf membres chargés de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, et de présenter dans le plus bref délai une constitution à l’acceptation libre du Peuple Français.

ART. 4. — Sont nommés membres de la dictature, les citoyens ci-après :

Rigomer Bazin, Destutt-Tracy, sénateur, Garat, sénateur, Florent-Guyot, ex-législateur, Lambrechts, sénateur, Lemare, homme de lettres, Malet, général, Moreau, général, Truguet amiral.

ART. 5. — Le Sénat-Conservateur, le Corps législatif et le Conseil d’État sont dissous par le fait de la promulgation du présent sénatus-consulte.

Délibéré à Paris le 20 avril 1808.

(Suivent les signatures.)


La rédaction de ce document dénote une complète ignorance des formes ; le texte même, plein d’étranges contradictions, est-il de la plume de Malet ? n’est-il pas plus probablement de celle de Bazin ou de Lemare, qui ne se sont vantés que d’avoir rédigé les proclamations ? Faute de connaître le président et les secrétaires du Sénat en exercice, on adopte la formule : Suivent les signatures, qui enlève toute créance à un acte de cette importance, et on l’a revêtu de la date (hélas ! indélébile) du 20 avril, fixée pour le coup d’Etat.

Du Sénatus-Consulte qui nomme la Dictature, et dissout ensuite le Sénat, découle d’abord le décret dont la forme n’est pas moins inusitée que le fond en est surprenant. Au nom de quelle autorité ce décret est-il rendu, on n’a garde de le faire connaître, et les noms de Florent-Guyot et de Corneille dont il est signé ne peuvent passer pour une révélation. Peut-être compte-t-on pourtant sur l’illustration du second. Pour les mesures qui s’y trouvent ordonnées et qui paraissaient devoir combler tous les vœux du peuple, elles auraient pour effet certain de désorganiser tout gouvernement, mais n’est-ce pas pourquoi l’on fait les révolutions ?

Il y a encore de la littérature : des proclamations, l’une au peuple, l’autre aux armées, rédigées par Lemare ; elles ne modifient en rien la structure du complot qui repose tout entier sur la créance accordée à ce Sénatus-Consulte. Or, il faudrait une crédulité à toute épreuve pour admettre une réunion secrète du Sénat, un Sénatus-Consulte dont les termes sortent à ce point des formes légales et que ne légitime aucune signature, la nomination de cette dictature où des généraux ignorés de tous font cortège à un général que tout le monde sait exilé, et où des personnages inconnus escortent trois sénateurs dont le nom n’est rien moins que populaire.

On a affirmé que cette conspiration était toute républicaine. Il se peut : mais le mot de République n’est prononcé nulle part : il n’est fait aucune allusion à cette forme de gouvernement et les confidences de Malet au général Guillet l’excluent complètement : il lui dit « que toutes les proclamations étaient faites pour faire un appel au peuple, abolir les droits réunis et la conscription, et proclamer que toutes les constitutions faites depuis la Révolution étaient nulles, à l’exception de celle de 1791, qui était le fruit du vœu libre des Français. » Et comme Guillet lui disait : « Mais diable ! vous voulez faire là une jolie besogne, il vous faudra rétablir un Bourbon qui nous chassera nous autres ensuite. — Oh ! non, dit-il, on promet cela aux royalistes pour les faire agir, mais ensuite nous aurons une dictature. »

Or, cette dictature, on voit fort bien Malet l’exerçant à lui seul, même sans Rigomer Bazin, Corneille ainé, et Lemare, seuls personnages qui, à défaut d’une valeur intellectuelle, eussent une existence matérielle. Pour commencer, Malet s’était promu général de division, ce qui était déjà une satisfaction qu’il se donnait. Il avait employé dans son ordre du jour les noms de certains généraux dont il avait ouï parler, mais dont il ne connaissait aucun. Il n’avait à lui que Guillaume et Guillet : c’était peu.

Pour l’instant, les préparatifs de la conspiration se sont bornés à l’impression par Bazin et Corneille des documents fournis par Malet. Il a fallu acheter une imprimerie, à tout le moins des caractères, trouver un local et perfectionner un apprentissage fort imparfait. En huit jours, « toutes les pièces ont été imprimées pour être répandues à profusion. »

Restent les armes : certains des conjurés en possèdent : pistolets, espingoles et fusils, mais il en faut avec lesquelles on débute par des coups moins bruyants. « Le poignard, dit Lemare, est l’arme propre du conspirateur, arme équivoque, à deux fins, et qui au besoin nous servirait contre nous-mêmes et nous empêcherait de tomber vivants entre les mains du tyran et de ses satellites. » Lemare s’est donc chargé de procurer douze cents poignards : il a fait tourner les manches par un ouvrier de la rue Jean Pain-Mollet, nommé Monneret, qui lui a été indiqué par un prêtre digne de toute confiance, l’abbé Colomb. Pour les lames, on s’est contenté de trois quarts, achetés par grosses chez un marchand du quai de la Mégisserie auquel on a fait croire qu’il s’agissait d’une commande pour l’exportation en Amérique. Bazin et Lemare se sont chargés d’ajuster les poinçons aux manches et ils y ont réussi. Cela fait, on « a caché ces poignards rudimentaires sous les bancs fermés par des planches de l’Athénée de la Jeunesse. On y a placé de même les douze mille exemplaires des Actes de la Dictature. »

Il a fallu encore, pour que la conspiration réunit, au gré de ses auteurs, toutes les chances de succès, un sceau à encre grasse qui authentiquât les proclamations, les actes du Sénat et les décrets de la Dictature ? On a imaginé de faire graver sur ce sceau un soleil levant, emblème qui servait fréquemment aux Loges, et qui symbolisait ici l’aurore de la liberté : mais on a voulu en exergue le mot : Dictature, ce qui pouvait devenir dangereux. Lemare, homme subtil, a imaginé alors de faire graver DIOTATURE, assurant que, en limant la moitié de l’O, on aurait un C fort convenable : ce grammairien était plein d’astuce.

Les préparatifs étaient donc achevés. Seulement, comment passerait-on à l’exécution et comment celle-ci se déroulerait-elle ? Ici, les conspirateurs n’ont pas entièrement dévoilé leurs projets qui, peut-être, étaient restés nuageux. Malet devait se porter au Carrousel, se rendre maître de l’hôtel du prince archi-chancelier, mettre Cambacérès aux arrêts et établir là son quartier général. Il ne trouverait, disait-il, aucune difficulté à lui faire signer « tout ce qu’il jugerait nécessaire, » et d’abord l’ordre à tous les grands fonctionnaires de se rendre chez l’archi-chancelier ; ceux-ci, arrivés, seraient, eux aussi, séquestrés dans l’hôtel et ne manqueraient point de signer toutes les circulaires nécessaires « pour l’instruction des départements et pour la convocation des autorités de Paris, le Sénat à la tête. Ce corps s’assemblant aussitôt et régularisant tout ce qui aurait été fait en son nom, rendrait véritable, en le confirmant, le Sénatus-Consulte pour lequel on avait été obligé de se passer de lui. »

Pour les autres conspirateurs, leur rôle était encore médiocrement tracé. Le général Guillet devait venir se faire reconnaître à l’École militaire par les troupes qui s’y trouvaient assemblées ; Baudement devait être installé à la police par le générai Guillaume ; mais on était si peu sur de Guillaume qu’on ne l’avait pas mis, plus que Guillet, dans la confidence du projet. Et ce projet pourtant devait être exécuté à date fixe : le Sénatus-Consulte portait la date du 20 avril. On pouvait dire que la délibération était restée secrète et qu’on la publiait seulement : mais comment faire pour le décret daté du 29 mai, pour l’ordre du jour daté du 30, si le 30 au matin rien n’avait paru : comment se présenter le 31 à la troupe avec un ordre du jour de la veille, — périmé ?

Quatre jours avant le jour fixé pour l’exécution, on se décida à initier Guillaume et Guillet à ce qu’on attendait d’eux. On les réunit donc un soir à l’Athénée de Lemare. Malet donna lecture du Sénatus-Consulte et des proclamations. Guillaume posa plusieurs questions qui pouvaient être innocentes, mais qui parurent singulières à Corneille, à Mme Lemare et à Malet lui-même. Sur des signes qu’ils se firent, la séance fut levée. On se consulta, on tomba d’accord que tout était à craindre « et qu’il fallait suspendre l’affaire parce que l’opinion publique se déclarait trop favorablement pour le projet, et d’ailleurs parce qu’on était encore inquiet sur les dispositions de six mille hommes de la Garde impériale qui se trouvaient encore à Paris, et dont trois corps étaient commandés par des compatriotes du général Guillet. » Dans la nuit, Lemare avec sa femme et Rigomer Bazin porta les poignards et les imprimés chez un honnête voisin, nommé Tibierge, qu’il avait fallu initier au secret.

On s’était séparé en disant à Guillaume qu’on renonçait à toute exécution, mais on était demeuré d’accord sur une visite que les principaux conjurés devaient faire à l’École militaire « dont il avait été résolu qu’il fallait être maître [4]. » Les conjurés s’y rendirent au milieu du jour ; ils se présentèrent d’un air tout naturel, et comme pour une simple visite. Ils furent introduits partout par des officiers républicains, « sondés à l’avance et qui donnaient des garanties d’honneur et d’attachement à la liberté. La visite des conjurés fut une revue complète, faite avec la plus grande tranquillité, du matériel comme du personnel de l’Ecole militaire. A un signal convenu, tout ce qui s’y trouvait pourrait être facilement livré et rais à la disposition des Hommes Libres. »

Une dernière réunion eut lieu le 29 mai pour reprendre les affaires au point où on les avait laissées sur la crainte de Guillaume. L’on prononça des discours et l’on convint, au cas d’arrestation, de réponses uniformément négatives ou dilatoires, qui devaient, par leur audace stoïque, interloquer la police impériale.


LES ARRESTATIONS

On arriva ainsi aux premiers jours de juin sans que le complot annoncé pour le 29 mai eût éclaté, L’Empereur en avait été vaguement informé depuis un mois : la police, celle du ministère, comme celle de la préfecture, avait des soupçons, mais qui se tournaient sur les officiers réformés. Sur l’avis qui lui était donné par le préfet de Police, Desmarest, chef de division au ministère, répondait : « J’ai l’honneur de remercier Monsieur le préfet de Police de l’avis qu’il veut bien me donner, et j’en fais part à Son Excellence, qui recherche aussi quelques faits relatifs à des militaires réformés. J’ai rencontré, il y a trois jours, l’ex général Malet sur le quai Voltaire ; il était avec trois autres personnes. C’est un homme que je regarde comme très mal disposé, et porté à de mauvais desseins. »

Le préfet de Police n’est donc pas surpris lorsqu’il reçoit, le 8 juin, « la déclaration confidentielle qu’il existe un complot à la tête duquel se trouvent le général de brigade Guillaume et Demaillot, ancien agent en chef de Robespierre, qu’ils ont offert à un officier supérieur le commandement de Paris et de l’Armée de l’intérieur, qu’ils ont assuré que toutes les proclamations étaient prêtes, qu’ils étaient fiers du concours de douze sénateurs, qu’on devait établir un directoire composé de neuf membres, qu’on supprimerait la conscription et les Droits réunis, et qu’avec de tels moyens et des hommes de tête, tels qu’ils en avaient, ils étaient sûrs de réussir, parce qu’ils auraient le rétablissement de la République, et le peuple et l’armée à l’exception d’une poignée de généraux et officiers, exclusivement favorisés, et qui étaient l’objet de la haine et de l’envie de tous les autres. »

Le général de division Lemoine, qui avait fait cette déclaration, venait de l’ancienne armée, où il était enseigne dans Royal Champagne, en 1757. Il était à la retraite depuis 1794. Demanda-t-il à être replacé, malgré qu’il eût soixante-sept ans, cela se peut, car il fut envoyé à Wesel pour y commander.

Aussitôt instruit, le 8 juin, le préfet de police fait arrêter l’ex-général Guillaume et le nommé Demaillot. Celui-ci n’a voulu rien dire, mais Guillaume, après une première déclaration à peu près insignifiante, en a fait une seconde où il a révélé ce qu’il savait de la conspiration, se donnant les apparences de n’y être entré que pour la livrer. Ainsi nomme-t-il Corneille, Guillet et Gariot.

Malet ne fut point trouvé à son domicile. « Sa femme dit qu’il était parti la veille au soir pour Fontainebleau ; mais, écrit le 9 le préfet de Police à l’Empereur, je présume qu’ayant appris l’arrestation de Demaillot et de Guillaume, il se sera caché. J’ai pris, ajoute Dubois, des mesures auprès du ministre de la Police et du général Bucquet pour qu’il soit arrêté partout où il sera trouvé. On a saisi chez lui beaucoup d’armes, telles qu’espingoles et carabines. Gariot parait être, ainsi que Demaillot, en correspondance avec tout ce que la démagogie a eu de plus exalté. On voit, par les papiers saisis chez lui, qu’il est lié avec l’ex-général Dutertre, avec Baudement, avec Emile Babeuf, Mathieu Montalan, Chanousse et Antonelle. Je m’occupe de l’examen des papiers, mais il ne paraît pas que les proclamations aient été saisies. » On ne devait point les trouver. Lemare, au premier indice, avait pris l’air, et s’était tourné vers l’Allemagne [5] d’où il ne revint qu’en janvier 1814, alors qu’on avait autre chose à faire que le rechercher. Les poignards et les proclamations, pièces à conviction inappréciables, demeurèrent mystérieusement cachées jusqu’à la chute de l’Empire.

Ainsi, Eve Demaillot n’avait pas si grand tort lorsqu’il se méfiait des militaires et qu’il le disait à Guillaume avec la brutalité qui lui était naturelle. Dès le 8, Guillaume avait livré tous les noms qu’il avait entendu prononcer ; mais il fallait qu’on attrapât Malet, qui n’était point encore arrêté, lorsque, le 9, Dubois rendit compte à l’Empereur de ses premières découvertes, lesquelles portaient surtout sur des officiers en réforme.

Le 13, l’Empereur écrit à Fouché : « Vous ne me rendez pas un compte clair du complot anarchique. Il est certain que Malet, Guillet et d’autres généraux qui étaient à Paris, tramaient un complot ; moi-même, j’en suis instruit depuis un mois. Il est difficile qu’il y ait un plus mauvais sujet que ce Malet. Faites arrêter sans bruit et sans éclat tous ces tripotages. »

Le même jour, au ministre de la Guerre, envisageant le complot toujours uniquement du côté militaire : « Les généraux Malet, Guillet, Dutertre et quelques anciens officiers de cette trempe paraissent avoir tramé un complot que la police a déjoué et dont elle a fait arrêter les auteurs. Faites une enquête d’après la liste des officiers réformés qui sont payés à Paris et dans la première division militaire, et notez tous ceux qui sont dans cet esprit... Il ne faut faire aucun éclat de ces misérables anarchistes, car rien que l’idée qu’ils existent encore suffirait pour inquiéter et troubler la tranquillité. » Mais il donne des ordres positifs pour assainir Paris de tous les officiers réformés qui avaient toujours passé pour être opposés au gouvernement, pour envoyer à l’armée tous les officiers en activité et pour ne les point souffrir sous prétexte de service.

Mais, le 9, Malet a été arrêté. Sur la nouvelle de l’arrestation de Demaillot et de Guillaume, il avait quitté, le 8, à six heures du soir, son domicile de la rue des Saints-Pères. Il était allé passer la nuit à l’hôtel d’Orient, rue Saint-Dominique, où il s’était présenté sous le nom de Laboulée. A neuf heures, il s’était rendu 21, rue Poissonnière, chez son ami Ricard auquel il avait annoncé qu’il se réfugiait chez son ancien aide de camp Poilpré, rue Croulebarbe, derrière les Gobelins. Poilpré était couché lorsque Malet arriva vers midi, et son premier mot fut de dire : « Parbleu ! mon cher général, vous êtes bien bon de venir de si loin visiter un pauvre malade. » Ce fut à la réponse que lui fit le général qu’il jugea son inquiétude. Il sortit pour rassurer Mme Malet, mais elle était surveillée, et il fut mis en arrestation. Chez Ricard, des inspecteurs de police avaient trouvé sur un chiffon de papier l’adresse de la rue Croulebarbe. Ils s’y rendirent, demandèrent Malet. Le portier et les domestiques convinrent bien que le général était venu le matin, mais ils soutinrent que sa femme était venue le voir et qu’elle l’avait emmené. Malgré que cette assertion parût très vraisemblable, le commissaire de police et les officiers de paix qui l’accompagnaient firent battre les jardins par les inspecteurs, et le général vint de lui-même tomber dans leurs mains.

La police avait saisi chez lui un fusil à deux coups, deux espingoles, une carabine à deux coups, deux pistolets dits espingoles, et deux pistolets d’arçon. Ce n’était peut-être pas de quoi l’inculper positivement, mais c’était de quoi donner à réfléchir. Le 40, on en était encore là. L’archi-chancelier demandait à Dubois des détails : « Je suis parfaitement rassuré, disait-il, mais comme je veux écrire à l’Empereur, je souhaite d’avoir de votre part, dans la journée, un rapport plus étendu, tant sur les projets que sur les moyens d’exécution des malveillants. »

A ce moment, Dubois ne pouvait répondre, mais le lendemain 11, par l’interrogatoire de Malet, tout s’éclaira. Malet ne fit aucune difficulté à prononcer les noms d’hommes que nul de ses complices ne connaissait, et qui, de beaucoup, dépassaient les obscurs figurants que la police avait arrêtés. Ces hommes-là, Florent-Guyot et Jacquemont, par leur passé politique, par les places qu’ils occupaient, par leurs relations dans les milieux gouvernementaux, étaient à classer à part. Dans quel dessein, pour quel intérêt Malet avait-il jugé à propos de livrer spontanément, sans qu’il fût même interrogé, sans que la police eût découvert le moindre indice de ses relations, deux hommes tels que Florent-Guyot et Jacquemont, qu’il avait rencontrés presque par hasard, et dont les entrevues avec lui n’avaient pas laissé la plus petite trace ?

Si l’on ne veut point reconnaître dans ces aveux une faiblesse qui chercherait les profits de la délation, il faut admettre une manœuvre ayant pour but de s’abriter derrière des personnages d’importance que la police n’oserait point poursuivre et de bénéficier ainsi de leur impunité. Est-il permis de se demander si, dès le moment où il s’est mis en rapport avec Florent-Guyot et Jacquemont, Malet n’a point eu pour objet, en même temps que de pratiquer des sénateurs pour le cas où la conspiration marcherait, de se procurer des paratonnerres pour le cas où elle échouerait ? Ceci ne serait point à sa gloire, mais on ne saurait expliquer autrement la spontanéité d’aveux aussi compromettants pour des tiers. Ce qui corrobore cette opinion, c’est que Florent-Guyot et Jacquemont qu’il a rencontrés une fois sont les seuls qu’il nomme, alors qu’il lait les noms des conspirateurs qu’il croit n’être pas encore arrêtés.


L’EMPEREUR, FOUCHÉ ET DUBOIS

Le 16, l’Empereur qui a reçu les courriers de Paris du 12, écrit à Fouché : « Je reçois l’interrogatoire de Malet que j’ai connu dans tous les temps pour un très mauvais sujet, voleur, peu brave. Il avait déjà été compromis dans l’affaire d’Angoulême il y a quatre ou cinq ans. Je ne donnai pas de suite à ce qui le regardait, parce que j’y reconnus beaucoup de bêtise, et je continuai même à l’employer, mais la récidive est un peu trop forte. En lisant votre dépêche, je vois que Florent-Guyot et Jacquemont y sont pour quelque chose. Quand les accusés diraient avoir causé avec eux, ce ne serait pas une preuve, mais ce serait un premier indice. Florent-Guyot passait pour un homme sage : ce n’est cependant pas la première fois que j’ai à me plaindre de lui, c’est au moins la cinquième. Il m’est revenu qu’il était d’un fort mauvais esprit : cela ne m’étonne pas. Je lui avais, malgré ces sujets de mécontentement, donné une bonne place. Quant à l’autre, je n’en ai jamais entendu parler : on dit que c’est un ancien membre du Tribunat.. »

Fouché, tant qu’il s’est agi d’une affaire où des militaires se trouvaient compromis, même avec quelques obscurs terroristes, ne s’en est nullement soucié et, quoiqu’il doive trouver singulièrement hardie l’initiative du préfet de Police, il l’a laissé agir ou du moins il ne l’a pas formellement traversé ; mais, du jour où Florent-Guyot découvre les membres du Sénat et où son témoignage, autrement valable que celui de Malet, peut compromettre les Jacobins nantis, il n’en va plus de même. Désormais Fouché va donner tout entier pour couper les chiens du préfet et les détourner de pistes qui les mèneraient trop loin. Qui sait ? jusqu’au quai Voltaire ? au ministère de la Police générale ?

Mais comme Cambacérès et Dubois envoient à Bayonne les doubles des interrogatoires, Napoléon n’est point dupe ; il a toute raison de suspecter dès lors Fouché, que la plupart des individus arrêtés n’ont eu garde d’inculper, mais qu’a cité pourtant le général Guillet [6] dans des termes que leur ton rend vraisemblables. Sentant tout cela, l’Empereur écrit à Fouché : « Je reçois votre lettre du 13 juin. Les interrogatoires de Jacquemont et de Florent-Guyot m’ont fort surpris. Je suis loin de n’y voir, comme vous, rien de nouveau : j’y vois évidemment un complot dont l’un et l’autre sont. Quelle est la société que fréquentent ces individus ? Benjamin Constant doit être là-dedans. Cette canaille sera-t-elle toujours protégée à Paris ?

« Dans vos derniers numéros, vous me parlez encore de divorce. Ce sont ces conversations qui alarment l’opinion et font naître le trouble dans le pays le plus tranquille du monde. Si chacun dormait l’exemple de faire son devoir, et ne faisait que cela, bien des choses n’arriveraient pas.

« Je ne soupçonne pas Garat, mais c’est une tête si faible et qui est mise à de si rudes épreuves dans les conversations. qu’il ne serait pas étonnant qu’il se lançât dans de fausses démarches et qu’il finît par se trouver compromis.

« Je sais gré au préfet de police de suivre vivement cette affaire. Vous me dites que cela n’est pas dangereux. D’accord. Mais dois-je donc m’attendre à ce que les personnes pour lesquelles j’ai témoigné le plus d’égards, soient les premières à ébranler la fidélité que me doit la Nation ? Quels qu’ils soient, ils n’y réussiront pas : et ils n’entraîneront que leur ruine.

« Au reste, quand il sera prouvé qu’ils sont coupables, je ne veux pas exercer d’autre vengeance que celle de les faire connaître à la Nation pour les marquer du sceau d’un éternel opprobre. On ne peut pas regarder comme des conversations philosophiques, ces conversations avec des hommes tarés, aussi peu philosophes que Malet, Guillet et autres généraux, tous gens d’exécution. Ce n’est plus de l’idéologie, mais une véritable conspiration. »

Napoléon a senti, sans que Dubois le lui ait écrit, qu’un seul des individus arrêtés a pu avoir des relations avec les idéologues du Sénat, et que c’est Jacquemont : mais c’est justement Jacquemont que Fouché prend sous sa protection, car il lui est spécialement recommandé par les hommes auxquels il a déjà des obligations et desquels il attend beaucoup. Aussi cabale-t-il contre le préfet de Police qui a osé toucher à un personnage aussi notable.

Le 16 juin, le préfet de Police écrit à l’Empereur : « Sire, j’ai l’honneur de transmettre à Votre Majesté la copie du dernier interrogatoire du sieur Demaillot qui, après avoir obstinément nié tous les faits, lors des premiers interrogatoires, a fini par en avouer la majeure partie. J’ai la certitude que le général Malet et ses affidés se réunissaient rue de Thionville à l’Athénée des jeunes élèves, et ce qui le prouverait même, c’est que le sieur Lemare, ancien président du département du Jura, et sa femme, propriétaires de cet établissement, ont disparu aussitôt qu’ils ont su l’arrestation du général Malet, du sieur Corneille, l’un des coryphées du parti, et que, malgré mes recherches, il m’a été impossible de les trouver. »

Ceci n’est qu’une entrée en matière, et voici l’essentiel : « Je suis instruit. Sire, que l’on m’accuse d’avoir fait arrêter très légèrement le sieur Jacquemont, ancien tribun et chef du bureau des sciences au ministère de l’Intérieur ; mais j’espère, Sire, que je serai approuvé par Votre Majesté. Le sieur Jacquemont est, à mon avis, aussi et même plus coupable que le général Malet, car celui-ci n’aurait point agi comme il l’a fait et n’aurait point cherché des coopérateurs, si la conversation qu’il a eue avec Jacquemont chez Florent-Guyot, et dont celui-ci convient dans son interrogatoire, n’avait point échauffé sa mauvaise tête et augmenté ses coupables désirs, (que Jacquemont a peut-être fait naître en lui citant les sénateurs mécontents. Le sénateur Destutt-Tracy est venu me demander à parler au sieur Jacquemont. Il m’a dit venir de la part du ministre) [7]. »

Dubois n’a point voulu, par ménagement ou par crainte, transcrire cette dernière phrase qui eût trop nettement découvert Fouché. Mais il annonce qu’il a remis au prince archi-chancelier et au sénateur ministre de la Police le rapport général de toute l’affaire, avec copie de tous les interrogatoires et pièces à l’appui.

L’archi-chancelier s’empresse d’envoyer à l’Empereur le récit, d’ailleurs très exact et très minutieux, qu’a rédigé Dubois ; mais Fouché s’ingénie à brouiller les cartes, à empêcher Dubois de pénétrer plus avant. Il a sans doute affaire à forte partie, car l’Empereur, avant même qu’il ait reçu la lettre que le préfet de Police lui a adressée, a écrit le 17 à Cambacérès : « Je reçois votre lettre du 13. L’interrogatoire de Florent-Guyot et de Jacquemont m’a frappé ; prenez-en, je vous prie, connaissance. Cette affaire mérite d’être suivie. Jacquemont nie tout, non seulement ce que dit Malet, mais ce que dit Florent-Guyot. Cet homme trempe visiblement dans un complot... Je vous prie de faire une enquête sur les personnes qui voyaient journellement ce Jacquemont. Faites venir le préfet de Police et témoignez-lui ma satisfaction de l’activité qu’il met dans la poursuite de ce complot. Recommandez-lui, en dehors de ce qu’il m’écrit, de vous rendre compte tous les jours, et dirigez-le par vos conseils et par votre prudence. Il est nécessaire que vous parliez de toutes ces affaires au conseiller d’État Pelet. »

Il ajoute, et ceci montre quel est le caractère de ses préoccupations : « On m’assure qu’on tient chez Fouché les propos les plus extravagants. Depuis les bruits sur le divorce, on dit qu’on en parle toujours dans son salon, quoique je lui aie fait connaître dix fois mon opinion là-dessus. Le résultat de tout cela est de déconsidérer le souverain et de jeter du vague dans les esprits. Prenez des informations, et si cela est, parlez-en à Fouché, et dites-lui qu’il est temps qu’on finisse de s’occuper de cette matière-là et qu’on est scandalisé de voir la suite qu’il y met. Est-il étonnant, après cela, que des hommes comme Florent-Guyot, Jacquemont et autres, sur ces hypothèses, commencent à tramer des complots ? Ce n’est pas que j’aie le moindre doute sur la fidélité de Fouché, mais je redoute la légèreté de sa tête qui, en propageant ses idées, en fait naître d’autres, et des projets que, par métier, ensuite, il est obligé de réprimer. »

Enfin, sur la lettre du 16, il écrit le 21 à Dubois, — et c’est une exception à noter qu’il s’adresse directement au préfet de Police : — « J’ai reçu les interrogatoires du 16. Je suis loin de trouver que vous avez fait arrêter le sieur Jacquemont légèrement. Il peut être innocent, mais son interrogatoire est celui d’un criminel. Continuez à suivre cette affaire avec la plus grande activité, en marchant toujours avec les indices et jamais avant. »


LA DÉFENSE DE JACQUEMONT

Si, par son interrogatoire, Jacquemont a donné, en effet, des préventions contre lui en adoptant une forme de défense qui ne semblera ingénieuse que si l’on se prête, — ce qui n’est pas le cas de Napoléon, — aux récréations métaphysiques, il accentue encore cette manière en la condensant, et en l’entourant de tous les artifices de la psychologie la plus experte. Il ne nie point qu’il ait vu Florent-Guyot ; il ne nie point qu’il ait conversé avec lui ; il ne niera pas davantage qu’il ait vu Malet, mais prenant Florent-Guyot à partie, sans l’accuser d’avoir menti, il prétend prouver qu’il a, sans le vouloir, déformé les faits : « M. Florent-Guyot s’est abusé lui-même, écrit-il le 14 juin, en croyant rendre un entretien dont sa mémoire ne pouvait lui rappeler les expressions, et dont sa narration n’offre point le véritable caractère. » Et après avoir nié d’abord que M. Florent-Guyot soit de ses amis, « puisque depuis deux ans peut-être qu’il a fait sa connaissance, il ne croit pas qu’il l’ait vu plus que sept à huit fois, de loin en loin et par occasion d’affaires, » il ajoute : « Ce simple fait, Monsieur le comte, ne laissera point échapper à votre esprit combien une seule expression vague et hasardée peut donner aux choses une couleur fausse qui devient ensuite un sujet de préoccupations légitimes, quoique fausses elles-mêmes. Mais il en est bien autrement de la suite d’une conversation que l’on voudrait rétablir après un mois de sa date, et lorsqu’elle n’a rien dû offrir d’abord qui put en conserver la mémoire par un grand intérêt. Il n’est personne, je m’assure, qui ayant un peu réfléchi sur la forme de son esprit, osât prétendre restituer dans son intégrité le plus court entretien de la veille, en rapportant à chacun des interlocuteurs la part exacte qu’il a prise. Ce qui reste ordinairement de ces entretiens, ce n’est point le souvenir des termes, des phrases, des expressions qui y ont été employées, ce sont quelques impressions qu’on en a reçues soi-même, et qui se sont vaguement conservées dans l’esprit. Mais ces impressions se forment, non pas immédiatement de ce qui s’est dit, mais de la manière dont on l’a entendu, et cette manière de l’entendre dépend à son tour de la disposition d’esprit, de sentiments, de préventions même où peut se trouver celui qui écoute. Comment serait-il possible, après cela, de rétablir avec quelque sorte de précision des propos fugitifs et déjà éloignés ? N’est-il point évident qu’avec la meilleure foi du monde, un pareil compte est erroné de sa nature, et qu’avec la conscience la plus pure, un galant homme est nécessairement livré aux déceptions de son esprit, lorsqu’il croit ne rapporter que la vérité même. »

Cette forme de défense n’était point pour plaire à Napoléon ; mais, aux yeux de Fouché, elle avait l’avantage de ne compromettre aucun des sénateurs qui eussent pu être mis en cause, et c’était ce que Dubois démêlait avec beaucoup de finesse dans un rapport confidentiel qu’il adressait à l’archichancelier, lequel avait désiré « connaître son opinion sur l’affaire du général Malet. » « Personne n’ignore dans Paris, écrivait-il, et peut-être dans toute l’Europe, qu’il est parmi les sénateurs de la première création, des républicains mécontents, et la conversation du général Malet avec Florent-Guyot et Jacquemont a fait écrire au premier que tout était possible pendant l’absence de Sa Majesté, avec un Sénatus-Consulte vrai ou supposé et des proclamations qui supprimeraient la conscription et les droits réunis. Jacquemont a bien senti combien ses aveux et son silence étaient nécessaires aux sénateurs qu’il a nommés au général Malet. Il a prévu que, s’il faisait la même déclaration que Florent-Guyot, il serait peut-être confronté aux sénateurs qu’il aurait nommés et, persuadé d’avance qu’ils nieraient tout, il a préféré se taire lui-même parce que cet homme méthaphisien (sic) idéologiste et qui n’a jamais été chaud qu’en révolution a véritablement exprimé à Malet et à Florent-Guyot son opinion personnelle et son opinion personnelle a toujours été alimentée, depuis le 18 brumaire an VIII, et par beaucoup des cent tribuns, et par les hommes de lettres, les savants et les sénateurs mécontents.

« Je crois donc en résultat que cette affaire doit fixer l’attention de Sa Majesté, qu’elle est un avertissement utile pour le choix des hommes qui devront entrer au Sénat, mais qu’il faut bien se donner garde de renvoyer cette affaire à aucun tribunal, pas même à une commission militaire, quoique les généraux Malet et Guillaume et le sieur Demaillot y fussent indubitablement condamnés, qu’il faut se contenter, conformément aux conclusions de mon rapport, de les garder en détention et les envoyer dans nos établissements coloniaux aussitôt après la paix maritime ; leur détention sera un épouvantail pour les sénateurs coupables, s’il y en a, et un avis à tous les mécontents que le Gouvernement a les yeux ouverts sur eux. »

Cet appel au renouvellement des déportations de Fructidor et de Nivôse montre assez qu’il subsiste aussi chez Dubois quelque chose du Jacobin. Il répond aux questions que l’Empereur a posées sur les personnes qui voyaient habituellement ce Jacquemont : « Je puis citer en première ligne le sénateur Destutt Tracy qui a été jusqu’à me dire à moi-même, lorsqu’il s’est présenté pour parler à Jacquemont, — ce que je lui ai refusé, — que si l’on arrêtait des hommes tels que Jacquemont pour leur opinion, on pourrait l’arrêter lui-même ; MM. Lebreton, Richard, Andrieux, Picard de l’Institut, le Sieur Roger, auteur de l’Avocat, me sont signalés comme liés très particulièrement avec Jacquemont. Beaucoup de membres de l’Institut, ceux de l’École de médecine et toutes les Sociétés savantes s’inténsssent au sieur Jacquemont, parce que sa qualité de chef du Bureau des Sciences au ministère de l’Intérieur lui donnait de fréquents rapports avec eux. Le sieur Jacquemont est aussi lié avec le sénateur Garat. Il l’était encore plus avec le sénateur Cabanis qui vient de mourir,

« Je ne dois pas, ajoute Dubois, cacher à Votre Altesse que dans toute cette affaire, on a cherché à insinuer auprès de beaucoup de sénateurs, notamment depuis le dimanche 12 de ce mois [8], que je cherchais à englober beaucoup de membres du Sénat dans une conspiration, et plusieurs sénateurs très dévoués au Gouvernement, et qui, certes, n’aiment pas les démagogues, ont été assez dupes pour le craindre, et cela tout simplement par esprit de corps ; mais je n’en marcherai pas moins sur la ligne que je me suis tracée depuis le 18 brumaire, et toutes les haines que l’on attisera contre moi ne m’empêcheront jamais de faire imperturbablement mon austère devoir. »

Il en donne au même moment une preuve convaincante. Poursuivant ses investigations, il a, sur de nouvelles déclarations du général Guillaume, fait arrêter Baudement, secrétaire en chef de la mairie du 1er arrondissement, Ricord, ex-conventionnel, un autre Ricord, son cousin, Bazin, auteur des Lettres Philosophiques, Liébaud, jurisconsulte, Lavigne ou Delavigne, le tenancier de l’auberge de la rue Bourg-l’Abbé, et Bournot, chef de bataillon des Vétérans. Sauf Blanchet, membre de la commission révolutionnaire de Lyon, le docteur Seiffert, confident de Servan et le médecin Gindre, de Lons-le-Saulnier, qui ne seront arrêtés qu’au début de juillet ; sauf Lemare, en fuite, sauf Angeloni, dont le préfet n’a point percé la complicité, tous les conspirateurs sont sous clef, mais c’est du fretin, et ce n’est point là ce qui importe à Fouché.

S’il intervient, c’est qu’il ne saurait tolérer que Dubois, par ses recherches, soit amené en présence des personnages intangibles. Fouché envoie donc chercher le général Malet, il le fait interroger par Desmarets : « Je sais, écrit Dubois à l’Empereur, qu’il lui a demandé s’il persistait dans ses déclarations. Il l’a gardé cinq heures, et Malet m’a dit qu’il avait répété tout ce qu’il avait dit devant moi. »


LE COUP D’ÉTAT DE FOUCHÉ

Ce n’est là qu’un symptôme. Le lendemain, lettre du secrétaire particulier du ministre, invitant le préfet à ne pas s’absenter, parce que Son Excellence va envoyer une lettre très importante concernant l’affaire Malet : la note arrive dans la journée. La même a été envoyée aux conseillers d’Etat, chargés d’un département de police. De son chef, le ministre crée une juridiction spéciale et sans analogue, chargée de l’instruction de l’affaire, et il dessaisit le préfet. Cette note a la forme d’un arrêté :


LE MINISTRE DE LA POLICE GÉNÉRALE

Après avoir lu les déclarations faites et les interrogatoires subis par le général Malet et les autres prévenus de complot contre l’État, ensemble le rapport du conseiller d’État, préfet de police,

Considérant que l’instruction d’une pareille affaire dans laquelle les divers prévenus déposent les uns contre les autres ne peut être regardée comme complète, même pour l’autorité administrative chargée des premières recherches, que par la confrontation des divers prévenus entre eux ;

Considérant que cette confrontation n’a pas été faite sur les points les plus importants ;

Considérant que la gravité de l’accusation exige une instruction aussi approfondie que prompte et sévère,

Arrête ce qui suit :

Article premier. — Il sera dans ce jour procédé à la confrontation entre les généraux Malet, Guillet et Guillaume, les sieurs Florent-Guyot, Jacquemont et Demaillot, et autres prévenus sur les faits résultant des déclarations, interrogatoires et rapports précités et autres cas.

Art. 2. — Les trois conseillers d’État chargés des arrondissements de police générale de l’Empire, sont invités à se réunir sur-le-champ, pour procéder ensemble à ladite confrontation dont procès-verbal sera dressé, signé des prévenus et de MM. les conseillers d’État, le sieur Desmarets, chef de la 2e division de la Police générale, tenant la plume.

Art. 3. — La minute de ce procès-verbal nous sera remise dans le jour pour être, par nous, ordonné ce que de droit.

Art. 4. — Attendu que les prévenus sont, dans ce moment-ci, détenus à la préfecture de Police et que la confrontation y sera bien plus facile qu’à l’Hôtel de la Police générale, MM. les conseillers d’État se réuniront à la Préfecture de Police.

Paris, 24 juin 1808.


Signé : FOUCHÉ.


Les termes inusités, les formes illégales, les considérants mensongers de cet arrêté, la convocation des conseillers d’État pour le même jour à deux heures, l’attention de ne point prévenir l’archi-chancelier, d’empêcher que l’Empereur puisse être averti, annoncent si hautement les intentions du ministre de la Police que toutes les suspicions deviennent vraisemblables. Le préfet de Police écrit le lendemain à l’Empereur : « Le sénateur ministre de la Police, après m’avoir fait écrire hier à une heure qu’il ne pourrait pas me recevoir pour le travail ordinaire des vendredis, m’a fait parvenir à deux heures l’arrêté dont j’ai l’honneur de transmettre copie à Votre Majesté. » Et en même temps arrive la convocation pour deux heures de relevée.

Dubois ajoute : « Je suis bien loin, Sire, de me plaindre que mes collègues Real et Pelet, et M. Desmarets, soient adjoints à mes travaux, j’en suis même charmé, mais je ne méritais pas la formule qu’on a prise, ni le considérant et les motifs de l’arrêté, et le ministre qui a fait dire partout à Paris, et qui a dit lui-même qu’il ne voyait pas cette affaire sous le même point de vue que moi, n’aurait pas dû établir dans un arrêté que les confrontations ne sont pas faites, lorsqu’elles le sont toutes, c’est-à-dire toutes celles nécessaires, car les individus qui avouent les mêmes faits ne doivent pas être confrontés, surtout lorsqu’on a des recherches très pressées à faire, et des interrogatoires et déclarations à recevoir à chaque instant. »

Cependant, après une séance blanche le 24, les trois conseillers d’État que surveille Desmarets ont commencé à refaire, pour le compte de Fouché, le travail que Dubois a fait à lui seul : mais Dubois cherchait les coupables, et Fouché cherche des innocents. À la vérité, il se soucie fort peu de Guillet, de Guillaume et même de Malet qu’on interroge à nouveau, qu’on confronte, sans obtenir qu’ils se contredisent, et qui plus ou moins confirment leurs aveux ; de même Florent-Guyot qui déjà marque des réticences assez fortes, mais à la fin, le mardi 28, on arrive à Jacquemont, auquel on témoigne tout de suite des égards sans précédents. En effet, il ne s’agit plus ici d’interrogatoire et de réponses que suggèrent d’autres questions plus pressantes, qui se succèdent dans un ordre logique, qui déconcertent l’inculpé, et qui l’amènent à des aveux. C’est à Jacquemont qu’on remet la direction de son interrogatoire. On lui donne lecture des déclarations de Florent-Guyot et de Malet, des procès-verbaux de confrontation de Jacquemont, Malet et Florent-Guyot, de la lettre que lui, Jacquemont, a écrite au préfet de Police, de la lettre que Florent-Guyot lui a écrite à lui-même, et de son interrogatoire sur ce sujet. « M. Jacquemont, à la suite de la lecture de ces pièces, après avoir déduit quelques motifs généraux, demande à rédiger sa réponse à tête reposée, déclarant que c’est pour donner à ses déclarations toute la maturité et l’exactitude qui pourront établir la vérité aux yeux de MM. les commissaires conseillers d’État. » Sans plus discuter, on remet à Jacquemont les copies des pièces qu’on lui a lues, et même le procès-verbal de la confrontation de Malet et de Florent-Guyot qui date de la veille ; et, travaillant sur ces pièces, Jacquemont produit un morceau de psychologie fort intéressant, où il ne répond à aucune des questions précises qui auraient dû lui être posées, mais où, reprenant la théorie qu’il a fait valoir lors de son interrogatoire, il parvient à noyer, dans un vague complaisant, des faits qu’il ne veut ni nier, ni avouer complètement.

Autant il a été courtois et prudent à l’égard de Florent-Guyot, autant il affecte un dédain presque agressif vis-à-vis de Malet, et ayant remis cette pièce, « consistant en une feuille écrite sur trois de ses pages, il laisse MM. les conseillers d’Etat interroger à l’aise Demaillot. » A la séance du 29 au matin, Dubois, qui n’entend point rester sous le coup des dénégations de Jacquemont, derrière lequel il sent Fouché, lui pose des questions pressantes sur ses conversations avec Florent-Guyot toutes les fois qu’il a conféré avec lui sur les affaires de la France. Il ne gagne rien, et Jacquemont continue à affirmer que les déclamations les plus graves qu’il a faites à Florent-Guyot comme à Malet « n’étaient pas dites sérieusement, mais par forme de plaisanterie. » Real insiste sur « l’inconvenance du système de dénégations que Jacquemont a adopté ; » il gagne seulement que Jacquemont croit pouvoir se rappeler que, dans les conversations qui ont pu avoir lieu entre M. Florent-Guyot et lui, conversations « du genre des conversations ordinaires de société, » il a pu y être « question de diverses idées non étrangères totalement à plusieurs choses reliées dans la déclaration ou la lettre de M. Florent-Guyot. »

On peut juger par là des précisions acquises à la suite d’une séance qui a duré de neuf heures du matin à cinq heures et demie de relevée ; mais Florent-Guyot, interrogé aussi longuement le lendemain et le surlendemain, n’en maintient pas moins tous ses dires. Quant à Jacquemont, interrogé à nouveau, il oppose a tout cette phrase : « Je ne nie pas, mais je ne me rappelle pas, » ou : « Je m’en réfère à ce que j’ai dit précédemment. » Confronté avec Malet, il dit que « la conversation fut courte, vague et insignifiante, et qu’il n’y fut question que des nouvelles du jour. » Lorsqu’on lui montre la concordance des aveux de Florent-Guyot et de Malet, il revient à son explication psychologique des superpositions. Il termine par cette phrase ambiguë : « Je finis en laissant à MM. les commissaires d’apprécier les motifs qui peuvent fonder leur opinion sur le caractère de la déclaration de M. Malet, et je m’en rapporte à leur justice. »

Et puis... et puis c’est tout. « Les commissaires conseillers d’État closent le présent procès-verbal et ajournent la continuation des séances au jour dont il sera convenu entre eux, ou qui sera décidé par S. Exe. le ministre de la Police générale. » Mais il ne plait pas à Son Excellence de convoquer à nouveau la Commission. Son Excellence a vu que les choses tournaient mal pour son protégé, et elle a reçu de Bayonne une lettre qui lui a donné prétexte à suspendre les séances de la Commission instituée par elle.


FOUCHÉ ET NAPOLÉON

Au coup d’État de Fouché, l’Empereur ne s’est pas opposé formellement. Il s’est contenté de lui écrire le 29 juin : « Je reçois votre lettre du 26. Les changements faits au Conseil de police sont irréguliers. Vous ne deviez pas les faire sans mon ordre. J’ai lu avec attention les interrogatoires que m’a envoyés le préfet de Police ; ils me paraissent importants, mais on le calomnie lorsqu’on dit qu’il attaque le Sénat. Il n’y a pas dans ce qu’il m’a envoyé un mot qui compromette un seul sénateur. Votre devoir est de soutenir le préfet de Police et de ne pas le désavouer en accréditant de fausses rumeurs contre ce magistrat. » Ainsi un simple blâme et combien faible ! En revanche, l’irrégularité des changements autorise la suspension des séances...

Avec Cambacérès, comme s’il avait peur de Fouché, — et cela est bien possible, — l’Empereur a été plus formel, et il a laissé mieux voir des soupçons qui s’accentuent chaque jour, Il lui a écrit : « On ne peut être plus mécontent que je ne le suis de ce ministre de la Police, qui laisse échapper sa haine contre le préfet de Police, au lieu de le soutenir, de l’encourager et de le diriger. Le ministre cherche à jeter du blâme sur le préfet de Police, en disant qu’il jette de la défaveur sur le Sénat. Il n’y a pas un mot contre le Sénat dans tout ce que m’a envoyé le préfet de Police. Parlez de ma part à Pelet et à Real. Je désire que vous souteniez dans toutes les circonstances le sieur Dubois et que vous lui donniez des témoignages d’estime. Prévenez bien ses ennemis et ses détracteurs que je lui en donnerai moi-même des preuves d’autant plus éclatantes qu’on voudra plus déprécier son zèle. Je juge par ma raison et par mon jugement, et non sur l’opinion des autres.

« Il est certain que, depuis l’an VIII, le parti anarchiste n’a cessé de tramer en France une conspiration sourde. J’ai constamment pardonné. Il faut faire aujourd’hui un exemple qui coupe court à toutes ses machinations.

« Vous qui êtes légiste, pourquoi n’avez-vous pas observé au ministre de la Police qu’il n’avait pas le droit de créer une nouvelle machine ? Il devait consulter les conseillers d’Etat réunis, et non prendre un arrêté pour la création d’un conseil de police. Les conseillers d’Etat, qui connaissent les formes, eussent dû se refuser à ces fonctions, puisque cette nouvelle machine ne pouvait être créée que par mon autorisation. »

Cambacérès, si prudent, a-t-il interprété trop fortement la pensée de l’Empereur, ou Fouché ayant vu les choses mal tourner pour Jacquemont, s’est-il réservé l’innocentement final ? Après avoir institué le Conseil de Police auquel il a remis le soin d’examiner le cas des conspirateurs, soustraits ainsi à toute juridiction régulière, militaire ou civile, il en suspend les séances. Pour triompher de Dubois, il n’hésite pas à lui prêter des propos contre le Sénat, à supposer à l’Empereur le projet de le décimer. Napoléon ne voit pas clair dans ce jeu extraordinairement compliqué. « Pourquoi, écrit-il à Cambacérès, le ministre a-t-il ôté au Conseil de Police la connaissance de cette affaire ? Envoyez-moi le rapport et le travail que le conseil a fait. J’ai blâmé qu’on ait ôté la plume au secrétaire légal du conseil [9], mais je n’ai pas ordonné qu’on revint sur cette mesure et vous ne lui avez pas dit cela. Enfin expliquez- moi ce qu’a Fouché dans tout cela. Est-il fou ? A qui en veut-il ? Personne ne l’attaque, personne n’attaque le Sénat. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je commence à ne plus rien comprendre à la conduite de ce ministre. Que disent Real et Pelet de la Lozère ? Que pensez-vous de tout cela ? Sa jalousie contre le préfet de Police peut-elle le porter à de pareils excès ? »

Si Fouché a suspendu les séances du Conseil de Police, c’est qu’il ne veut pas que ce Conseil rédige le rapport que l’Empereur réclame, qu’il se réserve de faire lui-même, et par lequel il se propose d’innocenter ceux auxquels il tient. « Tous ceux qu’on accuse de conspiration, écrit-il, se sont trop ouvertement abandonnés à la crainte d’événements sinistres sur la surface de l’Europe et subversifs de l’état actuel des choses en France. Ils ont manifesté avec trop d’indiscrétion et de précipitation leurs opinions et leurs vœux personnels dans la supposition extravagante du renversement du trône et dans l’idée craintive du rétablissement de l’ancienne dynastie... Doit-on conclure de tout cela qu’il ait existé un projet ayant pour but de rétablir la Constitution de l’an VIII avec des Consuls, et la suppression de la conscription et des droits réunis ? Est-il également constant d’après les pièces d’instruction que la conspiration dénoncée a existé ? Non, je le répète, il n’y a pas là de conspiration. Où sont en effet les chefs de parti ? Où sont les réunions ? Quels en sont les membres ? Où sont les pièces de conviction ? Où sont les moyens d’exécution ? Existe-t-il une correspondance ? Où sont les armes ? Où sont même les traces d’une conspiration ? »

Tels sont les arguments de Fouché auxquels on doit réponse. Certes, la conspiration existe, mais elle est double : l’une, dont on n’a point trouvé le secret, s’est passée en des conversations entre trois, quatre, cinq personnes au plus : Malet, Florent-Guyot. Jacquemont, et dans la coulisse, Destutt de Tracy, Garat, peut-être quelques autres, mais celle-ci est le paravent. La conspiration effective et qui n’a point eu besoin des sénateurs pour s’organiser, pour forger des armes, et imprimer des décrets, est celle tramée entre Jacobins obscurs, dans un Salon particulier de marchand de vins. C’est de cette façon que se sont amorcés et que s’amorceront durant le XIXe siècle entier, les attentats effectifs contre le souverain. Seulement ici, les pièces de conviction ont échappé, et c’est ce qui donne une force au raisonnement de Fouché.

« Sans doute, dit-il en terminant, il faut réprimer les écarts dans lesquels sont tombés les individus arrêtés : la tranquillité intérieure demande que plusieurs d’entre eux soient sévèrement punis et mis dans l’impossibilité d’apporter de nouveaux troubles, en les séquestrant de la Société. Mais faut-il pour cela l’appareil de la Haute-Cour ? Non sans doute ! Quand on en aurait la preuve, des considérations politiques très puissantes les feraient certainement rejeter. Au lieu d’occuper l’Europe entière de pareils détails, le chef de l’Empire trouvera sans doute plus sage, et également utile à la sûreté publique, de comprimer par des mesures sans éclat, les efforts des malintentionnés et saura faire le discernement des véritables coupables et de ceux à qui on n’a eu à imputer que des imprudences et de la pusillanimité. »

Mais quand a-t-il été question d’une Haute-Cour ? et pourquoi une Haute-Cour, lorsqu’un conseil de guerre suffirait ? Une Haute-Cour, ce serait si l’on mettait en jugement des sénateurs, ce dont il ne fut jamais question. Derrière cet épouvantait de la Haute-Cour, comment Fouché s’arrange-t-il pour faire disparaître la conspiration effective et la nier ? Avant d’étouffer ainsi, dans des prisons opportunes, le secret des menées criminelles, n’y aurait-il pas eu lieu de les pénétrer, de constater la part de sérieux qu’elles présentent ?

L’Empereur a la sensation que Fouché prétend se garder en réserve, sinon une révolution, du moins des révolutionnaires et que ses menées secrètes vont plus loin qu’une rivalité d’influence avec le préfet de Police. Si celui-ci paraît aussi gênant à Fouché, c’est qu’il le contrarie dans des projets qui se rattachent à un ensemble d’extraordinaires intrigues. L’Empereur écrit le 17 juillet à l’archi-chancelier : « Je vous envoie le bulletin de police (c’est le rapport du 13). Je vous prie de le lire avec attention et de le comparer aux pièces. J’ai cru longtemps que c’était la rivalité contre le préfet de police qui portait M. Fouché à se conduire ainsi. Je commence à craindre que Fouché, qui a la tête gâtée, ne favorise les brouillons dont il espère se servir, et ne veuille point décourager des gens qui prévoient des circonstances de mort ou des événements extraordinaires, puisqu’il songe lui-même tant à l’avenir, témoin ses démarches pour un divorce.

« Dans cette situation des choses, je vous prie d’assembler le Conseil de police et de vérifier les assertions suivantes, savoir : 1° qu’il n’y a eu entre les accusés qu’une entrevue, tandis qu’il est constant par les interrogatoires, qu’il y en a eu un grand nombre ;

« 2° Qu’elle a eu lieu par hasard, tandis qu’il est prouvé qu’elles ont été indiquées ;

« 3° Qu’il n’y a eu aucune proposition de faite de la part et au nom des sénateurs, tandis que Servan et Jacquemont se disaient chargés de faire des propositions sans que les sénateurs en sussent rien, comme c’est l’usage de la part des chefs de complot ;

« 4° Qu’ils n’ont adopté aucune espèce de résolution, tandis qu’ils ne pensaient qu’à cela et que le jour d’une émeute était déjà fixé, et que l’idée de la présence de la Garde impériale à Paris, les a seule arrêtés court ;

« 5° Qu’ils ne se soient donné aucun rendez-vous, tandis qu’ils se voyaient tous les jours. »

Ce sont là les questions que le Conseil de Police doit examiner. Mais l’Empereur, auquel manquent, pour se former une opinion définitive, les pièces à conviction que Lemare et Bazin ont si opportunément déménagées, n’en est pas moins dans le vrai lorsqu’il dit : « Où en serait-on, si on ne réprimait les malveillants que lorsqu’ils ont une armée, et si, dans un État bien organisé, on n’arrêtait pas des essais qui ont pour but d’inquiéter et d’altérer la tranquillité publique ? »

Le Conseil de Police, assemblé les 21 et 22 juillet au palais du prince archi-chancelier, en exécution des ordres de S. M. I. et R., et composé du sénateur ministre de la Police, des trois conseillers d’État et de Saulnier, secrétaire-général (au lieu de Desmarets), a adopté dans sa première séance, l’opinion de Dubois, « qu’il était difficile de répondre immédiatement aux questions proposées, sans un nouvel examen des pièces de cette affaire, que ce serait peut-être s’exposer à des indications inexactes, lorsque la précision la plus rigoureuse était nécessaire. » On a donc remis la séance au 22. Dubois y a donné lecture d’un projet de réponse aux questions posées par l’Empereur, en faisant porter ces réponses sur l’ensemble de la procédure. Il a distingué fort justement les réunions chez Lemare et chez Delavigne, de l’unique entrevue de Jacquemont avec Malet et Florent-Guyot, et à la troisième question : « Dans ces entrevues, n’a-t-il été fait aucune espèce de proposition de la part et au nom des sénateurs, sans que ces sénateurs en fussent instruits ? » il a répondu : « Lorsque Malet eut une entrevue chez Florent-Guyot avec Jacquemont, il fut question du projet de quelques sénateurs, suivant les dires de Malet et de Florent-Guyot. Florent-Guyot déclare aussi que, dans ses entrevues avec Servan et Jacquemont, il fut question encore du projet de quelques sénateurs : mais Servan est mort, Jacquemont se tait opiniâtrement, et Bazin, qui avoue les faits et qui connaitrait les secrets de Servan, ne veut nommer personne. Ainsi, il est certain au procès qu’il n’y a que des oui-dires relativement aux sénateurs, que Servan les a fait parler, que Malet, d’après Jacquemont, les a fait parler aussi, mais on ne peut pas dire qu’aucun sénateur ait aucune part directe dans les complots de Servan, ni dans ceux de Malet. Les déclarations de celui-ci, celles de Florent-Guyot, de Baudement, de Corneille, de Bazin, de Liébaud, prouvent bien qu’on a mis en avant le nom de plusieurs sénateurs, notamment celui du sénateur Garai, mais tous les fils aboutissent et Servan et à Jacquemont, et ne vont pas au delà. »

Cette réponse très nette, et sans doute suffisante, ne semble point au Conseil assez juridique : il lui parait que pour répandre- plus de clarté dans cette affaire, il faut diviser les questions en séries de personnes. Cette proposition est adoptée. La première série comprend : Malet, Florent-Guyot et Jacquemont ; celui-ci est presque innocenté et les sénateurs, même Garat et Tracy, qui « s’occupaient, au dire de Florent-Guyot et de Jacquemont, de la chose publique, » le sont complètement. « Il parait certain, d’après l’examen des pièces, les dires et les variations des accusés, que ces sénateurs ont ignoré que leur nom fût cité dans ces conversations, et qu’ils n’ont chargé aucun des accusés de faire, ni de recevoir des propositions de leur part. »

Sur la 2e série : Malet, Guillaume, Corneille, Bazin, Baudement, Gariot, Lemare, Demaillot, on passe légèrement : on reconnaît leur culpabilité, mais sans attacher à leurs propos l’importance qui conviendrait. Enfin pour la 3e série : Servan, Grimoard, Jacquemont et Florent-Guyot, l’acteur principal est mort : toutes les réponses sont négatives. Et Fouché, ayant présidé à cette lessive, derrière Son Altesse Sérénissime le prince archi-chancelier, la séance est levée.

Restent les sanctions : ici Fouché l’emporte définitivement ; non pas que Dubois ait eu la moindre intention de réclamer la convocation d’une Haute Cour de justice, mais on a vu qu’il eût souhaité, en attendant la paix maritime qui eût permis l’internement des plus coupables aux Colonies, leur emprisonnement dans les iles de Bretagne. On se contente de prononcer le maintien dans les prisons d’Etat ; mais la plupart des accusés sont relâchés au bout de quelques mois. Baude, Baudement, Bazin, FIorent-Guyot, Guillaume, Guillet et Jacquemont sont, en avril 1809, exilés à quarante lieues de Paris ; en juin, on donne le choix à Bournot, chef de bataillon des Vétérans : destitution ou éloignement de Paris ; Jacquemont obtient même une place d’inspecteur général des Droits réunis. Gariot et Gindre sont mis en liberté lors du mariage de l’Empereur. Sur un rapport de Savary qui adopte presque les conclusions de Fouché, seuls restent en prison au mois de juillet 1810, Malet, Demaillot et Corneille. De plus, Bazin, qui ayant rompu son ban, est revenu du Mans à Paris, s’y est lait arrêter, et, refusant de retourner à son lieu d’exil, a préféré la prison.


FRÉDÉRIC MASSON.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.
  2. Pierre Guillet, né à Chambéry en 1765, avait au moins des services de guerre à son actif ; il avait passé du service de Sardaigne à celui d’Espagne, qu’il avait quitté (brusquement) pour celui de France. Il avait servi à l’Armée des Alpes, à l’Armée des Pyrénées Orientales, aux Armées de l’Ouest, à l’Armée d’Italie. Général de brigade, le 12 thermidor, an VIII, il avait été à l’Armée d’observation de la Gironde, puis de nouveau à l’Armée d’Italie. Il avait suivi Marmont en Dalmatie et, chargé d’un commandement aux Iles de la Brazza et de la Solta, il s’y était distingué par des actes de concussion et des actes de cruauté inouïs. Rappelé à Milan, puis à Paris pour s’y justifier, il se mêla aux affaires Malet, fut mis définitivement en non activité le 12 février 1809, et se retira à Chambéry. Il reprit du service en 1815, et mourut au fort de Fenestrelle en 1836.
  3. Wenceslas Jacquemont était un des convives du Tridi, avec Tracy, Cabanis, Garat, Thurot, Gallois, l.ebreton, M.-J. Chénier. Andrieux, Laromiguière, Ginguené, Benjamin Constant. Il était estimé de ses confrères, pour ce qu’il valait, plus que pour ce qu’il était.
  4. D’une lettre adressée le 4 mai 1819 par Gindre à Lemare où il retrace ce qu’il se rappelle de toute l’affaire, il écrit : « Tu me demandes encore quel jours en revenant de Passy, allâmes-nous à l’École militaire, et combien nous étions ? Ma foi, mon cher, je ne m’en rappelle guère. Je crois que c’était les premiers jours de juin ou les derniers de mai. Il y avait avec nous, je crois, Malet, Bazin, et si je ne me trompe, Demaillot, et je ne me remets pas des autres. »
  5. Les indications qu’il donne dans sa brochure sur la façon dont il vécut durant son long exil et qui semblent fort mystérieuses se trouvent éclairées par ceci : « Il était allé étudier la médecine à Montpellier sous le nom de Jacquet, et avait obtenu sous ce nom un emploi de chirurgien aide-major. Il fit toutes ces campagnes sous ce nom, de 1809 à 1814, et lut, durant la campagne de Russie, avancé chirurgien major. »
  6. Le général Guillet dans sa confession au préfet de Police, en date du 11 juin, a écrit de Malet : « Il s’assit au pied de mon lit et me conta mille absurdités qui ne me permirent plus de douter de sa folie. Vous en aurez une preuve, monsieur le Préfet, quand vous saurez qu’il me dit qu’une Commission du Sénat composée entre autres personnes de MM. Garat, La Fayette, Colaud, allait mettre l’Empereur hors la Loi, que Son Excellence le ministre Fouché voulait bien entrer dans la conspiration et qu’il avait à cet effet dit à un sénateur que l’Empereur était fou, qu’il n’entendait rien en politique et en diplomatie, et qu’il était temps de séparer leurs intérêts des siens. »
  7. Rayé sur la minute.
  8. Date de l’arrestation de Jacquemont.
  9. Le secrétaire général du ministère, Saulnier, que Fouché avait remplacé par Desmarets.