Les Demoiselles de ce temps

La bibliothèque libre.
Œuvres de Voiture
Texte établi par A. Ubicini,  (p. 353-356).

LXII[1]

[1639.[2]]

Les demoiselles de ce temps
Ont depuis peu beaucoup d’amants ;
On dit qu’il n’en manque à personne,
L’année est bonne.

Nous avons vu les ans passés
Que les galants étoient glacés ;
Mais maintenant tant en foisonne,
L’année est bonne.

Le temps n’est pas bien loin encor
Qu’ils se vendoient au poids de l’or,
Et pour le présent on les donne,
L’année est bonne.

Le soleil de nous rapproché
Rend le monde plus échauffé ;

L’amour règne, le sang bouillonne,
L’année est bonne.

La belle princesse[3] n’est pas
Du rang des beautés d’ici— bas.
Car une fraîcheur immortelle
Se voit en elle.
 
Dans son visàgè et dans ses traits
Brillent quelques divins attraits.
Et dans sa mine et dans son geste
Un air céleste.

De perles, d’astres et de fleurs,
Bourbon, le ciel fit tes couleurs.
Et mit dedans tout ce mélange
L’esprit d’un ange.

Que de cœurs l’amour blesseroit.
Que de maux au monde il t’eroit,
Si cette belle moins contraire.
Le laissoit faire !

La duchesse[4] a pris à l’Amour
Ses traits, et ce dieu tout le jour,
Pour les ravoir de cette belle,
Vole autour d’elle.

Elle les montre en ses appas.
Mais elle ne les lance pas.
Et craint trop d’en blesser personne,
Tant elle est bonne.

Mais ses coups seroient bien heureux,
Et n’est point de cœur généreux,

Oui ne voulût mourir pour elle.
Tant elle est belle.

Le soleil cède à ses beaux yeux,
Et ne voit du plus haut des deux
Que lui-même dedans le monde
Qui les seconde.

Baronne[5], pleine de douceur,
Ètes-vous mère, êtes-vous sœur
De ces deux belles si gentilles,
Qu’on dit vos filles ?

Vous avez l’humeur, ce dit-on,
D’un doux et paisible mouton ;
Mais votre peau blanche et très-fine
Est d’une hermine.

[Heureux celui qui seroit sien.
Monsieur du Vigean l’entend bien,
Et fort souvent il là préfèfè
A Lesdiguière.]

Que vois-je si plein de clarté,
D’attraits, de grâce et de beauté.
Si ce n’est Diane, ou l’Aurore,
Ou Flore, ou Fore[6] ?

Les oiseaux vont en toutes parts,
Suivant sa voix ou ses regards,
Zéphire la suit et l’adore,
C’est Flore, ou Fore.

Sur son visage et sous ses pas
Naissent des fleurs et des appas,

Qu’ailleurs on ne voit point éclore,
C’est Flore, ou Fore.

Vigean[7] est un soleil naissant,
Un bouton s’épanouissant,
Ou Vénus, qui sortant de Tonde,
Brûle le monde.

Sans savoir ce que c’est qu’amour.
Ses beaux yeux le mettent au jour.
Et partout elle le fait naître.
Sans le connoître.

Rambouillet avec sa fierté
A certain air dans sa beauté
Qui fait qu’autant que l’on Tadmire,
On la désire.

Dessus sa bouche sont toujours
Les grâces avec les amours.
Ou pour le plaisir de l’entendre.
Ou pour apprendre.

  1. Mss.de Conrart.t. X. p. 1063.
  2. Voyez t. I, p 337.
  3. La princesse de Condé.
  4. La duchesse d’Aiguillon.
  5. La baronne du Vigean.
  6. La fllle aînée de Mme du Vigean, Anne Fors du Vigean, mariée plus tard à M. de Pons, et en secondes noces au duc de Richelieu, neveu de Mme d’Aiguillon.
  7. Marthe du Vigean, sœur cadette de la précédente (Voyez p. 57, note 2). Elle avait alors quinze ans.