Les Deux Marguerites

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Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 77-80).


LES DEUX MARGUERITES

Sus ma Lyre, désormais
Chante plus doux que jamais,
L’une et l’autre Marguerite.
Ce sont les deux fleurs d’eslite,
Où il faut cueillir ce miel
Des chansons dignes du ciel.
Jadis les Dieux transformoyent
En astres ceux qu’ils aimoyent.
Et si les vers sont croyables,
Les campagnes pitoyables
Grosses de sang et de pleurs,
Enfantoyent les belles fleurs.
Le ciel qui donne ses loix
Sous le sceptre des Valois,
A mis au rang des planettes
Les plus ardentes et nettes
Tous les rameaux bien-heureux
De ce tige plantureux.
Là est l’honneur d’Angoumois
Charles, et le grand François,
François et Charles encores.
Deux feux qui esclairent ores
Tout ainsi que les flambeaux
Des frères, qui sont jumeaux.
Du sang que j’ay tant loué,
Qui des Dieux est avoué,
Deux belles fleurs sont venues
L’une vole sur les nues
Qui a le ciel esclairci.
Et l’autre florit ici.
Ce diamant que voila
Est frère de cestuy-la :
Ces roses s’appellent roses,
Ces deux fleurettes descloses.
Qui se ressemblent ainsi.
Ont un mesme nom aussi.

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Se feront point les premiers ?
Les artisans bien subtils
Anime de leurs outils
L’airain, le marbre, le cuyvre
Mais chacun ne peut pas suivre
Si haut et brave argument,
Comme un royal monument.
Cestuy son sepulchre a bien,
Et cestuy-ci a le sien :
Mais François, dont la mémoire,
Seule tombe de sa gloire,
Par tout le monde s’estend,
Son sepulchre encor’ attend.
L’édifice elabouré
Dont Mausole est honoré,
Les erreurs Dedaliennes,
Les pointes Egyptiennes,
Et tout autre œuvre parfait
En un jour ne fut pas fait
Qui a le stile assez haut,
Pour espuiser, comme il faut,
Une gloire si féconde ?
Le grand Monarque du monde
De tout peintre et engraveur
Ne cherchoit pas la faveur.
Si me puis-je bien vanter,
De faire ici rechanter
Des trois Angloises Charités,
Qui l’une des Marguerites
Portent aux astres plus hauts
En deux cens pas inégaux.
Les Dieux de nos liens jaloux
T’avoyent plantée entre nous,
Royale fleur de Navarre,
Et puis d’une main avare
T’arrachant de ces bas lieux,
Ils t’ont replantée aux cieux.
Là, le chaud et la froideur
Ne seichent point ta verdeur,
Verdeur que toujours évente.
Un Zephyre, qui doux vente

En ces lieux, où en tout temps.
On voit rire le printemps.
Là. de mille et mille esprits
Qui volent par le pourpris,
Le ciel qui sienne t’appelle,
Ne voit une ame plus belle :
Le ciel ne peut-il pas bien
Reprendre ce qui est sien ?
Le ciel t’a reprise donc,
Nous laissant d’un mesme tronc
C’est’ autre fleur ta compagne,
Et ta lîlle qui se baigne
En ce labeur glorieux.
Qui t’a mise au rang des Dieux.
Permette le ciel ami,
Qu’après un siècle et demi
La fleur ici florissante
A la fleur non périssante
Puisse voler d’un prinsaut,
Pour se rejoindre là-haut.
Cependant nous qui vivons,
Ces doux vers nous escrivons,
Ahn que de race en race
L’immortalité embrasse
La non mortelle valeur
De l’une et de l’autre fleur.


LES DEUX MARGUERITES

Sus, ma Lyre, desormais
Chante plus doulx que jamais
L'une et l'autre Marguerite:
Ce sont les deux fleurs d'eslite,
Où il fault cuillir le miel
Des chansons dignes du ciel.

Jadis les Dieux transformoient
En astres ceulx qu'ilz aimoient,
Et si les vers sont croyables,
Les campagnes pitoyables
Grosses de sang, et de pleurs
Enfantoient les belles fleurs.

Le ciel, qui donne ses lois
Soubz le sceptre de Valois,
A mis au rang des planettes
Les plus ardentes et nettes
Tous les rameaux bienheureux
De ce Tige planteureux.

Là, est l'honneur d'Angoumois
Charles, et le grand François,
François, et Charles encores,
Deux feuz, qui eclairent ores
Tout ainsi que les flambeaux
Des freres qui sont jumeaux.

Ilz luyzent d'ordre là hault,
Et si des mortelz il chault
A ceux là qui plus ne meurent,
Noz Rois, qui au ciel demeurent,
Ne rejectent pas les veuz
De leurs enfans et neveuz.

Du sang que j'ay tant loué,
Qui des Dieux est avoué,
Deux belles fleurs sont venues:
L'une vole sur les nues
Qui a le ciel eclaircy,
Et l'autre florist icy.

Ce dyamant, que voilà,
Est frere de cestuy-là;
Ces rozes s'appellent rozes,
Ces deux fleurettes declozes,
Qui se ressemblent ainsi,
Ont ung mesme nom aussi.

Ne me vantez plus, ô Grecz,
De Narcisse les regrez,
Ny la fleur de ses pleurs née:
Ny l'ardeur Apollinée,
Hyacint', dont le malheur
Fist naistre une rouge fleur.

Ne me vantez plus aussi
Ny Phebus ny son soucy,
Ny la fleur Adonienne,
Ny la Telamonienne,
Ny celles par qui Junon
Aquist de mere le nom.

Ne me vantez le sejour
Qui voit revivre le jour,
Où du marinier sont quises
Les Marguerites exquises:
De la France le bonheur
Surmonte l'Indique honneur.

Sus donc, ô François espris,
Donnez l'honneur et le pris
A la Marguerite saincte:
Faictes de sa mort complaincte,
Par qui les avares cieux
Ont ravy tout nostre mieux.

Dictes comme elle avoit eu
L'honneur, l'esprit, la vertu,
Qui tout nostre siecle honnore:
Et de celle dont encore'
Les jours ne sont revoluz,
Dictes en autant, ou plus.

C'est de mes vers l'ornement:
Seule, qui divinement
Anime, enhardist, inspire
Les bas fredons de ma Lyre:
C'est elle, et je sçay combien
Mes chansons luy plaisent bien.

Si des premiers je n'ay pas
Orné le Royal trespas,
Aussi ma Muse est trop basse
Pour une premiere place:
Et qui sçait si les derniers
Se feront point les premiers?

Les artizans bien subtilz
Animent de leurs outilz
L'airein, le marbre, le cuyvre:
Mais châcun ne peut pas suyvre
Si hault et brave argument
Comme ung royal monument.

Cestuy son sepulchre a bien,
Et cestuy cy a le sien:
Mais François, dont la memoire,
Seule tumbe de sa gloire,
Par tout le monde s'etend,
Son sepulchre encor' attend.

L'edifice elabouré
Dont Mausole est honnoré,
Les erreurs Dedaliennes,
Les poinctes Egyptiennes,
Et tout autre œuvre parfaict,
En ung jour ne fut pas faict.

Qui a le stile assez hault,
Pour epuyser, comme il fault,
Une gloire si feconde?
Le grand Monarque du monde
De tout peintre et engraveur
Ne cherchoit pas la faveur.

Si me puis-je bien vanter
De faire icy rechanter
Les trois Angloizes Charites,
Qui l'une des Marguerites
Portent aux astres plus haulx
En deux cents pas inegaulx.

Les Dieux de noz biens jaloux
T'avoient plantée entre nous,
Royale fleur de Navarre,
Et puis, d'une main avare
T'arrachant de ces bas lieux,
Ilz t'ont replantée aux cieux.

Là, le chault et la froideur
Ne seichent point ta verdeur,
Verdeur que tousjours evante
Ung Zephyre, qui doulx-vante
En ces lieux, où en tout temps
On voit rire le printemps.

Là, de mile et mile espriz
Qui volent par le pourpris,
Le ciel, qui sienne t'appelle,
Ne voit une ame plus belle:
Le ciel ne peut il pas bien
Reprendre ce qui est sien?

Le ciel t'a reprise donc,
Nous laissant d'ung mesme tronc
Cete autre Fleur, ta compaigne,
Et ta fille, qui se baigne
En ce labeur glorieux
Qui t'a mise au rang des Dieux.

Permette le ciel amy
Qu'apres ung siecle et demy
La Fleur icy florissante
A la Fleur non perissante
Puisse voler d'ung prinsault,
Pour se rejoindre là hault.

Ce pendant nous, qui vivons,
Ces doux vers nous escrivons,
Affin que de race en race
L'immortalité embrasse
La non mortelle valeur
De l'une et de l'autre Fleur.