Les Etudes et les Découvertes archéologiques dans le Nord

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Les Etudes et les Découvertes archéologiques dans le Nord
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 42 (p. 155-176).
LES ETUDES
ET LES
DECOUVERTES ARCHEOLOGIQUES
DANS LE NORD

Oversigt over det Kgl. Danske Videnskabernes Selskabs Forhandlinger (Compte-rendu des travaux de l’Académie royale des sciences de Danemark), années 1859-1862. — Om Sœnder-Brarup fundet (Sur la découverte de Brarup), par M. Engelhardt, in-12. — Skandinaviens Hällristningar (Images représentées en creux sur les rochers de la Scandinavie), par M. Holmberg, Stockholm, in-4o. Skandinaviska Nordens Ur Invânare (les Habitans primitifs du Nord), par M. Nilsson, 2e édition, in-4o, 1862, etc.

Ce serait une longue suite de déceptions bizarres que l’histoire de l’archéologie Scandinave depuis les rêveries des Rudbeck jusqu’aux élucubrations de quelques esprits dans notre temps même sur les runes et sur les poésies eddiques. Ole Worm, médecin à la cour de Christian IV, roi de Danemark, ayant obtenu en 1652 qu’on réunît à Copenhague les monumens runiques qui subsistaient en assez grand nombre, meurt deux ans plus tard, et ces pierres sont employées comme matériaux dans la construction d’un quartier de la ville. La première des fameuses cornes d’or couvertes de runes et d’images encore inexpliquées aujourd’hui est trouvée par hasard en Danemark en 1639, et Christian V s’apprête à la faire fondre ; quelques années après seulement, l’attention des savans y est attirée, et la série des interprétations commence, toutes plus étranges et plus insensées les unes que les autres. Eric Pontoppidan, au milieu du XVIIIe siècle, montre déjà, il est vrai, une meilleure critique et rompt, avec certaines opinions trop acceptées ; mais il faut aller jusqu’aux limites de notre temps, jusqu’à Finn Magnusen et Pierre-Érasme Müller, pour rencontrer une école vraiment scientifique. Aujourd’hui enfin cette école est fondée ; elle a conquis de précieux résultats depuis trente ou quarante années, grâce à une méthode excellente, qui sait procéder avec ordre, retarder l’examen de problèmes encore insolubles, et s’attacher aux faits de simple observation. Les savans du Nord ont les qualités qui expliquent de tels succès : ils ont le génie de la classification et celui de l’induction ; leur imagination leur sert à étendre le champ du raisonnement ; la simplicité de mœurs qui règne autour d’eux, avec une richesse moyenne et une vie nécessairement très ramassée autour de la lampe et du foyer, tout cela excite et sert leur travail patient et dévoué. La vie à la campagne, au soleil et en plein air ne dure chez eux que quelques mois, avec grand charme il est vrai ; le reste du temps, ils se groupent en associations laborieuses où chacun apporte le fruit de ses longues veillées. Ces sociétés sont indispensables là où chaque travailleur ne dispose que de ressources restreintes, d’un idiome peu répandu, d’un public peu nombreux ; on comprend que le faisceau y soit plus nécessaire que dans les pays plus riches, qui offrent à chacun en particulier des scènes plus retentissantes. C’est au milieu de ces académies que se produisent aujourd’hui dans le Nord des philologues classiques comme M. Madvig, des orientalistes comme M. Westergaard, des astronomes comme M. Hansteen, des naturalistes comme MM. Fries, Nilsson, Eschricht, Huss, Steenstrup, des érudits comme MM. Werlauff, P.-A. Munch, Carlsson et Sâve, des archéologues enfin comme MM. Müller, Worsaae et Rafn.

À côté des sociétés savantes se placent les musées scientifiques et archéologiques. Il faut avoir visité ceux de Copenhague pour bien savoir de quel secours peuvent être, chez un petit peuple où l’instruction et le patriotisme sont répandus, ces galeries nationales justement respectées. Ce que l’opinion publique réclame dans nos musées, un enseignement spécial qui soit le commentaire vivant des pages souvent mystérieuses qu’on expose aux regards du public, pensée fort ancienne chez nous, et qui a reçu même un commencement d’exécution par l’établissement des chaires annexées à la plus importante de nos bibliothèques ; ce que l’Angleterre commence à réaliser sur une grande échelle dans son musée de Kensington, les galeries du Danemark le mettent depuis longtemps en pratique, grâce au dévouement sans bornes de leurs conservateurs. Ils sont là, toujours à leur poste, prêts à donner au paysan danois comme au savant étranger cent explications diverses, ouvrant les armoires, vous mettant l’objet en main pour aider à la démonstration. Combien de fois ai-je vu le respectable M. Thomsen entouré de femmes, de soldats et d’enfans à qui il montrait la croix de la fameuse reine Dagmar, ou quelque bijou en or de l’âge de bronze, ou quelque pierre runique démontrant une fois de plus que l’Eyder a toujours été la limite Scandinave, et que les Allemands n’ont rien à voir dans le duché danois de Slesvig en-deçà de cette frontière ! Combien de fois l’ai-je entendu aussi discuter dans ces galeries les objections que lui soumettaient dans toutes les langues les archéologues venus dès quatre points cardinaux ! Et ses disciples, toute une école formée par ses soins, MM. Herbst, Steinhauer, continuent de même, avec pareil savoir et pareil dévouement. Il en résulte qu’une émulation patriotique excite jusqu’aux plus humbles laboureurs à envoyer aux musées archéologiques du Nord, en échange d’une somme fixée officiellement, les objets d’antiquité qu’ils trouvent dans la terre, et que, grâce à ce recrutement perpétuel et facile, grâce aux discussions incessamment ouvertes, de telles galeries sont toujours au niveau de la science acquise, et le dépassent même en préparant les matériaux d’observations et de conquêtes nouvelles. Essayons de fixer, à quel point précis en est arrivée l’archéologie Scandinave, quels accroissemens des musées du Nord ou quelles publications importantes en Danemark ou en Suède correspondent à ses progrès dans les dix dernières années, et à quelles théories ces récens développemens ont donné lieu. Cet examen nous montrera en Danemark l’ardeur des fouilles nouvelles avec l’observation rigoureuse et patiente appelant constamment à son secours les sciences naturelles ; — en Suède, la philologie appliquée.aux idiomes anciens et modernes du Nord, et à côté de cela des essais d’interprétation que l’obscurité ou l’insuffisance actuelle des monumens risque peut-être de rendre périlleux.


I

Personne n’ignore plus aujourd’hui l’importance toute spéciale des collections archéologiques du Danemark. Depuis trente ans, sous les auspices du roi Frédéric VII, habile archéologue lui-même[1], les innombrables tertres funéraires de la presqu’île jutlandaise, des îles danoises et des duchés ont été ouverts, les tourbières ont été creusées, et la capitale ainsi que les principales villes des provinces ont vu se former des musées qui sont aujourd’hui les pages d’un livre nouveau ; leurs révélations apportent à la science anthropologique et à l’histoire primitive des lumières inespérées. Il ne s’agit plus seulement des antiquités Scandinaves, mais de périodes inconnues dans l’histoire de l’humanité. On sait aussi qu’il y a une quarantaine d’années, à la suite des études simultanées de MM. Thomsen à Copenhague, Nilsson à Lund, et Lisch dans la petite ville de Schwerin, la science archéologique du Nord instituait, en présence des innombrables objets en pierre ou en différens métaux qu’elle retrouvait dans les sépultures de la Scandinavie et du nord de l’Allemagne, la triple division d’un âge de pierre, d’un âge de bronze et d’un âge de fer. Les sépultures ou gisemens du premier âge se reconnaissaient à la présence des instrumens tranchans et des armes en silex, des vases d’argile et des squelettes, le plus souvent accroupis. Les chambres sépulcrales du second âge renfermaient des instrumens, des armes et des ornemens en bronze, et les corps y avaient été brûlés. Dans le troisième enfin, l’usage de l’ensevelissement reparaissait avec des instrumens et des armes en fer et des ornemens fabriqués de métaux précieux.

C’étaient là les caractères généraux de la triple division archéologique ; les découvertes survenues en Angleterre, en Allemagne, en France, en Amérique, la justifiaient toujours davantage. Il devenait évident que le sol du Danemark, atteint plus tardivement que le reste du continent européen par la civilisation classique et moins bouleversé depuis, allait nous révéler les premières évolutions par lesquelles avait passé la civilisation humaine. À côté de la Suisse, qui nous offrait les vestiges incontestables d’habitations lacustres pareilles à celles qu’Hérodote avait si bien décrites chez les Péoniens du lac Prasias dans l’ancienne Macédoine, les tertres et les tourbières du Danemark allaient nous montrer l’Europe habitée d’abord par des peuplades ne connaissant l’usage d’aucun métal, n’ayant pour fabriquer leurs instrumens et leurs armes que la pierre, mais se servant de cette pierre, que sans doute elles adoraient en l’admirant, avec une habile industrie capable de nous confondre. L’exploitation facile du cuivre et la composition du bronze avaient été ensuite connues, et un certain luxe, auquel les métaux précieux n’avaient pas manqué, avait accompagné la satisfaction de besoins et de désirs nouveaux. Le fer s’était révélé enfin, et dès lors l’instrument le plus indispensable de la civilisation s’était ajouté aux instrumens imparfaits dont le génie de l’homme avait su tirer un parti déjà si considérable. Tels étaient les premiers résultats auxquels étaient parvenus les antiquaires du Nord. Si on leur demandait d’appliquer ces vues théoriques à la chronologie et à l’histoire, au moins pour ce qui concernait leur patrie, ils répondaient naguère encore qu’ils ne pouvaient assigner à leurs principaux monumens de l’âge de fer une date plus ancienne que les, VIe et VIIe siècles après Jésus-Christ (de récentes découvertes ont modifié ce résultat), que leur âge de bronze paraissait avoir été identique et simultané avec l’âge pendant lequel les Celtes ont dominé l’Europe occidentale et centrale, enfin que l’âge de pierre était évidemment le plus ancien mais qu’il avait dû trouver place dans des temps anté-historiques auxquels il était impossible d’assigner aucune date, même approximative. Se conformant d’ailleurs aux règles d’une critique sévère, ils s’appliquaient surtout à multiplier les fouilles en vue d’observations de détail et à découvrir de nouvelles sources d’exploitation dans des conditions diverses.

C’est au milieu de ces recherches qu’ils ont rencontré les ioek-ken-moeddinger. Cette désignation, composée de deux mots danois, signifie débris ou rebuts de cuisine, et elle s’applique à de vastes amas de décombres qu’on trouve maintenant en grande quantité sur les bords de la mer ou des eaux en Danemark, quelquefois à une certaine profondeur au-dessous du sol moderne, et qui sont les témoins de la vie des tribus primitives sur ces bords. Ils contiennent en effet les débris de leurs alimens, les huîtres en nombre immense, es ossemens d’animaux ouverts longitudinalement pour en extraire la moelle, mets fort recherché encore aujourd’hui des Gronlandais et des Lapons, les fourneaux et la poterie grossière dont se servaient ces peuples, enfin leurs instrumens et leurs armes en silex habilement équarri. Ces amas de débris sont devenus eux-mêmes de vastes musées à l’aide desquels la science des antiquaires a restitué toute une époque de civilisation primitive.

Trois excellens observateurs se sont unis pour cette commune étude : M. Steenstrup, professeur de zoologie à l’université de Copenhague, connu du monde savant par ses beaux travaux sur les générations alternantes et sur la formation des tourbières ; M. Forchhammer, professeur de géologie à la même université, le même qui a fait récemment encore d’importantes études sur les landes et les dunes de sable dont la côte occidentale du Jutland est couverte, comme la côte sud-ouest de notre France ; M. Worsaae enfin, dont le nom est familier désormais à tous les archéologues, témoins de son infatigable activité, de son habile exposition par la parole ou la plume en diverses langues, et de sa finesse de démonstration. La commission spéciale formée par l’heureuse union de ces deux naturalistes et de cet archéologue a laissé la parole, dans les rapports présentés en son nom à l’Académie des sciences de Copenhague, à M. Steenstrup, et c’est lui en effet qui semble avoir donné sur les kioekken-moeddinger les plus remarquables observations.

Pour reconstituer un tableau de la vie primitive dont on avait sous les yeux de si abondans vestiges, il fallait avant tout rechercher quelle faune et quelle flore ces débris révélaient. Or, avec les huîtres et plusieurs espèces de coquillages servant encore aujourd’hui à la nourriture du peuple dans le Nord et en Angleterre même, les kioekken-moeddinger montrent les restes d’un grand nombre de poissons différens, entre autres du hareng, de la morue et de l’anguille. C’en est assez déjà pour démontrer que ces peuples connaissaient et pratiquaient la pêche, même en pleine mer, bien qu’ils n’eussent vraisemblablement pour embarcations que des troncs d’arbres creusés à l’aide du feu. Par des témoignages analogues, on est arrivé à se convaincre qu’ils avaient le coq de bruyère, et par conséquent sans doute des forêts de pins ; ils avaient le cygne sauvage, ce qui atteste leur présence constante pendant l’hiver, cet oiseau ne descendant en Danemark que pour cette saison ; d’autres symptômes attestent aussi la présence de ces peuples dans les mêmes lieux pendant le printemps et l’automne ; les preuves manquent encore pour l’été, mais cela semble suivre de soi-même, et il est donc permis de conclure qu’ils n’étaient pas à l’état de tribus nomades. Mais surtout M. Steenstrup a retrouvé dans les kioekken-moeddinger plusieurs espèces aujourd’hui perdues : par exemple l’alca impennis de Linné et le fameux bos urus, que César a décrit comme à peine inférieur à l’éléphant, et qu’il ne faut pas confondre avec le bison actuel de la Lithuanie.

Les recherches de M. Steenstrup sur l’alca impennis sont particulièrement curieuses. Ce volatile se rencontrait au moyen-âge dans les archipels voisins de Terre-Neuve et de l’Amérique du Nord, et dans celui des Féroë. Il était à lui seul la richesse des habitans de ces dernières îles, et cent traditions qui touchent au merveilleux constatent le regret de sa perte. Il était si gras que les insulaires se servaient de son estomac en guise de lampe : ils y introduisaient une mèche, qu’ils allumaient. Sur les côtes de Terre-Neuve, on le brûlait à défaut de bois, et l’on faisait cuire un individu au moyen de son semblable. Enfin les navigateurs comptaient sur l’abondance extrême de cette espèce pour refaire leurs provisions de bouche épuisées. La chasse a été pourtant depuis lors si persistante que l’alca impennis a complètement disparu. M. Steenstrup en a recueilli beaucoup d’os-semens épars dans les kioekken-moeddinger ; le musée zoologique de l’université de Copenhague en a aujourd’hui un squelette à peu près complet. — Les kioekken-moeddinger offrent encore des débris du cerf, du chevreuil, du sanglier, du castor, aujourd’hui entièrement disparu du Danemark, et du phoque, devenu rare. Le loup, le renard, le lynx, le chat sauvage et l’ours, quatre espèces qui ne se retrouvent pas non plus dans ce pays, enfin la martre et la loutre ont servi à la nourriture des tribus primitives. La question de savoir si elles ont eu quelque animal domestique a été ingénieusement discutée par M. Steenstrup, qui, de l’examen des os rongés subsistant dans ces débris et de la comparaison avec les résultats fournis par de curieuses expériences, a conclu à la présence du chien domestique, dont la chair a dû même servir à l’alimentation de ces peuples. — D’ailleurs aucune trace de sépulture humaine ni de cannibalisme, aucun vestige de débris humains.

Quant aux instrument trouvés dans les kioekken-moeddinger, ce sont des couteaux en silex grossièrement façonnés, mais fort tran-chans, et des cailloux taillés d’une manière informe. Quelques-uns présentent des angles redoutables, et ont dû servir de projectiles pour la chasse ; on les lançait de la main ou avec la fronde. M. Steenstrup possède dans son musée des ossemens de cerfs trouvés dans les kioekken-moeddinger, et qui portent encore de petits éclats de silex provenant sans aucun doute du projectile dont s’est servi le chasseur.

Les observations de M. Forchhammer ont porté principalement sur la flore des anciens décombres. On n’y a retrouvé ni blé carbonisé ni aucune trace de céréale quelconque. M. Forchhammer a seulement cru pouvoir démontrer que la population primitive savait fabriquer le sel par l’incinération de l’algue marine. Quant à M. Worsaae, il a tiré de l’examen de ces débris, combiné avec celui des découvertes nouvelles dont nous allons parler tout à l’heure, des conjectures d’un ordre différent, dont la mention doit trouver plus loin sa place.

À la suite de tant d’ingénieuses recherches et en témoignage de tant de résultats, le Musée des antiquités du Nord et le Musée zoologique de l’université de Copenhague se sont enrichis d’un nombre immense de pièces recueillies dans les kioekken-moeddinger, et la première de ces deux galeries montre aujourd’hui au visiteur étonné toute une paroi de ces immenses débris qui a été apportée et qui est exposée dans son état naturel. Il suffit du reste au voyageur d’aller à quelques kilomètres de la capitale, à Frederikssund, pour visiter un de ces gisemens et pouvoir, avec un peu de persévérance et de bonheur, tirer lui-même de la couche où ils ont reposé pendant trente siècles peut-être les instrumens et les débris d’une civilisation primitive.

Comme les kioekken-moeddinger, les tourbières ont fourni récemment aux archéologues du Danemark un grand nombre d’informations nouvelles ; mais ici les résultats ont été fort inattendus ; les fouilles ont jeté une vive lumière sur les rapports des anciens peuples Scandinaves avec la civilisation classique ; elles ont donné les magnifiques témoignages d’une influence romaine répandue jusqu’à l’extrémité nord du Danemark, et que jusqu’à présent on avait ignorée. Avant 1850, on n’avait fait dans cette voie que des découvertes peu considérables et isolées ; les dix années suivantes en apportèrent un grand nombre, parmi lesquelles celles des trois tourbières d’Allesoe, de Nydam et de Brarup sont d’une extrême importance. — Le marais d’Allesoe est situé un peu au nord-ouest de la petite ville d’Odense, en Fionie. Pendant plusieurs années, le Musée des antiquités du Nord avait reçu de cette localité un nombre considérable d’armes de fer, : des pointes de lances, des fragmens de javelots, de flèches, etc., et beaucoup de ces pièces portaient les traces évidentes des luttes où elles avaient servi et des coups qu’elles avaient reçus. On se détermina enfin à pratiquer des fouilles, et l’on trouva tout l’équipement d’une troupe armée, plus de deux cents pointes de lances une égale quantité de javelots, des débris de boucliers et de casques d’apparence romaine, l’appareil de la petite forge nécessaire en campagne, une enclume, des marteaux et des tenailles, les dés et les pions qui devaient servir aux jeux des soldats, tout cela travaillé avec un grand goût et quelquefois chargé de riches ornemens, les armes par exemple incrustées d’argent ou d’or. Les trouvailles de Nydam et de Brarup vinrent compléter celles d’Allesoe. Ici ce n’étaient plus seulement des pointes de lances et des javelots, ni même seulement des boucliers et des casques, mais des cottes de mailles, des vêtemens en drap, des chaussures, des fibules et des broches pour fixer les manteaux sur l’épaule droite, plusieurs des d’ambre, des équipemens complets pour les chevaux, des instrumens d’agriculture, une collection de vases pour la cuisine, etc. Le marais de Brarup avait admirablement conservé, les vêtemens, le cuir et le bois des lances, mais il avait détruit tout le fer, excepté de nombreux fragmens de cottes de mailles. Le marais de Nydam au contraire avait conservé même le fer, et comme les objets qu’on y avait trouvés étaient à peu près semblables à ceux de Brarup, les deux découvertes se complétaient, et le bruit se répandit qu’on venait de réunir l’équipement d’une armée romaine du me siècle après Jésus-Christ. Cette date précise était fournie par des monnaies romaines trouvées dans les deux dernières tourbières. À Brarup, ces monnaies allaient de l’an 60 à l’an 218 après Jésus-Christ ; celles de Nydam s’arrêtaient à l’année 220. Il était donc prouvé que le dépôt de tous ces objets n’était pas plus ancien que les années 218 et 220, et il était probable que les objets eux-mêmes n’étaient pas plus modernes.

La principale fouille à Nydam avait eu lieu pendant l’été de 1859 ; on vient de reprendre au mois d’août 1862 un pareil travail dans la même localité, et c’est par centaines que les armes d’apparence romaine ont récompensé cette nouvelle recherche : vingt-quatre médailles romaines en argent, datant des deux premiers siècles après Jésus-Christ, ont confirmé la date antérieurement assignée à ces dépôts. Le point le plus septentrional jusqu’où se soient étendues ces découvertes est le territoire de Vendsyssel, au nord du Liimfiord, c’est-à-dire l’extrémité même de la péninsule jutlandaise. — Une foule de questions s’élèvent en présence de telles découvertes. Ces objets sont-ils tous romains ? Une partie le sont assurément, mais parmi ceux-là mêmes un certain nombre ont été modifiés par leurs possesseurs en Danemark ; par exemple, sur une plaque romaine qui s’appliquait à la cotte de mailles en manière de hausse-col on a ajouté des morceaux de métal représentant des animaux symboliques fort connus dans l’ancienne mythologie Scandinave, et si une poignée de bouclier se rencontré avec l’inscription latine AEL. AELIANVS, une autre présente une de ces inscriptions runiques dites à tort anglo-saxonnes ou allemandes, semblables à celles des cornes d’or, que la science du Nord n’est pas encore parvenue à déchiffrer, et qui sont fort différentes des inscriptions runiques en langue islandaise. Un fourreau qui fait partie de la collection de Brarup offre, à lui seul, deux de ces inscriptions. De plus, un bon nombre de ces instrumens et de ces armes, quoique bien travaillés, n’ont pas l’apparence romaine. Que faut-il donc penser de la provenance commune ? Doit-on croire au désastre imprévu d’une armée romaine ou barbare mise tout à coup en fuite ? Non sans doute, car on n’a recueilli aucun débris humain ; les boucliers ont été trouvés démontés, avec leurs armatures soigneusement rangées à part, les vêtemens roulés en paquets, les lances attachées par vingtaines environ avec des liens d’herbe et posées avec soin sur des bâtons placés horizontalement, tout cela mêlé à des ustensiles de cuisine et à des instrumens d’agriculture, Il ne peut être question que de dépôts faits avec ordre ; peut-être en vue d’une émigration forcée, sous le coup d’un danger prochain, mais non pas encore très imminent. Une conjecture ingénieuse est celle que j’ai entendu émettre par M. Engelhardt, pendant qu’il me montrait une à une les antiquités trouvées à Nydam et à Brarup dans les mêmes conditions qu’à Allesoe. Ces instrumens et ces armes auraient appartenu, suivant lui, à des tribus gothiques établies au milieu des populations indigènes du Danemark, et souvent en lutte, dans leurs excursions vers le sud, avec les postes avancés des Romains. Peut-être même n’y aurait pas besoin de supposer leurs victoires sur les armées de l’empire ; peut-être celles des armures qui sont évidemment romaines étaient-elles achetées par ces Goths dans les fabriques impériales de Germanie ; ils savaient du reste les fabriquer eux-mêmes à l’imitation de cette industrie romaine qu’ils connaissaient de longue main par leurs anciennes relations avec l’empire d’Orient. D’ailleurs, souvent en guerre avec les tribus Scandinaves moins avancées en civilisation, ils avaient dû soutenir des luttes dont leurs armes portaient encore les traces, et, dans cette vie inquiète d’un peuple conquérant mal affermi, ils avaient pu être réduits à des migrations temporaires au retour desquelles ils avaient espéré retrouver les dépôts cachés par eux au sein de la terre. — En tout cas, la présence d’une influence romaine si visible jusqu’aux extrémités septentrionales du Jutland et dans l’île de Fionie était un fait entièrement nouveau. Un autre résultat de ces découvertes était la présence du fer en Danemark pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne ; elle autorisait les antiquaires du Nord à reculer jusqu’à ces époques lointaines la fin de l’âge de bronze dans l’ancienne civilisation Scandinave.

Les découvertes de Brarup et de Nydam ayant été faites dans le duché de Slesvig, près de Flensbourg, c’est dans cette dernière ville que se trouve aujourd’hui le musée naissant, mais déjà fort précieux, qu’elles ont suffi à former. On l’a confié aux soins de M. Engelhardt, qui a dirigé lui-même les fouilles de Brarup ; il a classé et longtemps étudié les nombreux objets dont sa collection se compose ; il en achève en ce moment un catalogue raisonné qui contiendra ses calculs et ses conjectures, et dont il fera assurément un des plus curieux livres de la nouvelle école archéologique du Nord. Les objets trouvés dans la tourbière d’Allesoe, au nombre de deux mille environ, sont conservés au musée des antiquités Scandinaves, à Copenhague.

Nous avons signalé, comme premier résultat des nouvelles investigations archéologiques tentées en Danemark, l’ensemble des observations de M. Steenstrup sur les kioekken-moeddinger. Un second résultat, grâce aux découvertes provenant des tourbières, a été la connaissance de l’influence exercée dans une époque si reculée par l’industrie romaine sur l’industrie, indigène ou non, du Danemark. Il nous reste à signaler un troisième progrès en exposant les efforts de M. Worsaae pour distinguer nettement des époques particulières dans chacun des trois âges que les archéologues du Nord ont institués. Ce sont les découvertes précédentes qui lui ont suggéré ses inductions.

Pour ce qui concerne l’âge de pierre, M. Worsaae a été frappé de la différence qui existe entre les silex simplement équarris qu’on trouve dans les kioekken-moeddinger et les silex artistement polis qu’on rencontre dans les tombeaux de l’âge de pierre. Il à de plus remarqué qu’un grand nombre d’instrumens et d’armes en pierre étaient garnis d’ornemens qui n’avaient pu être exécutés qu’à l’aide de certains métaux. De cette dernière remarque il a conclu à une période de transition pendant laquelle certains métaux auraient déjà été connus de l’âge de pierre, et de la précédente il a conclu à une première période de ce même âge de pierre pendant lequel les ouvriers ne savaient pas encore polir leurs instrumens. C’est de ce premier âge que M. Boucher de Perthes, à Abbeville, aurait trouvé dans ses intéressantes recherches des reliques fort curieuses.

Si une nouvelle population, connaissant l’usage du bronze, est intervenue, elle a, pour quelque temps du moins, adopté les usages de la population précédente, car on trouve dans un grand nombre de sépultures de ce second âge des armes et des instrumens de pierre, avec les armes et instrumens de bronze et les corps brûlés. Bien plus, il semble qu’il y ait eu une époque de transition pendant laquelle on n’a connu que le cuivre, et non pas encore le mélange de ce métal avec le zinc, combinaison qui a précédé le mélange avec l’étain. Enfin, bien qu’on ait soutenu d’abord que, dans l’âge de bronze, les corps étaient toujours brûlés, cependant les exceptions se sont multipliées de jour en jour, et il faut reconnaître aujourd’hui que l’usage de l’ensevelissement a constitué, pendant l’âge de bronze, une époque particulière, tout au moins une époque de transition entre deux modes révélant des idées religieuses en grande partie différentes. — Dans l’âge de fer comme dans les deux âges précédens, M. Worsaae, assisté de M. Herbst, a cru pouvoir aussi instituer des subdivisions. La contemporanéité des objets trouvés dans les marais d’Allesoe, de Nydam et de Brarup avec les plus anciens tombeaux de l’âge de fer lui a paru évidente. Par la domination des Goths peut-être, par le commerce en tout cas, un grand nombre d’objets dus à l’industrie romaine ont été apportés en Danemark, et une influence classique s’est répandue qui a mis fin à l’ancien âge de bronze et a inauguré l’âge de fer. La date de cette transformation nous est connue par les monnaies des trois tourbières : elle a eu lieu au plus tard au IIIe siècle après Jésus-Christ ; or de pareils objets ont été trouvés dans certains tombeaux de l’âge de fer en assez grande quantité pour démontrer la date fort ancienne de ces tombeaux, Cependant l’influence romaine semble avoir décru après cette époque, c’est-à-dire probablement au moment même où la domination romaine a décliné en Germanie et en Bretagne, et alors un nouveau goût barbare reparaît dans les sépultures et dans la fabrication des armes Scandinaves. Une autre époque de l’âge de fer commence, l’époque des vikinger, celle que reflètent les curieuses narrations des sagas islandaises[2].

C’est avec ces intéressans commentaires, où l’on reconnaissait un esprit habitué aux déductions historiques, que M. Worsaae croyait pouvoir rendre compte, pour sa part, des travaux de la commission instituée par l’Académie des sciences de Copenhague, quand son collègue, M. Steenstrup, ne voulant pas se départir de la rigueur des sciences naturelles, lui a refusé son assentiment. Mis en demeure de produire ses argumens, il les a exposés dans un curieux travail dont la publication est toute récente[3]. M. Worsaae avait vu à tort, suivant lui, dans les kioekken-moeddinger une époque plus ancienne que celle des chambres sépulcrales. Si les objets en pierre qu’on trouvait ici étaient en général mieux exécutés et moins grossiers que les autres, c’était par la raison très simple que les outils grossiers de la vie de chaque jour devaient être d’une exécution inférieure à celle des armes et des objets plus précieux qu’on laissait au mort pour sa vie souterraine. De plus, comparant aux silex trouvés dans les kioekken-moeddinger ceux qui servent encore aujourd’hui aux Gronlandais, M. Steenstrup croyait pouvoir affirmer que ce qu’on avait pris bien souvent pour des pointes de flèches et pour des armes tranchantes n’était autre, chose que, des instrumens de pêche, des poids pour faire plonger au fond des eaux les hameçons et les filets. — À ces nouveaux argumens et au nouveau système de M. Steenstrup M. Worsaae, répondra sans doute, et ainsi commence, sur ces questions, d’origines fort discutées aujourd’hui, un nouveau débat qui aura du retentissement à Londres, à Abbeville et à Genève, autour des anciennes cités lacustres, car l’archéologie Scandinave commence à être de mode en France, en Angleterre et en Suisse. À Londres surtout, on fait des meetings pour et contre les générations humaines qui ont dû précéder Adam. Il y a des grognemens contre le savant évêque d’Oxford soutenant dans ces discussions l’autorité biblique ; le crâne du gorilla donne des hallucinations à la vieille Angleterre… M. Steenstrup et M. Worsaae n’ont qu’à se bien tenir pour ne pas laisser passer les rêveries scientifiques.


II

La méthode suivie par les archéologues suédois dans ces derniers temps n’est pas la même que celle de leurs voisins. À tort ou à raison, ils ne multiplient pas les fouilles ; le nord Scandinave possède de nombreux textes, et la Suède en particulier quelques monumens extérieurs fort peu connus ; ils s’appliquent à les interpréter, et ces conditions différentes modifient considérablement leur système d’étude. La philologie se présente tout d’abord à eux comme un auxiliaire absolument indispensable. Il s’en faut que la science du Nord ait dit son dernier mot, on peut du moins l’espérer, sur les anciens idiomes des peuples Scandinaves ; elle a fort à faire dans cette voie nouvelle et féconde, à cent lieues de laquelle les fantaisies d’autres fois l’ont jetée, et où la science moderne, plus gravement inspirée, l’invite à revenir. Les runes primitives sont encore aujourd’hui illisibles, nous l’avons dit, et l’on ne peut réussir à les interpréter qu’au prix d’études attentives et patientes sur l’ancienne langue norrène. Ces études sont indispensables aussi pour arriver à fixer l’âge des poèmes eddiques, problème d’une extrême importance pour la philologie comparée et pour l’histoire des religions. M. Save, professeur à l’université d’Upsal, est celui qui s’est livré avec le plus d’ardeur à ces études nouvelles ; ses observations grammaticales, ses commentaires sur la langue des sagas, ses traités spéciaux concernant des points de linguistique, sont autant de services rendus à la science sur un terrain non frayé où il avance prudemment.

En dehors des textes cependant, la Suède possédé sur ses côtes un certain nombre de monumens d’une interprétation fort difficile : des rochers couverts de figures ayant évidemment une signification symbolique ou historique, des tombeaux, des chambres souterraines, une entre autres fort curieuse appelée le monument de Kivik. M. Holmberg a essayé d’expliquer les images des rochers, mais il n’est arrivé, il faut le dire, qu’à des résultats fort hypothétiques, et ne pouvait sans doute espérer mieux. Du dernier monument, M. Nilsson vient de publier tout récemment un essai d’interprétation ; son livre a fait sensation dans le Nord, en Angleterre et en Allemagne ; c’est de cet intéressant volume que nous voudrions, pour achever de tracer un tableau des derniers progrès de l’archéologie Scandinave, faire connaître la méthode et les conclusions. Sous prétexte de publier une nouvelle édition de son livre célèbre : Des habitans primitifs du Nord Scandinave, M. Nilsson, aujourd’hui plus que septuagénaire, donne, à vrai dire, un ouvrage entièrement nouveau, dans lequel il avance que l’âge de bronze n’est pas indigène en Scandinavie, mais qu’il y a été importé par les Phéniciens en même temps que le culte de Baal où du feu, dont le monument de Kivik serait encore aujourd’hui un persistant témoignage.

Kivik est situé sur la côte sud-est de la Suède, en Scanie, près de la petite ville de Cimbrishamnn. Sous une immense pyramide composée de pierres roulantes, évidemment apportées jadis par la main des hommes et employées impunément depuis beaucoup d’années à l’entretien des routes du voisinage, on a découvert, au milieu du XVIIIe siècle, une chambre oblongue dont les pierres latérales (quatre de chaque côté sur les deux parois principales) sont couvertes d’images gravées en creux. Depuis la visite que fit Linné en 1740 à ce monument, on a essayé de l’expliquer de cent manières, sans jamais en trouver une satisfaisante. M. Nilsson croit avoir résolu le problème. Il remarque d’abord, en examinant les armes et instrumens en bronze qu’on trouve aujourd’hui dans le sol Scandinave, que l’ancien Nord n’était pas en possession des métaux nécessaires pour l’alliage employé dans cette fabrication ; puis il observe que les poignées des épées, de courtes dimensions, supposent évidemment des mains plus petites que celles des habitans, anciens ou modernes, de la Scandinavie, et ne conviennent qu’à des Orientaux. Il signale ensuite (et c’est là son véritable point de départ) l’étroite ressemblance entre la forme des ornemens qui décorent les instrumens et les armes du prétendu âge de bronze, et celle des ornemens ou dessins qu’on trouve sur les parois intérieures du tombeau de Kivik. Cette ressemblance ne saurait être fortuite, parce qu’elle ne se reproduit dans le Nord sur aucun autre objet que les instrumens et les armes constituant l’âge de bronze, parce que les formes sont identiquement reproduites sans laisser place au caprice, et parce qu’elles se retrouvent absolument les mêmes, non-seulement à Kivik et sur les bronzes, mais encore dans plusieurs monumens du reste de l’Europe et de l’Asie. Au nombre de ces derniers monumens, qui lui ont servi de points de comparaison et forment une chaîne non interrompue de témoignages identiques, M. Nilsson cite plusieurs, chambres souterraines dans le pays primitif des Phéniciens, entre Sidon et Tyr, de pareilles à Malte, à Gozzo, et surtout en Irlande. Les chambres souterraines de New-Grange et de Dowth, qu’il a visitées dans le voisinage de Drogheda et qu’il décrit en détail, étaient, comme Kivik, entièrement inexpliquées avant sa publication. Surmontées aussi de collines factices que la main des hommes a formées de cailloux apportés, elles paraissent avoir été uniquement des monumens religieux consacrés au culte du feu ou du soleil ; les pyramides d’Égypte n’étaient pas autre chose après tout, bien qu’elles servissent en même temps de sépultures ; l’exacte orientation de ces monumens l’avait fait conjecturer déjà, et les pyramides votives que possèdent maintenant nos musées confirment ces caractères. Quant au monument de Kivik, il joint à des témoignages d’adoration envers Baal, divinité du feu ou du soleil, le souvenir d’un triomphe militaire remporté par les hommes qui l’ont construit. Singulier peuple que celui qui se donnait tant de soins et de peine pour dérober à tous les regards le trophée de sa victoire ! La soumission à certaines exigences religieuses pouvait seule expliquer cette bizarrerie, et c’était, dans la discussion qu’instituait M. Nilsson, un grave argument pour empêcher de confondre un tel peuple avec les anciens Scandinaves, qui écrivaient ou figuraient leurs exploits sur les pierres des chemins et sur les rochers[4].

Ce serait pour nous ici un travail bien ténu de suivre M. Nilsson dans les rapprochemens qui lui sont nécessaires pour démontrer le sens symbolique de tels dessins en forme de zigzag, de cercle à quatre rayons, de double cercle concentrique, et il faudrait, pour contrôler toute son argumentation sur un terrain si glissant, une expérience d’antiquaire singulièrement exercé. On sait que les sacrifices humains étaient inséparables du culte de Baal. Aussi M. Nilsson remarque-t-il dans les chambres souterraines d’Irlande et de Malte des pierres concaves que tous les archéologues reconnaissent avec lui comme ayant dû recevoir le sang des victimes, et deux des pierres formant parois au monument de Kivik représentent bien incontestablement les apprêts de ces sanglantes fêtes. Le vainqueur y est en effet figuré sur un char à deux chevaux ; en avant marchent des prisonniers avec les mains liées sur le dos, puis des musiciens, dont quelques-uns portent d’immenses trompettes comme celles qu’on admire aujourd’hui au musée des antiquités du Nord de Copenhague. C’est là le triomphe. On voit au-dessous plusieurs captifs que des hommes armés font sortir d’une enceinte et conduisent vers une vaste cuve, entourée de prêtres qu’on reconnaît aisément à leur costume et à leur attitude bizarres, fort bien appropriés au caractère. Tout cela est grossièrement figuré à coup sûr ; la signification historique n’en est pas moins très claire, et il n’y a pas à s’y méprendre. D’ailleurs, indépendamment de ces images figurées et de ces pierres creuses destinées à recevoir le sang répandu, M. Nilsson signale parmi les découvertes archéologiques récentes du Nord une autre et fort curieuse analogie avec l’ancien culte asiatique de Baal. On peut se rappeler que, suivant le récit de la Bible[5], l’industrieux Phénicien Hiram, habile artiste en bronze, avait construit pour Salomon des voitures ou supports munis de roues destinés à recevoir et à transporter les bassins ou chaudières dans lesquelles on lavait (c’est la Bible encore qui nous en instruit) les objets destinés aux holocaustes. Nul doute pour M. Nilsson que chez les Juifs, où tant de coutumes des peuples qui les environnaient, avaient pénétré des cette époque, un artiste venu lui-même de Phénicie et adorateur de Baal n’eût construit ces véhicules à l’image de ceux qui, dans sa religion, servaient aux sacrifices ; on sait en effet que l’art égyptien avait déjà antérieurement fait invasion, en Judée, et on a démontré que le temple de Salomon lui-même reproduisait le module des temples phéniciens. Or voilà qu’on a retrouvé dans le nord de l’Europe, parmi les fouilles des vingt dernières années, de petits chars en bronze que notre antiquaire croit analogues à ceux de Phénicie. M. Nilsson en mentionne deux les plus connus. Le premier et le plus célèbre, décrit avec beaucoup de soin en 1844 par M. Lisch[6], a été trouvé en 1843 dans le petit village de Peccatel, tout près de Schwerin en Mecklenbourg ; il a seulement neuf pouces De long, autant de large, et cinq ou six de haut. Voilà du moins pour le véhicule ; mais le vase y était joint, haut de sept à huit pouces et large de seize à l’ouverture, le tout en bronze fendu. Ces petites dimensions font penser à M. Nilsson qu’il ne s’agit que d’objets symboliques devant rappeler ceux qui étaient consacrés dans l’ancien culte asiatique. Peu de temps après, le hasard a fait découvrir un second exemplaire presque absolument semblable en Scanie, dans la ville d’Ystad ; seulement le vase que ce petit char était évidemment destiné à supporter manquait. On conserve aujourd’hui ce curieux objet d’antiquité à Stockholm, dans le musée de l’Académie de littérature, d’histoire et d’archéologie. M. Nilsson n’hésite pas à penser que ces singuliers instrumens, apportés avec le culte dont ils faisaient partie, peuvent dater de l’époque de Salomon, ou même la précéder[7], et il voit dans cette double découverte un nouveau témoignage de la présence du culte de Baal dans le Nord.

La mythologie Scandinave, les traditions et les usages populaires fournissent encore à M. Nilsson d’autres argumens. Baal, dieu du soleil, a pris place, suivant lui, dans le panthéon Scandinave sous le nom de Balder. Le brillant, le bon Balder lui représente un culte où la lumière est adorée, et qui correspond à une civilisation plus douce, en dépit des sacrifices humains, que celle des anciens Scandinaves. De ce culte asiatique les usages populaires, soit dans le nord, soit dans l’occident de l’Europe, ont conservé, dit-il, plus d’un vestige. À l’exemple des prêtres autour des feux du Carmel, les adorateurs de Baal célébraient des danses religieuses autour des bûchers. « Quand vous serez entré dans le pays que le Seigneur votre Dieu vous donnera, dit Moïse, prenez bien garde de ne pas vouloir imiter les abominations de ces peuples. Et qu’il ne se trouve parmi vous personne qui prétende purifier son fils ou sa fille en le faisant passer par le feu[8]. » La défense de Moïse a été impuissante, et presque de notre temps encore les superstitions qu’il s’efforçait d’interdire se sont perpétuées. Il n’est point nécessaire, tant on a écrit sur ce sujet, d’insister sur la fête qui se célèbre même aujourd’hui dans plusieurs parties du Nord pendant la fameuse nuit du 24 juin, la nuit du midsommar ou de la mi-été, du moment de l’année où le soleil a achevé d’atteindre le point le plus élevé de sa course apparente. En Irlande, le clergé a dû longtemps combattre de pareilles superstitions. On voyait des vieillards tourner autour des feux en récitant une prière. Si un homme devait commencer ; quelque lointain voyage, il sautait trois fois en sens inverse à travers le bûcher, afin que son expédition fût heureuse. On se purifiait de la sorte ayant un mariage, ou bien on se rendait invulnérable avant une entreprise militaire, Quand la flamme faiblissait, les filles la traversaient pour obtenir de bons maris. On portait enfin les enfans par-dessus les charbons ardens, comme faisaient jadis les Chananéens. En France même, les antiquaires ont recueilli un grand nombre de faits analogues. Dans quelques-unes de nos provinces, on construit encore, pour la fête du solstice, des roues garnies de broussailles, qu’on lance tout enflammées sur les pentes des montagnes, et Bordeaux célèbre le dimanche des brandons.

Les textes ne manqueraient pas pour démontrer que, partout où le dieu du soleil a été adoré dans l’antiquité (Baal en Phénicie, Horus en Égypte, Apollon chez les Grecs), il a été considéré, par suite d’une induction bien naturelle, comme le dieu de la conservation et de la santé, bienfaiteur du genre humain. Or la même croyance apparaît en diverses superstitions qui ont toujours accompagné dans le Nord la fête du 24 juin. Les plantes médicinales dont on avait fait provision dans les familles étaient exposées cette nuit-là et gagnaient ainsi un surcroît de vertu. On étendait de grands draps sur lesquels on les étalait jusqu’à ce qu’elles eussent reçu la rosée, après quoi on les appliquait tout humides sur les plaies ou les blessures, ou bien on recueillait les gouttes de cette rosée, que l’on conservait dans des flacons pour les futures maladies. L’eau des sources devenait alors aussi plus que jamais salutaire. Toute la nature semblait réconciliée ; les influences malignes étaient détruites, il y avait trêve sur la terre et dans les airs ; c’était la fête universelle, dont les traditions légendaires et les poèmes de Shakspeare ont consacré le touchant souvenir, car nul accent n’est plus sympathique à l’homme que celui de la confiance, humaine dans l’éloignement de la souffrance, dans la paix et le bonheur[9].

Non-seulement M. Nilsson croit avoir démontré par toutes ces preuves la présence du culte de Baal dans l’ancien Nord, mais en outre il identifie ce culte avec celui qui est désigné chez les anciens Gaulois sous le nom de druidisme, ou plutôt le druidisme lui paraît en être une dégénérescence. Son principal argument ici est que les peuples Scandinaves semblent avoir pratiqué l’adoration de certains arbres et celle du gui qui pousse sur le chêne. Les tertres de Suède où l’on découvre les objets antiques en bronze sont ou ont été couverts d’une végétation abondante. Là où elle subsiste aujourd’hui, on reconnaît presque toujours des arbres perpétuellement verts. En Phénicie, on adorait le cyprès ; c’est l’if qui paraît avoir été dans la Suède méridionale l’objet d’un pareil culte. Quant au gui, personne n’ignore le rôle important qui lui est réservé dans la mythologie Scandinave. C’est à une branche de gui lancée par son frère aveugle que le bon, Balder doit sa mort. Le culte du gui occupe en outre une grande place dans le Nord parmi les superstitions populaires. Naguère encore les gens du peuple achetaient du gui chez l’apothicaire, non-seulement comme substance médicinale, mais encore comme talisman ou du moins comme préservatif contre les suites redoutables des ensorcellemens ; si le lait n’était pas bon, on mettait du gui à la corne de la vache ; si elle était malade, on en suspendait dans l’étable. Linné rapporte, dans son Voyage en Vestro-Gothie, que la croyance populaire attribuait au gui une puissance préservative contre l’incendie. De même, dans le comté de Galles, au soir de Noël, on suspend encore aujourd’hui une branche de gui au toit ; les hommes amènent les femmes au-dessous, et là leur souhaitent bon noël et bon nouvel an. On sait enfin notre vieux cri gaulois : Au gui l’an neuf ! si singulièrement perpétué dans un de nos refrains les plus populaires. — Mais l’histoire offre à M. Nilsson un terrain plus solide que ces rapprochemens, quelque ingénieux qu’ils puissent être, lorsqu’il s’efforce de démontrer que le culte de Baal, identique ou non à celui des druides, a dû être apporté dans le Nord par les Phéniciens eux-mêmes, et non par une transmission de peuple à peuple à travers toute l’Europe. Avec le secours des remarquables travaux de MM. Movers et Redslob (Die Phoenizier et Thule), il suit le développement de la puissance maritime des Phéniciens depuis leur berceau ; il les montré élevant aux points les plus périlleux de leur course des phares, speculœ… in quibus speculativi ignes, dit Pline, constructions auxquelles les Grecs et les Romains ont donné le nom de colonnes d’Hercule, c’est-à-dire de l’Hercule phénicien ; il les fait voir, fort avides de pêcheries abondantes, s’établissant à l’embouchure des grands fleuves, et donnant par la naissance à de grandes villes. Marseille avait eu sans aucun doute des fondateurs phéniciens avant l’arrivée des Grecs, car elle avait un temple de Baal, et, dans une île près de l’embouchure du Rhône, des autels à la Diane d’Éphèse, c’est-à-dire à la déesse Astarté, avec deux tours pour guider les navigateurs. Les Phéniciens s’étaient emparés dès le temps de Moïse de la meilleure partie de l’Espagne, et de là il leur avait été bien facile, soit par une circumnavigation, soit en remontant les fleuves orientaux de la péninsule ibérique et en descendant ceux de la Gaule, de se diriger vers nos côtes occidentales. Il faut que le groupe des Sorlingues ait été par eux bien anciennement et bien longtemps exploité, s’il est vrai, comme quelques érudits l’ont récemment soutenu, que de ces îles soit sorti absolument tout l’étain qu’employaient les habitans des côtes de la Méditerranée, même celui qui avait servi à la fabrication d’une cloche dont M. Layard a retrouvé un débris dans les ruines de Ninive.

Ce n’est pas tout : des traces visibles d’établissemens phéniciens à l’est de la Grande-Bretagne se montrent encore. Dans son livre sur les Mœurs des Germains, Tacite dit, en parlant des côtes de la Frise : « Nous avons tenté par là les routes de l’Océan, et la renommée a publié qu’il existait dans ces régions d’autres colonnes d’Hercule, soit qu’en effet Hercule ait visité ces lieux, ou que nous soyons convenus de rapporter à sa gloire tout ce que le monde contient de merveilles. L’audace ne manqua pas à Drusus ; mais l’Océan protégea les secrets d’Hercule et les siens. Depuis, nul n’a tenté ces recherches : on a jugé plus respectueux et plus discret de croire aux œuvres des dieux que de les approfondir. » Singulier témoignage de cette curiosité d’esprit et de cette ardeur scientifique qui devinrent générales dans les premiers siècles de l’empire et qui allaient atteindre leur apogée au temps des Antonins ! On sait que dans une première expédition, vers l’an 12 avant Jésus-Christ, Drusus sortit par l’embouchure du Rhin avec une flottille de bateaux plats, et s’avança à la recherche de ces autres colonnes d’Hercule jusqu’à l’embouchure de l’Ems ; l’obstacle de la marée, encore peu familier aux navigateurs romains, le força de reculer et de revenir. Trois ans après, l’an 9, il s’avança jusqu’à l’Elbe, où une vala ou prophétesse des Germains lui apparut pour lui révéler qu’il ne pouvait faire un pas de plus, et que ses destinées étaient finies. Il revint en effet avec son armée, et fit dans cette retraite une chute de cheval dont il mourut. Cette seconde expédition, toute militaire, s’était faite à travers le continent : elle n’avait par conséquent apporté à Drusus aucune connaissance nouvelle concernant le littoral ; mais on estimait évidemment, d’après les paroles de Tacite, au temps de Drusus et de Tacite lui-même, que ces colonnes d’Hercule devaient se trouver sur la côte de la Mer du Nord, et que, si Drusus avait continué son exploration maritime à l’est de l’embouchure de l’Ems, il les eût infailliblement rencontrées. — Ce que les anciens appelaient des colonnes d’Hercule était, nous le savons, des phares élevés par les Phéniciens pour protéger et guider leurs vaisseaux. Nous voilà donc assurés, dit M. Nilsson, que les Phéniciens ont eu quelque comptoir dans les eaux qui baignent les côtes occidentales de la Scandinavie.

Comment M. Nilsson, poursuivant sa recherche historique, démontrera-t-il la présence des Phéniciens jusque dans l’intérieur même de l’ancienne Scandinavie ? Par la provenance des denrées qu’on sait qu’ils exploitaient. L’ambre ne venait sans doute pas alors, suivant lui, de la côte de Prusse, dont les conditions géographiques et physiques devaient être fort différentes de celles que nous connaissons de notre temps, mais il se produisait en abondance sur les côtes du Danemark et de la Scanie, et c’est là que les Phéniciens le venaient prendre. M. Nilsson est ici en contradiction flagrante, il faut le dire, avec le récit d’Hérodote, à qui on avait rapporté que l’embouchure d’un certain fleuve nommé Eridan, qui se jetait du continent dans la mer septentrionale, était la principale région où se produisait l’ambre. Hérodote ne voulait pas croire à ce fleuve Eridan, affluent de la Baltique ; mais voilà qu’on remarque aujourd’hui qu’un cours d’eau nommé le Rhodaune baigne en effet le côté occidental de la ville de Dantzig, et je lis d’ailleurs, dans les curieux commentaires de l’Hérodote publié par M. George Rawlinson à Londres, que ce nom de Rhodaune ou d’Éridan a bien pu s’appliquer jadis à la Vistule même, signifiant par ses deux radicaux, suivant l’étymologie sanscrite ; un fleuve ou un grand cours d’eau[10]. — M. Nilsson pense que c’étaient les Phéniciens qui avaient le monopole des riches fourrures, et qu’ils ne trouvaient ces marchandises que dans la Scandinavie. Strabon, qui décrit leurs petits observatoires pour la pêche dû thon, indique où étaient leurs salines et leurs pêcheries, et la persistance des mêmes procédés de pêche sur les côtes de la Norvège et de la Suède jusque dans notre temps paraît confirmer pour le Nord de pareils indices. — M. Nilsson rappelle enfin les vestiges du culte du feu visibles jusque dans les environs de Tromsoe et dans l’archipel des îles Lofoden, et dresse en terminant toute une liste de dénominations géographiques dans lesquelles se retrouve, suivant lui, le nom du dieu Baal ; il n’est pas jusqu’aux dénominations de Baltique et de Belt dont il ne tire quelque profit.

En résumé, M. Nilsson a voulu démontrer que l’âge de bronze, placé par les antiquaires du Nord entre l’âge de pierre et l’âge de fer, n’a pas été indigène en Scandinavie, mais qu’il y a été apporté par la civilisation phénicienne, fort supérieure à celle des tribus établies depuis longtemps dans le Nord. Les antiquités en bronze que chaque fouille nouvelle met au jour portent des figures qui sont à ses yeux non de simples ornemens, mais des symboles religieux ; les dimensions des armes sont en outre inférieures à celles qui eussent convenu aux tribus indigènes. Ce n’est pas assez pourtant d’avoir suivi les traces de la civilisation phénicienne jusqu’aux extrémités du Nord. Chemin faisant, M. Nilsson a cru pouvoir constater un mélange des deux religions phénicienne et égyptienne qui se retrouverait jusque dans des régions éloignées. Nous avons écarté cette nouvelle discussion pour laisser en toute lumière la thèse principale, l’auteur s’appuyant d’ailleurs dans cette partie de son travail sur des données qui eussent paru contestables, identifiant par exemple avec les Phéniciens non-seulement les rois pasteurs de l’ancienne Égypte, mais même le grand peuple étrusque.

Quant à la thèse dont nous avons exposé l’argumentation ; M. Nilsson l’a-t-il entièrement démontrée, de façon qu’elle soit-désormais admise comme vérité historique ? Nous n’oserions pas l’affirmer ; mais nous nous hâtons d’ajouter qu’on peut bien se demander si une démonstration parfaite en un tel ordre de questions, est possible. Rudbeck, lui aussi, a voulu retrouver le culte du soleil[11] dans le Nord Scandinave. Faut-il cependant condamner de telles entreprises dans notre temps ? Non sans doute, car elles peuvent, sérieusement abordées et conduites, sous la garantie protectrice de la raison et de la critique modernes, servir au progrès de la science, alors même qu’elles n’atteindraient pas leur but particulier. C’est ce qu’on peut dire en tout cas du livre de M. Nilsson, et peut-être aussi d’une recherche à peu près analogue tentée par un professeur de l’université de Christiania, M. Holmboe, en 1857, sous ce titre : Traces du bouddhisme en Norvège avant l’introduction du christianisme. — On ne saurait, à la vérité, prédire à l’archéologie scandinave des destinées aussi brillantes que celles de l’archéologie égyptienne ou assyrienne. Toutefois, quand on songe à la part d’influence que les peuples germaniques ont prise dans la formation de nos sociétés, on arrive à se convaincre que la science capable d’éclairer leurs origines est d’un grand prix, et on se rappelle qu’il s’agit de nos origines à nous-mêmes. Bien plus, fort au-delà des temps où se cache le berceau du moyen âge, l’archéologie Scandinave nous a fait pressentir et nous a déjà presque livré la révélation d’âges primitifs et anté-historiques qui ont dû être communs à toute l’humanité ; elle s’est acquis par là un singulier relief en venant au secours non-seulement de l’histoire, mais d’autres sciences encore, comme l’ethnographie et l’anthropologie. Qu’elle veuille, en présence d’une mission si haute, faire appel à une scrupuleuse prudence, on ne peut qu’y applaudir en rendant justice à des archéologues tels que ceux qui composent l’école actuelle du Danemark ; mais on doit lui permettre aussi les perspectives lointaines et systématiques quand elles s’autorisent d’un nom illustre comme celui de M. Nilsson. Dans une grande partie de l’Europe et particulièrement dans le Nord, le sol encore imparfaitement fouillé, les textes encore mal interprétés, peuvent nous préparer de nombreuses surprises. Il est bon qu’à mesure que se multiplient les études de détail, certaines vues d’ensemble viennent encourager et peut-être guider les plus patiens explorateurs. La Suède, dont le génie se montre facilement épique, pourrait bien convenir à ce rôle à la fois brillant, utile et périlleux.


A. GEFFROY.

  1. On a de la main du roi, entre autres écrits, une curieuse dissertation sur la Construction des salles dites des Géans ; Copenhague, 1857, traduite en plusieurs langues.
  2. M. Bjarni Johnson, recteur du collège de Reikiavik, en Islande, a commencé une traduction française de l’Heimskrinmgla ou des sagas royales de Norvège, d’après le texte islandais de Snorre Sturleson. Une pareille œuvre achevée serait un précieux monument, d’un grand secours pour les études Scandinaves.
  3. Extrait du Compte-rendu de l’Académie des sciences (en danois). On trouvera dans ce recueil toute la discussion.
  4. En France, la grotte de l’Ile de Gavr’ Innis, à l’entrée du golfe du Morbihan, et la chambre sépulcrale qu’on vient tout récemment de découvrir sous le tumulus ou mont Saint-Michel, près de Carnac, se trouvent aussi cachées, dit-on, sous des monticules de pierres évidemment factices. De plus on voit dans ce dernier monument, nous écrit un témoin oculaire, quelques figures qui sembleraient se rapprocher de celles des monumens irlandais. La société polymathique du Morbihan s’apprête à publier les résultats des fouilles de Saint-Michel de Carnac.
  5. Troisième livre des Rois, chapitre VII. M. Ewald, de Göttingue, a pris soin de traduire avec une attention particulière tout ce curieux texte dans les mémoires de la Société des sciences de Goettingue de 1859, page 131-146.
  6. Jahrbücher des Vereins für Mecklenburgische Geschichte und Alterthumskunde, tome IX, page 369.
  7. On peut lire sur ce point obscur d’archéologie un travail important de M. John-Mitchell Kemble dans le recueil de la Société des Antiquaires de Londres, in-4o, tome XXXVI. M. Kemble y fait connaître plusieurs monumens fort bizarres trouvés en terre depuis peu d’années, non-seulement dans l’Allemagne du nord, mais en Styrie et en Italie, et peut-être du même genre que les deux petits chars interprétés par M. Nilsson. Il rapporte les explications, fort émergentes qu’on en a données, mais dont aucune ne se rapproche de celle que nous venons d’exposer. Ces objets, ont été dits étrusques, slavons, vendes, Scandinaves, etc. M. Kemble ne se décide pas, et fait appel aux archéologues de France et d’Italie. Notons en passant que notre Bibliothèque impériale possède deux petits chars en terre cuite qu’on dit assyriens.
  8. Deutéronome, XVIII, 9-10.
  9. On trouvera les témoignages les plus curieux sur ce sujet dans les œuvres de Finn Magnusen, soit dans son excellent Dictionnaire de la Mythologie Scandinave (in-4°, 1828, en latin, soit dans ses mémoires divers, dans son édition de la seconde Edda, dans sa Doctrine de l’Edda (Eddalaere), etc.
  10. Hérodote, liv. III, ch. 115.
  11. Au chapitre 5 de son célèbre ouvrage, tome II. Le titre de sa dissertation en dit assez : De Heliolatria, ejusque prima apud Allanticos origine, ac deinceps per Europam, Asiatn et Africam propagatione